Art opératif et opérations en profondeur, 1ere partie

Bon, j’avais prévu une série d’articles sur les armes automatiques. Mais l’actualité de Septembre m’a donné envie de changer, et de parler plutôt d’art opératif et d’opérations en profondeur. Et on va d’abord parler d’échelon opérationnel et d’art opératif, tant je pense que ces concepts ne sont pas claires pour tout le monde.
Je précise également que n’étant pas théoricien militaire, il se peut que je fasse des approximations un peu grossières … l’espace commentaires est ouvert pour ça :).

L’échelon opérationnel

Dans le déroulement d’un conflit, on distingue 3 échelons.

Tout d’abord, l’échelon tactique : c’est la manière (on parle même d’art) de conduire un engagement armé, qu’il s’agisse d’une escarmouche de dizaines de pinpins tout au plus, à des batailles impliquant des dizaines de milliers d’Hommes de chaque côté. Ça concerne la manœuvre de ceux ci, quand les faire attaquer, quand les faire reculer ou passer en défense, le tout afin d’infliger le plus de victimes à l’ennemi tout en économisant ses propres troupes (ou pas), et obtenir au final une victoire dite « tactique » : généralement, le repli du camp en face. C’est l’échelon le plus ancien, aussi ancien que les premiers affrontements organisés entre Hominidés.

Ensuite, l’échelon stratégique : là, il s’agit de l’art de mener une guerre au niveau d’un pays. Cela inclut la levée de troupes, l’équipement et le ravitaillement de celles ci, voire des volets diplomatique (convaincre d’autres pays de prendre son parti, ou convaincre les copains de l’autre en face de changer de camp) ou culturel, afin de mobiliser la société (pensez grosso modo « propagande »). Cet échelon a vu le jour avec l’émergence des premiers groupements humains importants, villes, pays, … A partir de là, l’issue d’un conflit ne se résume pas seulement à un affrontement, mais à une succession de batailles, aboutissant tôt ou tard à ce que l’un des camps demande la paix (ou soit anéanti, mais ceci est fort peu urbain).

Bien entendu, il y a des interactions entre ces deux échelons : les victoires tactiques ne sont pas possibles si le niveau stratégique n’envoie pas des combattants et de quoi les équiper, et inversement, si le niveau stratégique est excellent mais que la tactique ne fait que merder, tôt ou tard ça peut poser problème. Quoi qu’il en soit, c’est toujours au niveau stratégique que se résout un conflit ; mais il existe plusieurs façons de l’emporter. Par exemple, si votre pays est plus petit/moins peuplé/moins riche que celui en face, vous avez tout intérêt à collectionner des victoires tactiques, de façon à le démoraliser et lui faire comprendre que même s’il finira par l’emporter, la victoire lui coutera (trop) chère. Par exemple, la guerre d’hiver entre l’URSS et la Finlande, ou les guerres d’indépendances écossaises. Au contraire, si vous avez un pays mieux fourni que celui que vous affrontez, vous pouvez parier sur le fait que ses ressources s’épuiseront avant vous, et ce même si vous ne gérez pas trop bien le plan tactique : on parle de guerre d’attrition. La 1ere guerre mondiale en est un exemple.

Petite note : les mots « tactique » et « stratégique » ont en français plusieurs sens. On peut par exemple utiliser le mot « stratégie » dans le sens d’un plan d’organisation générale de quelque chose, et oui, ça a du sens même si c’est pas forcément pour taper sur ses petits voisins. Mais on a tendance également à utiliser ses mots à mauvais escient, voire à les inverser. Comme lorsqu’on parle de la « tactique de la terre brûlée », qui consiste à ravager son propre pays pour ralentir l’ennemi qui avance : c’est plutôt un acte stratégique. Idem, quand on qualifie un général de « grand stratège » parce qu’il fait des prouesses sur le champ de bataille, c’est un peu une erreur, puisqu’on devrait plutôt parler de « grand tacticien ». Mais bon, ce ne sont que chipoteries et je ne vous en tiendrai pas (trop) rigueur.

