Art opératif et opérations en profondeur, 1ere partie

Bon, j’avais prévu une série d’articles sur les armes automatiques. Mais l’actualité de Septembre m’a donné envie de changer, et de parler plutôt d’art opératif et d’opérations en profondeur. Et on va d’abord parler d’échelon opérationnel et d’art opératif, tant je pense que ces concepts ne sont pas claires pour tout le monde.
Je précise également que n’étant pas théoricien militaire, il se peut que je fasse des approximations un peu grossières … l’espace commentaires est ouvert pour ça :).

L’échelon opérationnel

Dans le déroulement d’un conflit, on distingue 3 échelons.

Tout d’abord, l’échelon tactique : c’est la manière (on parle même d’art) de conduire un engagement armé, qu’il s’agisse d’une escarmouche de dizaines de pinpins tout au plus, à des batailles impliquant des dizaines de milliers d’Hommes de chaque côté. Ça concerne la manœuvre de ceux ci, quand les faire attaquer, quand les faire reculer ou passer en défense, le tout afin d’infliger le plus de victimes à l’ennemi tout en économisant ses propres troupes (ou pas), et obtenir au final une victoire dite « tactique » : généralement, le repli du camp en face. C’est l’échelon le plus ancien, aussi ancien que les premiers affrontements organisés entre Hominidés.

Ensuite, l’échelon stratégique : là, il s’agit de l’art de mener une guerre au niveau d’un pays. Cela inclut la levée de troupes, l’équipement et le ravitaillement de celles ci, voire des volets diplomatique (convaincre d’autres pays de prendre son parti, ou convaincre les copains de l’autre en face de changer de camp) ou culturel, afin de mobiliser la société (pensez grosso modo « propagande »). Cet échelon a vu le jour avec l’émergence des premiers groupements humains importants, villes, pays, … A partir de là, l’issue d’un conflit ne se résume pas seulement à un affrontement, mais à une succession de batailles, aboutissant tôt ou tard à ce que l’un des camps demande la paix (ou soit anéanti, mais ceci est fort peu urbain).

Bien entendu, il y a des interactions entre ces deux échelons : les victoires tactiques ne sont pas possibles si le niveau stratégique n’envoie pas des combattants et de quoi les équiper, et inversement, si le niveau stratégique est excellent mais que la tactique ne fait que merder, tôt ou tard ça peut poser problème. Quoi qu’il en soit, c’est toujours au niveau stratégique que se résout un conflit ; mais il existe plusieurs façons de l’emporter. Par exemple, si votre pays est plus petit/moins peuplé/moins riche que celui en face, vous avez tout intérêt à collectionner des victoires tactiques, de façon à le démoraliser et lui faire comprendre que même s’il finira par l’emporter, la victoire lui coutera (trop) chère. Par exemple, la guerre d’hiver entre l’URSS et la Finlande, ou les guerres d’indépendances écossaises. Au contraire, si vous avez un pays mieux fourni que celui que vous affrontez, vous pouvez parier sur le fait que ses ressources s’épuiseront avant vous, et ce même si vous ne gérez pas trop bien le plan tactique : on parle de guerre d’attrition. La 1ere guerre mondiale en est un exemple.

Petite note : les mots « tactique » et « stratégique » ont en français plusieurs sens. On peut par exemple utiliser le mot « stratégie » dans le sens d’un plan d’organisation générale de quelque chose, et oui, ça a du sens même si c’est pas forcément pour taper sur ses petits voisins. Mais on a tendance également à utiliser ses mots à mauvais escient, voire à les inverser. Comme lorsqu’on parle de la « tactique de la terre brûlée », qui consiste à ravager son propre pays pour ralentir l’ennemi qui avance : c’est plutôt un acte stratégique. Idem, quand on qualifie un général de « grand stratège » parce qu’il fait des prouesses sur le champ de bataille, c’est un peu une erreur, puisqu’on devrait plutôt parler de « grand tacticien ». Mais bon, ce ne sont que chipoteries et je ne vous en tiendrai pas (trop) rigueur.

Revenons à nos moutons : je vous ai évoqué 3 échelons, or je n’en ai présenté que 2. Mais vu que vous êtes malins, vous avez lu le sous titre, et vous savez donc que je vais parler de l’échelon opérationnel. Mais keskecé ?
L’échelon opérationnel, c’est un peu lui qui fait le lien entre l’échelon stratégique et le tactique … mais pas que. Votre niveau stratégique a levé plein de soldats ; c’est bien, mais il faut pouvoir les envoyer sur le champ de bataille ; puis leur envoyer à manger quand la bataille sera finie ; puis leur donner de nouveaux ordres quand une nouvelle bataille risque de survenir un peu plus loin, … Bref, cela concerne en grande partie ce qu’on appelle les « lignes de communication » : les routes et autres pour déplacer les armées et faire passer le ravitaillement, ainsi que la circulation de l’information. Mais également le renseignement (savoir frapper là où ça fait mal, et au contraire contrer une tentative audacieuse de l’ennemi), et le commandement (donner des ordres à vos différentes troupes un peu partout, de façon à ce que l’ensemble ait un minimum d’allure).
Avoir un échelon opérationnel qui ne fonctionne pas bien réduit fortement vos chances d’obtenir des victoires tactiques. Si vos guerriers ne sont pas ravitaillés, ils vont moins bien se battre ; s’ils n’arrivent pas au bon endroit au bon moment, ils ne servent à rien ; et si vous ne parvenez pas à détecter un sale coup du gus en face à temps, vous allez devoir l’encaisser. Cet échelon est donc aussi important que les 2 autres. Mais pourquoi j’en parle en dernier ?
Simplement car on l’a théorisé plus tard que les autres. Vers la fin du 19e siècle, par un certain Helmuth Karl Bernhard von Moltke (un Prussien, si vous aviez un doute), puis plus tard par les militaires soviétiques dans les années 1920-1930 (on y reviendra dans la 2e partie). Maintenant toutes les armées s’y sont mises. Cela ne signifie pas qu’auparavant, cette échelon n’existait pas : il était bien présent, c’est jusqu’on ne l’avait pas conceptualisé. Bref, on faisait un peu « à l’instinct », parfois très bien, parfois très mal, en le collant à moitié au niveau stratégique et l’autre moitié au niveau tactique.
Mais, à partir du moment où l’on a conceptualisé cet échelon et compris son importance, on donne naissance à une nouvelle façon de faire la guerre : l’art opératif.

L’art opératif

Bien entendu, cela n’a rien à voir avec le talent de votre chirurgien. L’art opératif est l’art et la manière de faire manœuvrer de grandes formations (armées ou corps d’armées), afin d’obtenir un choc opérationnel sans avoir un affrontement majeur (au résultat aléatoire, et souvent coûteux en vies et ressources). Par « choc opérationnel », on entend de perturber suffisamment le niveau opérationnel de l’adversaire pour qu’il perde largement son efficacité en combat. Par exemple, en coupant ses lignes d’approvisionnement, ses troupes vont devenir moins combatives (un soldat qui a faim est souvent moins efficace).
Un élément crucial : l’information. Si vous savez la position des forces de l’ennemi, vous pouvez manœuvrer pour éviter l’affrontement si vous ne pensez pas pouvoir gagner ; et à l’inverse, frapper quand vous êtes certain d’avoir un avantage suffisant. Le pendant est également valable : la désinformation. En trompant votre ennemi, vous pouvez le pousser à défendre un secteur que vous ne menacez pas, pour attaquer ailleurs plus sereinement ; ou bien l’inciter à ne pas attaquer car il croit que vous avez des forces considérables, alors qu’en fait non pas du tout.
Bref, l’art opératif, ça vous permet de vaincre votre adversaire sans avoir à faire de trop grosses batailles, et donc économiser vos troupes. Ce qui devrait être le fantasme de tout commandant, du moins ceux qui ne sont pas des bouchers ou des crétins qui ne savent faire qu’un gros tas et l’envoyer sans réfléchir.

Mais … si c’est si génial que ça, pourquoi personne n’y a pensé avant ? Déjà, sachez que l’art opératif a été utilisé bien avant qu’il ne soit théorisé. Cf. les exemples que je donne dans le paragraphe suivant, souvent le fait de commandants militaires très talentueux par ailleurs. Mais c’est surtout l’émergence au 19e siècle de deux éléments qui va changer la donne : la révolution industrielle, et le nationalisme.
Pour qu’un pays puisse mener une guerre, il a besoin de trois choses : la volonté de combattre (le moral), la capacité à lever des troupes, et la capacité de les équiper/ravitailler. Si l’un de ces 3 éléments vient à manquer, bingo : il va perdre. Il doit alors négocier (de préférence avant que le point en question ne soit complètement foutu), ou risquer une défaite totale. Il a toujours été possible de jouer sur le moral, même si cela demande une forte expertise pour y arriver. Mais avant, on pouvait également compter sur un épuisement des ressources de l’ennemi : au Moyen Age, un pays pouvait mobiliser, et surtout équiper, que des milliers, ou quelques dizaines de milliers au mieux, de combattants ; il était ainsi envisageable de les vaincre à un coût qui soit raisonnable. A la Renaissance, on franchit l’étape supérieur : si on prend la guerre de Trente Ans par exemple, on arrive à des centaines de milliers de soldats de part et d’autre. Là, ça commence à être compliqué, et les conséquences sont réelles : des régions entières sont dévastées, et perdent beaucoup de populations (jusqu’à 65% pour la Poméranie par exemple !). Les guerres de la Révolution française et les guerres napoléoniennes continuent à donner une idée de ce à quoi va ressembler la suite : les belligérants ont beau engager des troupes en quantité, en perdent beaucoup, y engouffrent des fortunes, ils finissent toujours par remettre une pièce et c’est reparti !
Avec la révolution industrielle, les populations des pays grimpent à des dizaines de millions. C’était déjà le cas pour les plus grands pays ; avec la conscription, une bonne partie est désormais mobilisable, et l’augmentation considérable des moyens de production permise par l’industrie permet de les équiper. Ainsi, en cas de guerre à grande échelle, ce sont désormais des millions de bonshommes qu’il faudra vaincre ; et même si on dispose de troupes équivalentes, cela peut être long, coûteux et difficile. Une victoire par attrition devient ruineuse : c’est le constat amer de la triple entente après la 1ere guerre mondiale. Quant au moral, avec le nationalisme, il devient également difficile de le briser : à partir du moment où la nation identifie la victoire comme la seule issue possible à un conflit majeur, elle trouve la force de continuer le combat malgré les difficultés (jusqu’à un certain point … qui peut aller très loin, quand on voit ce qu’il restait du 3e Reich au printemps 1945).
On peut donc se dire que l’échelon stratégique promettant surtout du sang, on va se tourner vers le tactique, mais ce n’est guère mieux. Déjà, le volume des armées est tel qu’une seule bataille ne peut être décisive, et ne va impliquer qu’une portion seulement des forces des deux camps. De plus, la puissance de feu a tellement progressé qu’une offensive, même bien planifiée, essuiera des pertes non négligeables.
Et c’est là que l’art opératif intervient : si on veut réduire les affrontements tactiques de grande envergure, sans non plus entrer dans une logique d’attrition, il faut trouver un moyen de gagner sans combattre. Et si, à l’échelle opérative, vous parvenez à déstabiliser le dispositif adverse, vous pouvez capturer ou faire reculer de grandes formations ennemies sans à avoir à les combattre ! Plutôt pratique non ? Ça vous parait trop beau pour être vrai ? Voyons quelques exemples dans l’Histoire.

