Jules Brunet

Le « dernier samouraï » était français

Vous avez peut être vu « Le dernier samouraï », ce film où Tom Cruise incarne Nathan Algren, un soldat américain parti entrainer les troupes japonaises, qui se retrouve prisonnier de samouraïs révoltés, et qui finit par se convertir à leur vision du monde et les rejoint dans leur dernier combat. Que vous l’ayez visionné ou non, cela n’a pas d’importance : sachez juste que cette histoire est inspirée de faits réels. Mais le « dernier samouraï » n’était ni petit, ni américain, mais … français.
Nous n’allons pas entrer dans le détail des erreurs historiques du film (il y en a d’autres, mais ce n’est pas mon rôle de les disséquer … pas pour l’instant). Mais aujourd’hui, je vais vous raconter l’histoire de Jules Brunet (puisque c’est le nom de notre héros), capitaine de l’armée française, qui s’est retrouvé à combattre dans l’Empire du Soleil Levant, et pas pour son pays natal.

Le Japon au milieu du XIXe siècle

Depuis presque 2 siècles, les autorités japonaises ont ordonné une politique d’isolement nommée Sakoku. Si les échanges avec le reste du monde ne sont pas complètement annulées, ils sont en tout cas fortement contrôlés. Mais les tout jeunes Etats Unis décident que bon, ça suffit maintenant, tu vas ouvrir ton marché ou sinon on t’ouvre les chakras à coups de canons. Subtil. Ils envoient donc le commodore Perry avec une flotte de 4 canonnières, armées de canon type Paixhans (qui tirent des obus explosifs). Celui ci débarque, et exige que le pays s’ouvre au commerce mondial, sous peine de voir des obus tomber un peut partout. Les Japonais n’ont alors aucun moyen équivalent, et le coup de force marche : sans combat, les autorités japonaises acceptent de se soumettre aux exigences. Il s’agit de l’épisode dit des navires noirs (et non, rien de raciste ; les Occidentaux badigeonnaient la coque de leurs navires de poix, qui leur donnait une couleur noire ; du coup, les Japonais appelaient tous les navires occidentaux par ce sobriquet).
Suite à cela, le Japon se retrouve à signer des traités avec les Etats Unis, mais également des pays européens, dans la lignée des traités inégaux (dans le sens que pas très favorables aux japonais quand même). Et notamment, en 1858, le traité Harris, appelé pompeusement « traité d’Amitié et de Commerce ». Un siècle plus tard, on constatera qu’une amitié obtenue par la force des canons est, étrangement, peu fiable …

A cette époque, le Japon possède un empereur, mais il est surtout là pour faire joli : sa vocation est essentiellement religieuse, même si en tant que seigneur, il possède des terres et des troupes, ainsi que des partisans. Le pouvoir (notamment militaire) est dans les mains du « shogun », même si là encore il est loin d’être tout puissant : son autorité est surtout lié à la fidélité de ses vassaux, façon féodale.
Avec la signature des traités inégaux, la révolte gronde : le peuple n’est pas très content qu’on s’humilie comme ça devant les occidentaux. Le shogun du moment, Tokugawa Yoshinobu, comprend qu’il va falloir réagir, surtout vu ce qu’il s’est passé avec la Chine. Il décide de moderniser son pays, quitte à demander l’aide de pays étrangers (les mêmes qui l’ont menacé). Etats Unis, Russie, Pays Bas, préfèrent rester neutres. Mais l’ambassadeur de France, Léon Roches, aimerait bien aider le shogun. Il parvient à convaincre Napoléon III (qui cherche encore à renforcer la France à l’internationale) d’envoyer une mission militaire. Son objectif : entrainer les troupes shogunales aux techniques de guerre moderne.

Le shogun Tokugawa, en uniforme français


Est donc constituée la mission militaire française au Japon (astucieusement appelée ainsi car elle concerne des militaires français envoyés au Japon). Elle est dirigée par le capitaine Jules Chanoine, et comprend dix sept membres (chef compris), issus des différents corps de l’armée : infanterie, cavalerie, artillerie et génie. Parmi eux, Jules Brunet, lieutenant au régiment d’artillerie à cheval, et qui sera donc instructeur pour l’artillerie. La mission part de Marseille le 19 Novembre 1866 et arrive à Yokohama le 13 janvier 1867. Ils sont de suite bien reçus, et commencent le travail de formation avec un grand professionnalisme.