Revenons à nos moutons : je vous ai évoqué 3 échelons, or je n’en ai présenté que 2. Mais vu que vous êtes malins, vous avez lu le sous titre, et vous savez donc que je vais parler de l’échelon opérationnel. Mais keskecé ?
L’échelon opérationnel, c’est un peu lui qui fait le lien entre l’échelon stratégique et le tactique … mais pas que. Votre niveau stratégique a levé plein de soldats ; c’est bien, mais il faut pouvoir les envoyer sur le champ de bataille ; puis leur envoyer à manger quand la bataille sera finie ; puis leur donner de nouveaux ordres quand une nouvelle bataille risque de survenir un peu plus loin, … Bref, cela concerne en grande partie ce qu’on appelle les « lignes de communication » : les routes et autres pour déplacer les armées et faire passer le ravitaillement, ainsi que la circulation de l’information. Mais également le renseignement (savoir frapper là où ça fait mal, et au contraire contrer une tentative audacieuse de l’ennemi), et le commandement (donner des ordres à vos différentes troupes un peu partout, de façon à ce que l’ensemble ait un minimum d’allure).
Avoir un échelon opérationnel qui ne fonctionne pas bien réduit fortement vos chances d’obtenir des victoires tactiques. Si vos guerriers ne sont pas ravitaillés, ils vont moins bien se battre ; s’ils n’arrivent pas au bon endroit au bon moment, ils ne servent à rien ; et si vous ne parvenez pas à détecter un sale coup du gus en face à temps, vous allez devoir l’encaisser. Cet échelon est donc aussi important que les 2 autres. Mais pourquoi j’en parle en dernier ?
Simplement car on l’a théorisé plus tard que les autres. Vers la fin du 19e siècle, par un certain Helmuth Karl Bernhard von Moltke (un Prussien, si vous aviez un doute), puis plus tard par les militaires soviétiques dans les années 1920-1930 (on y reviendra dans la 2e partie). Maintenant toutes les armées s’y sont mises. Cela ne signifie pas qu’auparavant, cette échelon n’existait pas : il était bien présent, c’est jusqu’on ne l’avait pas conceptualisé. Bref, on faisait un peu « à l’instinct », parfois très bien, parfois très mal, en le collant à moitié au niveau stratégique et l’autre moitié au niveau tactique.
Mais, à partir du moment où l’on a conceptualisé cet échelon et compris son importance, on donne naissance à une nouvelle façon de faire la guerre : l’art opératif.

L’art opératif

Bien entendu, cela n’a rien à voir avec le talent de votre chirurgien. L’art opératif est l’art et la manière de faire manœuvrer de grandes formations (armées ou corps d’armées), afin d’obtenir un choc opérationnel sans avoir un affrontement majeur (au résultat aléatoire, et souvent coûteux en vies et ressources). Par « choc opérationnel », on entend de perturber suffisamment le niveau opérationnel de l’adversaire pour qu’il perde largement son efficacité en combat. Par exemple, en coupant ses lignes d’approvisionnement, ses troupes vont devenir moins combatives (un soldat qui a faim est souvent moins efficace).
Un élément crucial : l’information. Si vous savez la position des forces de l’ennemi, vous pouvez manœuvrer pour éviter l’affrontement si vous ne pensez pas pouvoir gagner ; et à l’inverse, frapper quand vous êtes certain d’avoir un avantage suffisant. Le pendant est également valable : la désinformation. En trompant votre ennemi, vous pouvez le pousser à défendre un secteur que vous ne menacez pas, pour attaquer ailleurs plus sereinement ; ou bien l’inciter à ne pas attaquer car il croit que vous avez des forces considérables, alors qu’en fait non pas du tout.
Bref, l’art opératif, ça vous permet de vaincre votre adversaire sans avoir à faire de trop grosses batailles, et donc économiser vos troupes. Ce qui devrait être le fantasme de tout commandant, du moins ceux qui ne sont pas des bouchers ou des crétins qui ne savent faire qu’un gros tas et l’envoyer sans réfléchir.