Quelques exemples d’art opératif

La chevauchée de 1359-1360

J’en avais un peu parlé lors de mes articles sur Charles V. Durant la première partie de la guerre de Cent Ans, les Anglais pratiquent en France la technique de la chevauchée : des raids profonds de pillage, menés par des troupes montées (d’où le nom) donc très mobiles, et qui se nourrissent sur les terres pillés.
Charles, seulement régent, est à la tête d’un pays ruiné, divisé, et affaibli militairement. De plus, toutes les batailles rangées depuis des années ont tourné en faveur des Anglais. Une défaite de plus et son autorité s’effondrera. Or, Edouard III, roi d’Angleterre, revient une nouvelle fois en France, pour une chevauchée qui doit le mener jusqu’à Reims, la ville du sacre. Charles doit l’arrêter, mais sans un combat direct. Que faire ?
Et bien il utilise la tactique de la terre déserte. « Tactique » utilisée ici non pas au sens « échelon tactique », mais au sens « stratagème ». En gros : il invite la population à évacuer les campagnes et à se réfugier dans les châteaux forts, avec toutes leurs provisions. Edouard III se retrouve ainsi bien attrapé : il ne peut pas se ravitailler, vu qu’il avait prévu de se servir sur le dos de la bête … Il provoque les chevaliers français pour obtenir une bonne bataille en bon et due forme, mais rien à faire. Il finit par rentrer chez lui, à pied et avec la moitié de ses hommes seulement. Il cramera bien tout sur son passage, comme un gros enfant capricieux, barbu et à la tête de milliers de soudards.
Charles a donc bien obtenu une victoire sans engagement armé (donc tactique). C’est quasi de l’art opératif (je sais que les théoriciens militaires vont sans doute râler, en disant que ça n’en est pas vraiment … c’est vrai, mais bon, ça y ressemble un peu non ?)

La guerre d’Imjin

Souvenez, c’était cet été ; non, pas la guerre, mais l’article que j’ai écrit à son sujet. La Corée se fait attaquer par le Japon, à la fin du 16e siècle. Au sol, les Coréens se font bousculer par des samouraïs motivés et aguerris. Le pays est certes riche, mais pas assez peuplé pour envoyer des armées au massacre en continu. La solution viendra donc de la mer : en coupant le ravitaillement et les renforts japonais, l’amiral Yi Sun-sin pense pouvoir forcer les Nippons à retourner sur leurs îles. Et dans les faits, ça marche. Avec une série de victoires maritimes, certes magistrales mais pas si « populeuses » que ça pour les premières, il renverse le cours de la guerre sur la terre.
Les esprits chagrins pourraient là encore objectif, ce n’est pas purement de l’opératif, vu que l’effet sur le front terrestre a été obtenu sur un autre théâtre d’opérations (le maritime). Je répondrai oui, même si les victoires navales ont eu lieu proches des côtes, c’est presque le même théâtre d’op, non mais !
Et puisqu’il est ainsi, on va parler d’un pur exemple d’art opératif cette fois ci (en espérant que vous arrêtiez d’être relous).

La reddition d’Ulm

Prenons quelque chose dont je n’ai pas trop parlé jusqu’à maintenant : les guerres napoléoniennes. Nous sommes en Aout 1805. Napoléon 1er, tout fraichement couronné (par lui même) empereur, est avec sa Grande Armée dans le Nord de la France. Il attend la marine franco-espagnole pour aller régler des comptes avec ses vieux ennemis, les Anglais.
Mais la flotte tarde, et entretemps, il apprend que l’Autriche et la Russie lui déclarent la guerre, et que la Prusse ne devrait pas tarder non plus. Son idée, c’est de vaincre les 2 premiers de façon séparée – ce sera + facile -, et de leur coller une bonne dérouillé afin de persuader le 3e larron que non, attaquer la France n’est pas une bonne idée. Napoléon envoie donc son armée à toutes allures vers l’Autriche, en passant par l’Allemagne. C’est là le premier atout de l’empereur : l’extraordinaire vitesse de ses armées pour l’époque. Non pas que les Français sont meilleurs marcheurs ; mais d’une part, ils ont une bonne logistique, et surtout ils sont très motivés, et du coup ne se plaignent pas de leurs ampoules aux pieds (comme quoi, quand ils ne se plaignent pas, les Français peuvent faire des trucs biens). De leurs côtés, les troupes autrichiennes sont entrées également en Allemagne, avec à leur tête Karl Mack, baron von Leiberich. Qui ne s’attendait pas à ce que les Français soient déjà là.
Deuxième atout de Napoléon : le renseignement. Il dispose d’un bon réseau d’espions en Allemagne, et il envoie des missions de reconnaissance de cavalerie pour savoir où se trouve les forces ennemies. Troisième atout : la désinformation ; il possède un double agent dans les rangs autrichiens, Charles Louis Schulmeister, qui raconte des cracks à Mack. Il veut persuader son adversaire qu’il vise la prise de la ville d’Ulm, en attaquant par le long du Danube depuis le Sud. Et pour renforcer cette idée, il envoie une partie de ses troupes par cette route, en attaquant et faisant du bruit pour bien donner l’illusion … ce qui marche à merveille. Pendant ce temps, le reste des troupes passe par d’autres voies, à vive allure, de façon à encercler les Autrichiens.
Karl Mack ne sait plus où donner de la tête : on l’attaque d’un peu partout, il ne sait plus avec certitude où sont les armées françaises, qui ont l’air méga nombreuses, et ses lignes de ravitaillement sont menacées. Il prend ainsi un gros coup de pression, et dans le doute, il décide de se replier sur Ulm et de s’y retrancher. Napoléon n’a ainsi plus qu’à assiéger la ville, avec en face un général qui n’a toujours pas compris ce qu’il s’est passé.
Les généraux de Napoléon le pressent d’attaquer la ville, mais ce dernier refuse : ce serait certes une victoire, mais également une boucherie dans ses propres rangs. Il se contente d’attendre … Du côté des Autrichiens, on attend le secours des Russes ; mais en fait, ceux ci sont encore loin : ils pensaient que l’armée napoléonienne était encore en France, et ne se sont pas pressés ! Dépité, Mack se rend quelques jours plus, voyant ses provisions diminuer. Les Français viennent de vaincre une armée autrichienne en entier, ont pris ses canons, font des dizaines de milliers de prisonniers, pour un coût assez faible (quelques centaines de morts et des ampoules aux pieds). Ainsi débarrassé de la moitié de la menace, avec une armée presque intacte, l’Empereur n’a plus qu’à attaquer l’Autriche, attendre les Russes sur le terrain de son choix, et leur flanquer une bonne branloute : ce sera la célébrissime bataille d’Austerlitz. Qui découragera la Prusse d’entrer dans la danse (provisoirement).
On a là un excellent exemple de victoire par art opératif : sans provoquer de grand affrontement armé (échelon tactique), Napoléon parvient à défaire son adversaire, par un subtil mélange de ruse et de manœuvres de ses troupes.

