Quelques mensonges du Kremlin sur l’Ukraine

Nous sommes ici sur un blog qui parle d’histoires, et d’Histoire. Je ne vais donc pas commenter l’actualité, fort riche en ce moment et qui va probablement marquer date dans le grand livre de l’Histoire. Il y aurait pourtant fort à dire, mais ce n’est pas le but de ce blog. Quand j’ai commencé à écrire les pages où vous vous trouvez, je désirais faire réfléchir, amuser, pousser la curiosité et partager ; mais également parfois rappeler, contre les préjugés et les manipulations, que les faits sont têtus et à la portée de celles et ceux qui veulent bien se donner la peine d’y regarder de plus près. Bien entendu, je ne suis pas historien, aussi je vous ai toujours invité à ne pas me croire sur parole, à creuser ce que je vous dis, à vérifier, et à vous forger votre propre réflexion, tant que celle ci se base sur la base large de concret, de vérifiable. Et en tant qu’amateur d’Histoire, je m’élèverai toujours contre les personnes peu scrupuleuses, puissantes ou faibles, qui n’hésitent pas à mentir, à tordre le fait historique pour des intérêts passés, présents ou futurs. Car quelques soient leurs intentions, mentir sur l’Histoire finit toujours par aboutir à une catastrophe.
Or, cette terrible guerre qui fait rage à l’Est de l’Europe, a fait une victime, bien avant que les premières bombes ne tombent, et que les premières rafales ne soient tirées. Cette victime, tombée sur le champ de bataille médiatique, c’est ma bien aimée Histoire, criblée de mensonges par un régime qui cherche à justifier l’injustifiable. Si d’autres, bien plus talentueux que moi, sauront la soigner, permettez moi au moins de lui appliquer quelques pansements.

L’Ukraine est une invention des bolchéviques ?

Durant l’Antiquité, les territoires correspondants à l’Ukraine actuelle ont connu différentes vagues de peuplement (comme à peu près toute l’Europe en fait) : peuples nomades d’Asie mineur ou centrale, Grecs, puis peuplades germaniques ou d’Europe centrale. Puis, au 8e siècle, les Varègues (vikings de Suède), prennent la ville de Kiev, et fondent un Rodslagen (« état des rameurs »), ou en protoslave : Rous’. Et oui, c’est bien de là que vient l’appellation « russe ». Cet état s’étend sur le Nord de l’Ukraine, la Biélorussie et l’Ouest de la Russie, et divisé en principautés. On parle également de la Ruthénie.
Le pays est prospère, mais s’affaiblit peu à peu à force de divisions … et se fait envahir par les Mongols et les Tatars. Ces deux peuples dominèrent la région, et n’étaient pas forcément connus pour être bienveillants : de nombreux autochtones prirent la fuite pour la Pologne, la Hongrie, la Moldavie, et une partie de la Crimée (sous contrôle byzantin).


Puis, un siècle plus tard, les Polonais et les Lituaniens parvinrent à repousser l’empire mongol, surtout dans le Nord Ouest. Les deux pays se partagent les terres conquises, et rebâtissent villes et villages. La noblesse se « polonise », et introduit le catholicisme parmi les populations de l’Ouest, tout en faisant preuve de tolérance vis à vis des orthodoxes. Elle accepte également l’émergence de cosaques, des populations de l’Est qui refusent la domination polonaise et catholique, mais qui sont « tolérés » comme arme contre les Tatars.
Mais les mêmes cosaques finissent par se rebeller contre le pouvoir polonais, et libèrent peu à peu le territoire. De là, ils fondèrent un état cosaque autonome, lié à la Russie, appelé « Ukraine », ce qui signifie « marches » : le nom du pays suggère donc une position tampon. Le pays était appelé Hetmanat (dirigé par un Hetman), dut lutter contre la Pologne et la Russie pour garder son indépendance ; mais il était également l’un des plus alphabétisés d’Europe, avec une culture riche. Hélas, le pays finit par devenir un vassal de la Russie, qui l’utilise pour combattre les Ottomans et les Polonais. Le Sud est quant à lui sous contrôle tatar et turc. L’Ouest (région appelée Galicie) est intégré à l’Autriche suite au partage de la Pologne entre ce pays et la Russie. Catherine de Russie réduit l’autonomie des Cosaques, et la partie russe de l’Ukraine est directement assimilé à son empire. L’Ukraine est partagée entre plusieurs puissances, et cesse d’exister.


Mais le 19e siècle arrive, avec ses poussées de fièvre nationaliste, partout à travers les empires multinationaux. Et l’Ukraine n’y échappe pas. Et comment réagit la Russie ? Officiellement, pour elle : l’Ukraine n’existe pas. La culture ukrainienne, notamment sa langue, connait une renaissance. Tout naturellement, les autorités russes réagissent bien naturellement … en interdisant l’apprentissage de l’ukrainien, et en pratiquant une russification forcée.


Et puis la 1ere guerre mondiale arrive, ce qui provoque un affaiblissement des grands empires russes et austro-hongrois, et un retour des volontés d’indépendances nationales. En Mars 1917, alors que la Russie est en proie à la révolution, l’Ukraine déclare son indépendance ; et en novembre de la même année, la Rada centrale, assemblée ukrainienne, proclame la République populaire ukrainienne, assez rapidement reconnue par la France et la Grande Bretagne. La suite est assez confuse : les Bolcheviques, qui ont pris le pouvoir en Russie, occupent le nouveau pays … puis suite à la paix négociée avec les Allemands, l’évacuent, ce qui permet le retour des autorités nationalistes. Différentes factions, internes ou externes, se disputent le pouvoir ; comme d’habitude, c’est la population qui en paie les frais, entre « réquisitions » et combats.


Finalement, à l’instar du voisin russe, ce sont les Bolchéviques qui finissent par l’emporter, et une grande partie du pays rejoint l’URSS, comme la république socialiste soviétique d’Ukraine (quelques territoires de l’Ukraine actuelle, à l’Ouest et au Sud, rejoignant d’autres pays, Pologne, Roumanie et Tchécoslovaquie). L’Ukraine est tout d’abord bien traité par le nouveau régime (ou du moins, pas plus mal que le reste du pays) : la langue et la culture ukrainienne sont autorisées, contrairement à l’époque impériale ; un certain fédéralisme est même instauré. Puis, Staline accède au pouvoir, et siffle la fin de la récré. Si je n’ai pas d’éléments indiquant une répression culturelle, il surveille cependant de très près toute velléité nationaliste (comprendre : il met au goulag ceux qui parleraient un peu trop fort d’autonomie).


La région est d’importance pour l’URSS, et va servir à l’industrialisation forcenée des plans quinquennaux. Tout d’abord, grâce à l’exploitation minière, de la région du Donbass notamment, et à l’exploitation hydroélectrique (construction sur le Dniepr du plus grand barrage d’Europe, qui fonctionne toujours) ; mais c’est surtout en tant que grenier à blé que l’Ukraine va être exploitée : pas tant pour nourrir la population grandissante des villes, que pour exporter les « surplus » afin de financer l’industrie naissante. Et quand je dis « surplus », les guillemets ont leur importance : les autorités soviétiques avaient tendance à surestimer les récoltes, pour exporter davantage … quitte à laisser les paysans mourir de faim (de toutes façons, ils ne votent pas communistes, même s’il n’y a personne d’autre pour qui voter). C’est en partie dans ce contexte qu’aura lieu l’Holodomor, la grande famine qui touchera l’Ukraine et l’URSS dans une moindre mesure. Mauvaise gestion des autorités centrales, punition envers les paysans qui refusaient la collectivisation, génocide ? Les historiens débattent encore, le débat ne sera pas tranché ici. Mais cet épisode dramatique va constituer l’un des fondements du récit national moderne.
La seconde guerre mondiale passe, avec son lot de morts et destructions supplémentaires. Je n’en parlerai pas plus ici (je le ferai un peu plus bas). Le pays continue sa vie au sein de l’URSS de la Guerre Froide. Puis en 1986, nouvelle catastrophe, nucléaire cette fois ci : Tchernobyl. Après avoir été un grenier surexploité sous Staline, les Ukrainiens se demandent s’ils ne sont pas maintenant devenus une poubelle pour déchets nucléaires.
Avec l’effondrement de l’URSS, le nationalisme ukrainien reprend de la voix, et aboutit en 1991 à une nouvelle indépendance, votée à + de 90% par référendum. Durant les années suivantes, le pays va osciller entre Ouest et Est, entre volonté d’européisation et liens historiques avec la Russie. Nous n’irons pas plus loin.

Ainsi, l’Ukraine est elle une invention de Lénine, comme le clamait un chef d’état récemment ? Dans ce cas, pourquoi aurait on eu besoin de la russifier durant le 19e siècle ? Comment une république ukrainienne aurait pu exister avant même la naissance de l’URSS ? Il faut reconnaître que russes et ukrainiens ont un passé qui pourraient les rapprocher. Cela dit, l’identité nationale ukrainienne existe bien, et ce depuis longtemps ; comme d’autres nations à travers le monde, ce sont différentes guerres et tragédies qui ont forgé ce sentiment national, en réaction à d’autres qui auraient voulu l’étouffer.
Et de surcroit, historiquement, c’est bien la Rous de Kiev qui précède la naissance de Moscou ou de la Russie : à défaut donc, si les deux pays doivent s’unir, c’est en toute logique à Poutine de se soumettre à Zelensky, et à lui remettre les clés de son pays …

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Ukraine
https://www.lemonde.fr/international/video/2022/03/24/l-ukraine-a-t-elle-ete-creee-par-la-russie_6118906_3210.html (vidéo réalisée par Le Monde, après que j’ai commencé à rédiger mon article, mais il m’a fallu un certain temps pour le finaliser … il dit peu ou prou la même chose)

Armes nucléaires et Ukraine : le mémorandum de Budapest ?

Vous avez pu entendre parler du « mémorandum de Budapest » ces dernières semaines, voire mois ou années, selon votre degré de suivi de l’actualité. Mais de quoi s’agit il ? Pourquoi le président russe parle t il d’une remise en cause de celui ci en prétendant que l’Ukraine veut se doter de l’arme nucléaire ? Et pourquoi cette accusation est un énorme foutage de tronche (que l’accusation soit vraie ou fausse) ? Voyons de quoi il en retourne.

L’URSS se disloque en 1991 : les républiques soviétiques qui la composent deviennent indépendantes, dont l’Ukraine (comme dit ci dessus). Or, l’ancienne superpuissance avait disposé de nombreuses forces à travers toutes les régions, y compris en Ukraine bien positionnée géographiquement. Et parmi ses forces, des armements nucléaires.
Lorsque l’URSS s’effondre, chaque pays hérite à peu près naturellement des armements « sur place » pour constituer leurs nouvelles armées. L’Ukraine ne fait pas exception, et se retrouve en possession d’un imposant arsenal nucléaire. Mais ceci ne plait guère aux USA, à la Russie, et aux autres pays du petit cercle des puissances nucléaires, qui aimerait bien que leur cercle reste toujours petit. Ainsi, l’Ukraine, mais aussi la Biélorussie et le Kazakhstan, sont approchés par les Etats Unis et la Russie, afin de négocier : tu rends les bombinettes, tu n’en fabriqueras pas d’autres, et en échange, on te promet qu’on te défendra au cas où … C’est le protocole de Lisbonne de 1992.
Sauf que l’Ukraine (et un peu les autres) traînent des pieds : elle veut bien … mais en échange, elle aimerait qu’on lui fasse des promesses. Promesse de la défendre en cas d’invasion, aide économique, non ingérence dans ses affaires. Du coup, les négociations prennent un peu plus de temps, mais on finit par se mettre d’accord : en 1994, est signé le fameux mémorandum de Budapest, entre l’Ukraine, la Russie, les USA et la Grande Bretagne. Le premier s’engage à détruire ou remettre à la Russie tout ce qui lui reste en armes nucléaires, et à ne pas en fabriquer d’autres. En échange, les autres s’engagent à respecter l’intégrité territoriale ukrainienne « en l’état », à ne pas l’attaquer ou utiliser d’autres moyens de pression (y compris économiques) pour influer sa politique. Voilà …

Ceci étant dit, faisons donc la comparaison :

  • d’un côté, la Russie accuse l’Ukraine de développer un programme nucléaire militaire (sans preuves jusqu’à maintenant), et ce depuis fin 2021/début 2022 uniquement
  • de l’autre côté : l’Ukraine a subi de nombreuses pressions de la Russie, y compris économiques (pourtant interdits dans le mémorandum), notamment avec un gros chantage au prix du gaz, et ce dès le début des années 2000 ; en 2014 elle se voit annexée une partie de son territoire reconnue internationalement, y compris les signataires de Budapest, et justement par l’un des dit signataires (lequel d’après vous ? toujours le même) ; et une nouvelle fois … la Russie envoie ses armes dans un conflit séparatiste, et finit par reconnaître lesdits séparatistes, violant encore et toujours la parole donnée (est on à ça près). Alors, finalement, envahir le pays et le saccager avec presque toutes les armes possibles et imaginables, finalement, n’est que la suite logique d’un non respect total de ses engagements

Je crois que le match est clair.

https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9morandum_de_Budapest

Les nationalistes ukrainiens ont collaboré avec les nazis ?

