Abattre un avion avec un pistolet : c’est possible

Avez déjà joué à un jeu vidéo de tir type « Battlefield » ? Si oui, vous avez probablement essayé de tirer sur un avion avec votre fusil de base ou un pistolet, que cela soit par dépit, fureur meurtrière, ou pour tenter « l’exploit ». Et très certainement avez vous constaté la difficulté de la chose … Impossible ? Peut être pas : puisqu’un pilote de l’US Air Force est bien parvenu à abattre un chasseur japonais, armé d’un simple colt M1911 calibre 45.

Notre histoire se déroule le 31 mars 1943, en Birmanie. A ce moment, l’ancienne colonie britannique est en grande partie occupée par les Japonais. L’US Air Force possède sur le secteur de la 10th Air Force, dont le but est d’opérer depuis l’Inde, et de lâcher des bombinettes sur toute cible d’intérêt stratégique dans la zone. Ce jour ci, c’est le 7th Bombardment Group qui s’y colle, composé de 22 bombardiers lourds B-24 Liberator (un « cousin » des + célèbres « Flying Fortress »). L’objectif est un pont de chemin de fer.

Un B24 Liberator

Sauf que : cette cible se trouve à proximité de bases de chasseurs nippons. Le raid ne sera pas escorté par la chasse alliée (portée insuffisante). Et contrairement aux immenses raids qui opèrent au dessus de l’Allemagne, la formation n’est « que » d’une vingtaine d’appareils, soit un ou deux « box » de bombardiers (souvenez vous : j’ai parlé de cette formation dans l’article suivant : https://perekastor.fr/?p=134). Autrement dit : ça pue.

Et en effet : alors que nos braves bombardiers US n’ont même pas encore atteint l’objectif, voici qu’ils sont attaqués par 13 samouraïs volants, des chasseurs japonais Nakajima Ki-43. Ceux ci s’en prennent couragement à l’arrière de la formation, soit son point faible. Et oui : être un valeureux bushi n’empêche pas d’utiliser sa cervelle pour éviter de prendre des bastos.
L’un des avions américains se prend rapidement deux rafales, dont l’une touche la soute à bombes et le circuit d’oxygène (pour rappel, hautement inflammable).
A bord du malheureux élu, c’est rapidement le chaos : un incendie se déclare à l’arrière de l’appareil. Un des mitrailleurs, le sergent Crostic s’empare d’un exincteur, non pas pour sauver le bombardier, mais gagner assez de temps pour que ses camarades puissent sauter.

L’officier Owen J. Baggett racontera plus tard qu’il s’est réveillé sous son parachute déployé : il a vraisembablement perdu connaissance, avant de sauter. Quoi qu’il en soit, il se réveille juste à temps pour voir son avion exploser au dessus de lui. En + du sien, il n’y a que 3 autres parachutes à proximité, ce qui signifie que les autres membres d’équipage ne s’en sont pas sortis.
Mais alors qu’il vient à peine d’échapper à la mort, voici qu’un autre danger se profile : plusieurs chasseurs japonais commencent à tourner autour d’eux et les harcèlent. Si, sur le front de l’Ouest, certains pilotes de chasse considèrent comme désobligeant d’abattre un pilote en parachute (comme Franz Stigler), les aviateurs du Soleil Levant n’ont visiblement pas de telles scrupules. A noter que, de la même façon, les pilotes japonais n’attendaient pas de « clémence » de la part de leurs ennemis : plusieurs pilotes abattus sur le point d’être « récupérés » par les forces US, ont choisi de se faire sauter à la grenade plutôt que d’être fait prisonniers.


Owen voit un chasseur qui l’aligne et lui envoie une rafale de mitrailleuses. En tirant sur les sangles de son parachute, il parvient à esquiver l’essentiel, si ce n’est une balle qui érafle son bras gauche. Il décide alors de faire le mort, et se laisse pendre afin de donner le change. Mais, prudent, il dégaine également son pistolet, un M1911 (arme de poing très répandue dans les armées de l’oncle Sam). A la base, cette arme est distribuée aux équipages surtout pour s’assurer un minimum d’autodéfense dans le cas où ils seraient abattus, par exemple contre des bêtes sauvages qui infestent les jungles de la région. Mais Owen Baggett, là tout de suite, est un peu à court d’options : c’est la seule arme qu’il a sous la main.
Le chasseur japonais revient, ralentissant au maximum : son objectif est probablement de « vérifier » son coup. Alors qu’il s’approche du parachute, il ouvre la verrière de son cockpit. Owen Baggett, d’un coup se redresse, et pointe son arme : dans un mélange de fureur et de terreur, il tire sur l’appareil adverse 4 coups. Et contre toute attente, l’avion décroche et part en vrille.

Que s’est il passé ? Owen ne le saura pas de suite. Une fois arrivé au sol, il doit encore échapper aux autres chasseurs qui le mitraillent. Il finit par être fait prisonnier avec 2 autres membres d’équipage, et envoyés en camp de prisonniers. Celui ci est traité de façon exceptionnelle, puisqu’on lui offre l’opportunité de pratiquer le seppuku (ce qu’il refuse poliment). Il finit la guerre en camp de prisonniers … et c’est alors qu’il rencontre un pilote de chasse, également prisonnier : le colonel Harry Melton. Celui ci lui raconte qu’un colonel japonais aurait parlé d’un chasseur japonais crashé, dont le pilote aurait été retrouvé avec … une balle dans la tête. Il pourrait bien s’agir de la victime de Baggett. Le colonel meurt hélas dans le naufrage du navire qui devait le conduire au Japon. Bien que fortement affaibli par sa captivité, Owen Baggett survit à la guerre. Il continue sa carrière dans l’US Air Force.