Le plan de la manoeuvre des armées françaises en direction de Ulm, en 7 colonnes

Voilà quelques exemples d’art opératif, et ce sera tout pour aujourd’hui. Bien entendu, il y a d’autres exemples plus récents d’art opératif. Mais avant de les voir, il faudra que l’on parle de la notion d’opérations en profondeur, telles qu’imaginées par les Soviétiques dans les années 1920.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Art_op%C3%A9ratif
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tactique_militaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Strat%C3%A9gie_militaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chevauch%C3%A9e_d%27%C3%89douard_III_(1359-1360)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Ulm

Sources des images : Wikipédia

Quelques mensonges du Kremlin sur l’Ukraine

Nous sommes ici sur un blog qui parle d’histoires, et d’Histoire. Je ne vais donc pas commenter l’actualité, fort riche en ce moment et qui va probablement marquer date dans le grand livre de l’Histoire. Il y aurait pourtant fort à dire, mais ce n’est pas le but de ce blog. Quand j’ai commencé à écrire les pages où vous vous trouvez, je désirais faire réfléchir, amuser, pousser la curiosité et partager ; mais également parfois rappeler, contre les préjugés et les manipulations, que les faits sont têtus et à la portée de celles et ceux qui veulent bien se donner la peine d’y regarder de plus près. Bien entendu, je ne suis pas historien, aussi je vous ai toujours invité à ne pas me croire sur parole, à creuser ce que je vous dis, à vérifier, et à vous forger votre propre réflexion, tant que celle ci se base sur la base large de concret, de vérifiable. Et en tant qu’amateur d’Histoire, je m’élèverai toujours contre les personnes peu scrupuleuses, puissantes ou faibles, qui n’hésitent pas à mentir, à tordre le fait historique pour des intérêts passés, présents ou futurs. Car quelques soient leurs intentions, mentir sur l’Histoire finit toujours par aboutir à une catastrophe.
Or, cette terrible guerre qui fait rage à l’Est de l’Europe, a fait une victime, bien avant que les premières bombes ne tombent, et que les premières rafales ne soient tirées. Cette victime, tombée sur le champ de bataille médiatique, c’est ma bien aimée Histoire, criblée de mensonges par un régime qui cherche à justifier l’injustifiable. Si d’autres, bien plus talentueux que moi, sauront la soigner, permettez moi au moins de lui appliquer quelques pansements.

L’Ukraine est une invention des bolchéviques ?

Durant l’Antiquité, les territoires correspondants à l’Ukraine actuelle ont connu différentes vagues de peuplement (comme à peu près toute l’Europe en fait) : peuples nomades d’Asie mineur ou centrale, Grecs, puis peuplades germaniques ou d’Europe centrale. Puis, au 8e siècle, les Varègues (vikings de Suède), prennent la ville de Kiev, et fondent un Rodslagen (« état des rameurs »), ou en protoslave : Rous’. Et oui, c’est bien de là que vient l’appellation « russe ». Cet état s’étend sur le Nord de l’Ukraine, la Biélorussie et l’Ouest de la Russie, et divisé en principautés. On parle également de la Ruthénie.
Le pays est prospère, mais s’affaiblit peu à peu à force de divisions … et se fait envahir par les Mongols et les Tatars. Ces deux peuples dominèrent la région, et n’étaient pas forcément connus pour être bienveillants : de nombreux autochtones prirent la fuite pour la Pologne, la Hongrie, la Moldavie, et une partie de la Crimée (sous contrôle byzantin).


Puis, un siècle plus tard, les Polonais et les Lituaniens parvinrent à repousser l’empire mongol, surtout dans le Nord Ouest. Les deux pays se partagent les terres conquises, et rebâtissent villes et villages. La noblesse se « polonise », et introduit le catholicisme parmi les populations de l’Ouest, tout en faisant preuve de tolérance vis à vis des orthodoxes. Elle accepte également l’émergence de cosaques, des populations de l’Est qui refusent la domination polonaise et catholique, mais qui sont « tolérés » comme arme contre les Tatars.
Mais les mêmes cosaques finissent par se rebeller contre le pouvoir polonais, et libèrent peu à peu le territoire. De là, ils fondèrent un état cosaque autonome, lié à la Russie, appelé « Ukraine », ce qui signifie « marches » : le nom du pays suggère donc une position tampon. Le pays était appelé Hetmanat (dirigé par un Hetman), dut lutter contre la Pologne et la Russie pour garder son indépendance ; mais il était également l’un des plus alphabétisés d’Europe, avec une culture riche. Hélas, le pays finit par devenir un vassal de la Russie, qui l’utilise pour combattre les Ottomans et les Polonais. Le Sud est quant à lui sous contrôle tatar et turc. L’Ouest (région appelée Galicie) est intégré à l’Autriche suite au partage de la Pologne entre ce pays et la Russie. Catherine de Russie réduit l’autonomie des Cosaques, et la partie russe de l’Ukraine est directement assimilé à son empire. L’Ukraine est partagée entre plusieurs puissances, et cesse d’exister.


Mais le 19e siècle arrive, avec ses poussées de fièvre nationaliste, partout à travers les empires multinationaux. Et l’Ukraine n’y échappe pas. Et comment réagit la Russie ? Officiellement, pour elle : l’Ukraine n’existe pas. La culture ukrainienne, notamment sa langue, connait une renaissance. Tout naturellement, les autorités russes réagissent bien naturellement … en interdisant l’apprentissage de l’ukrainien, et en pratiquant une russification forcée.


Et puis la 1ere guerre mondiale arrive, ce qui provoque un affaiblissement des grands empires russes et austro-hongrois, et un retour des volontés d’indépendances nationales. En Mars 1917, alors que la Russie est en proie à la révolution, l’Ukraine déclare son indépendance ; et en novembre de la même année, la Rada centrale, assemblée ukrainienne, proclame la République populaire ukrainienne, assez rapidement reconnue par la France et la Grande Bretagne. La suite est assez confuse : les Bolcheviques, qui ont pris le pouvoir en Russie, occupent le nouveau pays … puis suite à la paix négociée avec les Allemands, l’évacuent, ce qui permet le retour des autorités nationalistes. Différentes factions, internes ou externes, se disputent le pouvoir ; comme d’habitude, c’est la population qui en paie les frais, entre « réquisitions » et combats.


Finalement, à l’instar du voisin russe, ce sont les Bolchéviques qui finissent par l’emporter, et une grande partie du pays rejoint l’URSS, comme la république socialiste soviétique d’Ukraine (quelques territoires de l’Ukraine actuelle, à l’Ouest et au Sud, rejoignant d’autres pays, Pologne, Roumanie et Tchécoslovaquie). L’Ukraine est tout d’abord bien traité par le nouveau régime (ou du moins, pas plus mal que le reste du pays) : la langue et la culture ukrainienne sont autorisées, contrairement à l’époque impériale ; un certain fédéralisme est même instauré. Puis, Staline accède au pouvoir, et siffle la fin de la récré. Si je n’ai pas d’éléments indiquant une répression culturelle, il surveille cependant de très près toute velléité nationaliste (comprendre : il met au goulag ceux qui parleraient un peu trop fort d’autonomie).


La région est d’importance pour l’URSS, et va servir à l’industrialisation forcenée des plans quinquennaux. Tout d’abord, grâce à l’exploitation minière, de la région du Donbass notamment, et à l’exploitation hydroélectrique (construction sur le Dniepr du plus grand barrage d’Europe, qui fonctionne toujours) ; mais c’est surtout en tant que grenier à blé que l’Ukraine va être exploitée : pas tant pour nourrir la population grandissante des villes, que pour exporter les « surplus » afin de financer l’industrie naissante. Et quand je dis « surplus », les guillemets ont leur importance : les autorités soviétiques avaient tendance à surestimer les récoltes, pour exporter davantage … quitte à laisser les paysans mourir de faim (de toutes façons, ils ne votent pas communistes, même s’il n’y a personne d’autre pour qui voter). C’est en partie dans ce contexte qu’aura lieu l’Holodomor, la grande famine qui touchera l’Ukraine et l’URSS dans une moindre mesure. Mauvaise gestion des autorités centrales, punition envers les paysans qui refusaient la collectivisation, génocide ? Les historiens débattent encore, le débat ne sera pas tranché ici. Mais cet épisode dramatique va constituer l’un des fondements du récit national moderne.
La seconde guerre mondiale passe, avec son lot de morts et destructions supplémentaires. Je n’en parlerai pas plus ici (je le ferai un peu plus bas). Le pays continue sa vie au sein de l’URSS de la Guerre Froide. Puis en 1986, nouvelle catastrophe, nucléaire cette fois ci : Tchernobyl. Après avoir été un grenier surexploité sous Staline, les Ukrainiens se demandent s’ils ne sont pas maintenant devenus une poubelle pour déchets nucléaires.
Avec l’effondrement de l’URSS, le nationalisme ukrainien reprend de la voix, et aboutit en 1991 à une nouvelle indépendance, votée à + de 90% par référendum. Durant les années suivantes, le pays va osciller entre Ouest et Est, entre volonté d’européisation et liens historiques avec la Russie. Nous n’irons pas plus loin.

Ainsi, l’Ukraine est elle une invention de Lénine, comme le clamait un chef d’état récemment ? Dans ce cas, pourquoi aurait on eu besoin de la russifier durant le 19e siècle ? Comment une république ukrainienne aurait pu exister avant même la naissance de l’URSS ? Il faut reconnaître que russes et ukrainiens ont un passé qui pourraient les rapprocher. Cela dit, l’identité nationale ukrainienne existe bien, et ce depuis longtemps ; comme d’autres nations à travers le monde, ce sont différentes guerres et tragédies qui ont forgé ce sentiment national, en réaction à d’autres qui auraient voulu l’étouffer.
Et de surcroit, historiquement, c’est bien la Rous de Kiev qui précède la naissance de Moscou ou de la Russie : à défaut donc, si les deux pays doivent s’unir, c’est en toute logique à Poutine de se soumettre à Zelensky, et à lui remettre les clés de son pays …

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Ukraine
https://www.lemonde.fr/international/video/2022/03/24/l-ukraine-a-t-elle-ete-creee-par-la-russie_6118906_3210.html (vidéo réalisée par Le Monde, après que j’ai commencé à rédiger mon article, mais il m’a fallu un certain temps pour le finaliser … il dit peu ou prou la même chose)

Armes nucléaires et Ukraine : le mémorandum de Budapest ?

Vous avez pu entendre parler du « mémorandum de Budapest » ces dernières semaines, voire mois ou années, selon votre degré de suivi de l’actualité. Mais de quoi s’agit il ? Pourquoi le président russe parle t il d’une remise en cause de celui ci en prétendant que l’Ukraine veut se doter de l’arme nucléaire ? Et pourquoi cette accusation est un énorme foutage de tronche (que l’accusation soit vraie ou fausse) ? Voyons de quoi il en retourne.