La mission militaire française au Japon, avant son départ ; Chanoine au milieu, Jules Brunet 2e assis à droite

Lieutenant Jules Brunet

Mais intéressons nous donc davantage à notre sujet du jour. Qui est le lieutenant Jules Brunet ? Fils d’un vétérinaire de l’armée, né en 1838, il commence une brillante carrière militaire. Sorti 4e de la promotion 1861 de l’École d’application de l’artillerie et du génie, il prend part à l’expédition mexicaine, et à son retour reçoit la Légion d’Honneur (à une époque où on l’attribue pas au premier pékinois venu), et finit par rejoindre le régiment d’artillerie de la Garde Impériale. A moins de 30 ans, c’est pas mal.
Il rejoint la mission militaire au Japon. Et là, il impressionne. C’est un plutôt bel homme (selon les standards de l’époque), de grande stature : il mesure 1m85 ( ce qui est déjà pas mal pour l’époque, mais pour un japonais, cela signifie qu’il a une taille relative de 3m14).

Jules Brunet à son arrivée au Japon

Il s’exprime bien, autant à l’oral qu’à l’écrit, et c’est un amateur d’arts. Par exemple, il dessine fort bien et va faire tout un tas de croquis de son voyage au pays du Soleil levant, ce qui fera de lui le premier mangaka français connu. Bref, il en jette, ses camarades samouraïs l’apprécient, et réciproquement, il tombe sous le charme de son pays hôte.
L’entrainement se déroule bien, pendant un peu plus d’un an, donnant naissance notamment à une unité d’élite, le Denshūtai.

Soldat des troupes shogunales, peinture réalisé par Brunet lui même

La guerre de Boshin

Mais la situation commence à sentir le sushi périmé pour le shogun. Les clans favorables à l’Empereur commencent à lui mettre grave la pression, le poussant à démissionner en faveur dudit empereur. Ce que Tokugawa Yoshinobu finit par consentir : fin 1867, il abandonne ses fonctions, qui de fait reviennent à l’empereur Meiji. Un nouveau gouvernement composé de seigneurs doit se mettre en place, et l’ancien shogun espérait en fait en prendre la tête. Sauf qu’en fait non : au bout d’un moment, on lui dit clairement que tu es bien mignon, mais tu vas prendre ta retraite. Passons sur les détails : honneur du guerrier et coups de geishas dans le dos finissent par déboucher sur une bonne grosse guerre civile. L’ancien shogun prend les armes et rallie ses partisans, pour aller trucider du soutien impérial. C’est ainsi que commence une énième guerre civile japonaise : la guerre de Boshin.


Rapidement, elle tourne en faveur du camp impérial. Mais comment cela se fait il ? Et bien si les troupes du shogun ont été modernisées par la France, les clans favorables à l’empereur ont trouvé également un soutien occidental. Et qui pourrait bien ainsi chercher à mettre des bâtons dans les roues des alliés des Français ? Qui si ce n’est le Royaume Uni bien entendu ! (l’Allemagne n’existant pas encore à cette époque) En effet, nos braves britanniques ont, officieusement, armés et entrainés les partisans impériaux, tant et si bien que leurs troupes parviennent à prendre le dessus.
Les troupes entrainés par les français (notamment le fameux Denshūtai) font preuve de réelles compétences, mais malgré tout perdent du terrain. Et vers la fin de l’année 1868, elles doivent abandonner l’ile de Honshu (la principale des 4 îles japonaises), pour se replier sur Hokkaido.
Maintenant que l’Empereur a pris un sérieux avantage, la missions française est dans l’embarras. Le pays ne souhaite pas s’aliéner celui qui apparait comme le futur vainqueur, et donc ne s’implique pas plus avant. Le destin de la mission est scellé par un décret impérial (nouvelle autorité légale je rappelle) : ordre lui est donné en Octobre 1868 de quitter le pays.

Brunet fait de la résistance

Les troupes dont elles avaient la charge sont en retraite, le gouvernement légitime du Japon leur demande de partir : la situation de la mission militaire française devient intenable. Ils commencent à plier bagages pour retourner en France. Mais là, Jules Brunet décide que non : il ne rentrera pas. On ne laisse pas tomber ses gros, sacrebleu ! Pour être précis, il veut continuer à « servir la cause française en ce pays », et ce en n’abandonnant pas les soldats qu’il a formés, et déclare : « j’ai décidé que devant l’hospitalité généreuse du gouvernement shogunal, il fallait répondre dans le même esprit ». Bref, il veut rester, et pour ne pas causer d’ennuis, il donne sa démission … mais son chef, le capitaine Chanoine, la rejette. Du coup, il se retrouve dans une situation un peu complexe : officier de l’armée française, il prend part à un conflit où son pays est pourtant neutre. Diplomatiquement, c’est délicat, voire carrément merdique.