Alors, exploit réel rendu possible par un mélange de volonté de survivre et de chance, ou fiction ? En l’état il reste le seul exemple « authentifié » d’avion abattu en vol par un pistolet. Donc très difficile, oui ; impossible, peut être pas …

Article où j’ai découvert l’anecdote (le site est une vraie mine d’or si vous aimez l’aviation) : https://www.avionslegendaires.net/dossier/recits/le-chasseur-au-colt-45-quand-la-realite-depasse-la-fiction/

Sources des images : Wikipédia

Yin Sun-Sin

Imaginez que Jeanne d’Arc et l’amiral Nelson ont eu un enfant caché. Je vous laisse quelques minutes pour digérer l’information, éventuellement faire un tour aux toilettes pour expulser votre déjeuner. C’est bon ? Maintenant, j’ajouterai que ledit enfant est un produit de la méritocratie, que c’était non seulement un amiral de génie mais également un avant gardiste de la construction navale. Et qu’en plus, il était profondément désintéressé, pas rancunier pour un sou, mais un peu bête quand il s’agit de sa propre santé.
Et pour finir, je précise : il était coréen. A ce stade, vous avez compris : ce n’est pas vraiment le bâtard de Jeanne la Pucelle et du cauchemar flottant de De Villeneuve. Racontons donc l’histoire de Yi Sun Sin, l’invincible amiral coréen.

La statue de l’amiral Yi Sun Sin, à Séoul

La jeunesse de Yi Sun-Sin

Yi Sun-sin nait le 28 Avril 1545, à Séoul. Le royaume de Corée est alors un pays prospère, possédant une administration efficace. Ceci constitue déjà un exploit, tant les deux termes forment un puissant oxymore. Prospère ne signifie pas paisible, car des attaques de pirates japonais, ou des incursions de tribus nomades du Nord troublent régulièrement la sérénité de la population. Des fortifications sont établies à la frontière Nord et sur les côtes, et une petite flotte de guerre est formée. Technologiquement, les armées sont à jour, notamment avec une bonne utilisation de la poudre à canon ; la Corée a même inventé l’ancêtre du lance roquettes multiples, avec le hwacha. Bref, tout va bien, ou du moins pas trop mal.
Le petit Yi est le fils d’un fonctionnaire de l’état, et va suivre dans un premier temps les traces paternelles. Il suit des études, passe les concours d’entrée dans la fonction publique, et va gravir un à un les échelons hiérarchiques grâce à son sérieux : le pays a donc non seulement l’ENA, mais également l’ascenseur social … A l’age de 31 ans, il s’engage dans l’armée en tant qu’officier. Il commence sa carrière militaire dans les garnisons qui protègent les fortifications du Nord-Est. Il continue sa progression méritocratique, jusqu’à un poste qui va changer le cours de sa vie – et celle de son pays -, amiral de la flotte du sud, en 1591.

Petite comparaison de stratégie navale : Japon vs Corée

Dès sa prise de fonction, il va s’atteler à préparer ses troupes à une guerre contre l’adversaire le plus probable : le Japon. Comparons les forces navales des deux pays.
De son côté, le pays du soleil levant dispose d’une armada très nombreuse (plusieurs centaines), de navires prévus pour la haute mer, à quille. La principale technique de combat naval japonaise est l’abordage, où les samouraïs aguerris peuvent réaliser des carnages ; les bateaux sont par conséquent taillés pour la vitesse, de façon à s’approcher aussi vite que possible des ennemis, mais pas très maniables. A noter qu’ils disposent cependant de quelques navires fortement équipés en mousquets, une arme à feu recueillie auprès de marchands portugais, puis peu à peu copiée et améliorée par les artisans locaux (comme quoi, le copier/améliorer n’est pas nouveau). Mais de façon générale, la technique reste la même : s’approcher le plus rapidement possible et finir le travail à courte portée.
La Corée quant à elle dispose d’une marine beaucoup plus petite : 24 gros navires, les pan’ok-sòn. Ils sont à fond plat, propulsés par voile et par rames (ces dernières étant plus réservées aux manœuvres et au combat), sont moins rapides mais nettement plus maniables, et surtout parfaitement adaptés aux courants et marées de la côte coréenne. Leur pont supérieur est assez haut, ce qui permet de gêner d’éventuels assaillants. De plus, ces navires sont équipés avec des pièces d’artillerie, canons et lance fusées, de très bonne facture. A cela s’ajoute 80 navires plus petits.


On note donc deux approches opposées : une flotte nombreuse, rapide et axée sur l’abordage et le combat à courte portée, contre une flotte plus petite, mais disposant d’une puissance de feu à longue distance et conçue pour le combat côtier.

Préparatifs pour la guerre

Héritant de cette petite marine bien pensée, le nouvel amiral va encore accroître son potentiel. Il multiplie les entrainements pour aguerrir les équipages, fait entretenir les navires, les fortifications et les arsenaux, procède à des essais sur l’artillerie, bref, pousse à une montée en niveau de façon à compenser l’infériorité numérique par la qualité de ses forces.
Il prépare même un nouveau type de navire : le bateau-tortue (Kòbuk-Sòn). Ce navire – bien connu des joueurs d’Age of Empire II – ne constitue rien de moins que le premier navire cuirassé de haute mer de l’histoire navale. Soit environ 250 ans avant le premier navire occidental du même type. Comme pour le pan’ok-sòn, la propulsion se fait à la voile et à rames ; mais en combat, les mâts sont démontés et rangés dans des compartiments protégés, il est donc impossible de l’immobiliser par démâtage. Le navire s’avère plutôt rapide et très manœuvrable. Mais ce qui fait sa particularité – et lui donnera son nom -, c’est que ses flancs sont blindés, et son pont est entièrement couvert, disposant de nombreuses petites pointes pour empêcher les abordages. Dans ses flancs, plusieurs ouvertures sont percées pour permettre la mise en œuvre de son artillerie (une douzaine de pièces de chaque côté, plus deux pièces en chasse), ainsi que des meurtrières pour les mousquets, fusées et flèches incendiaires. Ce navire est donc un magnifique doigt adressé préventivement aux Japonais.