Certains affirment que l’Ukraine est une nation de « traîtres » et de « nazis ». La preuve : durant la 2e guerre mondiale, la population du pays a massivement collaboré avec l’occupant allemand, fournissant même des troupes pour combattre l’Union Soviétique, et certaines sont même entrer dans les SS. Regardons y de plus près.

L’Ukraine, nous l’avons vu ci dessus, a particulièrement souffert de la période stalinienne ; au même titre que le reste de l’URSS, mais un peu plus quand même, avec l’Holodomor. Si bien que la Wehrmacht, préparant l’invasion du pays, se demande si y’aurait pas moyen de s’entendre avec ces gens là, des fois que … En fait, dès les années 1930, l’Allemagne nazie accueille des nationalistes ukrainiens qui ont fui leur pays, et prépare avec eux un éventuel soulèvement contre « l’occupant » communiste.


Lorsque les troupes allemandes déclenchent l’assaut, elles progressent rapidement sur les territoires ukrainiens (la zone devenant même objectif prioritaire en Septembre 1941, pour s’assurer le contrôle de la production agricole et minière). L’accueil de la population est très variable : plutôt chaleureux dans l’Ouest, qui les perçoivent comme des libérateurs, mais bien plus glacial dans l’Est. Au départ, l’occupant nazi fait des efforts afin d’être bien accepté : la répression se concentre sur les communistes et les juifs. Des forces de police « locales » sont créées pour administrer les territoires, une armée insurrectionnelle ukrainienne commence à voir le jour, pour libérer définitivement le pays de la présence soviétique, et aider l’allié allemand à vaincre cet adversaire honni.


Mais assez rapidement, les nazis vont revenir à leurs habitudes de gros bourrins. On explique aux nationalistes que hahaha, non, votre indépendance vous pouvez vous asseoir dessus. Par contre, n’hésitez pas à vous battre pour nous. L’armée insurrectionnelle est dissoute, transformée en force de répression anti partisans. Ceux qui ont vraiment envie de bouffer du bolcho sont invités à rejoindre des divisions SS incluant des combattants étrangers ; une division entière va même voir le jour, la 14e division SS « Galicie » (la Galicie étant une région de l’Ouest). Quant à la population, elle sera tout simplement exploitée et martyrisée, au gré des réquisitions et représailles anti résistance. Autant dire que rapidement, les Allemands passent du statut de « potentiel libérateur » à celui de « gros enfoiré ». Malgré tout, cela n’empêchera pas les volontaires des forces auxiliaires de continuer leur collaboration, prenant une part importante dans la lutte anti partisans aux côtés des Einsatzgruppen ; ils feront même preuve d’une très grande brutalité dans ces opérations, commettant moult crimes contre leur propre population. Ces jusqu’au-boutistes seront même des opposants acharnés au retour de l’Armée Rouge lors des offensives soviétiques de 1943-1944, menant à leur tour des opérations de guérilla (dans un certain sens, ils savaient qu’ils n’auraient pas le droit au « pardon, bisous, c’est fini, on va faire comme si rien ne s’était passé »).

Alors oui : il s’est bien trouvé des Ukrainiens pour collaborer activement avec le 3e Reich, aidant même ce dernier à martyriser ses propres concitoyens. Entre la police locale, les auxiliaires anti partisans et les volontaires SS, ils ont peut être été quelques centaines de milliers. Cela dit, cela suffit il à catégoriser tout un peuple comme traître et ayant une tendance naturelle à brandir en l’air son bras droit ? Nous avons un des deux côtés de la balance ; permettez moi d’ajouter, de l’autre côté, deux poids conséquents.

Le premier : si des dizaines voire centaines de milliers d’Ukrainiens se sont battus au côté des nazis, ils ont été des millions à combattre pour l’Armée Rouge. Sur les 11 millions de soldats soviétiques morts au combat, on estime qu’environ 1,7 million étaient des Ukrainiens pur souche (environ 16%), ce qui montre bien le sacrifice fait pour la victoire. De plus, dès les premiers jours de l’invasion, une partie de la population a monté un mouvement de partisans, au même titre que les autres territoires occupés. S’il a peut être été moins actif que celui de Biélorussie, c’est en partie à cause de la géographie : là où cette dernière présente de nombreux marécages et forêts (propices à la dissimulation et à la guérilla), les vastes plaines d’Ukraine offrent moins d’opportunités. Ce qui est sûr, c’est que si des Ukrainiens ont participé à l’éradication de la résistance, c’est bien qu’il y en avait une ! D’ailleurs, les autorités soviétiques seront elles même reconnaissantes envers les efforts de l’Ukraine : plusieurs villes seront proclamées « héros de l’Union Soviétique », notamment Kiev, le pays lui même va obtenir un siège au conseil des nations unies (alors qu’appartenant à une entité possédant déjà un siège ! il me semble que c’est le seul cas où cela est arrivé), et se verra récompenser quelques années après la guerre, par le transfert de la Crimée.


Le deuxième : certes des Ukrainiens ont collaboré … mais il ne faudrait pas occulter le fait que des Russes l’ont également fait ! (ah, la mémoire sélective d’un homme âgé …) Le plus célèbre était sans doute Andreï Vlassov, général de l’Armée Rouge. Lorsqu’à la tête de la 2e armée de choc, il fut fait prisonnier par les Allemands, il leur proposa ni plus ni moins de combattre pour eux, afin d’aller couper la moustache au petit père des peuples. Rien que ça ! Dans la catégorie trahison, pour quelqu’un qui était considéré comme un héros dans l’armée soviétique, c’est un bon champion. Il proposa même à ses nouveaux Freunden de lever une « armée de libération russe », comprendre une armée de volontaires qui iraient se taper du rouge, en recrutant chez tout ce que l’union soviétique comptait de mécontents (notamment des anciens « blancs »), mais également dans les prisonniers de guerre (à qui on offrait un super marché : soit mourir dans des camps, en travaillant jusqu’à épuisement, soit mourir en tuant ses anciens camarades). Si les nazis étaient très réticents à filer des armes à ceux qu’ils étaient en train de massacrer, ils finirent par accepter, afin de combler leurs pertes toujours plus grandes. Cela représenta jusqu’à 50 000 combattants. Sauf que comme on avait peur qu’en combattant dans leur pays, ces hommes ne finissent par trahir, on les envoya loin … en Normandie par exemple. Sauf que privés de l’idée de participer à la « libération » de leur pays (libération très relative, vu ce qu’avait prévu Hitler pour les peuples de l’URSS), ils ne se montrèrent pas très combatifs non plus. Bref, une idée de Scheisse ; mais quoi qu’il en soit, des russes se sont bien battus pour les nazis. A cela on peut ajouter des volontaires SS (encore une fois, à peu près tous les pays européens en ont eu).

Par conséquent, si les Ukrainiens sont des nazis pour cette raison, alors les Russes et 99% de l’Europe le sont également. Du boulot en perspective pour notre dénazificateur.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Collaboration_en_Ukraine_durant_la_Seconde_Guerre_mondiale
https://fr.wikipedia.org/wiki/14e_division_SS_(galicienne_no_1)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Ukraine_pendant_la_Seconde_Guerre_mondiale

La Russie n’a jamais attaqué la première, elle n’a fait que se défendre à chaque fois ?

La Pologne vous dit merci. Détruite et occupée au moins 4 fois par son voisin, en 1772, 1793, 1815 (après que Napoléon l’ait fait revivre via le grand duché de Varsovie), et 1941, sans oublier la guerre soviéto-polonaise de 1919 à 1921. De même que les pays baltes, la Finlande, la Roumanie en 1940. Quant à Napoléon, s’il l’a bien envahi en 1812, c’est après sa participation à 3 coalitions, sans attaque de la France … et à chaque fois, après une cuisante défaite, avec la promesse de « non non non, promis on recommencera plus, nous on vous aime bien c’est la faute des Anglais ! ».
Et là, on ne parle même pas des mouvements colonisateurs vers la Sibérie (qui n’a pas toujours été russe figurez vous) et le Caucase (où l’on trouvait des chrétiens et des musulmans, pas très russes eux non plus).


Donc le mythe d’une Russie éternelle victime des autres, qui sont tous méchants, est bien un mythe, au même titre que les licornes ou la probité en politique.
D’ailleurs, parmi l’un des plus « virulents » opposants à la Russie au sein de l’OTAN : la Pologne. Peut être qu’ils ont quelques raisons historiques de se méfier ?

(je ne vais pas tous les mettre, mais qq exemples)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Partages_de_la_Pologne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Hiver
https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_des_pays_baltes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Caucase

Voilà les réponses à quelques mensonges que l’on entend depuis plusieurs semaines. Et si certains se demandent pourquoi je tape sur la Russie ? Je ne tape pas sur la Russie ; j’ai un profond respect pour l’histoire de ce peuple, et notamment des colossaux efforts qu’il a fait pour la victoire contre l’Axe. Je continuerai à défendre les faits ; et si démonter les conneries historiques d’Hollywood est un passe temps qui me régale, le faire contre les mensonges d’un régime, qui utilise les mêmes grosses ficelles qu’on a déjà pu voir dans le passé, est un devoir.

Faut pas taquiner les Belges – 2e partie

Deuxième article sur notre peuple bourrin du moment : les Belges. Et nous allons faire un voyage express à travers le temps, pour passer du Moyen Age directement au début du 19e siècle.

Mais … cela signifie t il qu’en 4 siècles, il ne s’est rien passé dans le plat pays ? Nenni brave lecteur : on peut dire que la région a connu une histoire mouvementée. Longtemps divisé entre différents royaumes, le pays finit par être réuni, avec les Pays Bas. D’ailleurs, l’un des souverains les plus puissants du début du 16e siècle était belge : j’ai nommé Charles Quint. Oui, il n’était ni espagnol, ni autrichien, mais originaire de Gand. Les Belges, pour lui rendre hommage, ont d’ailleurs brassé une bière à son nom. Les actuels Pays Bas firent ensuite sécession, pour devenir les Provinces Unies. Chaque pays évolua dans son coin : le Nord devint une république protestante, le Sud resta catholique, rattachée à une monarchie catholique (Autriche) …
Puis, alors que la France devenait révolutionnaire, les Belges firent de même, pas forcément pour les mêmes raisons (sans doute par esprit de contradiction). C’est la révolution brabançonne, qui finit par aboutir à la création des Etats belgiques unis. Prototype de ce que pourrait devenir la Belgique, le nouvel état ne dura qu’une année, le temps que des Autrichiens bougons viennent rappeler qui étaient les patrons. Puis les armées révolutionnaires françaises viennent à la rescousse de leurs compères : ça devient confus, les Autrichiens repartent, puis reviennent … Ça dure comme ça quelques années, quand le pays est définitivement libéré. La république française y fonde alors une « république sœur », comprendre une république démocratique sur le papier, mais quand même vachement aux ordres de Paris. Finalement, c’est trop compliqué, et l’essentiel de la Belgique contemporaine est intégrée purement et simplement à la France. Tout le monde sur place ne partage pas la même opinion à ce sujet (certains sont heureux, notamment du côté de Liège, d’autres moins), mais Napoléon va mettre tout le monde d’accord ou presque, lorsqu’à force d’imposition (une spécialité française) et de conscription, les Belges vont en avoir un peu marre.
Mais où tout cela nous mène t il ? A la révolution belge de 1830, acte fondateur du pays tel qu’on le connait.

