Abattre un avion avec un pistolet : c’est possible

Avez déjà joué à un jeu vidéo de tir type « Battlefield » ? Si oui, vous avez probablement essayé de tirer sur un avion avec votre fusil de base ou un pistolet, que cela soit par dépit, fureur meurtrière, ou pour tenter « l’exploit ». Et très certainement avez vous constaté la difficulté de la chose … Impossible ? Peut être pas : puisqu’un pilote de l’US Air Force est bien parvenu à abattre un chasseur japonais, armé d’un simple colt M1911 calibre 45.

Notre histoire se déroule le 31 mars 1943, en Birmanie. A ce moment, l’ancienne colonie britannique est en grande partie occupée par les Japonais. L’US Air Force possède sur le secteur de la 10th Air Force, dont le but est d’opérer depuis l’Inde, et de lâcher des bombinettes sur toute cible d’intérêt stratégique dans la zone. Ce jour ci, c’est le 7th Bombardment Group qui s’y colle, composé de 22 bombardiers lourds B-24 Liberator (un « cousin » des + célèbres « Flying Fortress »). L’objectif est un pont de chemin de fer.

Un B24 Liberator

Sauf que : cette cible se trouve à proximité de bases de chasseurs nippons. Le raid ne sera pas escorté par la chasse alliée (portée insuffisante). Et contrairement aux immenses raids qui opèrent au dessus de l’Allemagne, la formation n’est « que » d’une vingtaine d’appareils, soit un ou deux « box » de bombardiers (souvenez vous : j’ai parlé de cette formation dans l’article suivant : https://perekastor.fr/?p=134). Autrement dit : ça pue.

Et en effet : alors que nos braves bombardiers US n’ont même pas encore atteint l’objectif, voici qu’ils sont attaqués par 13 samouraïs volants, des chasseurs japonais Nakajima Ki-43. Ceux ci s’en prennent couragement à l’arrière de la formation, soit son point faible. Et oui : être un valeureux bushi n’empêche pas d’utiliser sa cervelle pour éviter de prendre des bastos.
L’un des avions américains se prend rapidement deux rafales, dont l’une touche la soute à bombes et le circuit d’oxygène (pour rappel, hautement inflammable).
A bord du malheureux élu, c’est rapidement le chaos : un incendie se déclare à l’arrière de l’appareil. Un des mitrailleurs, le sergent Crostic s’empare d’un exincteur, non pas pour sauver le bombardier, mais gagner assez de temps pour que ses camarades puissent sauter.

L’officier Owen J. Baggett racontera plus tard qu’il s’est réveillé sous son parachute déployé : il a vraisembablement perdu connaissance, avant de sauter. Quoi qu’il en soit, il se réveille juste à temps pour voir son avion exploser au dessus de lui. En + du sien, il n’y a que 3 autres parachutes à proximité, ce qui signifie que les autres membres d’équipage ne s’en sont pas sortis.
Mais alors qu’il vient à peine d’échapper à la mort, voici qu’un autre danger se profile : plusieurs chasseurs japonais commencent à tourner autour d’eux et les harcèlent. Si, sur le front de l’Ouest, certains pilotes de chasse considèrent comme désobligeant d’abattre un pilote en parachute (comme Franz Stigler), les aviateurs du Soleil Levant n’ont visiblement pas de telles scrupules. A noter que, de la même façon, les pilotes japonais n’attendaient pas de « clémence » de la part de leurs ennemis : plusieurs pilotes abattus sur le point d’être « récupérés » par les forces US, ont choisi de se faire sauter à la grenade plutôt que d’être fait prisonniers.


Owen voit un chasseur qui l’aligne et lui envoie une rafale de mitrailleuses. En tirant sur les sangles de son parachute, il parvient à esquiver l’essentiel, si ce n’est une balle qui érafle son bras gauche. Il décide alors de faire le mort, et se laisse pendre afin de donner le change. Mais, prudent, il dégaine également son pistolet, un M1911 (arme de poing très répandue dans les armées de l’oncle Sam). A la base, cette arme est distribuée aux équipages surtout pour s’assurer un minimum d’autodéfense dans le cas où ils seraient abattus, par exemple contre des bêtes sauvages qui infestent les jungles de la région. Mais Owen Baggett, là tout de suite, est un peu à court d’options : c’est la seule arme qu’il a sous la main.
Le chasseur japonais revient, ralentissant au maximum : son objectif est probablement de « vérifier » son coup. Alors qu’il s’approche du parachute, il ouvre la verrière de son cockpit. Owen Baggett, d’un coup se redresse, et pointe son arme : dans un mélange de fureur et de terreur, il tire sur l’appareil adverse 4 coups. Et contre toute attente, l’avion décroche et part en vrille.

