Armistice ou capitulation : une différence ?

Il y a quelques jours, nous fêtions le 102e anniversaire de l’armistice de Rethondes, le 11 Novembre 1918. Avec les autres armistices moins connus, et signés peu avant sur les autres fronts, il marque la fin de la Grande Guerre. Mais il ne signifie pas pour autant la paix, qui devra attendre le traité de Versailles pour être effective, le 28 Juin 1919. Paix d’ailleurs très partielle, puisque de nombreux conflits ont éclaté ou vont éclater sur la période : guerre civile russe, allemande, conflit soviéto-polonais, et de nombreux mini conflits territoriaux entre les nouveaux pays tous juste créés par la dislocation des grands empires allemands et austro-hongrois.


Et le 8 Mai, nous avions célébré la capitulation de l’Allemagne nazie, qui là encore n’a pas signifié la fin des combats, puisque quelques éléments SS ne voulant pas lâcher l’affaire, ont continué à faire ce qu’ils savaient si bien faire, c’est à dire foutre le dawa, pendant quelques jours. Sans oublier que la guerre n’était pas finie, puisqu’on continuait à se battre du côté du pays de Naruto.

Le 11 Novembre, armistice. Le 8 Mai, capitulation. Mais, me demanderez vous, quelle est donc la différence entre les deux ? Y a t il des conséquences concrètes si l’on choisit l’un plutôt que l’autre ? Patience : je vais vous expliquer. Et on va même s’adonner à un petit jeu d’imagination pour mieux comprendre …

Trêve, capitulation et armistice

Déjà, définissons ces 3 notions.

Trêve : elle signifie que les belligérants sont d’accord pour arrêter de se taper dessus, au moins pour un temps ; mais la guerre continue officiellement, et donc les combats peuvent reprendre dès la fin de celle ci. Une trêve peut être limitée dans le temps (pour une durée décidée) ou pas, concerner une zone géographique restreinte, définir certaines conditions spécifiques (par ex., replier les troupes de quelques kilomètres). Parfois, il arrive qu’une trêve soit déclarée unilatéralement, c’est à dire qu’un des parties dise qu’il va cesser ses attaques (le respect de la trêve par l’autre camp ne dépendant alors que de sa bonne volonté).
Les motivations d’une trêve sont souvent humanitaires : évacuation de civils d’une zone de combat par exemple. Parfois, une trêve est annonciatrice d’une paix à venir (quand les combattants sont particulièrement épuisés), mais potentiellement, une trêve peut s’arrêter et les affrontements reprendre aussitôt. C’est donc une situation précaire dictée par des conditions impérieuses, et qui ne signifie pas forcément la fin de la guerre.
Quelques exemples de trêve : après la libération de la France en 1944, reste quelques poches d’occupation, surtout les fameuses « poches de l’Atlantique ». Rien à voir avec des pantalons marins : il s’agit de ports français transformés en forteresses par les forces allemandes, et notamment Dunkerque, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle et Royan. Si les Alliés ont réussi à libérer certaines villes (comme Brest, Cherbourg ou Saint Malo), cela s’est fait au prix de telles pertes qu’on préfère ne pas retenter l’expérience. De plus, le principal intérêt serait la capture des ports, or ces farceurs d’Allemands ont tendance à les faire exploser sitôt que la situation sent la saucisse avariée. Du coup on décide de les encercler, et d’attendre la défaite allemande pour leur expliquer que ça y est, vous pouvez partir. Sauf que dans ces villes, il y a des civils, pas forcément joyeux à l’idée de se retrouver bloqués entre boches et yankees ou autres tommies. D’autant plus que blocus oblige, la nourriture devient rare. Les autorités militaires allemandes de ces places fortes, conscients que se retrouver avec des civils affamés n’étaient ni intelligents, ni sympathiques, ont négocié par l’intermédiaire de la croix rouges des trêves humanitaires, afin d’évacuer tous les civils qui le souhaitent. Par contre, dès les trêves expirées, les combats ont pu reprendre.
Autre exemple plus récent : en Ukraine, déchirée par une guerre civile depuis 2014, entre séparatistes russophones et gouvernement central. Un cessez le feu existe depuis 2015, définissant un certain nombre de conditions (retrait des armes lourdes, recul des lignes de front, échange de prisonniers, …). Mais techniquement, les deux parties sont toujours en conflit. D’ailleurs, les accrochages sont malgré tout courants, même si moins violents.