Le bateau tortue, Kobuk-son dans la langue de Psy

La Guerre d’Imjin

Tous ces préparatifs s’avèrent bien judicieux quand, en Mai 1592, les Japonais attaque le royaume de Corée. Toyotomi Hideyoshi vient de finir d’unifier l’archipel, qui sort tout juste de décennies voire siècles de combats fratricides. Ses adversaires étant encore agités, il se dit que la meilleure façon de les calmer est d’envoyer les guerroyer ailleurs. Et pourquoi pas le riche empire chinois en déliquescence ? Il prépare une expédition colossale : on parle de dizaines de milliers d’hommes (peut être 200 000), soutenus par une flotte de 500 navires de guerre et 700 navires de transport ! Mais il reste un détail : la meilleure route pour envahir la Chine passe par la Corée. Il envoie donc un message courtois au roi coréen pour lui demander l’autorisation de passer chez lui avec des milliers d’hommes en armes, pour aller faire la guerre plus loin, svp vous seriez bien aimable. Sauf que ledit roi étant techniquement le vassal de l’empereur chinois, et sentant bien que toute cette affaire est louche quand même, refuse, toujours aussi poliment.
Le Japonais se dit que bon, finalement on va se passer de son autorisation, et va en profiter pour envahir la Corée : cette épisode sera connue plus tard sous le nom de Guerre d’Imjin. Si les Coréens ont inventé plein de choses très modernes, les Japonais vont montrer qu’ils ne sont pas en reste, pratiquant une véritable « Blitzkrieg » sur la pauvre péninsule : ils débarquent fin Mai sur la côte, capturant les fortifications, et 3 semaines plus tard ils sont déjà à la capitale Hanyang, proche de l’actuelle Séoul ! (Si vous ne connaissez pas la géographie coréenne, dites vous que Pusan, la ville du débarquement, et Séoul sont distantes d’environ 300 kilomètres). L’armée coréenne, moins nombreuse et prise au dépourvu, se fait rouler dessus. Dès lors, l’occupant fait ce que fait tout bon occupant, à savoir piller les vivres, les biens, les habitants emmenés en esclavage. Tout ce qu’il reste comme force combattante à la pauvre Corée, c’est sa marine.

La flotte japonaise à l’assaut de Pusan

Contre attaque navale et bataille de Sacheon

Et que fait donc notre amiral Yi ? Il réagit promptement, attaquant de suite le talon d’Achille du dispositif japonais : ses lignes de ravitaillement, passant par la mer. Il pratique le harcèlement sur les navires de transport qui s’occupent de ravitailler les forces d’invasion. Il attaque de petits groupes, réduisant peu à peu la supériorité numérique, et refusant le combat lorsqu’il ne lui est pas favorable.
L’une de ses premières grandes victoires est la bataille de Sacheon, le 29 Mai 1592. Il craint une attaque sur sa base de Yeosu, et emmène donc son escadre (dont un bateau tortue) au contact des Japonais, à Sacheon. Là, il constate qu’une douzaine de grands navires de guerre japonais, ainsi que de nombreux autres plus petits, sont ancrés dans le port. Il ne veut pas risquer de s’approcher de la ville, car celle ci est dominée par une haute falaise d’où les Japonais pourraient ouvrir le feu avec des mousquets. Il préfèrerait un affrontement au large, et il décide donc de provoquer les occupants : il fait un demi tour avec sa flotte, feignant une retraite (et montrant peut être son postérieur par la même occasion). Et cela marche admirablement, puisque les douze bateaux japonais se mettent à leur poursuite.
Une fois bien éloigné de la côte, Yi profite de la manœuvrabilité excellente de ses navires pour leur faire effectuer un brusque virage, et commence alors aussitôt un tir de barrage sur les poursuivants : ceux ci sont un peu surpris et décontenancés, mais ils décident de quand même tenter la partie. Et la partie aurait pu mal tourner pour les Coréens, l’amiral se prenant un tir d’arquebuse ; heureusement la blessure est superficielle, Yi continue de commander son escadre. Rapidement, les Japonais sont en difficulté, à force de se manger des projectiles divers dans la tête. La situation s’aggrave lorsque le fameux bateau tortue pénètre la ligne japonais, tirant dans tous les sens. Rappelons que le navire ne peut être abordé, et qu’il est virtuellement invulnérable à toutes les armes japonaises. Autant dire que l’affaire est pliée en quelques heures, résultats du match : tous les navires japonais sont coulés pour 4 blessés graves côté coréen, plus l’amiral Yi blessé au bras.
Ce premier affrontement « classique » sera emblématique de la stratégie de Yi : il choisit le lieu de l’affrontement et pousse son ennemi à y aller ; il utilise la meilleure manœuvrabilité de sa flotte ainsi que sa puissance de feu à longue portée pour harasser l’adversaire, sans lui laisser le temps de lancer des abordages ; et si on ne peut engager le combat dans une situation favorable, alors on renonce.