Que s’est il passé ? Owen ne le saura pas de suite. Une fois arrivé au sol, il doit encore échapper aux autres chasseurs qui le mitraillent. Il finit par être fait prisonnier avec 2 autres membres d’équipage, et envoyés en camp de prisonniers. Celui ci est traité de façon exceptionnelle, puisqu’on lui offre l’opportunité de pratiquer le seppuku (ce qu’il refuse poliment). Il finit la guerre en camp de prisonniers … et c’est alors qu’il rencontre un pilote de chasse, également prisonnier : le colonel Harry Melton. Celui ci lui raconte qu’un colonel japonais aurait parlé d’un chasseur japonais crashé, dont le pilote aurait été retrouvé avec … une balle dans la tête. Il pourrait bien s’agir de la victime de Baggett. Le colonel meurt hélas dans le naufrage du navire qui devait le conduire au Japon. Bien que fortement affaibli par sa captivité, Owen Baggett survit à la guerre. Il continue sa carrière dans l’US Air Force.

Alors, exploit réel rendu possible par un mélange de volonté de survivre et de chance, ou fiction ? En l’état il reste le seul exemple « authentifié » d’avion abattu en vol par un pistolet. Donc très difficile, oui ; impossible, peut être pas …

Article où j’ai découvert l’anecdote (le site est une vraie mine d’or si vous aimez l’aviation) : https://www.avionslegendaires.net/dossier/recits/le-chasseur-au-colt-45-quand-la-realite-depasse-la-fiction/

Sources des images : Wikipédia

« Incident » de Charlie Brown et Franz Stigler

Souvent, l’Histoire militaire consiste en des individus qui s’écharpent joyeusement à coups d’objets en métal dans la bidoche. Mais parfois, non : d’un coup, les ennemis d’un jour décident que stop, pour cette fois on va passer son tour, et faire preuve de compassion. Nous allons aujourd’hui parler d’un de ces moments, avec l’incident de Charlie Brown et Franz Stigler.

Tout commence par un raid classique de bombardiers

Nous sommes le 20 décembre 1943. Cela fait déjà plusieurs années que Britanniques puis Américains essayent d’expliquer aux Allemands que la guerre, c’est pas bien. Et pour ce faire, larguent de généreuses quantités de bombes sur les usines et les villes allemandes. Si la RAF procède aux bombardements de nuit (c’est plus difficile d’abattre un avion que vous ne voyez pas …), l’USAF pose ses big balls sur la table, et opte pour le bombardement de jour. Cela dit, les commandants n’étant pas des bourrins sans cervelle (si si), ils avaient bien conscience que sans mesures adaptées, les pertes seraient lourdes.
Déjà, les bombardiers n’étaient pas sans défense face aux chasseurs. N’étant pas assez manoeuvrables pour échapper à leurs poursuivants, ils sont équipés de nombreuses mitrailleuses. Par ex., pour le B-17 ce n’est pas moins d’une dizaine de mitrailleuses (entre 11 et 13 selon les versions), installées en tourelles ou sabords, dessus, dessous, devant, derrière, bref partout. Du coup, le bombardier est théoriquement capable de se défendre d’où que provienne l’attaquant (d’où le surnom de « forteresse volante »). Dans les faits, il y a bien quelques angles morts à exploiter, même s’ils se réduisent au fur et à mesure que les ingénieurs US améliorent leur bestiau. De surcroît, ces avions lourds étaient bien protégés : il ne suffisait pas d’une poignée de balles de mitrailleuses pour les abattre, il fallait souvent insister lourdement, tel le drageur sur la plage (avec le même manque de subtilité d’ailleurs), sauf que la demoiselle réplique au calibre 12.7 mm (ce qui serait une solution contre le harcèlement de rue). Et parfois, même avec des trous partout, un ou deux moteurs endommagés, l’avion continuait à voler.