La révolution belge

Comme nombre de mouvements nationalistes du 19e siècle, tout commence avec le Congrès de Vienne en 1815, où les vainqueurs de Napoléon se demandent bien comment on va faire après ce vaste foutoir qu’ont été les guerres révolutionnaires.


Les Belges sont très partagés sur le devenir de leur territoire : la plupart s’estiment être des sujets des Hasbourg, et verraient donc bien un retour à l’état ante révolutionnaire ; d’autres aimeraient bien intégrer la France (toujours du côté de Liège) ; et quelques rares audacieux pensent bien à une Belgique indépendante, mais ils ne sont ni nombreux, ni bruyants.
Cela dit je vous rassure : les monarchies coalisées ne vont tenir aucun compte des avis de la population locale (quelle idée saugrenue ce serait !). Et une fois encore, c’est la perfide Albion qui, à force de manœuvres, va réussir à mettre en avant son projet. La grosse crainte des Anglais, c’est de voir s’installer à l’embouchure de l’Escault (et surtout, le port d’Anvers stratégique pour son commerce), une puissance francophile, voire la France elle même. Les Britanniques parviennent à convaincre les autres pays de faire ce que personne ne demandait : réunir les Provinces Unies (Pays Bas) et les Pays Bas méridionaux (la Belgique en gros), en un seul et unique royaume des Pays Bas, relativement neutre et qui serait ainsi assez gros pour résister – un peu – à une éventuelle agression française. La nouvelle couronne est alors confiée à la maison des Orange Nassau (pour l’anecdote : cette maison est toujours celle qui règne sur les Pays Bas …).

Et que pensent donc les Belges du projet ? Globalement : pas grand chose. Les francophiles ont compris qu’un rattachement à la France ne sera jamais permis par les autres royaumes européens. Les indépendantistes : à défaut d’une véritable indépendance, ils espèrent obtenir une relative autonomie dans le nouveau royaume. Quant aux autres, l’immense majorité silencieux : ils en ont rien à faire, ou plutôt ils sont résignés. Ainsi, sur le papier, le projet semble donc viable …
Sauf que non en fait : rapidement, des problèmes vont survenir. Tout d’abord, linguistique : dans le Sud, on parle français, un peu néerlandais, mais pas le même que dans le Nord. Or, le néerlandais était imposé comme langue officiel dans de nombreuses régions. Ensuite, religieux : le Nord est protestant, le Sud catholique, et même s’il y a une forte tolérance religieuse, la discrimination à l’embauche au gouvernement ou dans l’administration est réelle. Problème économique également : le Nord était très endetté avant l’unification, le Sud moins, et voici que celui ci va devoir payer pour l’autre, ce qui lui plait moyennement. Enfin, problème de discrimination générale : la population du Sud est plus nombreuse, mais moins représentée dans l’administration, dans le corps des officiers, … Bref, les Belges sont grognons.

Guillaume Ier, le roi, entend ses protestations, fait preuve de plutôt bonne volonté en concédant quelques contreparties, mais en refusant la séparation franche entre le Sud et le Nord. Or, un élément très indépendants de sa volonté va complètement réduire à néant ses efforts : la révolution française de 1830, les « Trois Glorieuses », qui chasse Charles X pour installer Louis Philippe dans une monarchie constitutionnelle. Comme pour la première révolution, l’exemple français va s’étendre à travers l’Europe et provoquer des révoltes un peu partout.
Aux Pays Bas du Sud, ça commence également à chauffer ; en plus de tous les sujets de mécontentement évoqué ci dessus, la situation économique n’est guère enviable, avec chômage et inflation. Le pays est un baril de poudre, manque plus que l’étincelle. Et celle ci sera : un opéra, La Muette de Portici.
Oui, le facteur déclencheur de la révolution belge sera un opéra. Comme je vous sens sceptique, je vous dois bien quelques explications. Cet opéra est dans la mouvance romantique de l’époque : rien à voir avec le romantisme mièvre contemporain, le romantisme façon 18-19e siècle consiste plutôt en des amours contrariés et des jeunes gens qui s’entretuent, voire parfois se tuent eux même face à tous les malheurs dont le monde les accable. Pour la Muette de Portici, en gros, on parle mariage forcée, complots et trahisons, sur fond de révolte d’une ville face à un pouvoir étranger. C’est ce dernier point qui va provoquer de vives agitations.


Le 25 Aout 1830, une représentation est donnée à Bruxelles (sur autorisation royale). Sauf qu’à la fin de la représentation, une partie de la foule s’échauffe, crie « vive la liberté », et commence à virer à l’émeute : on commence à piller des magasins, et à incendier des maisons appartenant à des représentants du royaume. Bref, un peu comme ci après une séance au cinéma, à voir « Avengers : infinity war », une partie des spectateurs était allée incendier le siège de Total Energies.
Quoi qu’il en soit, les autorités réagissent peu, et les émeutes gagnent du terrain. La bonne bourgeoisie bruxelloise, inquiète de ne pas voir les forces de l’ordre rétablir la paix civile, décide de former une garde bourgeoise. Dès le lendemain, celle ci était à l’œuvre, et les troubles furent presque stoppées en à peine 3 jours. Les chefs de la garde bourgeoise, conscients de la situation toujours tendue ainsi que du poids qu’ils venaient d’acquérir grâce au rétablissement de l’ordre, envoyèrent une délégation au roi, dans l’espoir d’être ENFIN entendu. A ce stade, il ne s’agit toujours pas d’indépendance : juste d’autonomie.
Dans les autres villes de Belgique, l’agitation se répand à toute allure : des gardes bourgeoises sont levées un peu partout, commencent à supplanter les autorités légitimes, il y a même des volontaires qui affluent vers Bruxelles afin de la défendre contre une éventuelle contre attaque des troupes royales ! Le pays est quasiment en état d’insurrection armée.

Des volontaires de Liège s’en vont participer à la fiesta

Et en réaction, que fait le roi Guillaume ? Il souffle le chaud et le froid. Comme tous les souverains de l’époque face à une telle situation, il envoie la troupe, avec à sa tête ses fils. Mais d’un autre côté, il reçoit également une délégation de Bruxelles. Il accepte de convoquer les états généraux, mais refuse toute concession tant que ceux ci ne seront pas réunis, d’ici 2 semaines environ. C’est une demi concession : il sait probablement que les états généraux seront globalement acquis à sa cause (parce que le Nord y est représenté abusivement), et donc que ceux ci n’accorderont que des concessions mineures au Sud.
De son côté, le prince Guillaume (donc le fils du roi Guillaume … oui c’est pas simple) prévient Bruxelles : il va rentrer dans la ville avec ses soldats, et si la populace ne se calme pas, ça va barder nom de Dieu ! La population, inquiète, commence à dresser des barricades. Le prince se dit que bon, allez, on calme le jeu : il entre en ville, mais sans son armée. Il constate l’hostilité de la population, et les responsables de la bourgeoisie le parviennent à convaincre de parler à son royal papounet. La situation reste tendue, mais semble s’améliorer.

Et que fait donc le roi et les princes dans les semaines à venir ? A peu près rien pour calmer le jeu. Les états généraux doivent avoir lieu fin Septembre, en attendant il ne fait aucune promesse. Et il envoie des troupes pour rétablir l’ordre, ce qui est fort mal perçu. Des volontaires s’organisent en milices pour résister à l’invasion, souvent dirigés par des chefs élus par les volontaires eux même.
Le 23 Septembre, les soldats royaux, dirigés par l’autre prince du royaume, Frédéric, entrent dans Bruxelles. Les chefs de la garde bourgeoise réagissent comme tout chef avisé le fait en pareille circonstance : courageusement, ils prennent la fuite. Sauf que la population, elle, en a gros, et décide de résister. Ainsi, quand les troupes royales commencent à se faire tirer dessus, depuis les fenêtres et les toits des maisons, par les insurgés, pendant que les femmes bruxelloises leur lancent meubles et pots de chambre. Or, personne n’a envie de recevoir sur la tête le pot de chambre d’un Belge. Voyant que la ville résiste, les leaders de l’insurrection reviennent, et commencent à s’organiser. Pour diriger les troupes, on fait appel à un aventurier belgo-espagnol, Juan Van Halen (un tel nom ne laisse aucun doute quant à sa double origine). Pour encadrer les insurgés, il fait appel à d’anciens officiers de la Grande Armée, qu’ils soient autochtones ou émigrés (beaucoup d’anciens officiers français, jugés « trop bonapartistes », ont été exilés suite à la Restauration de la monarchie).
Les troupes néerlandaises n’étaient pas préparées à ça, et sont mises en déroute : elles évacuent durant la nuit du 26 au 27 Septembre, soit même pas 4 jours après leur arrivée. C’est une déroute : dans le reste du pays, des soulèvements en faveur de l’indépendance éclataient. La commission qui dirigeait les volontaires à Bruxelles se transforme en gouvernement provisoire. Et proclame l’indépendance.

La rue de Flandre, le Jeudi 23 Septembre 1830

Ironie du sort : le 29 Septembre, les états généraux du pays, réunis à La Haye, accepte enfin la séparation administrative entre le Nord et le Sud. Mais il est trop tard : pour la population du Sud, la royauté n’est plus légitime après avoir fait couler le sang du peuple. La troupe stationnée dans le pays est constituée essentiellement d’hommes venant de ces régions. Ainsi, ils prennent rapidement sympathie pour le mouvement indépendantiste : les soldats désertent, voire pire, se retournent contre l’autorité royale, n’hésitant pas à enfermer leurs officiers venus du Nord. D’une indépendance proclamée, celle ci devient une indépendance de facto : le roi ne contrôle plus tout le Sud de son royaume.
Le prince Guillaume tente de négocier de son côté : il propose de reconnaître l’indépendance de la Belgique, et d’en devenir le roi. Ainsi, les deux pays seraient bien indépendants, mais liés par une même dynastie. Celle solution est d’abord bien reçue par les responsables indépendantistes, qui sont conscients que les autres rois d’Europe n’autoriseraient pas n’importe quoi en Belgique. Mais un incident vient tout compromettre. A Anvers, les troupes royales reculent, sans livrer combats (sur ordre du prince Guillaume, qui veut éviter des incidents), et s’enferment dans la citadelle. La ville est elle occupée par des volontaires belges ; mais ceux ci sont peu disciplinés, et pas très au courant de la trêve en cours, ouvrent le feu sur les troupes royales … qui ripostent, en bombardant la ville. Résultats, une centaine de morts et de nombreux dégâts.

Suite à ce malheureux incident, on explique au prince Guillaume, que la couronne, il peut se la carrer bien profond : pas question qu’un membre de la maison Orange ne monte sur le trône belge. A défaut de ce prince ci, les autorités du tout jeune pays cherchent donc un autre prétendant : ils savent parfaitement qu’une république belge est inconcevable aux yeux des dirigeants européens, encore traumatisés par les remous de la révolution française.
Après diverses négociations, la couronne est finalement remise à un prince anglo-allemand, Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha (tout en simplicité), qui devient peu de temps après Léopold 1er, roi des belges par la volonté de ceux ci : c’est ainsi le fondateur de la dynastie qui occupe toujours ce rôle de nos jours. Le choix est plus ou moins entériné par les puissances européennes, constatant la forte volonté des Belges (on a pas envie de se les mettre à dos, vu que l’Europe est à deux doigts d’exploser dans une révolution quasi généralisée), et satisfaites du compromis.
Le seul qui n’est pas content, c’est le roi Guillaume 1er, qui perd la moitié de son royaume. Il tente bien de faire appel aux puissances conservatrices : la Prusse et l’Autriche n’interviennent pas ; la Russie, elle aurait bien répondue présente, mais elle est occupée à mater une révolte polonaise. C’est ainsi que s’il doit reconquérir la Belgique, il devra le faire seul.