Défaites japonaises en série

La suite va être du même acabit. A la bataille de Dangpo, le 2 Juin, il attaque une flotte au mouillage, détruisant notamment un navire amiral japonais, et tuant son commandant. Puis à la bataille de Danghangpo, c’est une autre flotte japonaise, qui venait secourir celle de Dangpo qui va subir la fureur de Yi, perdant un autre navire amiral. A chaque fois, le résultat est le même : tous les navires japonais sont détruits (une vingtaine à chaque fois), pour des pertes minimes (pas de navire coulé) côté coréen. Et ce en l’espace d’à peine une semaine, pour un amiral nommé depuis un an.
Côté japonais, on commence à transpirer : si la route maritime est coupée, le projet d’invasion risque de tourner court. Toyotomi Hideyoshi fronce les sourcils : il ordonne à ses amiraux de s’occuper de cette embêtante flotte coréenne qui l’empêche d’envahir comme il veut. Le projet est simple : réunir les trois principales flottes japonaises, partir à la recherche des escadres coréennes et les couler grâce à leur supériorité numérique.
Du côté coréen, on prend conscience également que les escarmouches sont finies, et qu’une grosse bataille navale va devenir inévitable : les différentes flottes se regroupent également, mais bien plus vite que les japonais. Avec ses homologues, Yi met au point une nouvelle formation. Si jusqu’à présent, les navires coréens se battaient en ligne, voire en manœuvres circulaires (ce qui permet d’ouvrir le feu aisément tout en gardant ses distances), il envisage une nouvelle formation, nommée « aile de grue ». La ligne de navire prendrait la forme d’un « U », avec au centre les navires les plus lourds, et sur les flancs des navires légers et rapides ; chaque extrémité étant renforcée par un bateau tortue pour constituer un appui lourd. L’ensemble a effectivement une allure de l’oiseau étendant ses ailes vers l’avant. Les navires ennemis viendraient s’enfermer à l’intérieur du U en tentant l’abordage, seraient encerclés et subiraient un feu nourri venant de plusieurs directions, avec des possibilités de fuite très faibles. Si sur le papier, c’est simple et audacieux, cela risque de s’avérer plus compliqué en pratique, car les équipages ne maîtrisent pas cette formation ; la flotte combinée s’exerce alors autant que faire ce peu.
Début Juillet, Yi apprend que l’une des trois grandes flottes japonaises a pris la mer, commandée par un certain Wakisaka Yasuharu, et attend le renfort des deux autres. Il est conscient qu’il vaut mieux l’attaquer avant qu’elle ne soit rejoint par les 2 autres, et il utilise alors sa bonne vieille technique de l’appât : au matin du 8 Juillet, il envoie 6 pan’ok-sòn montrer leur poupe luisante aux navires japonais. Ceux ci ne réfléchissent pas longtemps, et foncent à leurs poursuites avec leurs 73 navires. Ils traversent le détroit de Gyeonnaeryang (ne me demandez pas comment ça se prononce, la dernière fois que j’ai essayé il y a eu 2 personnes évanouies). C’était le plan de l’amiral Yi : pendant que les Japonais poursuivaient les navires pièges, la flotte combinée se déployait à la sortie du détroit en formation aile de grue. Voyant cela, l’amiral japonais décide de … charger le centre de la formation. C’était exactement ce qu’escomptait Yi : rapidement, les navires japonais se font harceler de toutes parts, subissant un tir continu. Si les marins japonais parviennent bien à réaliser quelques abordages, il s’agit de navires déjà bien endommagés, et ne peuvent changer le cours de la bataille. Plusieurs capitaines se font tuer, un autre se donne la mort, et l’amiral Yasuharu quant à lui prend la fuite, abandonnant son navire trop endommagé et montant à bord d’un petit navire. Le bilan est sans appel : les Japonais perdent 59 navires (dont 12 capturés), et environ 8 000 morts ; plusieurs navires survivants sont en si mauvais état qu’ils finiront par s’échouer peu après. Quant aux Coréens, on ne connait pas leurs pertes exactes mais elles sont faibles.

Paix et complots

En 1 mois, l’amiral Yi vient de mettre en péril tout le plan d’invasion japonais : si ceux ci sont largement victorieux sur terre, leur ravitaillement maritime menace d’être coupé. Par ailleurs, la résistance côté coréen commence à s’organiser, et la Chine vient d’envoyer une armée pour assister son vassal. Les Japonais sont donc en difficulté … mais finalement, les Chinois n’ont pas vraiment envie de se battre non plus. Ils tentent de négocier, voir si y’a moyen de s’entendre avec les Japonais pour se partager la Corée. Après un refus, la guerre reprend, les troupes nippones sont repoussées de la capitale, et ne gardent que quelques forteresses sur la côte Sud.
Une trêve est ensuite décidée, et on essaie de voir si y’a moyen de moyenner. Sans demander l’avis des Coréens bien entendu. Pour faire simple : les négociations échouent, chacun jouant double jeu et ne voulant pas vraiment faire de concession. Finalement, en Juin 1597, les Japonais re-débarquent, avec une force imposante de plus de cent milles hommes, et une flotte conséquente.
L’amiral Yi, de son côté, s’est vu attribuer la défense de l’ile de Han-san, au Sud de la péninsule, en + de ses fonctions d’amiral. Les amiraux japonais ayant appris à le craindre (à juste titre), ils tentent une fourbe manœuvre pour le destituer (comme quoi, les peuples insulaires seraient ils des fieffés coquins par nature ?). Le plan s’articule en deux temps :
– d’un côté, ils lui tendent un piège
– de l’autre, un agent double signale au commandement coréen la présence de cette flotte, et la nécessité de l’intercepter, de préférence par le redoutable amiral ; le roi coréen finit par recevoir le message, et ordonne à Yi d’intervenir
Mais ce dernier n’est pas né de la dernière pluie : il sent le piège, et à raison. Il refuse donc d’envoyer sa flotte au massacre. Ce qui est une décision raisonnable, puisque piège il y a.
Sauf que : l’amiral Yi a connu beaucoup de succès. Et donc, forcément : il est jalousé par de nombreux courtisans, un peu gonflés de voir un petit fonctionnaire avec tant de réussites recevoir tous les honneurs. Là, il vient de refuser un ordre d’engager le combat : on le fait donc passer pour un lâche et un incompétent. Le roi, suivant ses conseillers, demande un jugement en cour martial. Yi aurait pu rester sur son île d’Han-San, mais loyal à son pays, il accepte de se constituer prisonnier. Il est incarcéré, torturé et condamné. Il échappe à la peine de mort pour ses états de service (encore heureux !), mais il est rétrogradé au rang de simple soldat. Bref, grâce à la jalousie de quelques courtisans incompétents et une fourberie japonaise, le meilleur amiral coréen est neutralisé.