Capitulation : il s’agit de la reconnaissance, par l’une des forces combattantes, de l’incapacité de ses troupes à poursuivre le combat. C’est avant tout une décision militaire : moi plus pouvoir taper sur toi assez fort. Elle est donc à l’initiative d’un des camps, celui qui perd, et l’autre ne peut que l’accepter. Par contre, une capitulation peut être assortie de conditions, et là c’est au « vainqueur » de les accepter … ou non. Dans ce cas, le vaincu peut soit se rétracter (et continuer le combat à n’importe quel prix), soit accepter une capitulation sans conditions, et de facto, se soumettre entièrement à l’autorité du vainqueur. Une capitulation peut varier géographiquement : elle peut concerner juste une ville, une armée, ou bien s’étendre à un pays tout entier.
Un exemple de capitulation sous conditions est la bataille de Camerone, haut fait d’armes de cette troupe de têtus qu’est la Légion. En sous nombre et sans ravitaillement, face à des Mexicains mieux armés et plus nombreux (environ 2000), 62 légionnaires vont résister pendant une journée entière. A la fin, presque tous morts ou blessés, le commandant restant (un sous officier, les officiers sont tous morts) accepte de se rendre … à condition que les blessés soient soignés, que leur soient laissés leurs armes et affaires, et qu’on dise partout que les légionnaires ont des gonades de la taille de melons. Ce que l’officier mexicain acceptera, tant il fut impressionné par la vaillance de ses ennemis (il dit précisément : « On ne refuse rien à des hommes comme vous ») ; les survivants de la Légion défileront même devant la troupe mexicaine, qui leur rendra les honneurs !
Quant à la capitulation sans conditions, on reparlera plus tard du 8 Mai 1945 …

Armistice : à contrario, l’armistice est avant tout le fait d’autorités politiques (civils ou plus rarement militaires). Bref, c’est un gouvernement ou ce qui s’en approche qui dit à l’autre que bon, on s’est bien marré, mais si on arrêtait et qu’on rentrait chez nous prendre le goûter ? De fait, les forces militaires sont toujours en état de combattre, et souvent en train de le faire (même si parfois, ce n’est pas le cas et que l’armistice suit une débâcle).
La proposition étant faite à la partie d’en face, peut s’ouvrir des négociations pour les modalités. Et c’est là que la situation militaire peut jouer : si l’un des parties est en grande difficulté, l’autre pourra lui imposer plus facilement ses conditions. En revanche, si le statut quo est bien installé, une armistice pourra se faire de façon quasi neutre. Quoi qu’il en soit, il faut bien attendre que tous les belligérants soient bien d’accord sur le comment, avant que les combats ne s’arrêtent. Mais si l’armistice est signée, là est une différence de taille : techniquement, l’armée n’a pas été défaite.

Et à noter, comme dit au tout début, que l’armistice ne signifie pas encore la paix, juste la fin des combats. Un traité devra s’ensuivre qui lui, mettra fin définitivement à la guerre. Le poids de chaque partie durant les négociations à venir dépendra largement de la situation au moment de l’armistice : plus les perdants ont pu négocier de bonnes conditions, puis ils pourront faire valoir leur point de vue dans les négociations, et peut être s’en tirer à meilleur compte.
Exemple d’armistice : l’armistice de Panmunjeom, qui mit fin à la guerre de Corée. La situation militaire étant bloquée, tout le monde s’est mis d’accord pour dire que bon, pouce, on arrête là. On a donc négocié des conditions qui, d’ailleurs, sont toujours d’actualité (comme la zone démilitarisée entre les deux Corées). Mais, vu qu’aucun traité de paix n’a été signé entretemps … bah techniquement, la guerre se poursuit toujours, même s’il n’y a plus de combats.