L’URSS se disloque en 1991 : les républiques soviétiques qui la composent deviennent indépendantes, dont l’Ukraine (comme dit ci dessus). Or, l’ancienne superpuissance avait disposé de nombreuses forces à travers toutes les régions, y compris en Ukraine bien positionnée géographiquement. Et parmi ses forces, des armements nucléaires.
Lorsque l’URSS s’effondre, chaque pays hérite à peu près naturellement des armements « sur place » pour constituer leurs nouvelles armées. L’Ukraine ne fait pas exception, et se retrouve en possession d’un imposant arsenal nucléaire. Mais ceci ne plait guère aux USA, à la Russie, et aux autres pays du petit cercle des puissances nucléaires, qui aimerait bien que leur cercle reste toujours petit. Ainsi, l’Ukraine, mais aussi la Biélorussie et le Kazakhstan, sont approchés par les Etats Unis et la Russie, afin de négocier : tu rends les bombinettes, tu n’en fabriqueras pas d’autres, et en échange, on te promet qu’on te défendra au cas où … C’est le protocole de Lisbonne de 1992.
Sauf que l’Ukraine (et un peu les autres) traînent des pieds : elle veut bien … mais en échange, elle aimerait qu’on lui fasse des promesses. Promesse de la défendre en cas d’invasion, aide économique, non ingérence dans ses affaires. Du coup, les négociations prennent un peu plus de temps, mais on finit par se mettre d’accord : en 1994, est signé le fameux mémorandum de Budapest, entre l’Ukraine, la Russie, les USA et la Grande Bretagne. Le premier s’engage à détruire ou remettre à la Russie tout ce qui lui reste en armes nucléaires, et à ne pas en fabriquer d’autres. En échange, les autres s’engagent à respecter l’intégrité territoriale ukrainienne « en l’état », à ne pas l’attaquer ou utiliser d’autres moyens de pression (y compris économiques) pour influer sa politique. Voilà …

Ceci étant dit, faisons donc la comparaison :

  • d’un côté, la Russie accuse l’Ukraine de développer un programme nucléaire militaire (sans preuves jusqu’à maintenant), et ce depuis fin 2021/début 2022 uniquement
  • de l’autre côté : l’Ukraine a subi de nombreuses pressions de la Russie, y compris économiques (pourtant interdits dans le mémorandum), notamment avec un gros chantage au prix du gaz, et ce dès le début des années 2000 ; en 2014 elle se voit annexée une partie de son territoire reconnue internationalement, y compris les signataires de Budapest, et justement par l’un des dit signataires (lequel d’après vous ? toujours le même) ; et une nouvelle fois … la Russie envoie ses armes dans un conflit séparatiste, et finit par reconnaître lesdits séparatistes, violant encore et toujours la parole donnée (est on à ça près). Alors, finalement, envahir le pays et le saccager avec presque toutes les armes possibles et imaginables, finalement, n’est que la suite logique d’un non respect total de ses engagements

Je crois que le match est clair.

https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9morandum_de_Budapest

Les nationalistes ukrainiens ont collaboré avec les nazis ?

Certains affirment que l’Ukraine est une nation de « traîtres » et de « nazis ». La preuve : durant la 2e guerre mondiale, la population du pays a massivement collaboré avec l’occupant allemand, fournissant même des troupes pour combattre l’Union Soviétique, et certaines sont même entrer dans les SS. Regardons y de plus près.

L’Ukraine, nous l’avons vu ci dessus, a particulièrement souffert de la période stalinienne ; au même titre que le reste de l’URSS, mais un peu plus quand même, avec l’Holodomor. Si bien que la Wehrmacht, préparant l’invasion du pays, se demande si y’aurait pas moyen de s’entendre avec ces gens là, des fois que … En fait, dès les années 1930, l’Allemagne nazie accueille des nationalistes ukrainiens qui ont fui leur pays, et prépare avec eux un éventuel soulèvement contre « l’occupant » communiste.


Lorsque les troupes allemandes déclenchent l’assaut, elles progressent rapidement sur les territoires ukrainiens (la zone devenant même objectif prioritaire en Septembre 1941, pour s’assurer le contrôle de la production agricole et minière). L’accueil de la population est très variable : plutôt chaleureux dans l’Ouest, qui les perçoivent comme des libérateurs, mais bien plus glacial dans l’Est. Au départ, l’occupant nazi fait des efforts afin d’être bien accepté : la répression se concentre sur les communistes et les juifs. Des forces de police « locales » sont créées pour administrer les territoires, une armée insurrectionnelle ukrainienne commence à voir le jour, pour libérer définitivement le pays de la présence soviétique, et aider l’allié allemand à vaincre cet adversaire honni.


Mais assez rapidement, les nazis vont revenir à leurs habitudes de gros bourrins. On explique aux nationalistes que hahaha, non, votre indépendance vous pouvez vous asseoir dessus. Par contre, n’hésitez pas à vous battre pour nous. L’armée insurrectionnelle est dissoute, transformée en force de répression anti partisans. Ceux qui ont vraiment envie de bouffer du bolcho sont invités à rejoindre des divisions SS incluant des combattants étrangers ; une division entière va même voir le jour, la 14e division SS « Galicie » (la Galicie étant une région de l’Ouest). Quant à la population, elle sera tout simplement exploitée et martyrisée, au gré des réquisitions et représailles anti résistance. Autant dire que rapidement, les Allemands passent du statut de « potentiel libérateur » à celui de « gros enfoiré ». Malgré tout, cela n’empêchera pas les volontaires des forces auxiliaires de continuer leur collaboration, prenant une part importante dans la lutte anti partisans aux côtés des Einsatzgruppen ; ils feront même preuve d’une très grande brutalité dans ces opérations, commettant moult crimes contre leur propre population. Ces jusqu’au-boutistes seront même des opposants acharnés au retour de l’Armée Rouge lors des offensives soviétiques de 1943-1944, menant à leur tour des opérations de guérilla (dans un certain sens, ils savaient qu’ils n’auraient pas le droit au « pardon, bisous, c’est fini, on va faire comme si rien ne s’était passé »).

Alors oui : il s’est bien trouvé des Ukrainiens pour collaborer activement avec le 3e Reich, aidant même ce dernier à martyriser ses propres concitoyens. Entre la police locale, les auxiliaires anti partisans et les volontaires SS, ils ont peut être été quelques centaines de milliers. Cela dit, cela suffit il à catégoriser tout un peuple comme traître et ayant une tendance naturelle à brandir en l’air son bras droit ? Nous avons un des deux côtés de la balance ; permettez moi d’ajouter, de l’autre côté, deux poids conséquents.

Le premier : si des dizaines voire centaines de milliers d’Ukrainiens se sont battus au côté des nazis, ils ont été des millions à combattre pour l’Armée Rouge. Sur les 11 millions de soldats soviétiques morts au combat, on estime qu’environ 1,7 million étaient des Ukrainiens pur souche (environ 16%), ce qui montre bien le sacrifice fait pour la victoire. De plus, dès les premiers jours de l’invasion, une partie de la population a monté un mouvement de partisans, au même titre que les autres territoires occupés. S’il a peut être été moins actif que celui de Biélorussie, c’est en partie à cause de la géographie : là où cette dernière présente de nombreux marécages et forêts (propices à la dissimulation et à la guérilla), les vastes plaines d’Ukraine offrent moins d’opportunités. Ce qui est sûr, c’est que si des Ukrainiens ont participé à l’éradication de la résistance, c’est bien qu’il y en avait une ! D’ailleurs, les autorités soviétiques seront elles même reconnaissantes envers les efforts de l’Ukraine : plusieurs villes seront proclamées « héros de l’Union Soviétique », notamment Kiev, le pays lui même va obtenir un siège au conseil des nations unies (alors qu’appartenant à une entité possédant déjà un siège ! il me semble que c’est le seul cas où cela est arrivé), et se verra récompenser quelques années après la guerre, par le transfert de la Crimée.


Le deuxième : certes des Ukrainiens ont collaboré … mais il ne faudrait pas occulter le fait que des Russes l’ont également fait ! (ah, la mémoire sélective d’un homme âgé …) Le plus célèbre était sans doute Andreï Vlassov, général de l’Armée Rouge. Lorsqu’à la tête de la 2e armée de choc, il fut fait prisonnier par les Allemands, il leur proposa ni plus ni moins de combattre pour eux, afin d’aller couper la moustache au petit père des peuples. Rien que ça ! Dans la catégorie trahison, pour quelqu’un qui était considéré comme un héros dans l’armée soviétique, c’est un bon champion. Il proposa même à ses nouveaux Freunden de lever une « armée de libération russe », comprendre une armée de volontaires qui iraient se taper du rouge, en recrutant chez tout ce que l’union soviétique comptait de mécontents (notamment des anciens « blancs »), mais également dans les prisonniers de guerre (à qui on offrait un super marché : soit mourir dans des camps, en travaillant jusqu’à épuisement, soit mourir en tuant ses anciens camarades). Si les nazis étaient très réticents à filer des armes à ceux qu’ils étaient en train de massacrer, ils finirent par accepter, afin de combler leurs pertes toujours plus grandes. Cela représenta jusqu’à 50 000 combattants. Sauf que comme on avait peur qu’en combattant dans leur pays, ces hommes ne finissent par trahir, on les envoya loin … en Normandie par exemple. Sauf que privés de l’idée de participer à la « libération » de leur pays (libération très relative, vu ce qu’avait prévu Hitler pour les peuples de l’URSS), ils ne se montrèrent pas très combatifs non plus. Bref, une idée de Scheisse ; mais quoi qu’il en soit, des russes se sont bien battus pour les nazis. A cela on peut ajouter des volontaires SS (encore une fois, à peu près tous les pays européens en ont eu).