B-17 en formation de vol
Vu de + près, un célèbre B-17, le ShooShooShoo Baby


Mais comme ce n’est pas suffisant, on a l’idée de faire voler les avions en formation, assez rapprochés pour qu’ils se protègent mutuellement, et appelés « box ». Souvent d’une dizaine d’appareils, cela faisait un ensemble compact, comprenant donc une centaine de mitrailleuses couvrant tout azimut. Ainsi, lorsque Hans, brave pilote de la Luftwaffe essaie d’approcher d’un box pour venir chatouiller des B-17, ce n’est plus deux ou trois mitrailleuses qu’il doit affronter, mais une dizaine voire plus, tirant depuis plusieurs angles. Sachant qu’un raid de bombardement comprend généralement plusieurs centaines d’engins, on a vite une idée de l’ampleur du bousin à affronter.

Un exemple de formation dit en « box »

L’idée des stratèges alliés est que, avec un tel potentiel, un raid de bombardement stratégique permettrait toujours de faire passer assez de bombardiers pour provoquer des dégâts considérables. Dans les faits, ça fonctionne, et un tel déploiement de force n’arrivera jamais à être arrêté totalement. Cependant, les pertes sont tout de même élevées : en moyenne, environ 5% de pertes définitives, et + d’avions endommagés. Et c’était davantage en 1942-1943, car les chasseurs alliés n’avaient pas assez d’autonomie pour escorter les bombardiers, qui devaient donc y aller tout seuls … (bon, seuls à plusieurs centaines quand même)
Un équipage US de B-17 devait assurer 25 missions de bombardement avant de rentrer au pays. Je vous laisse donc calculer, avec un taux de pertes de 5%, la probabilité de survivre aux 25 missions. Allez, je suis sympa et je calcule pour vous : environ 28%. Bref, c’est quand même pas super la joie, et il faut reconnaître le sacrifice de ces vaillants équipages.

Brême, ou la première sortie du Ye Olde Pub

Maintenant que vous voyez un peu mieux en quoi consiste un raid de bombardiers, revenons donc au 20 Décembre 1943. Ce jour ci, c’est la ville de Brême qui a gagné à la grande loterie de « on vient raser ton usine et/ou ta maison ». Sans doute pour faire cesser un tapage nocture animalier. Ou bien détruire des usines de fabrication de chasseurs. L’affaire commence mal : la ville est défendue par 250 canons antiaériens lourds, et sans doute de nombreux chasseurs allemands.
Ce raid est la première sortie du « Ye Olde Pub », un B-17 US, commandé par le second lieutenant Charlie Brown. Ce brave Charlie est un fermier de Virginie Occidentale qui, en lieu et place du maïs, doit semer des bombes. Et pour la première mission de l’équipage, ils ont une chance de dingue : ils sont placés sur les bords de la formation, soit la zone la plus vulnérable. Vulnérable au point que les pilotes alliés l’appelent la « purple heart corner » ; la « Purple Heart » étant la décoration remise aux blessés de guerre, voilà qui n’est guère réjouissant.
Le groupe de bombardiers s’approche de sa cible. Avant même le bombardement, le Ye Olde Pub se fait toucher par la flak (les canons antiaériens) : il perd un moteur, et un autre est sévèrement touché. L’avion parvient à larguer ses bombes, mais perd rapidement de la vitesse. Il commence à quitter la formation.
Pour le coup, c’est un peu comme un troupeau de bisons : si un animal quitte la sécurité relative du troupeau et se retrouve isolé, il est fort à parier que les prédateurs vont en profiter pour l’attaquer. Et en guise de prédateurs, le bombardier se retrouve bientôt attaqué par plusieurs chasseurs allemands. Ceux ci lui infligent de nouveaux dégâts : un autre moteur est touché, l’avion n’a plus que 40% de sa puissance initiale ; les systèmes de direction sont endommagés, réduisant la maniabilité ; une partie des mitrailleuses, sans doute mal lubrifiées, sont tombés en panne, il n’y en a plus que 3 de fonctionnelles (dont 2 de la tourelle dorsale, et 1 à l’avant). Ajouter à cela un mort, de nombreux blessés (dont Charlie lui même), et les doses de morphine ont gelées (à cet altitude, il fait -60°C, et il y a des trous un peu partout dans l’avion). Bref, c’est un peu le chaos à bord.