D’accord, mais maintenant ? Entre l’armistice de 1918 et la capitulation de 1945, cela a t il fait une vraie différence pour l’Allemagne ? Bien entendu, sinon nous n’en parlerions pas en ce moment ! Nous allons même voir que la différence, loin d’être anecdotique, va structurer le destin du pays pour une bonne moitié du 20e siècle.

L’armistice de 1918 : situation intenable et décision intelligente

Projetons nous en Allemagne, à l’automne 1918. Au sommet de l’état et de l’armée, un fumet d’excréments assez prononcé commence à se faire sentir. Les offensives de la collection printemps/été 1918 n’ont pas eu le succès escompté, et maintenant on se replie face aux Français, Anglais, Américains, Canadiens et Belges. Les pays alliés sont tous en train de se rendre, ce qui laisse la patrie du Kaiser bien seul face à tout ce petit monde très chafouin. Les civils en ont un peu marre de souffrir alors qu’on se prend une dérouillée, et certains soldats commencent à se mutiner. Faute d’approvisionnements, la production de guerre risque de s’effondrer, et ne parlons même pas de la pénurie alimentaire. Ajoutons à cela une révolution communiste en gestation, et on a un tableau des plus encourageants.
Pourtant, le front tient encore, et si l’ennemi progresse, il subit de lourdes pertes. Mais pour combien de temps ? Les patrons de l’armée allemande, Hindenburg et Ludendorff, vont voir l’empereur Willhelm et insister lourdement sur le fait qu’il va falloir peut être arrêter le tout : clairement, on a pas encore tout perdu, autant sauver les meubles en demandant un armistice.
Cette décision est des plus raisonnables (contrairement à d’autres prises par les mêmes bonhommes). Pourquoi s’arrête alors que l’armée n’est pas battue ? Parce qu’elle le sera probablement d’ici la fin de l’hiver, et au printemps le territoire national sera sans doute envahi. Cela ferait plus de morts, de destructions (des deux côtés) pour finalement aboutir à une position très inconfortable pour négocier l’après guerre.

Une délégation est donc envoyée aux Français pour dire : pouce ? Les Alliés ne sont pas dupes. Ils savent dans quel état est l’Allemagne, et qu’elle ne tiendra pas face à une nouvelle offensive (qui est déjà préparée) ; cela dit, ils savent également que leurs pays sont épuisés par les 4 années du conflit, et qu’une invasion de l’Allemagne fera des dizaines voire centaines de milliers de morts dans leurs rangs. Donc en fait, ça les arrange que les boches viennent avouer à demi mots qu’ils sont dans la choucroute jusqu’au cou, mais tant qu’à faire, on va essayer de tirer le maximum sur la corde.

Ils reçoivent les négociateurs allemands le 8 Novembre, et tout de suite, leur font comprendre que leur tâche ne sera pas aisée. Déjà, ils les obligent à reconnaître que oui, on vient demander la paix car on est en train de se faire poutrer. Puis, ils leur présentent une liste de conditions (assez dures, revenant peu ou prou à se désarmer), avec 3 jours pour accepter ou refuser. Les Allemands tentent bien de négocier, vas y fais pas ta pute, mais non : c’est tout ou rien. Ils finissent par céder, et signe l’armistice avec toutes les exigences alliées, le 11 Novembre, vers 5h du matin, dans un lieu devenu célèbre (mais secret pour raisons de sécurité, et éloigner les curieux/journalistes) : la clairière de Rethondes. Avec application du cessez le feu à 11h. Ca y est : les combats sont finies.
A noter qu’il y aura quand même 11 000 morts le jour en question ; en comparaison, le débarquement en Normandie en fera à peu près autant du coté Alliés. Pas mal pour un jour de paix … Les autorités militaires françaises vont d’ailleurs antidater la mort de nombreux soldats, car mourir un jour de cessez le feu, c’est quand même la loose.

