Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 2e partie

Deuxième article sur la question : les chars allemands en 1939-45 étaient ils vraiment les meilleurs ? Et pour répondre à cette question, nous allons revenir en arrière, comprendre d’où sont partis nos braves militaires de la Wehrmacht.

Premier arrêt : 1903 ; un capitaine français polytechnicien, Léon René Levavasseur, arrive à l’état major pour présenter son idée : un canon monté sur une plateforme roulante tout terrain. Et puis on va ajouter un blindage, pour protéger les servants des tirs de fusils ou des éclats d’obus. Et à la places des roues, on va mettre une grande bande de chaque coté (ça ressemble furieusement à des chenilles, et rien à voir avec la chanson). Vous l’aurez compris : il vient d’inventer le char (plutôt un canon automoteur, mais ne chipotez pas). Bien entendu, tout cela est trop moderne pour les militaires de l’époque, qui rejettent le projet sous le prétexte que on fera jamais mieux que le cheval pour déplacer un canon. Comme notre ami Levavasseur est têtu, il revient à la charge en 1908, mais il essuie toujours un refus.

Un schéma du projet Levavasseur


Dans le même temps, un Autrichien, le lieutenant Gunther Burstyn (avec un nom pareil, sûr qu’il n’est pas japonais), propose en 1911 une idée un peu similaire, mais avec cette fois ci un canon sous tourelle. Et en Australie en 1912, c’est un ingénieur civil, Lancelot de Mole (ça s’invente pas … le gars devait avoir des envies de chevalerie motorisée), cette fois, qui propose un engin blindé pour transporter des soldats. Les chefs militaires étant uniformément stupides, toutes ces idées beaucoup trop en avance sur leur temps sont rejetées. H.G. Wells parle pourtant, dans une de ses nouvelles, de « land ironclads » (cuirassés terrestres) qui écrasent des fantassins un peu trop sûrs d’eux. Nous en restons donc là pour l’instant.

Le char façon Burstyn, bien trop en avance sur son temps …


Puis la guerre éclate. Après quelques mois de guerre de mouvement, la guerre s’enterre. Et il devient extrêmement difficile de percer les lignes ennemies, protégées par des tranchées, des mitrailleuses qui fauchent les fantassins, des barbelés qui ralentissent les charges, … Bref, l’attaque ne peut se faire que si on la précède d’un puissant barrage d’artillerie ; sauf qu’après, le sol est retourné, rendu instable, et progresser sur un tel terrain devient vite un enfer. Ah, si seulement on avait un engin protégé des tirs ennemis, capable de se déplacer sur tout type de terrain, et d’emmener avec lui une puissance de feu suffisante !
Heureusement, du coté franco britannique, on se souvient de ces idées un peu farfelues, et on se dit que finalement, c’était peut être pas si bête. Au Royaume Uni, c’est le premier lord de l’Amirauté, un certain Winston Churchill, qui pousse le projet. Et comme on ne veut pas que les Allemands comprennent la petite farce qu’on leur prépare, on appelle le projet « tank », ou réservoir, en faisant croire qu’il s’agit de réserves d’eau mobiles, destinés à la guerre dans le désert. Donc oui, quand vous jouez à « World of tanks », vous jouez en fait au « Monde des réservoirs ». Ça claque moins quand même.


En 1916, le premier modèle est au point : le Mark 1. On est encore loin du char contemporain : il s’agit plutôt d’une grosse caisse blindée, avec des chenilles qui montent jusqu’au dessus du char ; pas de tourelle, mais les armes sont installées sur des supports latéraux. On décline l’engin en deux version : une armée de deux canons, appelée subtilement « male », et une « female », avec tout plein de mitrailleuses, et dont le rôle est de protéger les premiers en combat rapproché.

Le Mark I britannique, modèle « male »


Ils seront utilisés pour la première fois durant la bataille de la Somme. Les Britanniques veulent l’utiliser pour percer les défenses allemandes (notamment, détruire les mitrailleuses), et permettre ensuite à la cavalerie d’avancer. Les Français leur demandent d’attendre (que leurs propres chars soient opérationnels, afin de créer un effet de surprise complet), mais non : le commandant anglais VEUT ses chars. On les envoie donc au combat. Cette première fois est pour le moins confuse. Pas mal de chars tombent en panne en plein no man’s land, d’autres se font péter par l’artillerie teutonne ; certains parviennent à atteindre leurs objectifs, mais la cavalerie ne parvenant pas à suivre, ils se retrouvent isolés au milieu de l’ennemi, et plusieurs finissent par se faire capturer. Point positif : l’apparition des bestiaux a tout de même provoqué une certaine panique chez les Allemands, même s’ils ont fini par se reprendre.
Malgré ce revers, les militaires anglais vont insister, améliorer non seulement les véhicules mais aussi leur doctrine d’utilisation.


De leur côté, les Français ont également travaillé sur le char. Et pour cela, on fait appel à un homme. Non, pas Levavasseur : tout le monde semble l’avoir oublié (à moins qu’il boudait dans son coin, à fabriquer son propre char, avec des tables de black jack et des danseuses orientales). Mais un certain Jean Estienne. C’est un militaire qui aime bien les idées nouvelles (un truc rare) ; on lui a déjà confié le développement de l’aviation militaire avant guerre (pour le réglage de l’artillerie), avec succès. Et dès le début de la guerre, il déclare que le vainqueur sera celui des deux belligérants qui saura mettre un canon sur un véhicule tout terrain.
On lui confie donc le développement de « l’artillerie spéciale ». Pour l’instant, les chars français (Schneider et St Chamond) ressemblent à ceux des anglais, c’est à dire une grosse caisse roulante avec canon en casemate ou sur les côtés. Estienne n’est pas convaincu : il appelle Renault pour lui demander de produire un char léger, en très grosses quantités. L’industriel est déjà occupé à produire des obus, et décline.


Entretemps, les chars français sont engagés pour la première fois à Berry Au Bac, dans le cadre de l’offensive du chemin des Dames – malgré l’avis de Jean Estienne, qui pense que c’est trop tôt. Bien entendu, on ne l’écoute pas, et comme pour les Britanniques, c’est un échec : les chars qui ne tombent pas en panne, ou détruits par l’artillerie ennemie, finissent tout seuls dans les lignes ennemies, et font demi tour. L’artillerie spéciale est sur le point d’être dissoute … mais finalement, le changement de têtes à l’état major la sauve.