Franz Stigler, le gentleman chasseur

Pendant ce temps, un chasseur allemand se prépare à décoller. Son pilote est Franz Stigler, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas un bleu : il avait déjà 22 victoires à son actif (sachant qu’on est proclamé « as » à partir de 5 victoires). Il avait notamment combattu en Afrique du Nord. Où il a eu pour supérieur un certain Gustav Rödel, qui leur a appris les bonnes manières. Et notamment, ce n’est pas parce qu’on se bat pour les nazis qu’on doit faire n’importe quoi. Il leur avait formellement interdit de tirer sur les pilotes ennemis qui venaient de sauter en parachute (sous peine de les abattre lui même).
Quand Franz arrive au niveau du bombardier, il voit rapidement qu’il n’est plus vraiment en état de combattre ; il parvient même à distinguer les blessés à travers les trous de l’appareil. Il pourrait n’en faire qu’une bouchée. Mais se rappelant les mots de son ancien supérieur, il décide de ne pas achever l’appareil : il confiera par la suite que pour lui, vu l’état de l’engin, c’est comme s’ils étaient sous parachute.
Stigler s’approche, et fait signe au pilote de se poser sur une base allemande, ou bien de se détourner vers la Suède (alors neutre), où son équipage serait soigné et interné jusqu’à la fin du conflit. Cependant, dans le Ye Olde Pub, on ne comprend pas trop ce qui se passe, ni ce qu’il veut dire. Méfiant, Brown fait pointer les mitrailleuses de la tourelle dorsale en direction du chasseur, mais sans tirer : bref, juste lui faire comprendre de ne pas chercher des noises. L’Allemand comprend, et s’éloigne un peu … Mais décide de suivre le bombardier malgré tout, et d’assez près. Pourquoi me direz vous ? Et bien tout simplement pour s’assurer que la DCA allemande n’ouvrirait pas le feu dessus !
C’est donc une drôle d’escorte qui accompagne l’avion étrillé jusqu’à la côte, où il ne subit plus aucune attaque. Une fois la Mer du Nord atteinte, Franz salute une dernière fois l’équipage du bombardier, et fait demi tour.

Le B-17 parvient à retourner jusqu’à sa base. Lors du débriefing, Charlie Brown raconte cet évènement pour le moins inhabituel. Ses supérieurs lui expliquent que bon, c’est original mais il vaut mieux ne pas en parler au reste de l’unité. A vrai dire, ils ont eu peur que ses camarades ne prennent sympathie pour l’ennemi et deviennent moins combatifs. Des années plus tard, Brown déclarera : « Quelqu’un avait décidé qu’on ne pouvait pas être humain et voler dans un avion allemand ».
Quant à Stigler, il évita de parler de cette affaire à sa hiérarchie ; car plus qu’une simple réprimande, il risquait juste le peloton d’exécution.

De gauche à droite : Charlie Brown / Franz Stigler

Mais où est Charlie ? Et Franz ?

Après cet épisode singulier, Charlie Brown et son équipage continuèrent leur service. Il parvient à exécuter les 25 missions prévues, et survécut à la guerre. Par la suite, il rentra aux Etats Unis, puis se réengagea dans l’US Air Force, de 1949 à 1965, et prit sa retraite en 1972. Quant à Stigler, il survécut lui aussi à la guerre. Après celle ci, il émigra au Canada, et devint homme d’affaires.

Notre histoire aurait pu s’arrêter là ; mais elle n’est pas finie ! En 1986, Brown participe à un rassemblement de pilotes vétérans de la 2e guerre mondiale. On lui demande alors de raconter un souvenir marquant de son service. Après quelques instants de réflexion, il raconte cet incident. Et à ce moment, il décide de retrouver ce pilote de chasse allemand qui l’a épargné. Il fouille dans les archives américaines et ouest allemandes ; il publie une lettre dans une revue d’anciens pilotes du conflit mondial. Et quelques mois plus tard, il reçoit une réponse de Stigler, vivant alors au Canada, et qui déclara être ce pilote.
Les deux discutèrent alors par téléphone : Stigler décrivant les évènements (notamment son « salut » à la séparation), Brown eut la confirmation qu’il avait retrouvé le bon pilote. Les anciens ennemis se rencontrèrent alors, en 1990, et devinrent rapidement amis. Amitié qui dura jusqu’à leur mort, en 2008 (à quelques mois d’écart).

Les deux même, quelques décennies plus tard …

Cet « incident » est le sujet de la chanson « No bullets fly » du groupe de métal Sabaton. Même si méconnu, il est un vibrant rappel que même dans un conflit meurtrier, où la haine a été exacerbée de part et d’autre, la compassion prend parfois le dessus.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Incident_de_Charlie_Brown_et_Franz_Stigler

Chanson « No bullets fly » de Sabaton

Sources des images : Wikipédia, domaine public