Le coup de poignard dans le dos, ou de l’art de la mauvaise foi

Hans, Franz et autres Karl rentrent donc chez eux. Et sont accueillis en héros. Pour eux, ils n’ont pas vraiment perdu : après tout, un jour on leur a juste dit « prends tes affaires et rentre chez toi retrouver ta femme » (ce que certains ont peut être vécu comme une punition, enfin passons). Et pour la population, c’est un peu pareil : aucun n’a vu de mangeur de grenouilles débarquer dans une ville allemande pour l’occuper. Du coup : a t on vraiment été vaincu ?
Et la question devient de plus en plus polémique, alors que les négociations de paix aboutissent à des conditions considérées comme « humiliantes » pour l’Allemagne : perte de l’Alsace Lorraine et de territoires polonais, plus de grande armée, de grosses réparations à payer aux vainqueurs et surtout, l’aveu que finalement la guerre, c’était leur faute à eux seuls. L’opinion publique s’agite : pourquoi toutes ces concessions si en fait, nous n’avons pas perdu ?
La décence et l’honnêteté auraient voulu qu’à ce moment, l’ancien état major impérial reconnaisse la vérité : ce sont eux qui ont suggéré l’armistice, car la défaite était inévitable à terme ; oui, ils ont merdouillé, pardon, tous ces morts pour rien et par notre faute. Mais bien sûr, nous sommes dans le monde réel, du coup non. Hors de question de reconnaître qu’on a eu tort. Les chefs militaires vont donc utiliser l’art ancestral du pipeau : l’armistice, c’est la faute du gouvernement civil, pas eux ; la preuve, ce sont eux qu’ils l’ont signé. Ils passent sous silence que ce sont eux qui ont reconnu que la guerre était perdue, refilent la patate chaude à autrui, et pas le droit de retoucher son père.


Et ça marche. Dans les années 1920, se développe en Allemagne la théorie du « coup de poignard dans le dos ». En gros : les braves soldats teutons sont invaincus, et le pays s’est rendu à cause de : le gouvernement civil, les communistes (et plus généralement la gauche), les pacifistes, et le grand classique, les juifs. Cette théorie va être poussée par des organisations très à droite, des anciens combattants, et les anciens généraux (trop contents qu’on ne parle pas trop de leurs échecs). La république de Weimar, nouvelle organisation de l’état allemand, va souffrir de ce fantasme : après tout, en quoi serait elle légitime si elle est la cause de la défaite ?
Cette intoxication va faire son chemin, et grandement faciliter la prise de pouvoir par un petit moustachu nerveux, qui s’en fera l’un des plus ardents défenseurs. Et quand il liquidera la démocratie germanique, beaucoup le féliciteront finalement pour avoir liquidé un ennemi intérieur … complètement imaginaire. Même l’armée, qui l’a estimé en premier lieu comme un agitateur et un révolutionnaire, sera finalement contente de trouver quelqu’un qui la défend avec tant d’ardeur.