Et puis, en 1917, Renault a changé d’avis, et on écoute enfin Estienne. Avec son pote fabricant de voiture, ils conçoivent donc un nouveau char, le char FT : petit, mobile grâce à ses larges chenilles, avec une tourelle à 360° et moteur à l’arrière. Bref, presque le schéma du char moderne. Bon, il avait quelques défauts, comme l’absence de systèmes de communication interne (le chef de char donnait des ordres au pilote en lui donnant des coups de genou pour la direction – un coup à droite, on tourne à droite, un coup à gauche, on tourne à gauche – ou sur le casque pour démarrer/arrêter), une quasi absence de suspensions qui mettait la colonne vertébrale à rude épreuve. Mais il était assez fiable, et surtout, facile à produire : environ 3 700 chars furent fabriqués sur les 18 mois, dans différentes usines. Et il était si bien que de nombreuses armées alliés vont l’adopter, y compris les Etats Unis qui viennent tout juste d’entrée dans le conflit.

Le char Renault FT, sans doute le meilleur de la 1ere guerre mondiale
Le même char, vu de l’intérieur


Pour l’anecdote : il était prévu au départ que les USA produisent le char Renault sous licence dans leurs usines. Sauf que les frenchies ayant envoyé les plans avec des mesures en système métrique, et les ricains utilisant pouces et pieds … bah ça n’a pas bien marché. Le temps que les problèmes de conversion furent résolus, la guerre était finie. Résultat : le corps expéditionnaire américain combattra avec des chars produits en France.


Reprenons. Le matériel est là, en quantité. Reste à l’utiliser correctement. Il faudra attendre mai 1918 pour que les chars français soient utilisés massivement. Et le succès sera enfin au rendez vous. Regroupés dans de grandes formations, avec l’infanterie qui suit juste derrière, et soutenus par les chars « lourds » restants, les Renault FT vont faire merveille. Si bien que ce sera un des éléments (parmi d’autres) du succès de l’offensive des 100 jours.


Et du côté allemand ? Bah le char : on y croit pas trop. Alors oui, à la première rencontre face aux Britanniques, ça a été un peu la panique de voir plusieurs dizaines de tonnes d’acier avancer sans broncher. Et puis finalement, ils sont tombés en panne, et ont fini défoncés par l’artillerie. Du coup, on se dit que c’est une idée pourrie : le char, ça marchera JAMAIS. Les Allemands ne font pas vraiment d’efforts pour améliorer l’idée ; si bien que même s’ils développent un unique modèle (Sturmpanzerwagen A7V), ils en produiront à peine 20, et utiliseront davantage des chars piqués aux Anglais.

Un des rares chars allemands de l’époque, le A7V, en Juillet 1918


On le voit donc : les Allemands, à la fin de la guerre, partent de loin, et même très loin, sur la question du blindé. Vont ils mettre à profit l’entre-deux guerres pour travailler ce point ? Nous le verrons dans l’article suivant.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_Levavasseur

https://en.wikipedia.org/wiki/Gunther_Burstyn

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mark_I_(char)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Char_Schneider_CA1

https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Chamond_(char)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Estienne (je conseille vivement, le gars a eu une sacré vie)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Char_Renault_FT

https://fr.wikipedia.org/wiki/A7V

Source des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 1ere partie

Nous allons partir sur un sujet, qui va sans doute nous tenir plusieurs articles, tellement il est long et complexe … Et pourtant, la question de base est simple : les Allemands avaient ils les meilleurs chars de la 2e guerre mondiale ? D’emblée, l’inconscient collectif fera dire que « oui, du début à la fin de la guerre, les Panzers étaient les meilleurs chars de leur époque ». Préjugé en grande partie colporté par les douloureuses défaites qu’ont fait subir les divisions blindées de la Wehrmacht à certaines des plus puissantes armées du moment. Mais la réalité est nettement plus complexe : qu’est ce qu’un « meilleur char » ? Sur quels critères se base t on ? La « deutsche Qualität » fut elle constante ? Explique t elle leurs réussites durant la 1ere moitié du conflit ? Penchons nous sur ces questions, ce qui va sans doute nécessiter plusieurs articles.

Et on va commencer notre enquête par une question : qu’est ce qu’un bon char ?
Oui, cela parait bête … et en fait non.

On juge généralement un char sur trois critères principaux :

  • sa puissance de feu : un char, ça porte un canon pour faire bobo ; plus il peut faire bobo, mieux c’est (enfin, pas pour l’ennemi, mais on s’en fout de son avis). On divise sa puissance de feu en deux catégories : antichar (pour casser les jouets d’en face), et anti infanterie (pour tuer les piétons). Au début du conflit, les deux sont plutôt antinomiques : les canons antichar ont besoin de projectiles rapides (donc plutôt légers), tandis que les obus anti infanterie sont d’autant plus efficaces qu’ils contiennent beaucoup d’explosifs (donc lourds) ; ce qui fait qu’un canon peut s’avérer très bon contre les chars, mais mauvais contre l’infanterie, et vice versa. Avec le temps, les belligérants vont s’efforcer de faire des canons « multifonctions », qui sont bons dans les 2 cas.
  • son blindage : le concept de char étant de pouvoir encaisser des coups sans mourir, le blindage est important.
  • sa mobilité : principal intérêt d’un char par rapport à un canon tout seul, c’est qu’il peut bouger plus facilement. La mobilité se juge non seulement par la vitesse et l’autonomie, mais également par la capacité à rouler sur tout type de sol (terre, sable, boue, supporteurs de foot, …), et à franchir des obstacles comme des fossés ou des pentes.