Le 2 août 1831, il se décide finalement à marcher sur Bruxelles. Il franchit la frontière avec près de 26 000 hommes, commandés par des officiers vétérans des guerres napoléoniennes, et soutenus par l’artillerie. De son côté, la jeune armée belge en cours de formation n’avait que l’expérience des combats de rue et des escarmouches, et n’était pas prête à livrer des batailles rangées. Ce fut la débandade, et les « Hollandais » occupèrent la moitié Nord du pays, durant ce qui fut appelé plus tard la Campagne des Dix Jours.
Mais tout n’était pas perdu pour le tout jeune pays. Des troupes résistèrent, et commencèrent à menacer les arrières de l’armée néerlandaise, qui ne se sentait pas à l’aise dans ce pays qui lui était résolument hostile. Et à peine intronisé, le roi Léopold 1er fit appel à l’Angleterre et à la France, qui s’étaient portés garantes de son indépendance. Si la première ne réagit pas, la deuxième fit preuve d’une célérité remarquable pour l’époque : l’appel à l’aide fut lancé le 8 Aout, le lendemain, l’armée du Nord avait déjà franchi la frontière. Les soldats français avaient reçus l’ordre de ne pas provoquer le combat. Cependant, c’en était trop pour les Néerlandais : ceux ci demandaient en vain l’aide de la Prusse et la Russie, les troupes s’imaginaient déjà encerclés entre les Belges et les Français … et firent donc demi tour.
Une trêve fut signée, qui ne déboucha pas directement sur la paix. En effet, les Néerlandais occupaient toujours Anvers et sa citadelle, et refusaient de l’évacuer. Une nouvelle intervention française, en 1832, permit finalement de la faire tomber aux mains des Belges, grâce notamment au génie du général Haxo … mais ceci est une autre histoire.

Finalement, Guillaume 1er finit par constater la farouche résistance des Belges, et finit par reconnaître l’indépendance. Celle ci a donc été permise par : un opéra, l’hésitation du roi des Pays Bas, la farouche volonté des belges et une intervention française (ne le dites pas trop fort, sinon les Belges risquent de s’en offusquer ; alors qu’il faut reconnaître qu’ils ont fait le gros du boulot tout seuls). L’Histoire est capricieuse, mais le pays pouvait désormais y inscrire ses propres et glorieuses pages …

La mitrailleuse Montigny : première « mitrailleuse » européenne

Depuis des décennies, voire des siècles, on essayait de concevoir en Europe une arme capable de tirer très vite, très beaucoup de balles, afin de tuer très beaucoup de gens. S’il y a eu de nombreuses tentatives, aucune n’a visiblement fait mouche, car n’étant pas entrée dans l’Histoire : soit parce qu’elles étaient toutes pourries (très probable), soit parce que les personnes à qui on faisait la démonstration étaient elles mêmes toutes pourries et n’ont pas vu le potentiel de l’engin (tout autant probable).


Il faudra attendre le milieu du 19e siècle pour que le concept se fraie un chemin. Période propice, car on commence à développer de nouveaux moyens pour tuer autrui à une cadence industrielle : fusils à répétition, canons à obus plutôt qu’à boulets, … Du côté du Nouveau Monde, c’est un certain inventeur du nom de Gatling qui va mettre au point la mitrailleuse éponyme, en 1862, et qui sera adopté en 1865 par l’US Army. De l’autre côté de l’Atlantique, la première armée à adopter un mécanisme équivalent sera donc : l’armée belge, avec la mitrailleuse Montigny (là encore, du nom de son inventeur, l’armurier Joseph Montigny).

Alors attention : quand on parle de mitrailleuse, il ne s’agit pas vraiment de la conception moderne telle qu’elle existe aujourd’hui. Dans le cas de la Montigny, il s’agit en fait de 37 canons, réunis en une seule âme, qui donne l’impression d’avoir affaire à un gros canon percé de plein de petits canons de fusils. Une plaque amovible, à l’arrière, permet d’insérer 37 balles, en face de chacun des canons. Et une manivelle, lorsqu’elle est tournée, permet de déclencher la mise à feu progressive des 37 balles, qui sont alors tirées dans la même direction générale. Si le concept est différent, le principe reste le même : tirer de nombreuses balles, à haute cadence. La cadence de la Montigny justement : parlons en. Elle dépend essentiellement de la vitesse à laquelle on tourne la manivelle, ce qui permet de régler la cadence : coup par coup, rafales courtes ou longues ; au maximum, elle aurait été d’environ 100 coups par minute. Ce qui pour l’époque, est excellent. Bon par contre, le tir est limité à 37 balles : après, il faut recharger, donc enlever la plaque amovible, la remplacer par une autre avec les 37 balles, etc. … Ce qui prend du temps et nécessite de la main d’œuvre. L’engin avait un autre défaut : il était lourd et volumineux, presque autant qu’une pièce d’artillerie de petit calibre, mais c’était également le cas pour la mitrailleuse Gatling donc bon (d’ailleurs, à l’époque les mitrailleuses étaient considérées comme des pièces d’artillerie, et ce jusqu’au début de la Grande Guerre).

La mitrailleuse Montigny et ses deux servants, dont l’un insère la plaque avec les balles

Alors d’accord : les Belges ont inventé la mitrailleuse en Europe. Mais était elle efficace ? La mitrailleuse Montigny n’a pas vraiment connu le feu. Cependant, les Français ont repris le concept dans les années 1860, avec la mitrailleuse De Reffye, ou « canon à balles ». Cette copie est composée de seulement 25 canons, mais avec des balles de plus gros calibre. Elle sera utilisée durant la guerre franco prussienne. Comme souvent avec une nouvelle arme, elle sera mal utilisée : considérée comme une pièce d’artillerie, on a voulu l’utiliser pour effectuer des tirs de contre batterie, c’est à dire pour vaincre l’artillerie adverse. Sauf que la portée de l’arme était limitée (peut être quelques centaines de mètres), par rapport aux canons prussiens qui pouvaient tirer jusqu’à 6 kilomètres : forcément, ça s’est très mal passé. Quelques officiers un peu plus inventifs eurent cependant une idée : et si on utilisait ces armes contre les charges d’infanterie ? Là, le résultat se révéla concluant : outre de provoquer des carnages, l’arme avait un fort impact psychologique. Les canons à balles ne purent cependant empêcher la défaite, à chaque fois vaincue par l’artillerie prusse nettement supérieure en nombre et qualité. Mais les Allemands craignaient tant l’arme qu’ils s’en firent remettre de nombreuses après la guerre pour les étudier.

Le canon à balles Reffye

Dans les décennies qui suivirent, plus personne ne remit en cause l’intérêt de disposer d’une arme à très grande cadence de tir. Gatling améliora son propre modèle, et Sir Hiram Maxim, britannique d’origine américaine, inventa la mitrailleuse Maxim, qui devint le prototype des mitrailleuses modernes monotubes.
Quant au concept de la mitrailleuse Montigny, il s’avéra une impasse technologique : l’arme était lourde, car chaque balle nécessitait son propre canon. Ainsi, si on voulait accroître l’autonomie de tir, il fallait augmenter d’autant le nombre de canons, et donc le poids de l’arme. Le concept n’eut donc aucun descendant après la mitrailleuse De Reffye.

Il n’empêche : les Belges sont bien les premiers en Europe à s’être équipés en mitrailleuses. Et si l’idée d’un Belge armé d’une Montigny ne vous effraie pas, c’est sans doute car vous l’imaginez ayant consommé de nombreuses bières avant.

Ainsi, les Belges du 19e siècle font honneur à leurs lointains ancêtres : il ne valait mieux pas s’opposer à leur envie d’indépendance. Et nous verrons que ceux du 20e siècle s’avéreront aussi redoutables dans un prochain article.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_belge

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Muette_de_Portici

https://fr.wikipedia.org/wiki/Campagne_des_Dix-Jours

https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_la_citadelle_d%27Anvers_(1832)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mitrailleuse_Montigny

Sources des images : Wikipédia

Faut pas taquiner les Belges – 1ere partie

Il en est ainsi : en France, on aime bien se moquer de nos voisins belges. En atteste une impressionnante série d’histoires comiques, prétendant mettre en scène les habitants du plat pays, sans compter les imitations de leur langage si particulier, ou bien plus récemment les moqueries à propos du fait qu’ils auraient prétendument gagner une compétition mondiale, en 2018, d’un sport peu connu, et qu’en tout cas ils le mériteraient plus que nous.
Cependant, nous devrions être prudents : car en dehors de brasser quelques unes des meilleures bières, et de compter nombre de dessinateurs de bandes dessinées talentueux, les Belges peuvent également se montrer taquins, voire grognons, pour ne pas dire carrément brutaux. Ainsi, ne vous étonnez point si, après une plaisanterie douteuse de trop, votre camarade wallon (ou flamand, si vous êtes hardcore) n’en prenne ombrage, et qu’on retrouve votre cadavre flottant sur la Meuse, la panse remplie de frites et une fricadelle enfoncée dans chaque narine.
Je vous sens septique : allons, si les Belges étaient violents, cela se saurait ! Et bien il semblerait que vous ignoriez maintes choses sur ce pays qui, s’il n’a pas de faits d’armes aussi connus que ses voisins plus grands, n’en a pas moins quelques histoires démontrant la détermination belliqueuse de ces habitants. Je vais de ce pas vous les raconter, en commençant par le Moyen Age. Car si la Belgique n’existait pas à cette époque, elle était déjà peuplée par des gens qu’il ne fallait mieux pas taquiner de trop …

La guerre de la vache

Vous avez cette épisode de Kaamelott, où le paysan Guethenoc explique que sa vache a été volée, et que si on ne le dédommage pas, il va faire cramer le pays ? Et bien cela s’est vraiment produit, à la fin du 13e siècle, mais sur des terres correspondant à la Belgique actuelle.

Tout commence à Andenne, en 1275, lors d’une foire. Un certain Rigaud de Corbion, venant de la ville de Ciney, y aperçoit une vache, qu’on lui a volé récemment. Il alla voir le bailli – sorte de capitaine de gendarmerie de l’époque – de sa région (le Condroz), Jean de Halloy, présent à la foire pour assister à un tournoi, afin de se plaindre. Ce dernier alla voir le prétendu voleur, un paysan du nom de Engoran, qui dépendait lui du seigneur de Goesnes. Comme il n’était pas dans sa juridiction, le bailli Jean de Halloy ne pouvait pas punir Engoran sans provoquer un incident diplomatique. Il proposa l’arrangement suivant : Engoran rend la vache, et il ne sera pas inquiété pour le vol s’il pénètre en territoire du Condroz. Le paysan devant passer sur ces terres pour rentrer chez lui, il accepte.
Engoran rend la vache, puis rentre chez lui, escorté par les hommes du Bailli. Tout se passe bien … jusqu’à ce qu’ils arrivent sur les terres du Condroz, où les hommes du bailli se saisissent de lui (ils ont maintenant le droit), et le pendent à un arbre. Autant pour la parole donnée : de Guethenoc, nous sommes passés à Léodagan.

Tout aurait pu s’arrêter là. Mais Jean de Goesnes, seigneur de Goesnes, dont dépendant ledit Engoran, n’est pas content. Il avait effectivement ambitionné de devenir bailli du Condroz à la place du bailli, et l’avait mauvaise. Probablement qu’il n’en avait rien à faire du paysan en soi, mais il tenait un casus belli : en effet, en tant que seigneur, on ne pouvait punir un serf de mort sans son consentement.
Il envoie donc ses neveux et certains de ses alliés en expédition punitive, détruire le château de Halloy. Jean de Halloy, fort marri par cette impolitesse, passe à son tour à l’offensive, et ravage les terres de Goesnes, incendiant les villages.
C’est là que tout dégénère, comme pour la 1ere guerre mondiale : Jean de Goesnes appelle en renfort le comté de Namur, qui lui même fait entrer dans le conflit le Comté du Luxembourg (Gui de Dampierre, marquis de Namur, étant le gendre du comte du Luxembourg). Ensemble, ils font le siège de Ciney, capitale du Condroz, et après leur victoire, brûlent tous les défenseurs dans l’église, façon Oradour sur Glane. Puis ce fut au tour du prince de Liège d’entrer en guerre, au côté du Condroz, en ravageant les terres de ses adversaires.