Mais … si c’est si génial que ça, pourquoi personne n’y a pensé avant ? Déjà, sachez que l’art opératif a été utilisé bien avant qu’il ne soit théorisé. Cf. les exemples que je donne dans le paragraphe suivant, souvent le fait de commandants militaires très talentueux par ailleurs. Mais c’est surtout l’émergence au 19e siècle de deux éléments qui va changer la donne : la révolution industrielle, et le nationalisme.
Pour qu’un pays puisse mener une guerre, il a besoin de trois choses : la volonté de combattre (le moral), la capacité à lever des troupes, et la capacité de les équiper/ravitailler. Si l’un de ces 3 éléments vient à manquer, bingo : il va perdre. Il doit alors négocier (de préférence avant que le point en question ne soit complètement foutu), ou risquer une défaite totale. Il a toujours été possible de jouer sur le moral, même si cela demande une forte expertise pour y arriver. Mais avant, on pouvait également compter sur un épuisement des ressources de l’ennemi : au Moyen Age, un pays pouvait mobiliser, et surtout équiper, que des milliers, ou quelques dizaines de milliers au mieux, de combattants ; il était ainsi envisageable de les vaincre à un coût qui soit raisonnable. A la Renaissance, on franchit l’étape supérieur : si on prend la guerre de Trente Ans par exemple, on arrive à des centaines de milliers de soldats de part et d’autre. Là, ça commence à être compliqué, et les conséquences sont réelles : des régions entières sont dévastées, et perdent beaucoup de populations (jusqu’à 65% pour la Poméranie par exemple !). Les guerres de la Révolution française et les guerres napoléoniennes continuent à donner une idée de ce à quoi va ressembler la suite : les belligérants ont beau engager des troupes en quantité, en perdent beaucoup, y engouffrent des fortunes, ils finissent toujours par remettre une pièce et c’est reparti !
Avec la révolution industrielle, les populations des pays grimpent à des dizaines de millions. C’était déjà le cas pour les plus grands pays ; avec la conscription, une bonne partie est désormais mobilisable, et l’augmentation considérable des moyens de production permise par l’industrie permet de les équiper. Ainsi, en cas de guerre à grande échelle, ce sont désormais des millions de bonshommes qu’il faudra vaincre ; et même si on dispose de troupes équivalentes, cela peut être long, coûteux et difficile. Une victoire par attrition devient ruineuse : c’est le constat amer de la triple entente après la 1ere guerre mondiale. Quant au moral, avec le nationalisme, il devient également difficile de le briser : à partir du moment où la nation identifie la victoire comme la seule issue possible à un conflit majeur, elle trouve la force de continuer le combat malgré les difficultés (jusqu’à un certain point … qui peut aller très loin, quand on voit ce qu’il restait du 3e Reich au printemps 1945).
On peut donc se dire que l’échelon stratégique promettant surtout du sang, on va se tourner vers le tactique, mais ce n’est guère mieux. Déjà, le volume des armées est tel qu’une seule bataille ne peut être décisive, et ne va impliquer qu’une portion seulement des forces des deux camps. De plus, la puissance de feu a tellement progressé qu’une offensive, même bien planifiée, essuiera des pertes non négligeables.
Et c’est là que l’art opératif intervient : si on veut réduire les affrontements tactiques de grande envergure, sans non plus entrer dans une logique d’attrition, il faut trouver un moyen de gagner sans combattre. Et si, à l’échelle opérative, vous parvenez à déstabiliser le dispositif adverse, vous pouvez capturer ou faire reculer de grandes formations ennemies sans à avoir à les combattre ! Plutôt pratique non ? Ça vous parait trop beau pour être vrai ? Voyons quelques exemples dans l’Histoire.