Quand Yi n’est pas là, rien ne va

A sa place, on nomme l’amiral Won Gyun, qui a combattu avec Yi lors de la première invasion. Si celui ci sent également le piège, il obéit et s’y précipite. Et ce qui devait arriver arriva : les Coréens se prennent une branlée ; c’est la bataille de Chilchonryang. Ils chargent les Japonais, qui finissent par les attaquer à courte portée. Rapidement les Coréens perdent des navires, tentent de s’enfuir, débarquent sur des îles contrôlées par les troupes japonaises, se reprennent une branlée, retournent en mer, se font de nouveau aborder …
Le résultat est sans appel : les Coréens ont engagé presque toute leur flotte, soit 170 navires ; seuls 12 navires en réchappent, quand au début de la bataille, un capitaine Bae Seol se dit que bon, c’est foutu, et fait judicieusement demi tour (notez bien, c’est important pour la suite). Et du côté des Japonais ? Il faut noter qu’ils ont engagé dans les 500 navires, et n’ont subi que des pertes légères. La supériorité numérique était tout de même réelle.

Le retour du Jedi Yi : le miracle de Myong-Yang

Du côté de la cour coréenne, on se dit que finalement, peut être que Yi avait raison … On le rétablit donc amiral. Sauf que de marine, il n’y en a quasiment plus : tout ce qu’il reste, ce sont les 12 navires qui ont fait demi tour avant la bataille + 1 qui trainait ailleurs. Que va t il faire dans cette galère ? Parce que là, y’a quand même une invasion japonaise à arrêter !
Pour compenser un rapport de force très défavorable, Yi décide d’exploiter au mieux le terrain … et comme lieu de la prochaine bataille, il choisit le détroit de Myong-Yang. Ce détroit présente plusieurs particularités : il est très étroit, ce qui obligera les Japonais à s’avancer en petits groupes (réduisant leur avantage numérique) ; les navires coréens pourront se cacher de l’autre côté, leurs ennemis ne les verront que tard ; et la passe subit des courants très forts – jusqu’à 10 noeuds – qui s’inversent selon les marées.
Le 26 Octobre au matin, la flotte nippone s’avance vers le détroit pour le franchir. + de 300 navires, dont plus d’une centaine de navires de guerre. L’avant garde pénètre la passe, avec une marée favorable, et à la sortie, se fait fraîchement accueillir par l’artillerie des bateaux coréens. Le barrage est si dense que les Japonais ne peuvent avancer, et commence à perdre de nombreux navires. Autre coup du destin : les Coréens repêchent le corps du commandant de la flottille japonaise, et utilisent immédiatement sa tête en guise de figure de proue, ce qui crée un petit émoi parmi ses anciens subordonnées, soudain moins motivés.
Mais les mauvaises nouvelles ne sont pas finies pour nos pauvres bateaux du shogun : avec le changement de marée, les courants s’inversent. Les navires commencent à refluer en désordre, certains se percutent, ajoutant au chaos ambiant. Voyant la formation ennemie se disloquer, les Coréens chargent, ouvrant un feu toujours nourri sur une formation compacte (et donc facile à cibler). Comprenant qu’ils n’arriveront à rien, les amiraux japonais survivants décident de faire demi tour.
Le score est sans appel : 31 navires coulés, 92 perdus, entre 8 000 et 12 000 morts ou blessés (beaucoup de noyés, les forts courants empêchant les naufragés de rejoindre la terre ferme). Et du côté coréen : 2 morts, 3 blessés. Soit un rapport de pertes de 1 pour 1 600 ! Rares sont les généraux à avoir fait mieux, surtout avec un rapport initial aussi défavorable (1 contre 10).

Les Japonais rentrent chez eux … ou pas

Après la lourde défaite infligée à la marine coréenne à Chilchonryang, le commandement du pays du soleil levant pensait pouvoir ravager le continent tranquille, avec un renfort constant venant de l’archipel. Cette nouvelle défaite imprévue vient complètement changer les plans : cette fois ci, il parait évident que se maintenir sur cette péninsule si hostile est impossible, ne parlons même pas d’envahir la Chine ! Cette fois, c’est décidé : les samouraïs et leurs troupes rentreront à la maison.
Sauf que Yi, lui, n’est pas d’accord. Qu’est ce que c’est que ses envahisseurs qui pensent pouvoir tout piller et rentrer chez eux comme ça ? Alors que la flotte japonaise se regroupe pour évacuer autant d’hommes que possible, il leur réserve une dernière « petite » blague comme il sait si bien les faire. L’ennemi s’apprête à forcer le blocus de Sucheon, une forteresse côtière tenue par les Japonais, avec une flotte de 500 navires, comptabilisant environ 20 000 hommes.
Au courant de la manœuvre japonaise, arrivant à l’Est du détroit de No Ryang, Yi fait voile avec une flotte coréenne reconstituée, plus une flotte chinoise venue en renforts. Environ 150 navires du côté des deux alliés, contre 500 de l’autre. Encore une fois, Yi se battra en infériorité numérique. Il attend les Japonais à l’Ouest du détroit.
Et l’histoire se répète : le manque de place oblige les navires nippons à avancer par petits groupes, faisant des cibles faciles pour l’artillerie sino-coréenne, et sont incapables de répliquer à longue portée. Rapidement, les Japonais sont en difficulté. Mais le commandant chinois, l’amiral Chen Lin, pense qu’ils sont en déroute et poussent ses navires au contact : rapidement il se retrouve en difficulté, alors que les arquebusiers japonais peuvent ouvrir le feu, et les troupes monter à l’abordage. Yi est obligé de faire intervenir sa propre flotte pour les sortir de ce mauvais pas. Finalement, les Japonais perdent plus de la moitié de leurs bateaux.