La guerre ne prit fin qu’avec l’intervention du roi de France en 1278, Philippe le Hardi, qui siffla la fin de la récré, bon ça suffit maintenant les conneries. Résultats : quand même 15 000 morts. Sans doute ce chiffre est exagéré (les chroniqueurs de l’époque avaient tendance à surévaluer le nombre de morts dans les conflits, c’était plus vendeur). Mais quand même, c’est considérable pour l’époque, et rappelons que tout ça a commencé par le vol d’une vache.

De nos jours, si vous allez en Wallonie, vous pouvez suivre la route de la « Guerre de la vache », balisée par des panneaux. Les Belges se vantent donc d’un énorme bain de sang, pour un unique ruminant.

Ces andouilles en sont si fiers qu’ils en font une attraction touristique

La guerre des Awans et des Waroux

Après Kaamelott, passons à Roméo et Juliette, sous stéroïdes.

Le seigneur d’Awans, Humbert Corbeau, avait donné en mariage, à l’un de ses cousins, une jeune serve du nom d’Adoule, bien dotée (dans le sens qu’elle a une belle dot). Ledit cousin aurait pu ainsi récupérer la donzelle et sa fortune, il aurait pu dire : Adoule, le fric. Après ce lamentable calembour, signalons qu’il est du droit du seigneur d’Awans de marier une de ses serfs comme bon lui semble (et quelque part dans le monde, une féministe vient de mourir ; mais l’époque était ainsi …).
Sauf qu’un jeune écuyer, amoureux de la belle, décida qu’il n’en serait point ainsi, et l’enleva pour l’épousailler, probablement avec son consentement cette fois ci. Sauf que l’écuyer était au service du seigneur de Warroux, Guillaume le Jeune, et donc Humbert Corbeau n’avait pas d’autorité sur lui. Il protesta tout de même par voie légale : il devait prouver qu’Adoule était une serve, ce qu’il ne put faire dans les délais impartis (48 heures). Le seigneur de Warroux refusa de renvoyer la jeune femme et confirma le mariage.

Le seigneur d’Awans apprécia moyennement. Il convoqua tous ceux de son lignage, et présenta ce qu’il considérait comme un affront. Or, les règles de noblesse implique que l’insulte faite à un représentant de la lignée, c’est toute la lignée qui est insultée. Vengeance donc : chaque membre du parti Awans fit le serment de punir l’affront. Promesse faite sur le sang : chacun versa quelques gouttes de son sang dans une coupe, puis y trempa ses lèvres. Heureusement que le VIH ne sévissait pas dans ce coin à l’époque.

Le parti des Awans commence donc à ravager joyeusement les terres des Warroux. Ceux ci, mécontents, entamèrent donc des représailles, qui provoquèrent à leur tour des contre représailles, etc. Le tout entrecoupé de trêves, provoqué par différents motifs, notamment des tentatives extérieures pour faire cesser le conflit.

L’une d’entre elles eut lieu lorsque des troupes au service des Awans, avait mis le feu à une tour où s’était réfugiés des chevaliers du clan des Warroux. Sauf que ladite tour appartenait à l’évêque de Liège, qui n’avait pas donné l’autorisation qu’on crame sa bâtisse. Il força donc les chevaliers des Awans à subir une humiliation publique, qui consistait à effectuer un pelerinage, sans armure et la selle sur la tête. Comme c’était un représentant de l’Eglise, on pouvait difficilement lui dire non, et les chevaliers subirent la punition.

Mais la guerre reprit tout de même, les Awans n’ayant pas bien digéré la punition, et les Warroux étant toujours mécontents qu’on ait tout cassé chez eux.
En Avril 1298, on tenta de résoudre de nouveau le conflit à l’aide d’un duel judiciaire : chaque parti enverrait un champion, et le vainqueur aurait raison et puis c’est tout. Le champion des Awans fit preuve de ruse : il arriva juste à l’heure limite pour le duel, ce qui fit que son adversaire poireauta une demi journée dans son armure à l’attendre. Vu le poids des armures de l’époque, le malheureux partit avec un sérieux handicap, et perdit.
De façon étrange, ce duel ne régla absolument pas le problème, et la guerre reprit de plus belle, chaque mort entrainant des représailles, provoquant à leur tour des morts. Cela aurait pu durer un moment, du moins jusqu’à la mort de tous les belligérants … ceux ci se débrouillant pour impliquer toujours plus de monde dans leur petite guéguerre familiale.

C’est ainsi que le seigneur d’Awans, le seigneur de Waremme (le précédent, Humbert Corbeau, est mort depuis quelques années déjà, tué dans une bataille), décide que tout cela n’est pas assez compliqué. En Aout 1310, il tend une embuscade à Henri de Hermalle, qui n’avait rien à voir avec la choucroute (il était neutre jusque là), mais qu’il n’aimait pas. Celui ci fut laissé pour mort sur le champ de bataille ; mais il avait survécu, et un peu énervé qu’on ait tenté de le tuer, décide de rejoindre les Warroux, dont il deviendra même le chef militaire.

On continua les échanges de politesse, en détruisant tour à tour les châteaux des uns et des autres. Jusqu’en 1325 où l’on décida que ça suffit : on va s’expliquer sur le champ de bataille, vas y ramène tes gros on va te défoncer le harnois. Bien que le prince-évêque de Lièges envoya des émissaires pour empêcher la boucherie, cela ne suffit pas, et le 25 Août, les deux camps s’étripèrent joyeusement. Bien que le parti Awans ait globalement gagné, les pertes étaient telles qu’on décida d’une nouvelle trêve, chacun rentrant chez lui pour panser ses blessures. Cette fois ci, le conflit ne reprit pas vraiment, chaque camp ayant trop perdu pour ré engager les hostilités.

La guerre prit fin avec l’implication du prince évêque de Liège, qui avait déjà tenté de mettre fin au conflit plusieurs fois. Il organisa une assemblée, qui finit par amnistier tout le monde de tous les crimes commis, invitant également à oublier tout ce foutoir, et que si quelqu’un venait à vouloir se venger de nouveau, il serait puni le vilain. Et pour sceller la paix, on utilisa le moyen classique du Moyen Age européen, c’est à dire le mariage : on maria le fils de l’un avec la fille de l’autre.

De fait, le conflit ne repartit pas : les pertes humaines parmi la noblesse de la région étaient elles qu’ils ne pouvaient de toute façon plus se le permettre. La guerre dura tout de même de 1297 à 1335, soit 38 années (même si les 10 dernières furent + calmes). On parle, selon les sources, entre 500 et 30 000 morts (on dirait les chiffres d’une manifestation, version police et version manifestants). Ce qui est sûr, c’est que cela entraine une perte d’influence de la noblesse, au profit de la bourgeoisie en plein essor, grâce à la prospérité des villes commerçantes.

La bataille des éperons d’or

Jusqu’à maintenant, nous avons parlé de guerres entre Belges, certains pourraient me dire que ça ne compte pas. Ne vous en faites pas, nous allons y venir.

Nous sommes en 1302. Jusqu’à récemment, le comte de Flandre était un vassal du roi de France, Philippe le Bel. C’est à dire que le comté était largement autonome, mais sa loyauté allait envers la couronne française ; bref, le classique serment de vassalité médiéval.
Sauf que les Flandres étaient extrêmement prospères, grâce à l’industrie textile, ce qui avait permis un essor conséquent des villes et de la bourgeoisie, qui avait donc un poids économique, mais également politique. L’activité textile dépendait de l’importation de laine anglaise, et donc la région était étroitement liée au royaume d’Angleterre.
Ainsi, quand Philippe le Bel déclara la guerre à l’Angleterre, pour récupérer l’Aquitaine, le comte de Flandre, Gui de Dampierre, se retrouva dans une position délicate : lié à son suzerain par un serment d’allégeance, pressé par la bourgeoisie de sa région de le rompre. Pour s’en sortir, il dégaine – encore – l’arme diplomatique ultime de l’époque : le mariage. Avec les Anglais. Comme ça, hop : il quitte le service du roi de France pour rejoindre son ennemi.
Cela dit, là où le comte de Flandres fut un peu neuneu, c’est qu’il en parla au dit roi, lors d’une visite à Paris. Ce dernier, peu enclin à accepter ce changement d’alliances, l’emprisonna purement et simplement, avec ses deux fils.
Philippe le Bel finit par le libérer, en le faisant promettre que hein, ce mariage c’est pas une bonne idée, allez laisse tomber gros ! Gui de Dampierre fait mine que oui oui, d’accord, on oublie tout … puis il rentre chez lui, rallie les opposants à la France, et en 1297, se déclare « détaché de toute obligation féodale », en gros, il proclame l’indépendance. Et de fait, la guerre.

Le roi de France réagit, et envoie ses troupes occuper le comté, qui prennent initialement le dessus. Sauf que les Flamands, mécontents que l’on parle français dans leurs rues, se révoltent en masse, et suite à un coup de force (les matines de Bruges), massacrent soldats et partisans français, environ un bon millier. Le pays change de nouveau de main, et le roi de France ne tient plus que deux forteresses, dont l’une d’entre elles est Courtrai.

Cette dernière est rapidement assiégée, et Philippe le Bel prépare alors une expédition de secours, afin d’aller calmer tout ce petit monde qui parle une drôle de langue. L’avant garde française se porte au secours du château assiégé, où les attendent les Flamands.

D’un côté, les Français alignent environ 10 000 hommes, donc un quart de chevaliers et d’écuyers, des arbalétriers et des hommes d’armes, bien entrainés et équipés. Les chroniqueurs de l’époque parlent de beaucoup plus d’hommes, jusqu’à 50 000, mais ceux ci avaient souvent tendance à exagérer, car plus vendeurs (l’ancêtre du putaclic). De l’autre, un nombre à peu près équivalent, mais essentiellement des fantassins issus des milices, donc des conscrits venant de villes, avec un entrainement variable, allant de plutôt bien à carrément nul.

Les chevaliers français sont sûrs de gagner : ils chargent sans trop réfléchir, de front. Deux éléments vont se retourner contre eux :

  • le champ de bataille ; il est étroit, avec d’un côté un fleuve (la Lys), de l’autre des marécages et un grand fossé (probablement un ancien lit du fleuve désormais asséché). Le terrain est globalement boueux. Autrement dit, le pire pour une charge de cavalerie lourde, avec peu d’espace pour manœuvrer et se replier en cas de pépin
  • les armes des milices : celles ci sont largement équipées avec des sortes de lances, le godendac, et des piques. Ces armes, même entre des mains peu expérimentées, s’avèrent redoutables pour les chevaliers en armure lourde.

Les charges s’embourbent dans le terrain boueux, perdent tout impact arrivées sur la ligne de bataille, et se font stopper par les godendacs. L’une après l’autre, les vagues de chevaliers échouent, ajoutant de la confusion au chaos ambiant. Les cavaliers ne peuvent plus manœuvrer. Seule l’arrière garde française, voyant le dawa, décide de faire demi tour (on verra qu’ils n’ont pas eu tort).

A l’époque, quand des chevaliers s’affrontaient, il était de bon ton d’épargner si possible son adversaire, pour le faire prisonnier et le rançonner. Officiellement, car entre bons Chrétiens, on évite de faire couler le sang (en tout cas quand on est noble ; les pauvres bien entendu, ça ne compte pas). Officieusement, ça arrange tout le monde : le prisonnier, car il évite de mourir (et c’est bien) ; le vainqueur, car il peut ainsi obtenir une rançon (cela devient vite une source de revenus pour la noblesse, du moins tant qu’on gagne).
Du coup, nos chevaliers français, constatant que la bataille est perdue, commencent à se rendre, selon la coutume. Sauf qu’en face, nous avons des miliciens, pas du tout des nobles, et pas au courant de ce genre de pratiques. Ainsi, lorsque les chevaliers s’approchent pour se rendre, nos braves flamands croient à une attaque désespérée ; et ils massacrent allègrement tout ce beau monde.