Par conséquent, si les Ukrainiens sont des nazis pour cette raison, alors les Russes et 99% de l’Europe le sont également. Du boulot en perspective pour notre dénazificateur.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Collaboration_en_Ukraine_durant_la_Seconde_Guerre_mondiale
https://fr.wikipedia.org/wiki/14e_division_SS_(galicienne_no_1)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Ukraine_pendant_la_Seconde_Guerre_mondiale

La Russie n’a jamais attaqué la première, elle n’a fait que se défendre à chaque fois ?

La Pologne vous dit merci. Détruite et occupée au moins 4 fois par son voisin, en 1772, 1793, 1815 (après que Napoléon l’ait fait revivre via le grand duché de Varsovie), et 1941, sans oublier la guerre soviéto-polonaise de 1919 à 1921. De même que les pays baltes, la Finlande, la Roumanie en 1940. Quant à Napoléon, s’il l’a bien envahi en 1812, c’est après sa participation à 3 coalitions, sans attaque de la France … et à chaque fois, après une cuisante défaite, avec la promesse de « non non non, promis on recommencera plus, nous on vous aime bien c’est la faute des Anglais ! ».
Et là, on ne parle même pas des mouvements colonisateurs vers la Sibérie (qui n’a pas toujours été russe figurez vous) et le Caucase (où l’on trouvait des chrétiens et des musulmans, pas très russes eux non plus).


Donc le mythe d’une Russie éternelle victime des autres, qui sont tous méchants, est bien un mythe, au même titre que les licornes ou la probité en politique.
D’ailleurs, parmi l’un des plus « virulents » opposants à la Russie au sein de l’OTAN : la Pologne. Peut être qu’ils ont quelques raisons historiques de se méfier ?

(je ne vais pas tous les mettre, mais qq exemples)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Partages_de_la_Pologne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Hiver
https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_des_pays_baltes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Caucase

Voilà les réponses à quelques mensonges que l’on entend depuis plusieurs semaines. Et si certains se demandent pourquoi je tape sur la Russie ? Je ne tape pas sur la Russie ; j’ai un profond respect pour l’histoire de ce peuple, et notamment des colossaux efforts qu’il a fait pour la victoire contre l’Axe. Je continuerai à défendre les faits ; et si démonter les conneries historiques d’Hollywood est un passe temps qui me régale, le faire contre les mensonges d’un régime, qui utilise les mêmes grosses ficelles qu’on a déjà pu voir dans le passé, est un devoir.

Faut pas taquiner les Belges – 2e partie

Deuxième article sur notre peuple bourrin du moment : les Belges. Et nous allons faire un voyage express à travers le temps, pour passer du Moyen Age directement au début du 19e siècle.

Mais … cela signifie t il qu’en 4 siècles, il ne s’est rien passé dans le plat pays ? Nenni brave lecteur : on peut dire que la région a connu une histoire mouvementée. Longtemps divisé entre différents royaumes, le pays finit par être réuni, avec les Pays Bas. D’ailleurs, l’un des souverains les plus puissants du début du 16e siècle était belge : j’ai nommé Charles Quint. Oui, il n’était ni espagnol, ni autrichien, mais originaire de Gand. Les Belges, pour lui rendre hommage, ont d’ailleurs brassé une bière à son nom. Les actuels Pays Bas firent ensuite sécession, pour devenir les Provinces Unies. Chaque pays évolua dans son coin : le Nord devint une république protestante, le Sud resta catholique, rattachée à une monarchie catholique (Autriche) …
Puis, alors que la France devenait révolutionnaire, les Belges firent de même, pas forcément pour les mêmes raisons (sans doute par esprit de contradiction). C’est la révolution brabançonne, qui finit par aboutir à la création des Etats belgiques unis. Prototype de ce que pourrait devenir la Belgique, le nouvel état ne dura qu’une année, le temps que des Autrichiens bougons viennent rappeler qui étaient les patrons. Puis les armées révolutionnaires françaises viennent à la rescousse de leurs compères : ça devient confus, les Autrichiens repartent, puis reviennent … Ça dure comme ça quelques années, quand le pays est définitivement libéré. La république française y fonde alors une « république sœur », comprendre une république démocratique sur le papier, mais quand même vachement aux ordres de Paris. Finalement, c’est trop compliqué, et l’essentiel de la Belgique contemporaine est intégrée purement et simplement à la France. Tout le monde sur place ne partage pas la même opinion à ce sujet (certains sont heureux, notamment du côté de Liège, d’autres moins), mais Napoléon va mettre tout le monde d’accord ou presque, lorsqu’à force d’imposition (une spécialité française) et de conscription, les Belges vont en avoir un peu marre.
Mais où tout cela nous mène t il ? A la révolution belge de 1830, acte fondateur du pays tel qu’on le connait.

La révolution belge

Comme nombre de mouvements nationalistes du 19e siècle, tout commence avec le Congrès de Vienne en 1815, où les vainqueurs de Napoléon se demandent bien comment on va faire après ce vaste foutoir qu’ont été les guerres révolutionnaires.


Les Belges sont très partagés sur le devenir de leur territoire : la plupart s’estiment être des sujets des Hasbourg, et verraient donc bien un retour à l’état ante révolutionnaire ; d’autres aimeraient bien intégrer la France (toujours du côté de Liège) ; et quelques rares audacieux pensent bien à une Belgique indépendante, mais ils ne sont ni nombreux, ni bruyants.
Cela dit je vous rassure : les monarchies coalisées ne vont tenir aucun compte des avis de la population locale (quelle idée saugrenue ce serait !). Et une fois encore, c’est la perfide Albion qui, à force de manœuvres, va réussir à mettre en avant son projet. La grosse crainte des Anglais, c’est de voir s’installer à l’embouchure de l’Escault (et surtout, le port d’Anvers stratégique pour son commerce), une puissance francophile, voire la France elle même. Les Britanniques parviennent à convaincre les autres pays de faire ce que personne ne demandait : réunir les Provinces Unies (Pays Bas) et les Pays Bas méridionaux (la Belgique en gros), en un seul et unique royaume des Pays Bas, relativement neutre et qui serait ainsi assez gros pour résister – un peu – à une éventuelle agression française. La nouvelle couronne est alors confiée à la maison des Orange Nassau (pour l’anecdote : cette maison est toujours celle qui règne sur les Pays Bas …).

Et que pensent donc les Belges du projet ? Globalement : pas grand chose. Les francophiles ont compris qu’un rattachement à la France ne sera jamais permis par les autres royaumes européens. Les indépendantistes : à défaut d’une véritable indépendance, ils espèrent obtenir une relative autonomie dans le nouveau royaume. Quant aux autres, l’immense majorité silencieux : ils en ont rien à faire, ou plutôt ils sont résignés. Ainsi, sur le papier, le projet semble donc viable …
Sauf que non en fait : rapidement, des problèmes vont survenir. Tout d’abord, linguistique : dans le Sud, on parle français, un peu néerlandais, mais pas le même que dans le Nord. Or, le néerlandais était imposé comme langue officiel dans de nombreuses régions. Ensuite, religieux : le Nord est protestant, le Sud catholique, et même s’il y a une forte tolérance religieuse, la discrimination à l’embauche au gouvernement ou dans l’administration est réelle. Problème économique également : le Nord était très endetté avant l’unification, le Sud moins, et voici que celui ci va devoir payer pour l’autre, ce qui lui plait moyennement. Enfin, problème de discrimination générale : la population du Sud est plus nombreuse, mais moins représentée dans l’administration, dans le corps des officiers, … Bref, les Belges sont grognons.

Guillaume Ier, le roi, entend ses protestations, fait preuve de plutôt bonne volonté en concédant quelques contreparties, mais en refusant la séparation franche entre le Sud et le Nord. Or, un élément très indépendants de sa volonté va complètement réduire à néant ses efforts : la révolution française de 1830, les « Trois Glorieuses », qui chasse Charles X pour installer Louis Philippe dans une monarchie constitutionnelle. Comme pour la première révolution, l’exemple français va s’étendre à travers l’Europe et provoquer des révoltes un peu partout.
Aux Pays Bas du Sud, ça commence également à chauffer ; en plus de tous les sujets de mécontentement évoqué ci dessus, la situation économique n’est guère enviable, avec chômage et inflation. Le pays est un baril de poudre, manque plus que l’étincelle. Et celle ci sera : un opéra, La Muette de Portici.
Oui, le facteur déclencheur de la révolution belge sera un opéra. Comme je vous sens sceptique, je vous dois bien quelques explications. Cet opéra est dans la mouvance romantique de l’époque : rien à voir avec le romantisme mièvre contemporain, le romantisme façon 18-19e siècle consiste plutôt en des amours contrariés et des jeunes gens qui s’entretuent, voire parfois se tuent eux même face à tous les malheurs dont le monde les accable. Pour la Muette de Portici, en gros, on parle mariage forcée, complots et trahisons, sur fond de révolte d’une ville face à un pouvoir étranger. C’est ce dernier point qui va provoquer de vives agitations.