Dans la conception du char, ces trois qualités entrent en concurrence. En effet, si je veux mettre plus de blindage, je vais alourdir le char et donc il sera moins rapide. Si je mets un plus gros canon, je vais également l’alourdir, et en plus je vais devoir augmenter la taille de la tourelle (ou perdre du blindage). Bref, tout sera question de compromis. Selon ce que l’on privilégie, on va classer les chars en 3 catégories :

  • les chars légers : on privilégie la vitesse pour qu’ils puissent aller vite et loin ; le blindage est surtout destiné à protéger contre l’armement léger (tirs de fusils ou mitrailleuses), et la puissance de feu réduite
  • les chars lourds : là on veut un char bien protégé, bien armé, mais on s’en fout s’il est rapide (souvent, il est destiné à accompagner les fantassins pour les soutenir ; donc pas besoin d’aller + vite qu’eux)
  • les chars moyens : une sorte d’intermédiaire entre les deux ; on veut un char assez rapide, mais quand même résistant et bien armé, quoique moins qu’un char lourd ; historiquement, c’est le type de char à avoir émergé en dernier, alors qu’à la fin de la guerre, il était largement majoritaire

Un char léger français, le Hotchkiss H39

Un char moyen allemand, le Panzerkampfwagen IV Ausf F

Un char lourd soviétique, le Ioseph Staline 3

Bien entendu, c’est un classement grossier, et plusieurs pays avaient leurs propres classements (parfois pas pertinents du tout) : les Anglais parlaient par ex. de « cruisers tanks » (petits chars rapides) et de « infantry tanks » (chars lours de soutien de l’infanterie) ; les Russes de chars de rupture (gros chars solides dont le but était de percer le front) et chars d’exploitation (après les précédents, ils profitaient des trous dans la défense adverse pour foncer et aller le plus loin/vite possible).
De plus, il est évident que ces chars n’avaient pas le même emploi. Un char léger n’avait pas la moindre chance face à un char lourd ; mais ce dernier n’était pas adapté quand on voulait exploiter une percée (où le but est alors de prendre l’ennemi de vitesse).

Bon, là on a évoqué les qualités « tactiques » de notre engin, c’est à dire celles qui vont lui servir lorsqu’il combattra. Ainsi, si on prend deux chars, sur un grand terrain plat, avec des équipages aussi compétents, c’est celui qui aura le meilleur compromis puissance de feu/blindage/mobilité qui devrait l’emporter. Est ce tout pour juger de la valeur d’un char ? La réponse est … non (sinon je n’aurais pas posé la question).
Quand on conçoit un char, il va y avoir tout un tas d’autres critères, pas du tout tactiques, qui vont entrer en ligne de compte. Certains sont assez évidents :

  • le cout de fabrication : si j’ai le meilleur char du monde, capable de battre 5 chars de mon ennemi juré, mais que pour le même prix il peut en produire 10, j’ai pas fait le bon choix
  • la fiabilité : ou la probabilité de ne pas tomber en panne ; dis comme ça c’est con, mais si mon super char de la mort qui tue tombe en rade au bout de 10 km, il va pas me servir à grand chose
  • la facilité d’entretien : ça rejoint partiellement le point du dessus ; il faut comprendre qu’un char c’est très lourd, et ça va donc soumettre la mécanique à rude épreuve ; souvent, au bout de quelques centaines de kilomètres seulement, il faut faire de l’entretien ; or, y passer 2 heures ou 2 jours peut avoir une influence sur une bataille (si la moitié de vos chars sont en réparation, ils ne peuvent pas se battre, ce qui est con quand même pour une arme)

Et ce ne sont pas les seuls : consommation de carburant, mobilité stratégique, confort des équipages (on y reviendra dans un autre article), … sont autant de petits éléments qui peuvent faire la différence.
Alors, on sait mieux comment juger un char maintenant, et finalement, ce n’est pas si simple (et pas seulement une question de longueur de canon). Mais on n’a pas répondu à notre question : les chars allemands, ils étaient les meilleurs ?
Et bien nous verrons cela dans un prochain article : chars allemands vs chars français & britanniques.

Un char Tigre 1 allemand, après que Hans ait parié qu’il pouvait rouler sur une seule chenille

Pour en apprendre plus : attendez les articles suivants, petits kastors impatients !

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Le kamikaze russe qui a survécu (4 fois)

Quand on évoque « avion suicide » et « 2e guerre mondiale », on pense généralement aux Japonais et à leurs kamikazes (« vent divin » dans la langue de Naruto). En effet, nos braves amis du pays du Soleil Levant, sentant l’aigre odeur de la défaite approcher, se dirent que la meilleure chose à faire, c’était d’envoyer la fine fleur de leur jeunesse s’écraser sur les navires américains, en se disant qu’à un moment les Yankees en auraient marre et rentreraient chez eux. Bon dis comme ça, ça a l’air très con. Et ça l’a été : les attaques suicides ont davantage eu un impact moral que stratégique. Mais cela répondait à deux logiques : culturelle (bushi do, le combat jusqu’à la mort etc.) et logistique : coupé de ses approvisionnements en pétrole, le Japon ne pouvait plus entraîner convenablement ses pilotes. Du coup, comme ça n’a pas marché, ils ont changé de technique et tentent désormais de corrompre notre jeunesse à coups d’orgies de tentacules (en bousillant au passage leur jeunesse, comme quoi y’a une certaine constance).

Ce qui est mois connu, c’est que certains pilotes ont parfois écrasé – volontairement – leurs avions … sur d’autres avions. La plupart du temps, l’idée était de crasher un chasseur sur un appareil plus gros (genre transporteur ou bombardier), ce qui est plus facile (le premier étant plus agile, le deuxième constituant une cible assez grosse), et a plus de valeur stratégique. Ce n’était pas spécialement nouveau, puisque les premiers abordages aériens (ou éperonnages aériens – ce sont les noms officiels de cette technique) ont eu lieu durant la première guerre mondiale (donc finalement, c’est aussi vieux que le combat aérien lui même). Les soviétiques, qui sont pas les derniers dans l’art de la déconne, ont même donné un nom particulier à cette attaque : le « taran » (littéralement, bélier en russe, assez explicite).

Une illustration d’un taran en 1914, pratiqué par un voltigeur russe

La comparaison avec nos amis nippons s’arrête là, puisque dans le cas de l’abordage aérien, le sacrifice du pilote n’est pas automatique. En effet, celui ci a une petite chance d’en réchapper, puisqu’il peut sauter de l’appareil. Autant dire que les probabilités de survie sont tout de même très réduites. Déjà, pour sauter en parachute d’un chasseur de l’époque, il fallait en vouloir : pas de siège éjectable, il faut donc se détacher de son siège, ouvrir la verrière, monter par dessus le rebord et sauter, le tout d’un avion volant à 400-500 km/h, parfois en feu, puis à ouvrir son parachute. A cela, il faut ajouter qu’on ne peut sauter qu’au dernier moment (il faut maintenir l’aéronef dans la bonne direction pour augmenter les chances de collision), mais que si l’impact est trop fort, votre appareil peut exploser.