Illustration du coup de poignard dans le dos (ici, portée par je cite, « la démocratie juive »)

Si l’on avait exigé de l’Allemagne une capitulation, plutôt qu’un armistice, les choses eurent elles été différentes ? Difficile de répondre, tant la fiction historique est un art complexe. Hitler a de toute façon profité des nombreuses difficultés de son pays pour s’imposer (en partie liées au traité de Versailles lui même). Mais la théorie du poignard dans le dos l’a vraiment boosté ; sans cela, son ascension aurait sans doute été plus lente, et avec davantage d’opposition. Cela ne reste bien sûr qu’une spéculation.
D’ailleurs, un certain nombre de personnalités françaises signaleront tout ceci, estimant qu’on a pas infligé une défaite assez marquante à l’Allemagne. Et parmi eux, notamment un certain maréchal, Pétain de son nom. (Quand on sait que le même maréchal a été le principal artisan de l’armistice français de 1940, on peut trouver cela cocasse)

Conférence de Casablanca : on ne se fera pas avoir deux fois

Persuadé qu’on lui a volé sa victoire, l’Allemagne récidive, et entraîne le monde dans une nouvelle guerre totale. Et au début, les évènements tournent en sa faveur : cela ne fait que renforcer l’idée que la défaite, c’était bien la faute des civils ! Fort de leur « supériorité », ils envahissent, bombardent, saccagent et tuent, comme des nases. Et finalement, en 1942 ils commencent à rencontrer des problèmes.
Alors que du coté des Alliés (USA, URSS et Grande Bretagne), on commence enfin à envisager la possibilité d’une victoire, on réfléchit à la suite. Que va t on bien pouvoir faire de ces hyperactifs, afin de leur faire passer l’envie de guerroyer ? On réunit une conférence, à Casablanca, en Janvier 1943. Cette fois, c’est sûr : on a été trop gentils avec le Reich en 1918. Il va falloir que la défaite soit franche et nette, pour ne pas avoir un nouveau conflit 20 ans plus tard. Et on prend la décision : plus d’armistice, cette fois, ce sera la capitulation, sans conditions. Dans les conférences à venir, on se met d’accord sur d’autres points, comme le désarmement complet de l’Allemagne, la dénazification, et l’occupation du territoire en 4 zones.
Les Alliés vont se tenir cette fois à ce programme. Mais pensez vous que cela va empêcher les Allemands de retenter le même coup ? Nenni ! De fait, même si Hitler ne l’envisagera pas lui même, pas mal de responsables vont tenter des négociations : oui d’accord, on a pas respecté notre parole de 1918, mais bon, allez, faites nous confiaaaaance. Bizarrement, cette stratégie va échouer. Si bien que les 7 et 8 Mai, c’est bien une capitulation sans conditions que va signer l’amiral Dönitz. Les dignitaires nazis qui ne se sont pas suicidés sont surpris quant, en guise d’un bisou et on en parle plus, on les emprisonne et on leur mijote un petit procès dont ils nous diront des nouvelles (le fameux procès de Nuremberg). Par exemple, Göering continuera de croire pendant un bon moment qu’il peut tenter de rattraper le coup, ça passe crème ; et puis, quand on le condamne à passer, oui, mais sa tête dans un nœud coulant, il fera moins le malin (il parviendra quand même à se suicider).
Là, les Allemands ont compris la leçon. Leurs villes sont dévastées, leurs soldats sont encore dans des camps de prisonniers, ceux qui ont pu rentrer sont dans un piètre état, et s’il y a des soldats à Berlin, ils parlent russes, anglais ou français. Ça calme ; et ça marche. Cette fois ci, plus de « oui mais on aurait pu … » : on sait qu’on a perdu, pardon aux familles tout ça. Et de fait, pas de 4e Reich jusqu’à maintenant.

On le voit donc : la différence entre armistice et capitulation a eu des conséquences, à la fin de chacun des deux conflits (même si bien sûr, il ne s’agit pas de l’unique différence). Aurait il mieux valu exiger une capitulation allemande en 1918 ? Il est extrêmement difficile de le dire, tant l’épuisement des alliés était fort à ce moment, et la paix était plus urgente.
Il est difficile donc d’imaginer ce qu’aurait pu être l’histoire « si … » Et bien c’est exactement ce que nous ferons dans le prochain article, en imaginant : et si, en 1940, la France avait choisi la capitulation plutôt que l’armistice

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Armistice_de_1918

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dolchsto%C3%9Flegende

Sources des images : Wikipédia

« Incident » de Charlie Brown et Franz Stigler

Souvent, l’Histoire militaire consiste en des individus qui s’écharpent joyeusement à coups d’objets en métal dans la bidoche. Mais parfois, non : d’un coup, les ennemis d’un jour décident que stop, pour cette fois on va passer son tour, et faire preuve de compassion. Nous allons aujourd’hui parler d’un de ces moments, avec l’incident de Charlie Brown et Franz Stigler.