Le 25 Aout 1830, une représentation est donnée à Bruxelles (sur autorisation royale). Sauf qu’à la fin de la représentation, une partie de la foule s’échauffe, crie « vive la liberté », et commence à virer à l’émeute : on commence à piller des magasins, et à incendier des maisons appartenant à des représentants du royaume. Bref, un peu comme ci après une séance au cinéma, à voir « Avengers : infinity war », une partie des spectateurs était allée incendier le siège de Total Energies.
Quoi qu’il en soit, les autorités réagissent peu, et les émeutes gagnent du terrain. La bonne bourgeoisie bruxelloise, inquiète de ne pas voir les forces de l’ordre rétablir la paix civile, décide de former une garde bourgeoise. Dès le lendemain, celle ci était à l’œuvre, et les troubles furent presque stoppées en à peine 3 jours. Les chefs de la garde bourgeoise, conscients de la situation toujours tendue ainsi que du poids qu’ils venaient d’acquérir grâce au rétablissement de l’ordre, envoyèrent une délégation au roi, dans l’espoir d’être ENFIN entendu. A ce stade, il ne s’agit toujours pas d’indépendance : juste d’autonomie.
Dans les autres villes de Belgique, l’agitation se répand à toute allure : des gardes bourgeoises sont levées un peu partout, commencent à supplanter les autorités légitimes, il y a même des volontaires qui affluent vers Bruxelles afin de la défendre contre une éventuelle contre attaque des troupes royales ! Le pays est quasiment en état d’insurrection armée.

Des volontaires de Liège s’en vont participer à la fiesta

Et en réaction, que fait le roi Guillaume ? Il souffle le chaud et le froid. Comme tous les souverains de l’époque face à une telle situation, il envoie la troupe, avec à sa tête ses fils. Mais d’un autre côté, il reçoit également une délégation de Bruxelles. Il accepte de convoquer les états généraux, mais refuse toute concession tant que ceux ci ne seront pas réunis, d’ici 2 semaines environ. C’est une demi concession : il sait probablement que les états généraux seront globalement acquis à sa cause (parce que le Nord y est représenté abusivement), et donc que ceux ci n’accorderont que des concessions mineures au Sud.
De son côté, le prince Guillaume (donc le fils du roi Guillaume … oui c’est pas simple) prévient Bruxelles : il va rentrer dans la ville avec ses soldats, et si la populace ne se calme pas, ça va barder nom de Dieu ! La population, inquiète, commence à dresser des barricades. Le prince se dit que bon, allez, on calme le jeu : il entre en ville, mais sans son armée. Il constate l’hostilité de la population, et les responsables de la bourgeoisie le parviennent à convaincre de parler à son royal papounet. La situation reste tendue, mais semble s’améliorer.

Et que fait donc le roi et les princes dans les semaines à venir ? A peu près rien pour calmer le jeu. Les états généraux doivent avoir lieu fin Septembre, en attendant il ne fait aucune promesse. Et il envoie des troupes pour rétablir l’ordre, ce qui est fort mal perçu. Des volontaires s’organisent en milices pour résister à l’invasion, souvent dirigés par des chefs élus par les volontaires eux même.
Le 23 Septembre, les soldats royaux, dirigés par l’autre prince du royaume, Frédéric, entrent dans Bruxelles. Les chefs de la garde bourgeoise réagissent comme tout chef avisé le fait en pareille circonstance : courageusement, ils prennent la fuite. Sauf que la population, elle, en a gros, et décide de résister. Ainsi, quand les troupes royales commencent à se faire tirer dessus, depuis les fenêtres et les toits des maisons, par les insurgés, pendant que les femmes bruxelloises leur lancent meubles et pots de chambre. Or, personne n’a envie de recevoir sur la tête le pot de chambre d’un Belge. Voyant que la ville résiste, les leaders de l’insurrection reviennent, et commencent à s’organiser. Pour diriger les troupes, on fait appel à un aventurier belgo-espagnol, Juan Van Halen (un tel nom ne laisse aucun doute quant à sa double origine). Pour encadrer les insurgés, il fait appel à d’anciens officiers de la Grande Armée, qu’ils soient autochtones ou émigrés (beaucoup d’anciens officiers français, jugés « trop bonapartistes », ont été exilés suite à la Restauration de la monarchie).
Les troupes néerlandaises n’étaient pas préparées à ça, et sont mises en déroute : elles évacuent durant la nuit du 26 au 27 Septembre, soit même pas 4 jours après leur arrivée. C’est une déroute : dans le reste du pays, des soulèvements en faveur de l’indépendance éclataient. La commission qui dirigeait les volontaires à Bruxelles se transforme en gouvernement provisoire. Et proclame l’indépendance.

La rue de Flandre, le Jeudi 23 Septembre 1830

Ironie du sort : le 29 Septembre, les états généraux du pays, réunis à La Haye, accepte enfin la séparation administrative entre le Nord et le Sud. Mais il est trop tard : pour la population du Sud, la royauté n’est plus légitime après avoir fait couler le sang du peuple. La troupe stationnée dans le pays est constituée essentiellement d’hommes venant de ces régions. Ainsi, ils prennent rapidement sympathie pour le mouvement indépendantiste : les soldats désertent, voire pire, se retournent contre l’autorité royale, n’hésitant pas à enfermer leurs officiers venus du Nord. D’une indépendance proclamée, celle ci devient une indépendance de facto : le roi ne contrôle plus tout le Sud de son royaume.
Le prince Guillaume tente de négocier de son côté : il propose de reconnaître l’indépendance de la Belgique, et d’en devenir le roi. Ainsi, les deux pays seraient bien indépendants, mais liés par une même dynastie. Celle solution est d’abord bien reçue par les responsables indépendantistes, qui sont conscients que les autres rois d’Europe n’autoriseraient pas n’importe quoi en Belgique. Mais un incident vient tout compromettre. A Anvers, les troupes royales reculent, sans livrer combats (sur ordre du prince Guillaume, qui veut éviter des incidents), et s’enferment dans la citadelle. La ville est elle occupée par des volontaires belges ; mais ceux ci sont peu disciplinés, et pas très au courant de la trêve en cours, ouvrent le feu sur les troupes royales … qui ripostent, en bombardant la ville. Résultats, une centaine de morts et de nombreux dégâts.

Suite à ce malheureux incident, on explique au prince Guillaume, que la couronne, il peut se la carrer bien profond : pas question qu’un membre de la maison Orange ne monte sur le trône belge. A défaut de ce prince ci, les autorités du tout jeune pays cherchent donc un autre prétendant : ils savent parfaitement qu’une république belge est inconcevable aux yeux des dirigeants européens, encore traumatisés par les remous de la révolution française.
Après diverses négociations, la couronne est finalement remise à un prince anglo-allemand, Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha (tout en simplicité), qui devient peu de temps après Léopold 1er, roi des belges par la volonté de ceux ci : c’est ainsi le fondateur de la dynastie qui occupe toujours ce rôle de nos jours. Le choix est plus ou moins entériné par les puissances européennes, constatant la forte volonté des Belges (on a pas envie de se les mettre à dos, vu que l’Europe est à deux doigts d’exploser dans une révolution quasi généralisée), et satisfaites du compromis.
Le seul qui n’est pas content, c’est le roi Guillaume 1er, qui perd la moitié de son royaume. Il tente bien de faire appel aux puissances conservatrices : la Prusse et l’Autriche n’interviennent pas ; la Russie, elle aurait bien répondue présente, mais elle est occupée à mater une révolte polonaise. C’est ainsi que s’il doit reconquérir la Belgique, il devra le faire seul.

Le 2 août 1831, il se décide finalement à marcher sur Bruxelles. Il franchit la frontière avec près de 26 000 hommes, commandés par des officiers vétérans des guerres napoléoniennes, et soutenus par l’artillerie. De son côté, la jeune armée belge en cours de formation n’avait que l’expérience des combats de rue et des escarmouches, et n’était pas prête à livrer des batailles rangées. Ce fut la débandade, et les « Hollandais » occupèrent la moitié Nord du pays, durant ce qui fut appelé plus tard la Campagne des Dix Jours.
Mais tout n’était pas perdu pour le tout jeune pays. Des troupes résistèrent, et commencèrent à menacer les arrières de l’armée néerlandaise, qui ne se sentait pas à l’aise dans ce pays qui lui était résolument hostile. Et à peine intronisé, le roi Léopold 1er fit appel à l’Angleterre et à la France, qui s’étaient portés garantes de son indépendance. Si la première ne réagit pas, la deuxième fit preuve d’une célérité remarquable pour l’époque : l’appel à l’aide fut lancé le 8 Aout, le lendemain, l’armée du Nord avait déjà franchi la frontière. Les soldats français avaient reçus l’ordre de ne pas provoquer le combat. Cependant, c’en était trop pour les Néerlandais : ceux ci demandaient en vain l’aide de la Prusse et la Russie, les troupes s’imaginaient déjà encerclés entre les Belges et les Français … et firent donc demi tour.
Une trêve fut signée, qui ne déboucha pas directement sur la paix. En effet, les Néerlandais occupaient toujours Anvers et sa citadelle, et refusaient de l’évacuer. Une nouvelle intervention française, en 1832, permit finalement de la faire tomber aux mains des Belges, grâce notamment au génie du général Haxo … mais ceci est une autre histoire.

Finalement, Guillaume 1er finit par constater la farouche résistance des Belges, et finit par reconnaître l’indépendance. Celle ci a donc été permise par : un opéra, l’hésitation du roi des Pays Bas, la farouche volonté des belges et une intervention française (ne le dites pas trop fort, sinon les Belges risquent de s’en offusquer ; alors qu’il faut reconnaître qu’ils ont fait le gros du boulot tout seuls). L’Histoire est capricieuse, mais le pays pouvait désormais y inscrire ses propres et glorieuses pages …

La mitrailleuse Montigny : première « mitrailleuse » européenne

Depuis des décennies, voire des siècles, on essayait de concevoir en Europe une arme capable de tirer très vite, très beaucoup de balles, afin de tuer très beaucoup de gens. S’il y a eu de nombreuses tentatives, aucune n’a visiblement fait mouche, car n’étant pas entrée dans l’Histoire : soit parce qu’elles étaient toutes pourries (très probable), soit parce que les personnes à qui on faisait la démonstration étaient elles mêmes toutes pourries et n’ont pas vu le potentiel de l’engin (tout autant probable).