Autre illustration, cette fois d’un chasseur allemand percutant un bombardier américain

Pourquoi en venir à une telle tactique ? En combat aérien, il n’est pas rare de tomber à court de munitions (l’emport est limité, et difficile de recharger dans les airs), ou de se retrouver trop endommagé pour rentrer à la base. Dans ce cas, plutôt que de sauter en parachute, pourquoi ne pas entraîner un ennemi avec soi ? Si on a des exemples d’utilisation de cette technique chez de nombreux belligérants, les soviétiques sont ceux qui l’ont le plus mis en avant (et sans doute, le plus utilisée). A cela une raison idéologique (glorification du sacrifice individuel pour la cause commune), mais également technique. Au début du conflit, les forces aériennes soviétiques disposent d’une grosse quantité de chasseurs, certes peu performants mais disponibles en nombre. Face aux chasseurs allemands ils se retrouvent inférieurs, mais ils disposent d’une hélice en métal. Or, si de nombreux avions possèdent des ailes et carlingues en métal, certains organes de direction (gouvernes) sont encore en toile et bois. L’idée est donc d’utiliser le taran pour hacher ces parties faibles. Ou, en dernier ressort, se prendre plusieurs tonnes dans la tête est souvent fatal pour un avion.

Pourtant, nous en venons à notre héros du jour : Boris Ivanovitch Kobzan. Avec un tel nom, forcément : il est russe. Mais sa particularité, c’est d’être le champion toute catégorie du « taran ». En effet, non seulement il a obtenu le plus grand nombre de victoires (4) avec cette attaque spéciale, mais il a également réussi à survivre … à chaque fois. Autant dire que le gars peut jouer à Xcom sans trop craindre la RNG.

Le gars a même eu droit à ses timbres

Pour la petite anecdote, la technique a tellement impressionné l’US Air Force que, durant les tests sur les premiers avions à réaction, ils avaient imaginé un appareil dédié à cette forme de combat. Il ressemblait à un gros boomerang de métal, et devait réussir à « trancher » les appareils ennemis. Avec la généralisation des appareils à réaction et les premiers missiles AA guidés, l’idée s’avéra merdique et ne dépasse pas le stade du prototype. Malheureusement, j’ai oublié le nom de ce merveilleux appareil, donc je ne pourrai pas vous le donner.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Taran
http://les-avions-de-legende.e-monsite.com/pages/anecdotes-aeriennes/l-attaque-taran.html

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Charles V, le sage – partie 4

4e et dernière partie sur Charles V, le roi qui, partant d’une situation catastrophique, a réussi à redresser la situation. Lui reste le dernier obstacle, et non des moindres : l’Angleterre, toujours belliqueuse.

Les Anglais sont donc presque seuls. Charles V peut repasser à l’offensive. Mais une fois encore, il fait preuve de sagesse : il tient à ce que le conflit reprenne, mais en étant dans son bon droit. De plus, il a compris qu’il ne tiendra pas de nouveaux territoires, sans le soutien des populations qui y habitent. Il souhaite donc conquérir les cœurs autant que les régions. Il patiente et attend que les Anglais fassent une connerie, une nouvelle fois.
Et cela vient assez vite. Comme dit précédemment, le Prince Noir revient de son expédition en Castille, victorieux mais ruiné. Il doit dissoudre son armée. Or, parmi ceux qui l’ont accompagné, figurent des chevaliers français qui, en vertu du traité de Brétigny, doivent passer sous la suzeraineté britannique. Notamment le comte Jean d’Armagnac, dont on ne peut pas dire qu’il ait été heureux de ce changement de patron. Or, Edouard de Woodstock lui avait promis, en tant que vassal, de payer les troupes qu’il a mobilisées à son service. Non seulement il ne peut le faire (il est ruiné), mais de surcroit il exige de lui des impôts ! Pour couronner le tout, l’armée dissoute par le Prince Noir, faute de solde, se met à piller la région. Jean d’Armagnac fait donc appel à son suzerain, qui est censé lui apporter protection dans ce genre de situations ; mais ce dernier lui envoie une fin de non recevoir.
Jean se tourne alors vers Charles V. Ce dernier souligne alors, qu’en vertu d’une clause du traité de Brétigny, le transfert de souveraineté n’a pas encore eu lieu, vu que la rançon n’est – toujours – pas intégralement versée. A partir de là, le prince anglais s’est mis en infraction, en exigeant un impôt sur un territoire qui ne lui revient pas. C’est donc un casus belli valable ! Le roi français, magnanime, propose à Edouard de Woodstock de venir en discuter au tribunal de Paris. Ce dernier lui répond qu’il compte bien venir, mais avec une troupe de 60 000 avocats grognons et lourdement armés. Ainsi la trêve vole en éclats : la guerre reprend, mais le roi de France a su mettre le droit de son coté. A ce sujet : lors d’une discussion à la cour anglaise, des barons louèrent le roi de France et sa sagesse. Un fils d’Edouard III, Jean de Gand s’exclama de colère « Comment ! Ce n’est qu’un avocat ! ». Plus tard, on rapporta ses propos à Charles V, qui rit et déclara « Soit ! Si je suis un avocat, je leur bâtirai un procès dont ils regretteront la sentence ! ».


La guerre ne reprend pas de suite : les Anglais en effet espèrent encore sauver le traité de Brétigny, si avantageux pour eux. Reprendre les hostilités signifierait faire une croix sur celui ci, et se lancer dans des combats qu’ils ne sont plus si sûrs de gagner. Charles V en profite, pour convaincre autant de seigneurs gascons que possible de se joindre à lui. Vu le comportement du Prince Noir jusqu’ici, et les talents diplomatiques du roi français, de nombreux seigneurs acceptent ce ralliement, en échange d’avantages (notamment des exonérations d’impôts). Avant même la reprise du conflit, la France a gagné du terrain.
La paix devenant intenable, la guerre reprend par l’auto proclamation d’Edouard III en tant que roi de France. Ce dernier réplique en ordonnant la confiscation de l’Aquitaine. Le problème, c’est que l’Angleterre est largement ruinée, suite aux précédentes aventures militaires. Le Parlement rechigne à vote de nouvelles dépenses, et Edouard III doit donc se contenter de peu. Au contraire, le roi de France a réussi à faire accepter des impôts permanents et conséquents, autorisant le financement d’une armée conséquente. Les Anglais en reviennent à la stratégie de la chevauchée ; les Français évitent les batailles rangées, et continuent d’appliquer la technique de la terre déserte. Le pillage ne rapporte pas grand chose, ne permet pas de tenir les villes, et la population hait toujours plus l’envahisseur, pour le plus grand bénéfice du roi de France. Celui ci au contraire, opte pour une guerre d’escarmouches, et de sièges. Peu à peu, il grignote le territoire anglais sur le continent, prenant villes et châteaux, parfois sans même combattre. Il entretient le patriotisme dans les territoires libérés, multipliant les exonérations fiscales, et usant de l’anoblissement afin de renouveler la noblesse, dont une grande partie est morte (soit durant la peste, soit durant les batailles de Crécy ou Poitiers).