Quelques exemples d’art opératif

La chevauchée de 1359-1360

J’en avais un peu parlé lors de mes articles sur Charles V. Durant la première partie de la guerre de Cent Ans, les Anglais pratiquent en France la technique de la chevauchée : des raids profonds de pillage, menés par des troupes montées (d’où le nom) donc très mobiles, et qui se nourrissent sur les terres pillés.
Charles, seulement régent, est à la tête d’un pays ruiné, divisé, et affaibli militairement. De plus, toutes les batailles rangées depuis des années ont tourné en faveur des Anglais. Une défaite de plus et son autorité s’effondrera. Or, Edouard III, roi d’Angleterre, revient une nouvelle fois en France, pour une chevauchée qui doit le mener jusqu’à Reims, la ville du sacre. Charles doit l’arrêter, mais sans un combat direct. Que faire ?
Et bien il utilise la tactique de la terre déserte. « Tactique » utilisée ici non pas au sens « échelon tactique », mais au sens « stratagème ». En gros : il invite la population à évacuer les campagnes et à se réfugier dans les châteaux forts, avec toutes leurs provisions. Edouard III se retrouve ainsi bien attrapé : il ne peut pas se ravitailler, vu qu’il avait prévu de se servir sur le dos de la bête … Il provoque les chevaliers français pour obtenir une bonne bataille en bon et due forme, mais rien à faire. Il finit par rentrer chez lui, à pied et avec la moitié de ses hommes seulement. Il cramera bien tout sur son passage, comme un gros enfant capricieux, barbu et à la tête de milliers de soudards.
Charles a donc bien obtenu une victoire sans engagement armé (donc tactique). C’est quasi de l’art opératif (je sais que les théoriciens militaires vont sans doute râler, en disant que ça n’en est pas vraiment … c’est vrai, mais bon, ça y ressemble un peu non ?)

La guerre d’Imjin

Souvenez, c’était cet été ; non, pas la guerre, mais l’article que j’ai écrit à son sujet. La Corée se fait attaquer par le Japon, à la fin du 16e siècle. Au sol, les Coréens se font bousculer par des samouraïs motivés et aguerris. Le pays est certes riche, mais pas assez peuplé pour envoyer des armées au massacre en continu. La solution viendra donc de la mer : en coupant le ravitaillement et les renforts japonais, l’amiral Yi Sun-sin pense pouvoir forcer les Nippons à retourner sur leurs îles. Et dans les faits, ça marche. Avec une série de victoires maritimes, certes magistrales mais pas si « populeuses » que ça pour les premières, il renverse le cours de la guerre sur la terre.
Les esprits chagrins pourraient là encore objectif, ce n’est pas purement de l’opératif, vu que l’effet sur le front terrestre a été obtenu sur un autre théâtre d’opérations (le maritime). Je répondrai oui, même si les victoires navales ont eu lieu proches des côtes, c’est presque le même théâtre d’op, non mais !
Et puisqu’il est ainsi, on va parler d’un pur exemple d’art opératif cette fois ci (en espérant que vous arrêtiez d’être relous).