Il faudra attendre le milieu du 19e siècle pour que le concept se fraie un chemin. Période propice, car on commence à développer de nouveaux moyens pour tuer autrui à une cadence industrielle : fusils à répétition, canons à obus plutôt qu’à boulets, … Du côté du Nouveau Monde, c’est un certain inventeur du nom de Gatling qui va mettre au point la mitrailleuse éponyme, en 1862, et qui sera adopté en 1865 par l’US Army. De l’autre côté de l’Atlantique, la première armée à adopter un mécanisme équivalent sera donc : l’armée belge, avec la mitrailleuse Montigny (là encore, du nom de son inventeur, l’armurier Joseph Montigny).

Alors attention : quand on parle de mitrailleuse, il ne s’agit pas vraiment de la conception moderne telle qu’elle existe aujourd’hui. Dans le cas de la Montigny, il s’agit en fait de 37 canons, réunis en une seule âme, qui donne l’impression d’avoir affaire à un gros canon percé de plein de petits canons de fusils. Une plaque amovible, à l’arrière, permet d’insérer 37 balles, en face de chacun des canons. Et une manivelle, lorsqu’elle est tournée, permet de déclencher la mise à feu progressive des 37 balles, qui sont alors tirées dans la même direction générale. Si le concept est différent, le principe reste le même : tirer de nombreuses balles, à haute cadence. La cadence de la Montigny justement : parlons en. Elle dépend essentiellement de la vitesse à laquelle on tourne la manivelle, ce qui permet de régler la cadence : coup par coup, rafales courtes ou longues ; au maximum, elle aurait été d’environ 100 coups par minute. Ce qui pour l’époque, est excellent. Bon par contre, le tir est limité à 37 balles : après, il faut recharger, donc enlever la plaque amovible, la remplacer par une autre avec les 37 balles, etc. … Ce qui prend du temps et nécessite de la main d’œuvre. L’engin avait un autre défaut : il était lourd et volumineux, presque autant qu’une pièce d’artillerie de petit calibre, mais c’était également le cas pour la mitrailleuse Gatling donc bon (d’ailleurs, à l’époque les mitrailleuses étaient considérées comme des pièces d’artillerie, et ce jusqu’au début de la Grande Guerre).

La mitrailleuse Montigny et ses deux servants, dont l’un insère la plaque avec les balles

Alors d’accord : les Belges ont inventé la mitrailleuse en Europe. Mais était elle efficace ? La mitrailleuse Montigny n’a pas vraiment connu le feu. Cependant, les Français ont repris le concept dans les années 1860, avec la mitrailleuse De Reffye, ou « canon à balles ». Cette copie est composée de seulement 25 canons, mais avec des balles de plus gros calibre. Elle sera utilisée durant la guerre franco prussienne. Comme souvent avec une nouvelle arme, elle sera mal utilisée : considérée comme une pièce d’artillerie, on a voulu l’utiliser pour effectuer des tirs de contre batterie, c’est à dire pour vaincre l’artillerie adverse. Sauf que la portée de l’arme était limitée (peut être quelques centaines de mètres), par rapport aux canons prussiens qui pouvaient tirer jusqu’à 6 kilomètres : forcément, ça s’est très mal passé. Quelques officiers un peu plus inventifs eurent cependant une idée : et si on utilisait ces armes contre les charges d’infanterie ? Là, le résultat se révéla concluant : outre de provoquer des carnages, l’arme avait un fort impact psychologique. Les canons à balles ne purent cependant empêcher la défaite, à chaque fois vaincue par l’artillerie prusse nettement supérieure en nombre et qualité. Mais les Allemands craignaient tant l’arme qu’ils s’en firent remettre de nombreuses après la guerre pour les étudier.

Le canon à balles Reffye

Dans les décennies qui suivirent, plus personne ne remit en cause l’intérêt de disposer d’une arme à très grande cadence de tir. Gatling améliora son propre modèle, et Sir Hiram Maxim, britannique d’origine américaine, inventa la mitrailleuse Maxim, qui devint le prototype des mitrailleuses modernes monotubes.
Quant au concept de la mitrailleuse Montigny, il s’avéra une impasse technologique : l’arme était lourde, car chaque balle nécessitait son propre canon. Ainsi, si on voulait accroître l’autonomie de tir, il fallait augmenter d’autant le nombre de canons, et donc le poids de l’arme. Le concept n’eut donc aucun descendant après la mitrailleuse De Reffye.

Il n’empêche : les Belges sont bien les premiers en Europe à s’être équipés en mitrailleuses. Et si l’idée d’un Belge armé d’une Montigny ne vous effraie pas, c’est sans doute car vous l’imaginez ayant consommé de nombreuses bières avant.

Ainsi, les Belges du 19e siècle font honneur à leurs lointains ancêtres : il ne valait mieux pas s’opposer à leur envie d’indépendance. Et nous verrons que ceux du 20e siècle s’avéreront aussi redoutables dans un prochain article.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_belge

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Muette_de_Portici

https://fr.wikipedia.org/wiki/Campagne_des_Dix-Jours

https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_la_citadelle_d%27Anvers_(1832)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mitrailleuse_Montigny

Sources des images : Wikipédia

Jules Brunet

Le « dernier samouraï » était français

Vous avez peut être vu « Le dernier samouraï », ce film où Tom Cruise incarne Nathan Algren, un soldat américain parti entrainer les troupes japonaises, qui se retrouve prisonnier de samouraïs révoltés, et qui finit par se convertir à leur vision du monde et les rejoint dans leur dernier combat. Que vous l’ayez visionné ou non, cela n’a pas d’importance : sachez juste que cette histoire est inspirée de faits réels. Mais le « dernier samouraï » n’était ni petit, ni américain, mais … français.
Nous n’allons pas entrer dans le détail des erreurs historiques du film (il y en a d’autres, mais ce n’est pas mon rôle de les disséquer … pas pour l’instant). Mais aujourd’hui, je vais vous raconter l’histoire de Jules Brunet (puisque c’est le nom de notre héros), capitaine de l’armée française, qui s’est retrouvé à combattre dans l’Empire du Soleil Levant, et pas pour son pays natal.

Le Japon au milieu du XIXe siècle

Depuis presque 2 siècles, les autorités japonaises ont ordonné une politique d’isolement nommée Sakoku. Si les échanges avec le reste du monde ne sont pas complètement annulées, ils sont en tout cas fortement contrôlés. Mais les tout jeunes Etats Unis décident que bon, ça suffit maintenant, tu vas ouvrir ton marché ou sinon on t’ouvre les chakras à coups de canons. Subtil. Ils envoient donc le commodore Perry avec une flotte de 4 canonnières, armées de canon type Paixhans (qui tirent des obus explosifs). Celui ci débarque, et exige que le pays s’ouvre au commerce mondial, sous peine de voir des obus tomber un peut partout. Les Japonais n’ont alors aucun moyen équivalent, et le coup de force marche : sans combat, les autorités japonaises acceptent de se soumettre aux exigences. Il s’agit de l’épisode dit des navires noirs (et non, rien de raciste ; les Occidentaux badigeonnaient la coque de leurs navires de poix, qui leur donnait une couleur noire ; du coup, les Japonais appelaient tous les navires occidentaux par ce sobriquet).
Suite à cela, le Japon se retrouve à signer des traités avec les Etats Unis, mais également des pays européens, dans la lignée des traités inégaux (dans le sens que pas très favorables aux japonais quand même). Et notamment, en 1858, le traité Harris, appelé pompeusement « traité d’Amitié et de Commerce ». Un siècle plus tard, on constatera qu’une amitié obtenue par la force des canons est, étrangement, peu fiable …

A cette époque, le Japon possède un empereur, mais il est surtout là pour faire joli : sa vocation est essentiellement religieuse, même si en tant que seigneur, il possède des terres et des troupes, ainsi que des partisans. Le pouvoir (notamment militaire) est dans les mains du « shogun », même si là encore il est loin d’être tout puissant : son autorité est surtout lié à la fidélité de ses vassaux, façon féodale.
Avec la signature des traités inégaux, la révolte gronde : le peuple n’est pas très content qu’on s’humilie comme ça devant les occidentaux. Le shogun du moment, Tokugawa Yoshinobu, comprend qu’il va falloir réagir, surtout vu ce qu’il s’est passé avec la Chine. Il décide de moderniser son pays, quitte à demander l’aide de pays étrangers (les mêmes qui l’ont menacé). Etats Unis, Russie, Pays Bas, préfèrent rester neutres. Mais l’ambassadeur de France, Léon Roches, aimerait bien aider le shogun. Il parvient à convaincre Napoléon III (qui cherche encore à renforcer la France à l’internationale) d’envoyer une mission militaire. Son objectif : entrainer les troupes shogunales aux techniques de guerre moderne.

Le shogun Tokugawa, en uniforme français


Est donc constituée la mission militaire française au Japon (astucieusement appelée ainsi car elle concerne des militaires français envoyés au Japon). Elle est dirigée par le capitaine Jules Chanoine, et comprend dix sept membres (chef compris), issus des différents corps de l’armée : infanterie, cavalerie, artillerie et génie. Parmi eux, Jules Brunet, lieutenant au régiment d’artillerie à cheval, et qui sera donc instructeur pour l’artillerie. La mission part de Marseille le 19 Novembre 1866 et arrive à Yokohama le 13 janvier 1867. Ils sont de suite bien reçus, et commencent le travail de formation avec un grand professionnalisme.