Représentation d’un combat naval de la guerre d’Imjin


Alors que les survivants sont en fuit, Yi Sun-Sin ordonne la poursuite, histoire de leur faire comprendre que revenir ne sera pas une bonne idée. Et c’est à ce moment qu’il reçoit un tir d’arquebuse. Celui ci lui sera fatal ; alors qu’il sait sa dernière heure proche, il demande à ses proches : « La bataille est à son paroxysme, n’annoncez pas ma mort ». Son corps est emmené dans sa cabine, afin que la nouvelle ne se répande pas. Une fois la débâcle japonaise achevée, l’information se répand parmi les équipages, qui pleurent la mort de leur admiré amiral. Malgré la mort de leur Némésis, les Japonais ont compris la leçon, et rentrent chez eux (enfin, ceux qui sont encore vivants), et ne retenteront pas l’invasion de cette irritante péninsule de sitôt. La Corée est sauvée, mais le prix à payer est lourd : des milliers d’artisans sont emmenés en esclavage, les campagnes sont ravagées, les infrastructures détruites.

Un héros national

Quant à Yi Sun Sin, il est célébré en héros par tout le pays. Son corps est brûlé dans son village natal, alors que des sanctuaires sont édifiés à travers sa patrie qu’il a protégé avec tant de génie. L’amiral chinois Chen Li, qui a combattu avec lui, lui rend également hommage. Même les Japonais reconnaissent la vaillance de cet adversaire qui a su les tenir en échec dans les pires conditions, et il devient la divinité officielle de la flotte impériale japonaise, rien que ça ! (et ce jusqu’à la fin du 19e siècle, où ils font un retour, triomphant cette fois ci, dans la péninsule)
Méconnu en Occident, l’amiral Yi est une figure extrêmement populaire en Corée, où il est encore célébré comme un héros, fondateur du roman national. De nombreuses œuvres lui sont dédiés, séries, films, ainsi que dans les jeux vidéos (dont Age of Empire II, où une campagne portant son nom est présente dans l’extension « The Conquerors »). La comparaison du début, portée en boutade, est bien réel : ce serait l’équivalent d’une Jeanne d’Arc française ou d’un Nelson anglais. Sauvant son pays d’un ennemi vu comme très supérieur, il finit par entrer dans l’imaginaire national. A l’instar d’un Nelson, il meurt lors d’une bataille ; et comme une Jeanne d’Arc, il finit sur un bûcher (mais les Coréens ont la décence d’attendre qu’il soit mort avant).

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yi_Sun-sin
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Imjin
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Sacheon_(1592)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Dangpo
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_l%27%C3%AEle_Hansan
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Chilchonryang
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Myong-Yang
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_No_Ryang
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panokseon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bateau_tortue

Sources des images : Wikipédia

Jules Brunet

Le « dernier samouraï » était français

Vous avez peut être vu « Le dernier samouraï », ce film où Tom Cruise incarne Nathan Algren, un soldat américain parti entrainer les troupes japonaises, qui se retrouve prisonnier de samouraïs révoltés, et qui finit par se convertir à leur vision du monde et les rejoint dans leur dernier combat. Que vous l’ayez visionné ou non, cela n’a pas d’importance : sachez juste que cette histoire est inspirée de faits réels. Mais le « dernier samouraï » n’était ni petit, ni américain, mais … français.
Nous n’allons pas entrer dans le détail des erreurs historiques du film (il y en a d’autres, mais ce n’est pas mon rôle de les disséquer … pas pour l’instant). Mais aujourd’hui, je vais vous raconter l’histoire de Jules Brunet (puisque c’est le nom de notre héros), capitaine de l’armée française, qui s’est retrouvé à combattre dans l’Empire du Soleil Levant, et pas pour son pays natal.

Le Japon au milieu du XIXe siècle

Depuis presque 2 siècles, les autorités japonaises ont ordonné une politique d’isolement nommée Sakoku. Si les échanges avec le reste du monde ne sont pas complètement annulées, ils sont en tout cas fortement contrôlés. Mais les tout jeunes Etats Unis décident que bon, ça suffit maintenant, tu vas ouvrir ton marché ou sinon on t’ouvre les chakras à coups de canons. Subtil. Ils envoient donc le commodore Perry avec une flotte de 4 canonnières, armées de canon type Paixhans (qui tirent des obus explosifs). Celui ci débarque, et exige que le pays s’ouvre au commerce mondial, sous peine de voir des obus tomber un peut partout. Les Japonais n’ont alors aucun moyen équivalent, et le coup de force marche : sans combat, les autorités japonaises acceptent de se soumettre aux exigences. Il s’agit de l’épisode dit des navires noirs (et non, rien de raciste ; les Occidentaux badigeonnaient la coque de leurs navires de poix, qui leur donnait une couleur noire ; du coup, les Japonais appelaient tous les navires occidentaux par ce sobriquet).
Suite à cela, le Japon se retrouve à signer des traités avec les Etats Unis, mais également des pays européens, dans la lignée des traités inégaux (dans le sens que pas très favorables aux japonais quand même). Et notamment, en 1858, le traité Harris, appelé pompeusement « traité d’Amitié et de Commerce ». Un siècle plus tard, on constatera qu’une amitié obtenue par la force des canons est, étrangement, peu fiable …

A cette époque, le Japon possède un empereur, mais il est surtout là pour faire joli : sa vocation est essentiellement religieuse, même si en tant que seigneur, il possède des terres et des troupes, ainsi que des partisans. Le pouvoir (notamment militaire) est dans les mains du « shogun », même si là encore il est loin d’être tout puissant : son autorité est surtout lié à la fidélité de ses vassaux, façon féodale.
Avec la signature des traités inégaux, la révolte gronde : le peuple n’est pas très content qu’on s’humilie comme ça devant les occidentaux. Le shogun du moment, Tokugawa Yoshinobu, comprend qu’il va falloir réagir, surtout vu ce qu’il s’est passé avec la Chine. Il décide de moderniser son pays, quitte à demander l’aide de pays étrangers (les mêmes qui l’ont menacé). Etats Unis, Russie, Pays Bas, préfèrent rester neutres. Mais l’ambassadeur de France, Léon Roches, aimerait bien aider le shogun. Il parvient à convaincre Napoléon III (qui cherche encore à renforcer la France à l’internationale) d’envoyer une mission militaire. Son objectif : entrainer les troupes shogunales aux techniques de guerre moderne.