La reddition d’Ulm

Prenons quelque chose dont je n’ai pas trop parlé jusqu’à maintenant : les guerres napoléoniennes. Nous sommes en Aout 1805. Napoléon 1er, tout fraichement couronné (par lui même) empereur, est avec sa Grande Armée dans le Nord de la France. Il attend la marine franco-espagnole pour aller régler des comptes avec ses vieux ennemis, les Anglais.
Mais la flotte tarde, et entretemps, il apprend que l’Autriche et la Russie lui déclarent la guerre, et que la Prusse ne devrait pas tarder non plus. Son idée, c’est de vaincre les 2 premiers de façon séparée – ce sera + facile -, et de leur coller une bonne dérouillé afin de persuader le 3e larron que non, attaquer la France n’est pas une bonne idée. Napoléon envoie donc son armée à toutes allures vers l’Autriche, en passant par l’Allemagne. C’est là le premier atout de l’empereur : l’extraordinaire vitesse de ses armées pour l’époque. Non pas que les Français sont meilleurs marcheurs ; mais d’une part, ils ont une bonne logistique, et surtout ils sont très motivés, et du coup ne se plaignent pas de leurs ampoules aux pieds (comme quoi, quand ils ne se plaignent pas, les Français peuvent faire des trucs biens). De leurs côtés, les troupes autrichiennes sont entrées également en Allemagne, avec à leur tête Karl Mack, baron von Leiberich. Qui ne s’attendait pas à ce que les Français soient déjà là.
Deuxième atout de Napoléon : le renseignement. Il dispose d’un bon réseau d’espions en Allemagne, et il envoie des missions de reconnaissance de cavalerie pour savoir où se trouve les forces ennemies. Troisième atout : la désinformation ; il possède un double agent dans les rangs autrichiens, Charles Louis Schulmeister, qui raconte des cracks à Mack. Il veut persuader son adversaire qu’il vise la prise de la ville d’Ulm, en attaquant par le long du Danube depuis le Sud. Et pour renforcer cette idée, il envoie une partie de ses troupes par cette route, en attaquant et faisant du bruit pour bien donner l’illusion … ce qui marche à merveille. Pendant ce temps, le reste des troupes passe par d’autres voies, à vive allure, de façon à encercler les Autrichiens.
Karl Mack ne sait plus où donner de la tête : on l’attaque d’un peu partout, il ne sait plus avec certitude où sont les armées françaises, qui ont l’air méga nombreuses, et ses lignes de ravitaillement sont menacées. Il prend ainsi un gros coup de pression, et dans le doute, il décide de se replier sur Ulm et de s’y retrancher. Napoléon n’a ainsi plus qu’à assiéger la ville, avec en face un général qui n’a toujours pas compris ce qu’il s’est passé.
Les généraux de Napoléon le pressent d’attaquer la ville, mais ce dernier refuse : ce serait certes une victoire, mais également une boucherie dans ses propres rangs. Il se contente d’attendre … Du côté des Autrichiens, on attend le secours des Russes ; mais en fait, ceux ci sont encore loin : ils pensaient que l’armée napoléonienne était encore en France, et ne se sont pas pressés ! Dépité, Mack se rend quelques jours plus, voyant ses provisions diminuer. Les Français viennent de vaincre une armée autrichienne en entier, ont pris ses canons, font des dizaines de milliers de prisonniers, pour un coût assez faible (quelques centaines de morts et des ampoules aux pieds). Ainsi débarrassé de la moitié de la menace, avec une armée presque intacte, l’Empereur n’a plus qu’à attaquer l’Autriche, attendre les Russes sur le terrain de son choix, et leur flanquer une bonne branloute : ce sera la célébrissime bataille d’Austerlitz. Qui découragera la Prusse d’entrer dans la danse (provisoirement).
On a là un excellent exemple de victoire par art opératif : sans provoquer de grand affrontement armé (échelon tactique), Napoléon parvient à défaire son adversaire, par un subtil mélange de ruse et de manœuvres de ses troupes.

Le plan de la manoeuvre des armées françaises en direction de Ulm, en 7 colonnes

Voilà quelques exemples d’art opératif, et ce sera tout pour aujourd’hui. Bien entendu, il y a d’autres exemples plus récents d’art opératif. Mais avant de les voir, il faudra que l’on parle de la notion d’opérations en profondeur, telles qu’imaginées par les Soviétiques dans les années 1920.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Art_op%C3%A9ratif
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tactique_militaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Strat%C3%A9gie_militaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chevauch%C3%A9e_d%27%C3%89douard_III_(1359-1360)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Ulm

Sources des images : Wikipédia

Abattre un avion avec un pistolet : c’est possible

Avez déjà joué à un jeu vidéo de tir type « Battlefield » ? Si oui, vous avez probablement essayé de tirer sur un avion avec votre fusil de base ou un pistolet, que cela soit par dépit, fureur meurtrière, ou pour tenter « l’exploit ». Et très certainement avez vous constaté la difficulté de la chose … Impossible ? Peut être pas : puisqu’un pilote de l’US Air Force est bien parvenu à abattre un chasseur japonais, armé d’un simple colt M1911 calibre 45.

Notre histoire se déroule le 31 mars 1943, en Birmanie. A ce moment, l’ancienne colonie britannique est en grande partie occupée par les Japonais. L’US Air Force possède sur le secteur de la 10th Air Force, dont le but est d’opérer depuis l’Inde, et de lâcher des bombinettes sur toute cible d’intérêt stratégique dans la zone. Ce jour ci, c’est le 7th Bombardment Group qui s’y colle, composé de 22 bombardiers lourds B-24 Liberator (un « cousin » des + célèbres « Flying Fortress »). L’objectif est un pont de chemin de fer.