C’est une véritable hécatombe coté français : environ un millier de morts. Pour l’époque où, comme je l’expliquais, on essaie généralement d’épargner l’ennemi (pour en soutirer le maximum de flouzes), c’est beaucoup. Mais surtout, de nombreux chevaliers, y compris des nobles de haut rang, y laissent leurs vies : presque tous les commandants sont ainsi tués, à part celui de l’arrière garde (qui a eu le bon sens de faire demi tour).
Après la bataille, les miliciens récupèrent les éperons des chevaliers morts au champ d’honneur, et ceux ci sont envoyés décorer l’église Notre-Dame de Courtrai. D’où le nom donné à la bataille.
Grâce à cette bataille, le parti flamand peut prendre le contrôle du pays : c’est le début du sentiment national, et une indépendance de fait. La victoire, aussi brillante soit elle, n’est cependant pas décisive et de courte durée : le roi de France peut en effet lever une nouvelle armée, même si cela lui demande du temps et de l’argent, deux choses dont il ne manque pas. La guerre tourne de nouveau à son avantage, surtout qu’il a compris la leçon, et avance prudemment. Il finit par obtenir la victoire 2 années plus tard, mais préfère négocier une paix intelligente, à son avantage, et la Flandre retourna sous le giron royal.

Un tableau représentant la bataille de Courtrai, peint au 19e siècle

Cependant, l’idée d’indépendance était là, et reviendra plusieurs fois dans l’Histoire. Quant aux éperons, ils seront finalement récupérés en 1382, par le roi Charles VI.

Alors, on le voit bien : il ne faisait pas bon déranger les ancêtres des Belges. Mais les modèles plus récents sont ils moins farouches ? Nous verrons cela dans un prochain article.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_la_Vache
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_Awans_et_des_Waroux
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Courtrai_(1302)

Sources des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 5e partie

Même les meilleures choses ont une fin : aujourd’hui, dernière partie sur notre thématique « les chars allemands de la 2e guerre mondiale étaient ils les meilleurs ? » Et nous allons opposer les deux principaux belligérants du front de l’Est – Allemands et Soviétiques -, où l’usage du char fut le plus intense et déterminant que n’importe quel autre front.

Comme pour les autres pays, voyons un peu l’histoire du char en URSS. Si la France a livré à l’armée russe des chars, notamment des Renault FT, ceux ci arrivent trop tard pour jouer un rôle significatif. Et le traité de Brest Litovsk de Mars 1918 retire définitivement la Mère Patrie du conflit. Cela dit, le pays ne connut pas la paix pour autant, avec le démarrage quasi simultané de la guerre civile. Comme toutes les guerres civiles, elle se caractérise par une absence de front continu, mais plutôt une multitude de positions éparpillées, tenues par un camp ou l’autre, et des espaces intermédiaires que personne ne domine totalement. Avant la Grande Guerre, le pays était en cours de modernisation, en retard sur l’Europe occidentale, et le chaos du conflit puis de la révolution n’a pas arrangé la chose. La guerre civile aura lieu avec des moyens souvent archaïques, dans un territoire incroyablement vaste, avec des moyens de transport faibles. Dans cette situation un peu particulière, un type d’unité va montrer son potentiel : la cavalerie. En effet, elle possède une bonne mobilité tactique et stratégique, ce qui lui permet d’être là où ça chauffe ; et comme dans un pays très paysan comme la Russie de l’époque, il est plus facile de trouver du fourrage que de l’essence, le ravitaillement peut se faire localement. Même si l’importance de la « cavalerie rouge » a été exagérée après coup, à des fins de propagande (c’était la revanche du paysan sur le noble, avec l’emblème de ce dernier – le cheval), son rôle ne peut être nié dans la victoire bolchévique, et notamment la 1ere armée de cavalerie de Boudienny.

Après la fin de ce bazar (et même avant, vu que les troubles vont continuer pendant quelques années), dans les années 1920, on commence à se poser des questions du côté des soviétiques. Car on a peur que les impérialistes viennent mettre fin à ce havre pour les travailleurs qu’est l’URSS (arrêtez de rire : à l’époque des dirigeants comme Lénine y croyaient dur comme fer). Et comment va t on faire pour se défendre, avec un pays encore largement en retard sur l’Occident capitaliste ? On repense au rôle de la cavalerie durant le conflit civil, et un homme se dit que tiens, si on remplaçait les canassons par des camions et des chars, ça pourrait être pas mal non ? Cet homme est un militaire, du nom Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski. Né dans une bonne famille de l’ancienne Russie, il s’engage dans l’armée, est fait prisonnier durant la 1ere guerre mondiale (il va partager la cellule d’un jeune capitaine français, Charles de Gaulle – oui, c’est bien le même auquel vous pensez ; le monde est petit !). Ensuite il a rallié les forces bolchéviques, où il gagne rapidement du galon, jusqu’à commander de grandes armées durant la guerre civile et la guerre soviéto polonaise. Son génie militaire est reconnu par tous. Or, il ne reste pas sur ses acquis, et constate qu’à l’Ouest, du nouveau : certains théoriciens travaillent sur les futurs formes des combats à venir, notamment son ancien co détenu De Gaulle.
Il va de son côté, développer une variante locale : le concept « d’opérations en profondeur ». Cela consiste à faire rompre le front ennemi en un endroit, à grand coups d’artillerie et d’infanterie, puis d’envoyer dans la brèche des unités très mobiles, constituées de fantassins sur camions et de chars rapides, qui pourront alors s’en prendre aux arrières de l’ennemi – dépôts logistiques, moyens de communication/transports, centres de commandement – afin de désorganiser tout le front, provoquer l’effondrement puis le recul de celui ci. Bref, c’est quasiment une « Blitzkrieg » qui sent le Bortsch, avec la différence que le but n’est pas l’encerclement mais la désorganisation. Pour l’époque, c’est quasi novateur, seuls les Anglais, et un peu les Français, sont aussi avancés en termes de doctrine. Devenu maréchal, il va créer dès le début des années 1930 des « corps mécanisés », de grandes formations de chars soutenus par de l’infanterie motorisée, préfigurant ce qui allait se faire partout ailleurs durant la guerre à venir.

Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski, théoricien de l’opération en profondeur

La doctrine, c’est bon. Avec le matériel ce serait mieux. Sauf que la Russie et les autres territoires qui vont former l’URSS sont encore largement ruraux, pour ne pas dire arriérés, et en tout cas sous industrialisés. Les plans quinquennaux du père Staline vont permettre au pays de se doter d’une industrie lourde conséquente, en temps record, et au prix de seulement quelques millions de morts (une paille). Les usines seront bientôt prêtes à cracher du tank à haute cadence.
Mais pour concevoir le matériel, cela prend un peu plus de temps, car il faut former tout une génération d’ingénieurs et techniciens. Donc en attendant, on utilise la bonne vieille technique de l’informatique : le copier coller. L’URSS achète des licences et brevets un peu partout dans le monde : suspensions Christie aux US, moteurs allemands ou français, ou même « variantes » du Renault FT ou du Vickers 6-Ton. Nous avions parlé de l’école des chars, ouvert par les Allemands au cœur même du territoire soviétique : une autre occasion d’étudier ce qui se fait ailleurs.
Cela donne tout d’abord la série des BT, pour « Bystrokhodny Tank » – soit littéralement « tank véloce ». Rappelons toujours, « tank » signifiant réservoir, voir des conteneurs de liquides se déplacer à vive allure aurait pu être cocasse. Il s’agit de chars légers qui, comme leur nom l’indique, sont conçus pour être rapides. En même temps est développé le T-26, autre char léger, aux performances plus qu’honorables. Ils vont être construits en milliers d’exemplaires sur la décennie 1930, ce qui permettra à l’armée soviétique de disposer de stocks considérables, en partant de rien ou presque (alors qu’au même moment, les démocraties de l’Ouest ont fortement réduit leurs dépenses militaires).

Char BT5
Le T26

Mais si la quantité est là, qu’en est il de la qualité ? Plusieurs occasions de les tester vont se présenter, notamment la guerre d’Espagne. L’URSS soutient massivement (du moins au début) les Républicains, envoyant notamment chars et équipages. Le Reich faisant de même pour les nationalistes, c’est donc un affrontement par procuration que se livrent les deux futurs belligérants. Pour rappel, à ce moment le principal char allemand est le Pz I, armé de deux mitrailleuses ; face au canon de 40 mm du T-26, autant dire que le match est vite plié. Tant et si bien que rapidement, les troupes de Franco vont utiliser prioritairement les T-26 volés à l’ennemi : je crois que là, tout est dit. Cependant, les tanks russes ont quand même un défaut : un blindage très léger. Les armes antichar (et même certaines mitrailleuses lourdes) arrivent à les vaincre sans trop de problème.

On le voit, malgré une situation initiale pas très favorable, les soviétiques ont réussi à constituer une arme blindée efficace. Un gros handicap va venir cependant les freiner, voire les faire régresser : Staline. Celui ci lance en effet les Grandes Purges, qui consiste peu ou prou à tuer ou emprisonner tout ce qui pourrait s’opposer à lui, que cela soit vrai ou non. Et dans la liste des cibles : le maréchal Toukhatchevski, qui en 1920 a eu le tort de dire du mal de Staline (voire de sa maman). Celui ci, un poil rancunier mais patient, a attendu le bon moment pour le faire fusiller. En quelques mois, toute l’expérience accumulée par les corps mécanisés est perdu, alors que des milliers d’officiers sont assassinés.
Du coup, quand l’armée rouge se lance dans la guerre d’hiver contre la Finlande, c’est un peu la branloute (mélange entre « branlée » et « déroute »). Les chars, essentiellement des modèles légers, mal utilisés, se font exploser. Comme de surcroit, Toukhatchevski n’est toujours pas en bonne grâce (en plus d’être mort), on décide de dissoudre purement et simplement les corps mécanisés. Si les chars sont toujours là, ils sont désormais affectés à l’infanterie. On vient de perdre 20 années de travail.
Bon, par contre, quand on voit ce que les Allemands font avec leurs chars en France, on se dit que finalement … c’était peut être pas une si mauvaise idée. Les corps mécanisés seront progressivement reformés, jusqu’à atteindre une trentaine en Juin 1941. L’organisation de ces dernier a souffert de ce petit jeu de oui, on les crée, puis non on les dissout, ah finalement on a encore changé d’avis. Si bien qu’au début de l’invasion, ils ne seront globalement pas prêts.

Par contre, les ingénieurs eux ont fait leurs devoirs à la maison, et ont planché sur de nouveaux modèles. Pour les 2 plus connus (et que nous allons étudier) : le T-34 et le KV-1. Pour le T-34, nous avons affaire à un char moyen. Cela dit, ses concepteurs ont réussi à créer un monstre par rapport à ce qui pouvait se faire dans la catégorie. Il a un armement puissant, avec un canon de 76mm très puissant (autant en antichar que anti infanterie). Son blindage n’est pas très épais, mais comme pour le S-35 français, il est incliné : ce qui le rend plus résistant. Enfin il est assez rapide pour sa catégorie. Les soviétiques ont il trouvé le meilleur compromis entre les 3 facteurs d’un char ? Quant au KV-1, il s’agit d’un char lourd, tout aussi bien armé mais bien mieux protégé, quoique plus lent.
La production de ces nouveaux modèles commence en 1940, si bien qu’au début de l’opération Barbarossa, la Wehrmacht affronte surtout les modèles légers + anciens, comme les BT et T-26. Ceux ci sont disponibles en grand nombre, et sont employés lors de gigantesques contre attaques. Elles vont permettre de ralentir l’offensive allemande, au prix de pertes colossales. Tout est bon pour gagner du temps. Et puis, un beau jour, les tankistes allemands tombent sur un os de 30 tonnes d’acier : le T-34. Non seulement celui ci se révèle très dur à détruire, mais par contre, lui n’a pas de mal à faire péter tous les chars disponibles ; si bien que c’est un peu la panique. Encore pire : le KV-1 est pratiquement indestructible.