Cependant, si les chevauchées n’apportent pas de grands gains coté militaire, elle exaspère la population. Par exemple, Limoges est libérée en Aout 1370 par les français ; mais ceux ci laissent une garnison trop faible, et la ville est reprise peu après. Les troupes anglaises massacrent la population, puis incendient la cité (de vrais gentlemen). L’objectif est de dissuader, par la peur, les autres villes de se rendre ; mais l’effet inverse se produit. Par contre, le peuple commence à mettre la pression sur le roi, qui doit normalement protéger ses sujets. Il consent à nommer Du Guesclin connétable de France, et le charge d’affronter les troupes de pillage.
Le chevalier breton a de la chance : face à leurs succès mitigés, les capitaines anglais commencent à se disputer. L’un d’entre eux, Thomas Granson, veut provoquer les Français pour les affronter seuls, sûr de la supériorité de ses archers même en sous nombre, en espérant ainsi récupérer les rançons pour lui tout seul. Du Guesclin reçoit son émissaire, le fait picoler, et pendant ce temps, fait avancer ses troupes à marche forcée. L’objectif est de tomber sur le museau des Anglais avant qu’ils ne soient retranchés. Le 4 Décembre 1370, après une nuit de marche sous la pluie (on est pas loin de la Bretagne), l’armée française tombe par surprise sur celle des Anglais, à Pontvallain. N’ayant le temps de mettre les archers en position de tir, ils sont contraints de combattre au corps à corps. Après des heures d’âpres combats, les Français finissent par l’emporter.

Charles V remet l’épée de connétable de France à Du Guesclin

Le roi anglais perd du terrain, les chevauchées ne sont plus rentables, et même en cas de bataille rangée, la victoire n’est plus acquise. La situation devient compliquée. Et pourtant, elle va encore s’aggraver pour lui. Si l’année 1371 s’avère calme, la suivante voit la situation déconner de nouveau. Et là, l’alliance avec la Castille va jouer à fond. Le royaume espagnol dispose notamment d’un atout intéressant : sa marine de guerre. Pour venir guerroyer en France, les Anglais doivent prendre le bateau (il n’y a pas encore de tunnel sous la Manche). Ce qui est bien pour eux – et moins bien pour la France – c’est qu’ils ont le contrôle des mers, depuis que la flotte française s’est faite éclatée à la bataille de l’Ecluse.
Or, tout va changer à la bataille de la Rochelle, en Juin 1372. Une flotte anglaise mouille non loin du port charentais. Les flottes française et castillane devaient se retrouver pour aller combattre ensemble, mais l’amiral français étant en retard, c’est donc la seule flotte castillane qui passe à l’attaque. Elle est dirigée par Ambroise Boccanegra, qui n’est pas castillan, ni même espagnol ou français : il est génois, grande puissance maritime de l’époque. Son papa avait combattu à la bataille de l’Ecluse (dans le camp des perdants), et il souhaite ardemment le venger. Il est en infériorité numérique, mais il va la jouer fine : ses navires présentent moins de tirant d’eau (en gros, la parte immergée est plus faible) que ceux des anglais. Il va donc réussir, par divers manœuvres (et notamment en feignant des difficultés), à faire s’échouer les nefs anglaises à marée basse. Et une fois immobilisées, ils les incendient à grands coups de brûlots (l’ancêtre des kamikazes, mais avec personne à bord). Autant dire que se retrouver en armure lourde dans un navire en feu n’est pas une riche idée. L’Angleterre y perd tous les navires engagés, et de nombreux soldats, chevaliers, ainsi que l’argent destiné à payer les troupes.

La bataille de la Rochelle, où la flotte anglaise se fait couler


Désormais isolés, les places fortes anglaises du continent se retrouvent en grande difficulté. Le roi de France lance ses troupes en Aquitaine et dans le Poitou. Cela dit, cela prend du temps car les nobles de ces régions sont pour le coup plutôt anglophiles (essentiellement pour des raisons commerciales : ils exportent respectivement vin et sel outre manche). Du coté de la Bretagne, le duc Jean IV a tenté de rester neutre aussi longtemps que possible, mais les Anglais lui mettent la pression. Si bien qu’en Mars 1373, une armée anglaise débarque à Brest. Charles V qui gardait une attitude prudent vis à vis de la Bretagne jusque là, passe à l’offensive. La noblesse bretonne, avec qui il a tissé de nombreux liens, s’allient massivement à lui : tant et si bien, qu’en à peine 2 mois, presque tout le duché est occupé. Plus de cidre pour les Anglais.
De nouveau bougon de voir son armée se faire laminer, le roi Edouard III en revient toujours à sa tactique de viking : la chevauchée. Il lance une grande chevauchée, commandée par l’un de ses fils, Jean de Gand. Il saccage tout sur son passage, mais comme les autres fois, on réplique avec la tactique de la terre déserte. Les assaillants commencent à souffrir de la faim, leurs chevaux meurent (faute de fourrage, ou bien mangés), on abandonne les armures car trop lourdes. Une partie des soldats déserte. Bref, quand la chevauchée parvient finalement à rallier Bordeaux, on dirait davantage une bande de clochards qu’une armée victorieuse ; cela brise définitivement le moral des Anglais (conscients qu’ils vont devoir de nouveau affronter la météorologie de leur pays). On ne sait pas si Jean de Gand fut renommé suite à cela Jean Le Gland, mais cela eut été approprié.