Un B24 Liberator

Sauf que : cette cible se trouve à proximité de bases de chasseurs nippons. Le raid ne sera pas escorté par la chasse alliée (portée insuffisante). Et contrairement aux immenses raids qui opèrent au dessus de l’Allemagne, la formation n’est « que » d’une vingtaine d’appareils, soit un ou deux « box » de bombardiers (souvenez vous : j’ai parlé de cette formation dans l’article suivant : https://perekastor.fr/?p=134). Autrement dit : ça pue.

Et en effet : alors que nos braves bombardiers US n’ont même pas encore atteint l’objectif, voici qu’ils sont attaqués par 13 samouraïs volants, des chasseurs japonais Nakajima Ki-43. Ceux ci s’en prennent couragement à l’arrière de la formation, soit son point faible. Et oui : être un valeureux bushi n’empêche pas d’utiliser sa cervelle pour éviter de prendre des bastos.
L’un des avions américains se prend rapidement deux rafales, dont l’une touche la soute à bombes et le circuit d’oxygène (pour rappel, hautement inflammable).
A bord du malheureux élu, c’est rapidement le chaos : un incendie se déclare à l’arrière de l’appareil. Un des mitrailleurs, le sergent Crostic s’empare d’un exincteur, non pas pour sauver le bombardier, mais gagner assez de temps pour que ses camarades puissent sauter.

L’officier Owen J. Baggett racontera plus tard qu’il s’est réveillé sous son parachute déployé : il a vraisembablement perdu connaissance, avant de sauter. Quoi qu’il en soit, il se réveille juste à temps pour voir son avion exploser au dessus de lui. En + du sien, il n’y a que 3 autres parachutes à proximité, ce qui signifie que les autres membres d’équipage ne s’en sont pas sortis.
Mais alors qu’il vient à peine d’échapper à la mort, voici qu’un autre danger se profile : plusieurs chasseurs japonais commencent à tourner autour d’eux et les harcèlent. Si, sur le front de l’Ouest, certains pilotes de chasse considèrent comme désobligeant d’abattre un pilote en parachute (comme Franz Stigler), les aviateurs du Soleil Levant n’ont visiblement pas de telles scrupules. A noter que, de la même façon, les pilotes japonais n’attendaient pas de « clémence » de la part de leurs ennemis : plusieurs pilotes abattus sur le point d’être « récupérés » par les forces US, ont choisi de se faire sauter à la grenade plutôt que d’être fait prisonniers.


Owen voit un chasseur qui l’aligne et lui envoie une rafale de mitrailleuses. En tirant sur les sangles de son parachute, il parvient à esquiver l’essentiel, si ce n’est une balle qui érafle son bras gauche. Il décide alors de faire le mort, et se laisse pendre afin de donner le change. Mais, prudent, il dégaine également son pistolet, un M1911 (arme de poing très répandue dans les armées de l’oncle Sam). A la base, cette arme est distribuée aux équipages surtout pour s’assurer un minimum d’autodéfense dans le cas où ils seraient abattus, par exemple contre des bêtes sauvages qui infestent les jungles de la région. Mais Owen Baggett, là tout de suite, est un peu à court d’options : c’est la seule arme qu’il a sous la main.
Le chasseur japonais revient, ralentissant au maximum : son objectif est probablement de « vérifier » son coup. Alors qu’il s’approche du parachute, il ouvre la verrière de son cockpit. Owen Baggett, d’un coup se redresse, et pointe son arme : dans un mélange de fureur et de terreur, il tire sur l’appareil adverse 4 coups. Et contre toute attente, l’avion décroche et part en vrille.

Que s’est il passé ? Owen ne le saura pas de suite. Une fois arrivé au sol, il doit encore échapper aux autres chasseurs qui le mitraillent. Il finit par être fait prisonnier avec 2 autres membres d’équipage, et envoyés en camp de prisonniers. Celui ci est traité de façon exceptionnelle, puisqu’on lui offre l’opportunité de pratiquer le seppuku (ce qu’il refuse poliment). Il finit la guerre en camp de prisonniers … et c’est alors qu’il rencontre un pilote de chasse, également prisonnier : le colonel Harry Melton. Celui ci lui raconte qu’un colonel japonais aurait parlé d’un chasseur japonais crashé, dont le pilote aurait été retrouvé avec … une balle dans la tête. Il pourrait bien s’agir de la victime de Baggett. Le colonel meurt hélas dans le naufrage du navire qui devait le conduire au Japon. Bien que fortement affaibli par sa captivité, Owen Baggett survit à la guerre. Il continue sa carrière dans l’US Air Force.