Une colonne de T-34, LE char le plus produit de la guerre
Le KV-1, longtemps cauchemar des tankistes allemands

Et pourtant, les militaires allemands ont réussi à surmonter ces obstacles. Comment ? Déjà, car, comme je l’ai dit, les unités blindées en face étaient encore désorganisées, et peu expérimentées. Au contraire, les troupes germaniques sortaient de presque 2 ans de conflits, étaient aguerries, et surtout très adaptables : elles ont improvisé des solutions pour s’en sortir. Mais de plus, les chars russes n’étaient pas exempts de défauts, même si sur le papier ils apparaissaient imbattables. C’était des chars récents, qui n’avaient pas été bien testés, et du coup ils étaient peu fiables. Lors des contre offensives, un nombre important de chars sont tout simplement tombés en panne (durant une bataille, c’est rarement une bonne idée). Et comme pour les chars français : ils n’étaient que peu équipés en radio (généralement, que le char du chef de peloton). Cela limitait beaucoup leur emploi tactique : souvent, on faisait un gros tas, et quand le char du chef avançait, on fonçait sans réfléchir. On a bien essayé un truc avec des drapeaux, que le chef devait agiter pour donner des ordres complexes. Si vous avez vu Kaamelot, vous savez que c’est une idée pourrie ; si on considère qu’on le fait sur un champ de bataille, avec des tirs dans tous les sens, et qu’en sortant le haut du corps vous devenez une cible de choix pour les tireurs d’élite, on comprend que l’idée ait été abandonnée.

Il n’empêche : le fait que des soit disant « sous hommes », communistes de surcroit, arrivent à faire de meilleurs chars que nos grands blonds aux yeux bleus, ne passe pas très bien. Hitler pique une crise, se roule par terre, et exige que le Reich produise les meilleurs chars du monde. Cela commence par l’amélioration des modèles existants, Pz III et IV, qui parviennent presque à rivaliser avec le T-34. De même, arrive en 1942 le premier char lourd allemand, le Panzerkampfwagen VI, plus connu sous le nom de Tigre ; et il montre rapidement de grandes qualités, en étant capable de dominer tous les adversaires qui s’opposent à lui. Il est cependant cher, compliqué à produire et à entretenir, donc rare.
Malgré tout, cela ne suffit pas à satisfaire le petit moustachu. Même si, en 1942, l’Axe a encore l’avantage dans le conflit, l’URSS ne s’est pas effondrée comme prévu, et l’entrée des Etats Unis dans les belligérants promet une longue guerre d’usure. Or, l’Allemagne sait qu’à ce petit jeu, elle risque de perdre, car elle finira immanquablement en sous effectifs. A défaut de quantité, on décide de miser sur la qualité : il faut produire des chars encore plus meilleurs de la mort qui tue.

Un Pz III, celui là au musée de Saumur
Un Pz IV modèle H, donc modèle assez avancé et bien amélioré, notamment avec canon long de 75 mm, et protections supplémentaires sur les roulements de chenilles
Le Pz VI, plus connu sous le nom « Tigre », sans doute le char lourd emblématique de l’Allemagne (mais pas le plus puissant)

Cela va donner l’arrivée en 1943 du Panzer V, dénommé « Panther ». Classé comme char moyen, il est cependant proche en terme de poids d’un modèle lourd. Très bien armé, protégé (il possède notamment un blindage incliné, idée volée aux soviétiques), et plutôt rapide même s’il souffre d’une autonomie plus faible que ses prédécesseurs. Il est considéré par beaucoup comme le meilleur char de sa catégorie de la 2e guerre mondiale. Et pourtant, lors de sa première sortie en masse, lors de la célèbre bataille de Koursk, son action sera décevante, pour les mêmes raisons que les T-34 en 1941 : défauts de jeunesse qui provoquent des pannes, et mauvaise formation des équipages.
Autre modèle développé à cette période, le Tigre Royal -Königstiger dans la langue de Rammstein- (ou Tigre II), conçu pour défoncer tout ce qui pourrait se mettre en travers de son chemin. Blindage incliné allant jusqu’à 150 mm d’épaisseur (pour comparaison, le T-34 c’est entre 40 et 75 mm), canon de 88mm qui a prouvé qu’il pouvait détruire tous les chars possibles, seule la motorisation est à la traîne, le char ne pouvant aller qu’à 17 km/h en tout terrain. Les deux chars évoqués, Panther et Königstiger, vont prouver qu’ils sont supérieurs à tous ceux des ennemis du Reich, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est.

Le Pz V, dit Panther, qui inversera le rapport de terreur des tankistes
Le Tigre Royal, parce qu’Hilter trouvait que le précédent n’était pas assez bourrin

Et comment réagit le commandement soviétique face à cette débauche de puissance ? Il va certes tirer les leçons des combats, mais sans entrer dans la surenchère. Lors de la bataille de Koursk, le T-34 est le char principal de l’armée rouge, présent en milliers d’exemplaires. S’il était redoutable en 1941, il est en revanche dépassé à ce moment là : son canon ne permet plus de détruire les chars allemands qu’à courte portée, alors qu’à l’inverse, eux peuvent le détruire jusqu’à 1 à 2 km de distance. Plutôt que de développer un nouveau char (c’est long), on décide de prendre le T-34 et de l’améliorer. L’autre avantage est qu’au niveau de la production, cela désorganisera moins les usines, qui pourront le produire + vite de façon optimale. La principale amélioration est le changement du canon, par un de 85 mm, apte à percer le blindage des chars ennemis à distance convenable. La tourelle est agrandie pour cela, et cela permet d’y caser enfin une radio et un membre d’équipage supplémentaire. Il est également un peu mieux blindé, mais à peine, ce qui fait qu’il reste presque aussi rapide.
Malgré tout, le T34-85 reste inférieur, en cas de duel, au Panther. Pourtant, le choix soviétique s’avéra bon : là où le Panther fut compliqué à produire, le T34 (toutes versions confondues) fut produit à une cadence infernale, devenant le char le + produit du conflit, avec 60 000 exemplaires ! (contre environ 6 000 pour le Panther) Et même si en combat, les pertes étaient supérieures, les stratèges soviétiques pouvaient saturer le théâtre d’opérations avec de nombreuses unités blindées, ce qui leur donnait les capacités de manœuvre nécessaires pour enfin mettre en pratique la stratégie des opérations en profondeur. Si je vous parle de l’opération Bagration, cela ne va sans doute pas parler à grand monde, alors je ne vais pas creuser beaucoup plus (pour l’instant …) ; sachez juste que, grâce à la supériorité numérique en chars, l’armée rouge va, entre fin Juin et fin Aout 1944, progresser de 600 km, libérer toute la Biélorussie, une partie de la Pologne, tout en pulvérisant au passage tout un groupe d’armées allemand. A peu près aussi bien que ce que la Wehrmacht avait fait à l’aller, en 1941.

A noter qu’en Allemagne, au moins une voix s’était élevée contre ce choix : le grand théoricien des blindés Guderian, qui avait préconisé de garder le Pz IV (quitte à l’améliorer), disposant ainsi d’un char fiable et polyvalent en grande quantité, plutôt que de miser sur un char certes plus puissant, mais moins autonome et plus couteux. De par son insistance il parvint à maintenir une production de Panzer IV, même si réduite au profit du nouveau char.

Parlons rapidement de la réponse soviétique au Tigre II allemand : le IS-2 (pour Iosef Staline – tant qu’à créer un gros char, autant donner le nom du patron). Char lourd soviétique, très bien protégé (90 à 160 mm d’épaisseur, incliné bien sûr). Dans le domaine de qui qu’a le plus gros, là on a un beau concurrent, avec un canon de 122 mm. Pour tout dire, c’est plus que les chars de combat modernes. Cela dit, la taille ne fait pas tout, surtout en antichar : il faut comprendre que la force d’un projectile ne dépend pas que de son poids, mais aussi de sa vitesse. Le 88 mm allemand a certes un calibre + petit, mais le tube particulièrement long permet des vitesses d’obus très élevées, environ 1 000m/s. Les obus de 122 mm sont sensiblement moins rapides (environ 800m/s). Cependant, les obus étaient tellement lourds que même si le char n’était pas détruit, l’onde de choc assommait le pauvre équipage (et dormir en combat n’est pas une idée heureuse …). La vraie différence entre les deux chars tenait surtout d’un petit élément tout bête : les optiques de visée. Car avec un char, on ne tire pas au jugé, « t’inquiète Raoul je gère, je vais bien finir par l’avoir ». Là dessus, les optiques allemandes étaient bien meilleures, si bien qu’un Tigre Royal pouvait espérer coller un gros pruneau à 1 km au premier coup, tandis qu’un gros Staline devait souvent faire 2 ou 3 essais (et entretemps, rencontrait des problèmes).

Côte à côte, un IS-2 (premier plan), et un IS-3, juste derrière

Il est temps de conclure cette décidément trop longue réponse, à la question qu’on rappelle : les chars allemands de la 2e GM, étaient ils les meilleurs ?
On voit donc que :

  • au début, face à la France, leur matériel est sur le papier à la ramasse ; pourtant, grâce à la radio, et surtout à une utilisation intelligente, ils ont obtenu une victoire éclair
  • puis, face à l’URSS, ils sont de nouveau surclassés ; ce qui ne les empêche pas de gagner de nombreuses batailles, haut la main
  • traumatisés par la qualité du matériel d’en face, ils se lancent dans une course au meilleur char possible ; le résultat est qu’ils aboutissent à produire quelques uns des meilleurs chars du monde, notamment le Panther et le Königstiger
  • les USA et l’URSS font le choix inverse : des chars polyvalents et faciles à produire, peut être moins performants mais au moins disponibles en quantités colossales ; on sait qui a fini par gagner (même si les chars ne sont pas le seul élément à prendre en compte)
    La 2e option va s’avérer plus pertinente. Car si la qualité d’un char repose bien sur ses 3 composantes -vitesse, puissance de feu, blindage- il faut bien voir que ce n’est qu’une arme parmi d’autres. La bonne utilisation de cette arme, en coordination avec les autres, sera le meilleur garant de son efficacité. Et pour cela, il faut adapter le char à l’usage que l’on souhaite en faire. Si au début, les « médiocres » chars allemands étaient bien adaptés à la Blitzkrieg (d’où les succès de ces derniers), la conception de chars ultimes en antichar les poussa dans une impasse, où il s’avérèrent excellents, mais limités à ça. Alors que les alliés avaient appris de leurs erreurs, disposaient de doctrines d’emploi intelligentes, avec un matériel adapté à cela.
    Comme quoi, rien n’est jamais simple quand il s’agit de s’entretuer.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mikha%C3%AFl_Toukhatchevski
https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9rations_en_profondeur
https://fr.wikipedia.org/wiki/BT_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/T-26_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/T-34
https://fr.wikipedia.org/wiki/KV-1
https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Staline_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_III
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_IV
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_V_Panther
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_VI_Tiger
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_VI_Tiger_II

Source des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 4e partie

4e et avant dernier article sur notre thème : les chars allemands, est ce qu’ils étaient vraiment les meilleurs ? Et nous allons voir ce que valent les chars américains en face d’eux.

Les troupes américaines découvrent le char en 1917, alors qu’ils débarquent en Europe pour prendre part au conflit, au côté de la Triple Entente. Comme je l’avais rapidement expliqué dans la 2e partie, ils s’équipent en chars français, surtout le Renault FT, car il serait trop long de développer le leur. Sauf qu’il faut entrainer les soldats au maniement de cette arme nouvelle : Pershing, le commandant de la force US, choisit un jeune officier nommé Georges Patton, pour diriger l’école des blindés légers. Entre Patton (au caractère explosif et au tempérament fonceur) et le tank, c’est le coup de foudre. Il les teste lui même, visite les usines de fabrication, discute avec des théoriciens comme Fuller ou Estienne, autant sur le matériel que sur les stratégies, et défend l’intérêt de cette arme face à ses collègues réticents. Il dirigea même une unité lors des premiers engagements, avec de bons succès.