Jean de Gand


En 1375, les Anglais ne tiennent plus que quelques villes sur le continent : Bordeaux, Calais, Brest, Cherbourg, et Bayonne, ainsi que quelques châteaux dans le Massif Central. Charles V ne pousse pas plus loin : il sait que ces villes, notamment Bordeaux, sont très anglophiles. Or jusque là, il a appuyé sa reconquête sur le soutien de la population ; il ne veut donc pas s’encombrer de villes qui risquent de se rebeller à la première occasion. On négocie une trêve, la trêve de Bruges. Même si les discussions durent 2 ans, on n’arrive pas à trouver d’accord ; mais pendant ce temps, les combats cessent.

Et hop, une petite carte pour situer les mouvements de la dernière phase

En 1376, le Prince Noir, héritier du trône anglais, meurt, suivi par son père en 1377. Le nouveau roi anglais, Richard II, a 10 ans, ce qui provoque des troubles côté anglais, et les empêchent de se concentrer dans la guerre avec la France. Avec la mort du roi Edouard III, la trêve se termine, et les Français en profitent aussitôt. Ils passent à l’offensive en Guyenne et en Bretagne, et chassent les Anglais partout, sauf dans les 5 villes nommés ci dessus. Ils organisent également des raids côtiers, qui saccagent des ports du Sud de l’Angleterre, et qui constituent une riposte aux chevauchées : à pilleur, pilleur et demi. A partir de là, la situation s’enlise : les Anglais tiennent toujours leurs dernières villes du continent, et si les raids provoquent un début de panique, les Français n’arrivent à prendre durablement aucun château sur le sol britannique.
A partir de 1378, la situation se détériore, plusieurs évènements viennent gêner les plans de Charles V. Le Grand Schisme d’Occident provoque une scission au sein de la Chrétienté : il y a deux papes, un à Avignon, un à Rome, chacun prétendant qu’il est le préféré de Jésus. Charles de Navarre, qui, jusque là, s’était un peu fait oublier, tente un nouveau complot, pour s’allier avec les Anglais et assassiner le roi. Le complot échoue, ce qui pousse le roi de France à confisquer définitivement toutes les possessions de Charles de Navarre en Normandie, qui devient définitivement possession de la couronne de France. Après ce dernier « coup », Charles le mauvais va se retirer de la guerre, et se consacrer uniquement à s’occuper de son royaume de Navarre.


La situation en Bretagne vire également. Alors que les seigneurs bretons avaient plutôt bien accueillis l’intervention française, et l’exil de Jean IV (duc légitime de Bretagne), tout change quand Charles V proclame la confiscation définitive. Ceux ci souhaitent conserver à terme une neutralité, et rappellent donc le même Jean IV, pour qu’il reprenne la tête du duché. Il revient le 3 Aout 1379, où il est acclamé par une grande foule. Cette acte est constitutif de l’identité bretonne (avec la liberté de manger des galettes/saucisses). Charles V constate de fait, que la noblesse et le peuple breton ne veulent pas de cette annexion. Il négocie avec Jean IV, et s’il meurt avant la fin des négociations, l’issue est la même : le duc de Bretagne est reconnu, en échange d’un serment de fidélité et d’une promesse de ne plus s’allier avec les Anglais.
Enfin, la reine de France meurt le 6 février 1378. Le roi en est très affecté, car même s’il s’agissait d’un mariage arrangé (comme presque tout le temps à l’époque, à de tels niveaux de pouvoir), leur amour était sincère (comme c’est romantique !). Le roi n’a jamais eu une bonne santé, et il ne pense pas vivre très longtemps encore. Il passe donc la fin de son mandat à préparer sa succession. Il doit faire face à une opposition croissante face aux impôts (ah la France !), qu’il gère en modérateur. Il finit par rendre l’âme le 16 septembre 1380, à l’age de 42 ans (comme par hasard !).

Comme on le voit, Charles V a donc géré le royaume de France – les premières années, alors qu’il n’était même pas roi – dans une situation plus que complexe.

  • Le royaume était ruiné, et largement ravagé par les grandes compagnies, mercenaires devenus pillards
  • La chevalerie, véritable colonne vertébrale des forces militaires, est décimée et discréditée suite à la bataille Poitiers
  • Il est contesté, non seulement par un rival au trône (Charles le Mauvais), mais également par un bourgeois, Etienne Marcel, qui aimerait bien en faire un pantin
  • Il doit également composer avec des jacqueries, révoltes paysannes
  • Et une situation à l’internationale qui ne lui est pas favorable, que ce soit en Bretagne ou en Castille

    Il ne présentait pas les qualités de l’époque : ce n’était pas un combattant, il avait tendance à éviter les champs de bataille. Il était plutôt fragile et chétif. Par contre, il était très instruit, rusé et patient. A chaque situation difficile, il savait quand reculer, et quand la retourner à son avantage ; de même, quand il était en position favorable, il savait l’exploiter avec prudence et sans excès.
    Il a notamment misé sur le sentiment national naissant. Nous avions en face un roi d’Angleterre qui revendiquait la couronne de France, mais s’est comporté envers ses hypothétiques sujets comme un sombre crétin, en pillant et massacrant. C’est pratiquement l’inventeur de la nation française, à une époque où un peuple n’était vu que comme un bien attaché à un domaine, et donc susceptible de passer d’un souverain à l’autre. Et ce, plus d’un demi siècle avant Jeanne d’Arc.
    Il a su mettre en place un état moderne, décentralisé. Une armée presque de « métier », financée par des impôts permanents, commandée par des capitaines loyaux et disciplinés, et non plus un ost braillard où chaque seigneur agissait à sa guise. Sous le conseil de stratèges avisés, tel Du Guesclin, il a abandonné la tactique habituelle de la charge frontale de cavalerie lourde, rendue inopérante par les propres tactiques anglaises.
    Même si on en a peu parlé, c’était également un érudit, un mécène des arts et sciences. Il fonda la première bibliothèque royale, ancêtre de la Bibliothèque Nationale.

Bref, il sauva le royaume de France dans l’un de ses pires moments. Et pourtant, on se souvient plus de Du Guesclin, dont la vie et la carrière est finalement très liée à ce roi. Si le célèbre chevalier breton a beaucoup contribué aux succès de Charles V, il est injuste de se souvenir de l’un sans l’autre. Un peu comme si l’on se souvenait uniquement de Philippe Leclerc, et qu’on oubliait Charles de Gaulle (un autre Charles, tiens donc).
Voilà je l’espère, cette injustice corrigée.