Tout commence par un raid classique de bombardiers

Nous sommes le 20 décembre 1943. Cela fait déjà plusieurs années que Britanniques puis Américains essayent d’expliquer aux Allemands que la guerre, c’est pas bien. Et pour ce faire, larguent de généreuses quantités de bombes sur les usines et les villes allemandes. Si la RAF procède aux bombardements de nuit (c’est plus difficile d’abattre un avion que vous ne voyez pas …), l’USAF pose ses big balls sur la table, et opte pour le bombardement de jour. Cela dit, les commandants n’étant pas des bourrins sans cervelle (si si), ils avaient bien conscience que sans mesures adaptées, les pertes seraient lourdes.
Déjà, les bombardiers n’étaient pas sans défense face aux chasseurs. N’étant pas assez manoeuvrables pour échapper à leurs poursuivants, ils sont équipés de nombreuses mitrailleuses. Par ex., pour le B-17 ce n’est pas moins d’une dizaine de mitrailleuses (entre 11 et 13 selon les versions), installées en tourelles ou sabords, dessus, dessous, devant, derrière, bref partout. Du coup, le bombardier est théoriquement capable de se défendre d’où que provienne l’attaquant (d’où le surnom de « forteresse volante »). Dans les faits, il y a bien quelques angles morts à exploiter, même s’ils se réduisent au fur et à mesure que les ingénieurs US améliorent leur bestiau. De surcroît, ces avions lourds étaient bien protégés : il ne suffisait pas d’une poignée de balles de mitrailleuses pour les abattre, il fallait souvent insister lourdement, tel le drageur sur la plage (avec le même manque de subtilité d’ailleurs), sauf que la demoiselle réplique au calibre 12.7 mm (ce qui serait une solution contre le harcèlement de rue). Et parfois, même avec des trous partout, un ou deux moteurs endommagés, l’avion continuait à voler.

B-17 en formation de vol
Vu de + près, un célèbre B-17, le ShooShooShoo Baby


Mais comme ce n’est pas suffisant, on a l’idée de faire voler les avions en formation, assez rapprochés pour qu’ils se protègent mutuellement, et appelés « box ». Souvent d’une dizaine d’appareils, cela faisait un ensemble compact, comprenant donc une centaine de mitrailleuses couvrant tout azimut. Ainsi, lorsque Hans, brave pilote de la Luftwaffe essaie d’approcher d’un box pour venir chatouiller des B-17, ce n’est plus deux ou trois mitrailleuses qu’il doit affronter, mais une dizaine voire plus, tirant depuis plusieurs angles. Sachant qu’un raid de bombardement comprend généralement plusieurs centaines d’engins, on a vite une idée de l’ampleur du bousin à affronter.

Un exemple de formation dit en « box »

L’idée des stratèges alliés est que, avec un tel potentiel, un raid de bombardement stratégique permettrait toujours de faire passer assez de bombardiers pour provoquer des dégâts considérables. Dans les faits, ça fonctionne, et un tel déploiement de force n’arrivera jamais à être arrêté totalement. Cependant, les pertes sont tout de même élevées : en moyenne, environ 5% de pertes définitives, et + d’avions endommagés. Et c’était davantage en 1942-1943, car les chasseurs alliés n’avaient pas assez d’autonomie pour escorter les bombardiers, qui devaient donc y aller tout seuls … (bon, seuls à plusieurs centaines quand même)
Un équipage US de B-17 devait assurer 25 missions de bombardement avant de rentrer au pays. Je vous laisse donc calculer, avec un taux de pertes de 5%, la probabilité de survivre aux 25 missions. Allez, je suis sympa et je calcule pour vous : environ 28%. Bref, c’est quand même pas super la joie, et il faut reconnaître le sacrifice de ces vaillants équipages.