Les autorités militaires vont finir par le mettre en congé sans soldes, mais seulement en Février 1869, et sans le rayer de la liste des armées. Par ailleurs, on l’autorise à rester, mais en tant que particulier et non plus militaire français. Quatre de ses camarades de la mission française vont faire de même, et 5 autres officiers français présents au Japon. Ce n’est donc plus un seul individu, mais tout un petit groupe de Français qui se bat aux côtés du Shogun, et qui bénéficie d’une neutralité quasi bienveillante de leurs supérieurs. Ils rejoignent Hokkaido avec les forces shogunales en retraite.
Sur l’ile, la république indépendante d’Ezo est constituée (par d’anciens samouraïs … notez l’ironie), et se prépare à continuer la lutte. Jules Brunet devient conseiller militaire auprès du nouveau ministère de la guerre, et continue la formation des nouveaux soldats recrutés. Mais au printemps 1869, les troupes impériales lancent l’assaut, largement supérieures en nombre et puissance de feu. La guerre de Boshin s’achève par la dissolution de la toute jeune république.
Pour les Français, c’est un peu la loose, leur camp vient de perdre. Et les autorités françaises sont inquiètes : à vrai dire, il parait que les traditions nipponnes sur les prisonniers ne sont pas des plus joyeuses. Ils parviennent à récupérer les expatriés in extremis, à bord du navire le Coëtlogon, qui se charge de les ramener sur le territoire national.

Gros yeux, et on passe à autre chose

A la fin du conflit, la France envoie ses félicitations à l’empereur Meiji, victorieux, pour avoir rétabli l’ordre dans son pays, et si on pouvait oublier le reste et partir sur de nouvelles bases, ce serait tip top. Quant à Jules Brunet, on refuse de le rendre : on promet aux Japonais qu’on va le punir … En fait, une fois rentrée à Paris, on lui fait les gros yeux. Il reçoit un blâme et il est radié de l’armée d’active, sanction approuvée par Napoléon III lui même. On fait courir le bruit qu’il a été sévèrement puni et renvoyé, du coup l’empereur japonais est content et se déclare satisfait …
Sauf qu’en fait, il n’est pas tout à fait puni. Officieusement, il n’a pas été désapprouvé, on lui demande juste de rester discret quelques temps, histoire que les choses s’arrangent avec les nouvelles autorités. De fait, s’il n’exerce plus de commandement militaire, il devient directeur adjoint de la manufacture d’armes de Châtellerault ; autrement dit une belle planque. On « oublie » de mentionner cette nomination dans le journal officiel (c’est ballot dis donc !). Peu de temps après, il se marie, et son témoin n’est personne d’autre que son ancien chef, le capitaine Chanoine. Bref, on l’a caché sous le tapis pour ne pas être trop gênant, mais il n’est pas vraiment puni.
Par la suite, sa vie sera plus « calme ». Il est rappelé lors de la guerre franco prussienne de 1870, en tant que capitaine d’artillerie. Il est fait prisonnier, puis libéré pour assurer la répression de la Commune de Paris. Sous la IIIe République, il continue une carrière honorable, attaché militaire, bref passage comme chef de cabinet du ministre de la guerre, son vieil ami Chanoine ; il finira tout de même général de division.

Les premiers pas d’une longue relation

En France, l’épopée de Jules Brunet sera vite oubliée, dans les affres de la chute du Second Empire, les difficultés de la Troisième République et le revanchisme. Mais au Japon, on se souvient de lui. Le pays a effectivement connu une transformation extraordinaire sous le règne de l’empereur Meiji, qui aboutit à la naissance d’une puissance asiatique pouvant rivaliser avec les Européens. Modernisation qui permet une victoire face à une Chine en pleine décadence. Le Mikado (autre titre de l’empereur, et non un biscuit chocolaté) se souviendra des efforts de la mission militaire française comme étant une des premières pierres de cet édifice. Et reconnaissant, il accordera le 11 Mars 1895 le titre de « grand officier du Trésor sacré du Mikado » à Jules Brunet (une sorte de légion d’honneur). Le même Brunet qui l’a affronté : reconnaissons le, l’empereur Meiji est quand même peu rancunier (même si ça a pris trente ans).

Cet épisode a t il entaché les relations franco-japonaises naissantes ? Il semblerait que non ; peut être même à l’inverse, le sens de l’honneur de cet « étranger » a marqué les esprits nippons, et favorisé l’émergence d’une solide coopération (mais cela je ne peux que le supposer, pas l’affirmer). Après la guerre de Boshin, qui consacre son ascension, le jeune empereur Meiji lance une modernisation accélérée de son pays, en faisant appel à des spécialistes étrangers : anglais, allemands, américains, mais aussi français. Et notamment, le développement de la flotte nippone est confié à l’ingénieur naval Louis-Émile Bertin, qui dotera le pays d’une flotte moderne et puissante, à même de vaincre la Chine puis la Russie. Et cet héritage aboutira à la 4e flotte de guerre mondiale en 1940.
Jules Brunet aura donc été un pionner dans les relations franco-japonaises. Et pourtant, son pays l’a largement oublié. Injustice réparée en ce jour (du moins, pour ceux qui auront le courage de lire l’article jusqu’au bout).

Pour aller + loin :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Brunet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_militaire_fran%C3%A7aise_au_Japon_(1867-1868)

Source des images : Wikipédia