Georges Patton durant la 1ere guerre mondiale, devant un char français FT

Et du coup, après guerre ? Alors que la plupart des grandes puissances, notamment européennes, développent de nouveaux chars et les stratégies d’emploi ? Bah … rien. Pour l’armée des Etats Unis, le futur, c’est la CAVALERIE. Patton et d’autres officiers – comme un certain Chaffee- ont beau protesté, se rouler par terre ou retenir leur respiration jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose, rien ne se passe. Et on leur fait même comprendre qu’il faudrait qu’ils se calment, parce que ça suffit les bêtises. Du coup, dans leur coin, ils continuent de réfléchir à ce qu’on pourrait bien faire des chars, même si pour l’instant on en est privé.
Du coup, durant l’entre deux guerres, les Etats Unis développent et produisent seulement deux modèles : le M1 armé de mitrailleuses à l’instar du Panzer I, et le M2 un peu mieux armé avec un canon de 37 mm. Même si les deux véhicules sont assez rapides pour l’époque, ils sont clairement sous armés, sous protégés, bref, médiocres. En plus ils sont produits en quantité dérisoire et de façon quasi artisanal (par un arsenal d’état – Rock Island Arsenal), et mal entretenus (si bien que Patton va acheter avec son argent personnel des pièces de rechange). Quant à la doctrine d’emploi, on se contente, au niveau de l’état major, de le concevoir comme une arme d’accompagnement de l’infanterie.
Pour défendre un peu nos pauvres militaires, il faut remettre quand même le contexte de l’époque : un pays globalement isolationniste, une crise économique qui a provoqué des coupes budgétaires monstrueuses, limitant l’achat d’équipements (et un char, ça coute cher) et les manœuvres et exercices. Mais le constat est là : les USA prennent un retard considérable.

Le ridicule char M1, officiellement « combat car » soit voiture de combat

Le M2, qui n’est guère mieux

Et puis arrive Mai 1940. Et là, on voit l’armée française, considérée à l’époque comme la meilleure au monde (non, ce n’est pas une blague), se prendre la trempe des beaux jours par les Panzerdivisions. C’est un peu le choc : et si on s’était trompé ? Stop ! Demi tour complet : on décide un changement de doctrine pour prendre en compte les enseignements de la bataille de France. Et on fait appel pour cela à ceux qui militaient en faveur des blindés depuis des années : notamment Patton, et surtout Chaffee, qui vont poser les bases de la guerre mécanisée à l’américaine.
En dehors des questions stratégiques et tactiques, se pose une question tout aussi importante : celle de concevoir et produire des chars. D’autant plus que Churchill, un peu en difficulté, demande au président Roosevelt s’il ne peut pas lui venir en aide, là tout de suite, même s’il ne peut pas entrer en guerre pour l’instant. Sauf qu’un gros problème se pose : les capacités de production sont trop faibles, et on risque de manquer de temps pour créer des usines dédiées à l’armement. (De nos jours, cela parait impensable, mais à l’époque, le complexe militaro-industriel américain est très faible.) Pas de problème : on va faire comme les Européens confrontés à la crise des obus, en 1915, et faire appel aux industries civiles, notamment du secteur automobile. Plusieurs avantages à cela : ils ont l’habitude de produire en masse pour pas trop cher, ils ont des ingénieurs et ouvriers qualifiés, et surtout ils savent concevoir des moteurs puissants et des mécanismes fiables. Par contre, comme les chars ce n’est pas vraiment leur spécialité, on ne s’attend pas à ce qu’ils produisent d’emblée des chars de qualité. Prenons par exemple les tanks moyens, qui doivent devenir l’ossature des divisions blindées.
Pour le char moyen à concevoir, les militaires américains ont choisi comme arme principale un canon de 75 mm, ce qui est plutôt pas mal en 1940. Mais être capable de coller un tel canon dans la tourelle d’un char n’est pas encore à la portée des ingénieurs US, on décide de trouver une solution intermédiaire : et si, comme pour le B1 français, on plaçait le canon en casemate, et on met une tourelle plus petite ? Cette solution va donner le M3, qui sera renommé par la suite Lee (US) ou Grant (pour ceux exportés au R.U.). Conçu un peu en urgence, il possède un certain nombre de défauts : blindage insuffisant face aux dernières armes antichar, silhouette très haute (et donc, char + repérable et vulnérable), disposition de l’armement pas toujours pratique (d’autant plus que le canon le + puissant, celui de 75mm, possède un mauvais débattement qui l’empêche de tirer vers le bas). Cependant, il s’avère fiable, puissamment armé, et équipé d’une radio.

Le M3, renommé « Lee/Grant » par la suite, aka « Je saurai pas faire mieux pour l’instant »

Les premiers engagements du monstre se font dans les mains des Anglais, durant la guerre du désert. Et ce char, conçu à la va-vite, va se révéler bien meilleur que tous les chars à la disposition du Commonwealth, et largement capables de rivaliser avec ceux alignés par les Allemands et Italiens ! Avec le temps (et l’amélioration constante des chars germains), les défauts commencent à se faire sentir, et il est donc dès que possible remplacé par son successeur.
En effet, maintenant qu’on s’est fait la main sur le M3 Lee/Grant, on peut passer aux choses sérieuses. Pendant que l’on produit vite fait ce dernier, on travaille plus longuement sur le deuxième, afin notamment de pouvoir caser le canon de 75mm dans une tourelle. Un premier prototype est prêt en Septembre 1941 : ce sera le M4, rebaptisé Sherman d’abord par les Britanniques, puis par l’US Army. Ce char, vous le connaissez probablement, tellement il est devenu emblématique du front de l’Ouest ; si vous avez vu un film de guerre sur ce front, ou joué à un jeu vidéo sur la 2e guerre mondiale, vous l’avez sans aucun doute aperçu.
Sur ses qualités premières, c’est un char correct. Son armement principal ne manque pas de punch, surtout face à l’infanterie (contre les chars … nous y reviendrons). Il est correctement blindé, possède une vitesse digne d’un char moyen, tout en étant fiable. Il est équipé d’une radio, et est qualifié « d’assez confortable » par les équipages ; ce point peut paraître anecdotique, mais quand on passe plusieurs heures de combat dans un gros machin en métal, le confort permet de rester en bon état (et donc plus apte à taquiner ses copains de jeu). Il garde cependant une silhouette haute, ce qui n’est pas top car plus susceptible de se prendre un pruneau. Mais surtout : il est très facile à produire. Ce sera le 2e char le plus produit de la 2e guerre mondiale (après le T-34 russe, dont nous parlerons la prochaine fois) ; il va notamment être décliné en de nombreuses variantes – char amphibie, lance flammes, démineur, lance roquettes, pont mobile … Un vrai couteau suisse (mais américain).
Pour l’anecdote : il sera produit dans plusieurs usines à travers le pays, qui n’appartiennent pas aux mêmes entreprises. Il va en résulter un certain nombre de variations, liées à toutes sortes de contraintes. La caisse est généralement moulée, mais parfois soudée. Pour le moteur, celui prévu à la base n’étant pas toujours disponible en nombre suffisant, on va le remplacer par des moteurs d’avions ou de bus. Sans compter les améliorations progressives … Bref, ne vous étonnez pas si, en consultant des photos de la bête, vous voyez régulièrement des différences. C’est vrai pour tous les chars d’ailleurs, mais surtout pour ce dernier.
On le voit donc : notre bon M4 Sherman est un char moyen … moyen. Ni bon, ni mauvais, mais surtout fait pour être produit vite et en nombre. Mais qu’est ce que cela va donner en combat ?

Le M4 « Sherman », LE char US de la 2e guerre mondiale

Les premiers à l’utiliser sont les Britanniques, durant la guerre du désert. Les Yankees ne sont pas encore engagés au sol face aux Teutons, ce sont donc les Rosbeefs qui ouvrent le bal. Vu que le M3 Grant était déjà un des meilleurs chars à leur disposition, le M4 va encore apporter un avantage supplémentaire. Utilisé dans de nombreux combats de char, notamment à El Alamein, il va contribuer à la victoire alliée. Et pour cause : il affronte à armes égales les derniers modèles allemands. Et oui : ce char conçu à l’arrache, et pas forcément optimisé pour être une bête de guerre, va faire suer Rommel et ses vétérans de l’Afrika Korps. Bon, si on le compare au Pz-VI (plus connu sous le nom de Tigre), oui, là clairement, il ne fait plus le poids ; d’un autre coté on parle d’un char « lourd », donc pas tout à fait la même catégorie.
Après, pendant de longs mois, ce sera le calme plat. En effet, à l’Ouest le principal théâtre d’opérations sera le sud et le centre de l’Italie, qui se prête mal aux combats de char, avec notamment de nombreux reliefs. Et du coup, l’armée US n’améliore que peu son principal char : on se concentre surtout sur l’amélioration des cadences de production. Alors que du côté allemand, c’est l’inverse : confrontée aux hordes blindées soviétiques, la Wehrmacht a considérablement améliorée son matériel ; avec le dernier modèle de Panzer-IV, surblindé et armé d’un nouveau canon de 75mm à canon long, et surtout le Panzer V dit « Panther », conçu pour être un char de supériorité. Et ne parlons même pas du Tigre et son successeur, le Tigre royal, un monstre de 70 tonnes.

Ainsi, en Normandie, c’est la douche froide. Le Sherman qui, jusque là, n’avait pas trop de difficultés, retrouve à se faire régulièrement défoncer par des ennemis en nette infériorité numérique. Il faut dire que, dans la doctrine américaine, le Sherman n’avait pas été pensé comme un char « antichar » (ce rôle revenant à des engins spécialisés, les « tank destroyers »), plutôt, à l’instar des chars cruisers britanniques, à exploiter les percées dans le front ennemi. Et s’il était toujours bon dans ce 2e point, de fait il devait faire face régulièrement à ses comparses de l’Axe, où il était dépassé. Face aux branlées qu’il se prend, on tente différentes améliorations. Pour qu’il puisse survivre plus longtemps, on ajoute toutes sortes de protection, notamment des sacs de sable, mais ça le ralentit pas mal. On l’équipe avec un nouveau canon de 76mm, meilleur en antichar, mais se révèlera toujours limité. Finalement, la meilleur idée viendra du Royaume Uni : ils vont adapter le Sherman avec leur excellent canon antichar de 17 livres, pour donner le Sherman Firefly. Il se trouvera être effectivement capable de vaincre tous les chars allemands à distance correcte ; mais le canon n’étant pas disponible en grandes quantités, seul un faible nombre sera converti. Malgré toutes les améliorations apportées, il n’arrivera jamais à rattraper l’écart avec ses opposants.
Les USA vont bien tenter de revenir dans la course, avec le M26 « Pershing » (nommé d’après le commandant des troupes US en France de la 1ere guerre mondiale, dont on a parlé tout au début), mieux armé et protégé. Mais il arrivera assez tard, et ne participera que peu aux combats.

Le M26 « Pershing », qui a très peu connu la guerre

Donc, nos amis américains n’ont pas vraiment produit de chars performants. Le principal, le Sherman, étant un char plutôt bon au début, et plutôt médiocre à la fin.
Et pourtant … c’est un contributeur important à la victoire alliée. Car comme on l’a dit, il va être produit en quantités colossales. Tant et si bien que, non seulement il va équiper des divisions blindées US quasi inexistantes en 1940, mais également de nombreux pays alliés, dont le Royaume Uni (où il va devenir le char majoritaire), la France (la 2e DB du général Leclerc en est largement équipée), la Pologne, et bien d’autres … Même l’URSS, par le biais de livraisons d’armes, va en recevoir. S’il n’est pas excellent pour combattre ses comparses, il est versatile, et s’adapte à toutes sortes de situations de combat. Et du coup, pour combattre les Panzer Divisionen ? Les Alliés vont trouver des expédients : artillerie antichar, et surtout aviation d’assaut.
Dans ce cas ci, on voit donc que le choix de la quantité l’a emporté sur la qualité, à partir du moment où on a su s’adapter à différentes situations tactiques. Et sur le front de l’Est, l’équation sera t elle la même ? Nous le verrons et nous conclurons cette thématique dans le prochain article, ou nous referons le match mécanique du 20e siècle : chars allemands vs chars soviétiques.

Pour en apprendre plus :

https://fr.wikipedia.org/wiki/M1_Combat_Car
https://fr.wikipedia.org/wiki/M2_Medium_Tank
https://fr.wikipedia.org/wiki/M3_Lee/Grant
https://fr.wikipedia.org/wiki/M4_Sherman
https://fr.wikipedia.org/wiki/Char_M26_Pershing

Source des images : Wikipédia