Brême, ou la première sortie du Ye Olde Pub

Maintenant que vous voyez un peu mieux en quoi consiste un raid de bombardiers, revenons donc au 20 Décembre 1943. Ce jour ci, c’est la ville de Brême qui a gagné à la grande loterie de « on vient raser ton usine et/ou ta maison ». Sans doute pour faire cesser un tapage nocture animalier. Ou bien détruire des usines de fabrication de chasseurs. L’affaire commence mal : la ville est défendue par 250 canons antiaériens lourds, et sans doute de nombreux chasseurs allemands.
Ce raid est la première sortie du « Ye Olde Pub », un B-17 US, commandé par le second lieutenant Charlie Brown. Ce brave Charlie est un fermier de Virginie Occidentale qui, en lieu et place du maïs, doit semer des bombes. Et pour la première mission de l’équipage, ils ont une chance de dingue : ils sont placés sur les bords de la formation, soit la zone la plus vulnérable. Vulnérable au point que les pilotes alliés l’appelent la « purple heart corner » ; la « Purple Heart » étant la décoration remise aux blessés de guerre, voilà qui n’est guère réjouissant.
Le groupe de bombardiers s’approche de sa cible. Avant même le bombardement, le Ye Olde Pub se fait toucher par la flak (les canons antiaériens) : il perd un moteur, et un autre est sévèrement touché. L’avion parvient à larguer ses bombes, mais perd rapidement de la vitesse. Il commence à quitter la formation.
Pour le coup, c’est un peu comme un troupeau de bisons : si un animal quitte la sécurité relative du troupeau et se retrouve isolé, il est fort à parier que les prédateurs vont en profiter pour l’attaquer. Et en guise de prédateurs, le bombardier se retrouve bientôt attaqué par plusieurs chasseurs allemands. Ceux ci lui infligent de nouveaux dégâts : un autre moteur est touché, l’avion n’a plus que 40% de sa puissance initiale ; les systèmes de direction sont endommagés, réduisant la maniabilité ; une partie des mitrailleuses, sans doute mal lubrifiées, sont tombés en panne, il n’y en a plus que 3 de fonctionnelles (dont 2 de la tourelle dorsale, et 1 à l’avant). Ajouter à cela un mort, de nombreux blessés (dont Charlie lui même), et les doses de morphine ont gelées (à cet altitude, il fait -60°C, et il y a des trous un peu partout dans l’avion). Bref, c’est un peu le chaos à bord.