Le shogun Tokugawa, en uniforme français


Est donc constituée la mission militaire française au Japon (astucieusement appelée ainsi car elle concerne des militaires français envoyés au Japon). Elle est dirigée par le capitaine Jules Chanoine, et comprend dix sept membres (chef compris), issus des différents corps de l’armée : infanterie, cavalerie, artillerie et génie. Parmi eux, Jules Brunet, lieutenant au régiment d’artillerie à cheval, et qui sera donc instructeur pour l’artillerie. La mission part de Marseille le 19 Novembre 1866 et arrive à Yokohama le 13 janvier 1867. Ils sont de suite bien reçus, et commencent le travail de formation avec un grand professionnalisme.

La mission militaire française au Japon, avant son départ ; Chanoine au milieu, Jules Brunet 2e assis à droite

Lieutenant Jules Brunet

Mais intéressons nous donc davantage à notre sujet du jour. Qui est le lieutenant Jules Brunet ? Fils d’un vétérinaire de l’armée, né en 1838, il commence une brillante carrière militaire. Sorti 4e de la promotion 1861 de l’École d’application de l’artillerie et du génie, il prend part à l’expédition mexicaine, et à son retour reçoit la Légion d’Honneur (à une époque où on l’attribue pas au premier pékinois venu), et finit par rejoindre le régiment d’artillerie de la Garde Impériale. A moins de 30 ans, c’est pas mal.
Il rejoint la mission militaire au Japon. Et là, il impressionne. C’est un plutôt bel homme (selon les standards de l’époque), de grande stature : il mesure 1m85 ( ce qui est déjà pas mal pour l’époque, mais pour un japonais, cela signifie qu’il a une taille relative de 3m14).

Jules Brunet à son arrivée au Japon

Il s’exprime bien, autant à l’oral qu’à l’écrit, et c’est un amateur d’arts. Par exemple, il dessine fort bien et va faire tout un tas de croquis de son voyage au pays du Soleil levant, ce qui fera de lui le premier mangaka français connu. Bref, il en jette, ses camarades samouraïs l’apprécient, et réciproquement, il tombe sous le charme de son pays hôte.
L’entrainement se déroule bien, pendant un peu plus d’un an, donnant naissance notamment à une unité d’élite, le Denshūtai.

Soldat des troupes shogunales, peinture réalisé par Brunet lui même

La guerre de Boshin

Mais la situation commence à sentir le sushi périmé pour le shogun. Les clans favorables à l’Empereur commencent à lui mettre grave la pression, le poussant à démissionner en faveur dudit empereur. Ce que Tokugawa Yoshinobu finit par consentir : fin 1867, il abandonne ses fonctions, qui de fait reviennent à l’empereur Meiji. Un nouveau gouvernement composé de seigneurs doit se mettre en place, et l’ancien shogun espérait en fait en prendre la tête. Sauf qu’en fait non : au bout d’un moment, on lui dit clairement que tu es bien mignon, mais tu vas prendre ta retraite. Passons sur les détails : honneur du guerrier et coups de geishas dans le dos finissent par déboucher sur une bonne grosse guerre civile. L’ancien shogun prend les armes et rallie ses partisans, pour aller trucider du soutien impérial. C’est ainsi que commence une énième guerre civile japonaise : la guerre de Boshin.


Rapidement, elle tourne en faveur du camp impérial. Mais comment cela se fait il ? Et bien si les troupes du shogun ont été modernisées par la France, les clans favorables à l’empereur ont trouvé également un soutien occidental. Et qui pourrait bien ainsi chercher à mettre des bâtons dans les roues des alliés des Français ? Qui si ce n’est le Royaume Uni bien entendu ! (l’Allemagne n’existant pas encore à cette époque) En effet, nos braves britanniques ont, officieusement, armés et entrainés les partisans impériaux, tant et si bien que leurs troupes parviennent à prendre le dessus.
Les troupes entrainés par les français (notamment le fameux Denshūtai) font preuve de réelles compétences, mais malgré tout perdent du terrain. Et vers la fin de l’année 1868, elles doivent abandonner l’ile de Honshu (la principale des 4 îles japonaises), pour se replier sur Hokkaido.
Maintenant que l’Empereur a pris un sérieux avantage, la missions française est dans l’embarras. Le pays ne souhaite pas s’aliéner celui qui apparait comme le futur vainqueur, et donc ne s’implique pas plus avant. Le destin de la mission est scellé par un décret impérial (nouvelle autorité légale je rappelle) : ordre lui est donné en Octobre 1868 de quitter le pays.

Brunet fait de la résistance

Les troupes dont elles avaient la charge sont en retraite, le gouvernement légitime du Japon leur demande de partir : la situation de la mission militaire française devient intenable. Ils commencent à plier bagages pour retourner en France. Mais là, Jules Brunet décide que non : il ne rentrera pas. On ne laisse pas tomber ses gros, sacrebleu ! Pour être précis, il veut continuer à « servir la cause française en ce pays », et ce en n’abandonnant pas les soldats qu’il a formés, et déclare : « j’ai décidé que devant l’hospitalité généreuse du gouvernement shogunal, il fallait répondre dans le même esprit ». Bref, il veut rester, et pour ne pas causer d’ennuis, il donne sa démission … mais son chef, le capitaine Chanoine, la rejette. Du coup, il se retrouve dans une situation un peu complexe : officier de l’armée française, il prend part à un conflit où son pays est pourtant neutre. Diplomatiquement, c’est délicat, voire carrément merdique.