Ajoutons cependant une petite note sombre à ce tableau. Tout ce travail de reconstruction, de reconquête, sera finalement sapé par … son propre fils. Charles VI, dit « le bien aimé », puis « le fou », succédera en effet à son père. Mais comme son nom l’indique, il souffrira rapidement de problèmes psychologiques, qui vont profondément affaiblir le royaume (avec d’autres facteurs), et aboutir à une nouvelle invasion anglaise.
La faute en incomberait (notez l’utilisation du conditionnel) au fait que son mariage était consanguin : la reine était cousine au premier degré. Paradoxe, quand on sait que Charles a réussi à faire échouer une alliance par mariage entre l’Angleterre et les Flandres, pour raison de consanguinité. Une sorte de cruelle vengeance du destin et de la génétique.

Pour aller + loin :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_V_le_Sage (bon courage pour la lecture)

Sources des images : Wikipédia

Charles V, le sage – partie 3

3e partie de l’article sur Charles V, dit le sage, et on commence à comprendre pourquoi. Là où ses contemporains agissent comme des gros bourrins pleins de testostérone, il fait preuve de patience et de ruse pour finir par l’emporter.

Rappelons où on en est. Après un début calamiteux dans la guerre de Cent Ans, celui qui n’est encore que le dauphin se retrouve à la tête d’un pays ruiné, en proie aux révoltes et aux bandits. Il doit affronter un rival à la succession, Charles de Navarre, un contestataire bourgeois, Etienne Marcel, des révoltes paysannes, une expédition anglaise qui vise rien de moins que la prise de la royauté française. Et malgré tout, il s’en sort : les révoltes sont contenues sans trop de violences de sa part ; Charles le mauvais est neutralisé ; la chevauchée d’Edouard III est un fiasco, qui force ce dernier à réduire ses prétentions. Et surtout, il bénéficie du soutien des états généraux, donc des différents corps de la société médiévale. En effet, il est parvenu à unifier un pays divisé, dans un but commun : repousser l’Anglois. Reste que la guerre peut reprendre, surtout si le traité de Brétigny, très humiliant, n’est pas respecté ; et il y a toujours ces « Grandes Compagnies », mercenaires démobilisés qui, du coup, s’adonnent au brigandage et à la rançon de territoires entiers.
Petite note : maintenant que Charles est roi de France, nous le nommerons Charles V, ou roi de France. En opposition avec l’autre Charles, celui de Navarre, qu’on continuera d’appeler Charles de Navarre, le Navarrais, Charles le mauvais ou la grosse tanche.

La situation reste moyenne pour le jeune roi de France. Mais quelles sont les atouts dans sa manche ? La première est … le traité de Brétigny ! Comment peut on considérer cette humiliation, qui prévoit une rançon colossale et la cession d’un quart des territoires du royaume, comme un avantage ? Et bien : le diable se cache dans les petites lignes, vous savez, en bas du contrat. Or, si Charles V n’est pas réputé pour sa combativité, c’est un fin juriste. Il a fait ajouter une clause au traité négocié par son père : le transfert de souveraineté des territoires cédés ne doit intervenir qu’à la fin du paiement de la rançon (qui entérine le traité). Donc en attendant, ces terres sont toujours légalement françaises ! De fait, les Anglais ne peuvent reprendre les hostilités, sinon ils perdraient tous leurs acquis. De plus, cela aide à lever l’impôt. Or à l’époque, et contrairement à ce que l’on croit, l’impôt n’est pas prélevé selon le bon vouloir du roi (les taxes, gages, et autres prélèvements en nature sont un peu différents). Si un roi veut faire la guerre, il doit d’abord demander l’autorisation aux états généraux pour avoir les soussous. Il n’y a qu’un seul cas où l’impôt est automatique et permanent : pour payer une rançon. Et même si Jean le bon est mort, la rançon est toujours due. Cela donne le prétexte au roi de France pour lever un impôt de façon continue, sécurisant les finances. Si une partie est effectivement versée aux Anglais pour la rançon (environ 1 million d’écus au final), la grande partie alimentera les caisses royales.
Son deuxième atout : Bertrand Du Guesclin. C’est un capitaine rusé, discipliné et fidèle, qui a déjà apporté la victoire à son souverain. Comme on ne peut pas encore affronter les Anglais (trop dangereux), la priorité immédiate est de débarrasser le pays des Grandes Compagnies, qui continuent à le ravager comme des sapajous. La menace anglaise étant provisoirement écartée, on concentre toutes les ressources militaires contre eux : chaque région organise sa défense, et rapidement l’activité devient moins lucrative. Puis nouveau coup de génie : une fois ceux ci affaiblis, et plutôt que de les exterminer tous, si on les recrutait pour aller faire la guerre ailleurs par exemple ?


La cible est rapidement désignée : le royaume de Castille. Il est dirigé à ce moment là par Pierre dit le Cruel, qui est allié aux Anglais. Avoir un allié d’Edouard III à la frontière sud ne plait guère à Charles V. Il se trouve que le pays est en pleine guerre civile : Henri de Trastamare essaie d’arracher la couronne des mains de son demi frère. Il se trouve, de surcroit, que la femme de Pierre le Cruel est la belle sœur de Charles V, et celle ci meurt dans des circonstances troubles, sans doute assassinée par son mari ; #metoo bien avant l’heure. Le roi de France passe donc alliance avec Henri de Trastamare, et envoie en janvier 1366 Du Guesclin, à la tête des grandes compagnies, embauchées comme mercenaires (c’est leur métier de base, rappelons le). Rapidement, les troupes françaises obtiennent des succès : Henri devient roi de Castille le 5 avril 1366. Pierre le cruel va pleurnicher auprès de son allié anglais : c’est trop injuste, ils ont pris ma couronne. Le prince noir, Edouard de Woodstock et fils ainé d’Edouard III, répond à son appel, tout heureux qu’il est d’aller taper sur du français. Pierre le Cruel lui promet, en échange de son aide pour reconquérir le trône, de financer ses dépenses, et notamment le paiement de ses troupes. Rappelons rapidement que le prince noir est un grand guerrier et un fin stratège : c’est notamment lui qui a emporté la victoire lors de la bataille de Poitiers. C’est donc un adversaire redoutable.
L’armée anglaise traverse le royaume de Navarre ; bizarrement, Charles le mauvais ne s’y oppose pas. Henri de Trastamare et son allié français tentent de leur barrer la route. Cela aboutit à la bataille de Nájera, le 3 Avril 1367. Du Guesclin conseille le castillan de ne pas mener bataille, connaissant les tactiques du Prince Noir, mais celui ci l’ignore. Résultat : c’est une nouvelle défaite face aux archers anglais. Henri parvient à s’enfuir, mais Du Guesclin et ses officiers se font capturer. Pierre le Cruel peut de nouveau monter sur le trône.