Franz Stigler, le gentleman chasseur

Pendant ce temps, un chasseur allemand se prépare à décoller. Son pilote est Franz Stigler, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas un bleu : il avait déjà 22 victoires à son actif (sachant qu’on est proclamé « as » à partir de 5 victoires). Il avait notamment combattu en Afrique du Nord. Où il a eu pour supérieur un certain Gustav Rödel, qui leur a appris les bonnes manières. Et notamment, ce n’est pas parce qu’on se bat pour les nazis qu’on doit faire n’importe quoi. Il leur avait formellement interdit de tirer sur les pilotes ennemis qui venaient de sauter en parachute (sous peine de les abattre lui même).
Quand Franz arrive au niveau du bombardier, il voit rapidement qu’il n’est plus vraiment en état de combattre ; il parvient même à distinguer les blessés à travers les trous de l’appareil. Il pourrait n’en faire qu’une bouchée. Mais se rappelant les mots de son ancien supérieur, il décide de ne pas achever l’appareil : il confiera par la suite que pour lui, vu l’état de l’engin, c’est comme s’ils étaient sous parachute.
Stigler s’approche, et fait signe au pilote de se poser sur une base allemande, ou bien de se détourner vers la Suède (alors neutre), où son équipage serait soigné et interné jusqu’à la fin du conflit. Cependant, dans le Ye Olde Pub, on ne comprend pas trop ce qui se passe, ni ce qu’il veut dire. Méfiant, Brown fait pointer les mitrailleuses de la tourelle dorsale en direction du chasseur, mais sans tirer : bref, juste lui faire comprendre de ne pas chercher des noises. L’Allemand comprend, et s’éloigne un peu … Mais décide de suivre le bombardier malgré tout, et d’assez près. Pourquoi me direz vous ? Et bien tout simplement pour s’assurer que la DCA allemande n’ouvrirait pas le feu dessus !
C’est donc une drôle d’escorte qui accompagne l’avion étrillé jusqu’à la côte, où il ne subit plus aucune attaque. Une fois la Mer du Nord atteinte, Franz salute une dernière fois l’équipage du bombardier, et fait demi tour.

Le B-17 parvient à retourner jusqu’à sa base. Lors du débriefing, Charlie Brown raconte cet évènement pour le moins inhabituel. Ses supérieurs lui expliquent que bon, c’est original mais il vaut mieux ne pas en parler au reste de l’unité. A vrai dire, ils ont eu peur que ses camarades ne prennent sympathie pour l’ennemi et deviennent moins combatifs. Des années plus tard, Brown déclarera : « Quelqu’un avait décidé qu’on ne pouvait pas être humain et voler dans un avion allemand ».
Quant à Stigler, il évita de parler de cette affaire à sa hiérarchie ; car plus qu’une simple réprimande, il risquait juste le peloton d’exécution.

De gauche à droite : Charlie Brown / Franz Stigler

Mais où est Charlie ? Et Franz ?

Après cet épisode singulier, Charlie Brown et son équipage continuèrent leur service. Il parvient à exécuter les 25 missions prévues, et survécut à la guerre. Par la suite, il rentra aux Etats Unis, puis se réengagea dans l’US Air Force, de 1949 à 1965, et prit sa retraite en 1972. Quant à Stigler, il survécut lui aussi à la guerre. Après celle ci, il émigra au Canada, et devint homme d’affaires.

Notre histoire aurait pu s’arrêter là ; mais elle n’est pas finie ! En 1986, Brown participe à un rassemblement de pilotes vétérans de la 2e guerre mondiale. On lui demande alors de raconter un souvenir marquant de son service. Après quelques instants de réflexion, il raconte cet incident. Et à ce moment, il décide de retrouver ce pilote de chasse allemand qui l’a épargné. Il fouille dans les archives américaines et ouest allemandes ; il publie une lettre dans une revue d’anciens pilotes du conflit mondial. Et quelques mois plus tard, il reçoit une réponse de Stigler, vivant alors au Canada, et qui déclara être ce pilote.
Les deux discutèrent alors par téléphone : Stigler décrivant les évènements (notamment son « salut » à la séparation), Brown eut la confirmation qu’il avait retrouvé le bon pilote. Les anciens ennemis se rencontrèrent alors, en 1990, et devinrent rapidement amis. Amitié qui dura jusqu’à leur mort, en 2008 (à quelques mois d’écart).

Les deux même, quelques décennies plus tard …

Cet « incident » est le sujet de la chanson « No bullets fly » du groupe de métal Sabaton. Même si méconnu, il est un vibrant rappel que même dans un conflit meurtrier, où la haine a été exacerbée de part et d’autre, la compassion prend parfois le dessus.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Incident_de_Charlie_Brown_et_Franz_Stigler

Chanson « No bullets fly » de Sabaton

Sources des images : Wikipédia, domaine public