Les autorités militaires vont finir par le mettre en congé sans soldes, mais seulement en Février 1869, et sans le rayer de la liste des armées. Par ailleurs, on l’autorise à rester, mais en tant que particulier et non plus militaire français. Quatre de ses camarades de la mission française vont faire de même, et 5 autres officiers français présents au Japon. Ce n’est donc plus un seul individu, mais tout un petit groupe de Français qui se bat aux côtés du Shogun, et qui bénéficie d’une neutralité quasi bienveillante de leurs supérieurs. Ils rejoignent Hokkaido avec les forces shogunales en retraite.
Sur l’ile, la république indépendante d’Ezo est constituée (par d’anciens samouraïs … notez l’ironie), et se prépare à continuer la lutte. Jules Brunet devient conseiller militaire auprès du nouveau ministère de la guerre, et continue la formation des nouveaux soldats recrutés. Mais au printemps 1869, les troupes impériales lancent l’assaut, largement supérieures en nombre et puissance de feu. La guerre de Boshin s’achève par la dissolution de la toute jeune république.
Pour les Français, c’est un peu la loose, leur camp vient de perdre. Et les autorités françaises sont inquiètes : à vrai dire, il parait que les traditions nipponnes sur les prisonniers ne sont pas des plus joyeuses. Ils parviennent à récupérer les expatriés in extremis, à bord du navire le Coëtlogon, qui se charge de les ramener sur le territoire national.

Gros yeux, et on passe à autre chose

A la fin du conflit, la France envoie ses félicitations à l’empereur Meiji, victorieux, pour avoir rétabli l’ordre dans son pays, et si on pouvait oublier le reste et partir sur de nouvelles bases, ce serait tip top. Quant à Jules Brunet, on refuse de le rendre : on promet aux Japonais qu’on va le punir … En fait, une fois rentrée à Paris, on lui fait les gros yeux. Il reçoit un blâme et il est radié de l’armée d’active, sanction approuvée par Napoléon III lui même. On fait courir le bruit qu’il a été sévèrement puni et renvoyé, du coup l’empereur japonais est content et se déclare satisfait …
Sauf qu’en fait, il n’est pas tout à fait puni. Officieusement, il n’a pas été désapprouvé, on lui demande juste de rester discret quelques temps, histoire que les choses s’arrangent avec les nouvelles autorités. De fait, s’il n’exerce plus de commandement militaire, il devient directeur adjoint de la manufacture d’armes de Châtellerault ; autrement dit une belle planque. On « oublie » de mentionner cette nomination dans le journal officiel (c’est ballot dis donc !). Peu de temps après, il se marie, et son témoin n’est personne d’autre que son ancien chef, le capitaine Chanoine. Bref, on l’a caché sous le tapis pour ne pas être trop gênant, mais il n’est pas vraiment puni.
Par la suite, sa vie sera plus « calme ». Il est rappelé lors de la guerre franco prussienne de 1870, en tant que capitaine d’artillerie. Il est fait prisonnier, puis libéré pour assurer la répression de la Commune de Paris. Sous la IIIe République, il continue une carrière honorable, attaché militaire, bref passage comme chef de cabinet du ministre de la guerre, son vieil ami Chanoine ; il finira tout de même général de division.

Les premiers pas d’une longue relation

En France, l’épopée de Jules Brunet sera vite oubliée, dans les affres de la chute du Second Empire, les difficultés de la Troisième République et le revanchisme. Mais au Japon, on se souvient de lui. Le pays a effectivement connu une transformation extraordinaire sous le règne de l’empereur Meiji, qui aboutit à la naissance d’une puissance asiatique pouvant rivaliser avec les Européens. Modernisation qui permet une victoire face à une Chine en pleine décadence. Le Mikado (autre titre de l’empereur, et non un biscuit chocolaté) se souviendra des efforts de la mission militaire française comme étant une des premières pierres de cet édifice. Et reconnaissant, il accordera le 11 Mars 1895 le titre de « grand officier du Trésor sacré du Mikado » à Jules Brunet (une sorte de légion d’honneur). Le même Brunet qui l’a affronté : reconnaissons le, l’empereur Meiji est quand même peu rancunier (même si ça a pris trente ans).

Cet épisode a t il entaché les relations franco-japonaises naissantes ? Il semblerait que non ; peut être même à l’inverse, le sens de l’honneur de cet « étranger » a marqué les esprits nippons, et favorisé l’émergence d’une solide coopération (mais cela je ne peux que le supposer, pas l’affirmer). Après la guerre de Boshin, qui consacre son ascension, le jeune empereur Meiji lance une modernisation accélérée de son pays, en faisant appel à des spécialistes étrangers : anglais, allemands, américains, mais aussi français. Et notamment, le développement de la flotte nippone est confié à l’ingénieur naval Louis-Émile Bertin, qui dotera le pays d’une flotte moderne et puissante, à même de vaincre la Chine puis la Russie. Et cet héritage aboutira à la 4e flotte de guerre mondiale en 1940.
Jules Brunet aura donc été un pionner dans les relations franco-japonaises. Et pourtant, son pays l’a largement oublié. Injustice réparée en ce jour (du moins, pour ceux qui auront le courage de lire l’article jusqu’au bout).

Pour aller + loin :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Brunet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_militaire_fran%C3%A7aise_au_Japon_(1867-1868)

Source des images : Wikipédia