La bataille de Nájera

Situation mal engagée pour le parti français ? Nenni : car le destin va de nouveau se révéler favorable, et la défaite s’avérer provisoire. Pierre le cruel avait promis au Prince Noir de payer la solde de ses troupes. Sauf que, c’est ballot : il n’a pas l’argent promis. Désolé mec, salut et sans rancune hein ? Dépité, Edouard de Woodstock rentre en Aquitaine ; son armée de mercenaires n’étant pas payé, elle commence à s’agiter, et en conséquence il la dissout. Ceux ci recommencent du coup leur activité saisonnière de pillage ; et de nouveau, les Anglais passent sur le continent pour de vils soudards.
Du coté des français, c’est plutôt la fête. Le pays est débarrassé des grandes compagnies, qui sont allés se faire charcuter en territoire étranger : l’économie repart, les impôts rentrent. L’armée est réorganisée : on copie allègrement le système anglais qui a fait ses preuves. Finie le commandement féodale, où chaque noble est libre de ses mouvements. On organise l’armée autour de capitaines, fiables et disciplinés, qui obéissent à un commandant. Chacun dirige une troupe d’une centaine d’hommes d’armes, désormais engagés de façon permanente : ainsi, ils ne retournent pas au brigandage à chaque trêve. Le pays dispose d’une armée permanente, de 5 à 6 milliers de soldats, payé grâce aux impôts permanents (rappelez vous : la rançon, tout ça …). Toujours grâce à ces revenus réguliers, on constitue un parc d’artillerie (cela coute cher, mais on a enfin les moyens de l’entretenir), qui facilite la prise des places fortes. On comble le retard sur la maîtrise des armes de jet, en embauchant des mercenaires génois (arbalétriers), et en organisant des concours d’archerie dans tous le pays : les meilleurs étant engagés au service du roi. Les armées se déplacent à cheval, et combattent souvent à pied, comme les Anglais. L’expédition en Castille a permis de se débarrasser des éléments les plus douteux et indisciplinés, et de ne garder que les + fiables. Ceux ci sont contrôlés régulièrement par des fonctionnaires royaux. Charles V dispose enfin d’une armée moderne (pour l’époque), mobile, dont les communications sont assurés par de nombreux messagers.
Pierre le Cruel à nouveau à la tête du royaume de Castille, c’est donc un ennemi de la France qui menace le Sud du pays. Mais maintenant que son protecteur le Prince Noir n’a plus d’armée, il faut en profiter. La rançon de Du Guesclin est payée, et Henri de Trastamare retourne avec son allié français en Castille, moins d’un an après sa défaite. Rapidement, Pierre est en difficulté, et ne peut recevoir cette fois l’aide des Anglais. A la bataille de Montiel, il est finalement vaincu le 14 mars 1369, puis tué par son rival quelques jours plus tard. Henri II devient roi de Castille ; et par la même, un allié indéfectible de Charles V, à qui il doit son accession au trône.

Les Anglais viennent d’encaisser un coup dur, et le royaume de France semble en position avantageuse. Cependant, Charles V ne se précipite pas. Il commence par une large offensive diplomatique, dans le but d’isoler l’Angleterre. Cela commence par le Saint Empire, dont l’empereur est pour souvenir, un oncle du roi de France : il interdit aux mercenaires allemands (parmi les + redoutables de la Chrétienté d’Occident) de s’engager pour les Anglais. Il réactive la « Auld Alliance » avec l’Ecosse, soutient un prétendant à la principauté du pays de Galles, Owen. Il gagne également le support du pape Urbain V. De son coté, Charles de Navarre souhaite s’allier de nouveau avec les Anglais, mais ceux ci sont échaudés par ses revirements passés, et hésitent. Maintenant qu’il est entouré par l’alliance franco-castillane, il finit par céder et signe un traité de paix en 1371 avec son ancien rival pour la couronne de France. Les Anglais tentent un rapprochement avec les Flandres, terres sous suzeraineté française, mais largement attachées économiquement à l’Angleterre : c’est un pays de drapiers, qui dépend de la laine venant d’outre Manche. Le comte de Flandre, Louis de Male, fiance sa fille Marguerite avec l’un des fils d’Edouard III, Edmond de Langley. Cependant, les fiancés sont consanguins au 4e degré. Ce genre de mariage consanguins n’était pas rare à l’époque (c’est même le cas pour le roi de France), cependant il faut une dispense du Pape pour valider le mariage. Or, devinez qui est du coté du roi de France ? Du coup, Marguerite épousera finalement un des frères du roi de France, en obtenant lui ladite dispense. Les Flandres resteront donc proches de la France.
Un peu plus compliqué est la situation en Bretagne. Depuis plusieurs années c’est la guerre civile : les maisons de Montfort et de Blois s’affrontent pour diriger le duché (et contrôler ainsi l’économie mondiale de la crêpe). La première est soutenue par l’Angleterre, la seconde par la France. Le conflit finit par tourner à l’avantage de Jean IV de la maison Montfort ; mais Charles V le reconnait tout de même. Ce qui fait qu’à défaut d’un allié, il obtient une Bretagne relativement neutre (de nombreux nobles prenant même le parti du roi de France).

Charles de Navarre, qui rend hommage à Charles V

Le pays est donc pacifié, les impôts rentrent, l’armée réorganisée. Diplomatiquement, les Anglais sont seuls. Tout semble bien parti pour Charles V, il reste cependant à gagner définitivement sur le plan militaire. Domaine où jusqu’à maintenant, le roi n’a pas fait montre d’un grand talent. La fin de son combat dans le prochain et dernier épisode.

Sources des images : Wikipédia