La mission militaire française au Japon, avant son départ ; Chanoine au milieu, Jules Brunet 2e assis à droite

Lieutenant Jules Brunet

Mais intéressons nous donc davantage à notre sujet du jour. Qui est le lieutenant Jules Brunet ? Fils d’un vétérinaire de l’armée, né en 1838, il commence une brillante carrière militaire. Sorti 4e de la promotion 1861 de l’École d’application de l’artillerie et du génie, il prend part à l’expédition mexicaine, et à son retour reçoit la Légion d’Honneur (à une époque où on l’attribue pas au premier pékinois venu), et finit par rejoindre le régiment d’artillerie de la Garde Impériale. A moins de 30 ans, c’est pas mal.
Il rejoint la mission militaire au Japon. Et là, il impressionne. C’est un plutôt bel homme (selon les standards de l’époque), de grande stature : il mesure 1m85 ( ce qui est déjà pas mal pour l’époque, mais pour un japonais, cela signifie qu’il a une taille relative de 3m14).

Jules Brunet à son arrivée au Japon

Il s’exprime bien, autant à l’oral qu’à l’écrit, et c’est un amateur d’arts. Par exemple, il dessine fort bien et va faire tout un tas de croquis de son voyage au pays du Soleil levant, ce qui fera de lui le premier mangaka français connu. Bref, il en jette, ses camarades samouraïs l’apprécient, et réciproquement, il tombe sous le charme de son pays hôte.
L’entrainement se déroule bien, pendant un peu plus d’un an, donnant naissance notamment à une unité d’élite, le Denshūtai.

Soldat des troupes shogunales, peinture réalisé par Brunet lui même

La guerre de Boshin

Mais la situation commence à sentir le sushi périmé pour le shogun. Les clans favorables à l’Empereur commencent à lui mettre grave la pression, le poussant à démissionner en faveur dudit empereur. Ce que Tokugawa Yoshinobu finit par consentir : fin 1867, il abandonne ses fonctions, qui de fait reviennent à l’empereur Meiji. Un nouveau gouvernement composé de seigneurs doit se mettre en place, et l’ancien shogun espérait en fait en prendre la tête. Sauf qu’en fait non : au bout d’un moment, on lui dit clairement que tu es bien mignon, mais tu vas prendre ta retraite. Passons sur les détails : honneur du guerrier et coups de geishas dans le dos finissent par déboucher sur une bonne grosse guerre civile. L’ancien shogun prend les armes et rallie ses partisans, pour aller trucider du soutien impérial. C’est ainsi que commence une énième guerre civile japonaise : la guerre de Boshin.


Rapidement, elle tourne en faveur du camp impérial. Mais comment cela se fait il ? Et bien si les troupes du shogun ont été modernisées par la France, les clans favorables à l’empereur ont trouvé également un soutien occidental. Et qui pourrait bien ainsi chercher à mettre des bâtons dans les roues des alliés des Français ? Qui si ce n’est le Royaume Uni bien entendu ! (l’Allemagne n’existant pas encore à cette époque) En effet, nos braves britanniques ont, officieusement, armés et entrainés les partisans impériaux, tant et si bien que leurs troupes parviennent à prendre le dessus.
Les troupes entrainés par les français (notamment le fameux Denshūtai) font preuve de réelles compétences, mais malgré tout perdent du terrain. Et vers la fin de l’année 1868, elles doivent abandonner l’ile de Honshu (la principale des 4 îles japonaises), pour se replier sur Hokkaido.
Maintenant que l’Empereur a pris un sérieux avantage, la missions française est dans l’embarras. Le pays ne souhaite pas s’aliéner celui qui apparait comme le futur vainqueur, et donc ne s’implique pas plus avant. Le destin de la mission est scellé par un décret impérial (nouvelle autorité légale je rappelle) : ordre lui est donné en Octobre 1868 de quitter le pays.

Brunet fait de la résistance

Les troupes dont elles avaient la charge sont en retraite, le gouvernement légitime du Japon leur demande de partir : la situation de la mission militaire française devient intenable. Ils commencent à plier bagages pour retourner en France. Mais là, Jules Brunet décide que non : il ne rentrera pas. On ne laisse pas tomber ses gros, sacrebleu ! Pour être précis, il veut continuer à « servir la cause française en ce pays », et ce en n’abandonnant pas les soldats qu’il a formés, et déclare : « j’ai décidé que devant l’hospitalité généreuse du gouvernement shogunal, il fallait répondre dans le même esprit ». Bref, il veut rester, et pour ne pas causer d’ennuis, il donne sa démission … mais son chef, le capitaine Chanoine, la rejette. Du coup, il se retrouve dans une situation un peu complexe : officier de l’armée française, il prend part à un conflit où son pays est pourtant neutre. Diplomatiquement, c’est délicat, voire carrément merdique.


Les autorités militaires vont finir par le mettre en congé sans soldes, mais seulement en Février 1869, et sans le rayer de la liste des armées. Par ailleurs, on l’autorise à rester, mais en tant que particulier et non plus militaire français. Quatre de ses camarades de la mission française vont faire de même, et 5 autres officiers français présents au Japon. Ce n’est donc plus un seul individu, mais tout un petit groupe de Français qui se bat aux côtés du Shogun, et qui bénéficie d’une neutralité quasi bienveillante de leurs supérieurs. Ils rejoignent Hokkaido avec les forces shogunales en retraite.
Sur l’ile, la république indépendante d’Ezo est constituée (par d’anciens samouraïs … notez l’ironie), et se prépare à continuer la lutte. Jules Brunet devient conseiller militaire auprès du nouveau ministère de la guerre, et continue la formation des nouveaux soldats recrutés. Mais au printemps 1869, les troupes impériales lancent l’assaut, largement supérieures en nombre et puissance de feu. La guerre de Boshin s’achève par la dissolution de la toute jeune république.
Pour les Français, c’est un peu la loose, leur camp vient de perdre. Et les autorités françaises sont inquiètes : à vrai dire, il parait que les traditions nipponnes sur les prisonniers ne sont pas des plus joyeuses. Ils parviennent à récupérer les expatriés in extremis, à bord du navire le Coëtlogon, qui se charge de les ramener sur le territoire national.

Gros yeux, et on passe à autre chose

A la fin du conflit, la France envoie ses félicitations à l’empereur Meiji, victorieux, pour avoir rétabli l’ordre dans son pays, et si on pouvait oublier le reste et partir sur de nouvelles bases, ce serait tip top. Quant à Jules Brunet, on refuse de le rendre : on promet aux Japonais qu’on va le punir … En fait, une fois rentrée à Paris, on lui fait les gros yeux. Il reçoit un blâme et il est radié de l’armée d’active, sanction approuvée par Napoléon III lui même. On fait courir le bruit qu’il a été sévèrement puni et renvoyé, du coup l’empereur japonais est content et se déclare satisfait …
Sauf qu’en fait, il n’est pas tout à fait puni. Officieusement, il n’a pas été désapprouvé, on lui demande juste de rester discret quelques temps, histoire que les choses s’arrangent avec les nouvelles autorités. De fait, s’il n’exerce plus de commandement militaire, il devient directeur adjoint de la manufacture d’armes de Châtellerault ; autrement dit une belle planque. On « oublie » de mentionner cette nomination dans le journal officiel (c’est ballot dis donc !). Peu de temps après, il se marie, et son témoin n’est personne d’autre que son ancien chef, le capitaine Chanoine. Bref, on l’a caché sous le tapis pour ne pas être trop gênant, mais il n’est pas vraiment puni.
Par la suite, sa vie sera plus « calme ». Il est rappelé lors de la guerre franco prussienne de 1870, en tant que capitaine d’artillerie. Il est fait prisonnier, puis libéré pour assurer la répression de la Commune de Paris. Sous la IIIe République, il continue une carrière honorable, attaché militaire, bref passage comme chef de cabinet du ministre de la guerre, son vieil ami Chanoine ; il finira tout de même général de division.

Les premiers pas d’une longue relation

En France, l’épopée de Jules Brunet sera vite oubliée, dans les affres de la chute du Second Empire, les difficultés de la Troisième République et le revanchisme. Mais au Japon, on se souvient de lui. Le pays a effectivement connu une transformation extraordinaire sous le règne de l’empereur Meiji, qui aboutit à la naissance d’une puissance asiatique pouvant rivaliser avec les Européens. Modernisation qui permet une victoire face à une Chine en pleine décadence. Le Mikado (autre titre de l’empereur, et non un biscuit chocolaté) se souviendra des efforts de la mission militaire française comme étant une des premières pierres de cet édifice. Et reconnaissant, il accordera le 11 Mars 1895 le titre de « grand officier du Trésor sacré du Mikado » à Jules Brunet (une sorte de légion d’honneur). Le même Brunet qui l’a affronté : reconnaissons le, l’empereur Meiji est quand même peu rancunier (même si ça a pris trente ans).

Cet épisode a t il entaché les relations franco-japonaises naissantes ? Il semblerait que non ; peut être même à l’inverse, le sens de l’honneur de cet « étranger » a marqué les esprits nippons, et favorisé l’émergence d’une solide coopération (mais cela je ne peux que le supposer, pas l’affirmer). Après la guerre de Boshin, qui consacre son ascension, le jeune empereur Meiji lance une modernisation accélérée de son pays, en faisant appel à des spécialistes étrangers : anglais, allemands, américains, mais aussi français. Et notamment, le développement de la flotte nippone est confié à l’ingénieur naval Louis-Émile Bertin, qui dotera le pays d’une flotte moderne et puissante, à même de vaincre la Chine puis la Russie. Et cet héritage aboutira à la 4e flotte de guerre mondiale en 1940.
Jules Brunet aura donc été un pionner dans les relations franco-japonaises. Et pourtant, son pays l’a largement oublié. Injustice réparée en ce jour (du moins, pour ceux qui auront le courage de lire l’article jusqu’au bout).

Pour aller + loin :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Brunet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_militaire_fran%C3%A7aise_au_Japon_(1867-1868)

Source des images : Wikipédia