Alors, exploit réel rendu possible par un mélange de volonté de survivre et de chance, ou fiction ? En l’état il reste le seul exemple « authentifié » d’avion abattu en vol par un pistolet. Donc très difficile, oui ; impossible, peut être pas …

Article où j’ai découvert l’anecdote (le site est une vraie mine d’or si vous aimez l’aviation) : https://www.avionslegendaires.net/dossier/recits/le-chasseur-au-colt-45-quand-la-realite-depasse-la-fiction/

Sources des images : Wikipédia

Opération Bodenplatte : bonne année de la Luftwaffe

En ce début d’année 2022, il se peut que plusieurs de mes lecteurs et lectrices, suite à une veillée fort tardive, et/ou trop riche en éthanol, aient quelques maux de tête le premier jour du nouvel an. Peut être certains ont ils même l’impression d’avoir un moteur d’avion dans le crâne, voire que ledit avion ait décidé de tapisser l’intérieur de leur boîte crânienne avec moult cartouches.
Et bien au début de l’année 1945, les pilotes alliés ont eu le droit à ces sensations, non seulement dans leurs têtes, mais également au dessus de celles ci. Car la Luftwaffe leur a souhaité une nouvelle année à sa façon : c’est l’opération Bodenplatte. Voici son histoire.

Tout commence à l’automne 1944. La situation militaire du IIIe Reich n’est pas glorieuse. A l’Est, l’Axe a perdu presque tous les territoires conquis sur l’URSS, plus la Roumanie (qui a astucieusement changé de camp), les soviétiques sont aux portes de Varsovie et de la Poméranie orientale. Et du côté Ouest, ce n’est guère mieux : depuis le débarquement en Normandie, les Alliés ont libéré la quasi totalité de la France, la Belgique et une partie des Pays Bas, et tiennent une grosse moitié sud de l’Italie.

Hitler a un plan « génial » (selon lui et ses fanboys) pour redresser la situation : ses ennemis se sont épuisés avec leurs dernières offensives automnales, et vont passer en position défensive, sans doute jusqu’au printemps prochain. L’idée est donc de lancer une grande offensive à l’Ouest, de façon à couper les armées alliées, les démoraliser et les pousser à négocier une paix séparée, et après aller taper sur du communiste. Mais où attaquer ? Par les Ardennes bien sûr ! Cela a fonctionné en 1940, alors pourquoi ne pas recommencer ? Cela donnera lieu à la fameuse bataille des Ardennes, dont je parlerai une autre fois.

Si l’opération fait l’objet de nombreuses critiques par certains généraux réalistes, une seule sera entendue par le Führer. Les dernières grandes contre attaques allemandes ont toutes été stoppées par l’aviation alliée : ceux ci ont la supériorité aérienne quasi totale à l’Ouest, Typhoon et autres Thunderbolt mènent la vie dure aux Panzer quand ceux ci osent sortir à découvert. Ainsi, si l’offensive des Ardennes veut avoir une chance de réussir, il va falloir calmer les ardeurs de la RAF et de l’USAF.
Parallèlement à l’attaque au sol, une grande opération aérienne doit avoir lieu, pour neutraliser les avions alliés aux Pays Bas, en Belgique et dans le Nord de la France : ce sera l’opération Bodenplatte. On confie à la Luftwaffe le soin de préparer cette offensive : il s’agit d’aller bombarder les aérodromes de ces régions, pour que les vilains anglo saxons volants ne puissent pas venir faire péter nos chars. Élément crucial : l’effet de surprise. Si les forces aériennes alliées sont placées en état d’alerte, l’opération risque d’échouer. On garde donc le plus grand secret autour de cette opération : quelques officiers sont mis au courant, mais les pilotes eux, ne seront prévenus qu’au dernier moment. L’attaque doit débuter le 16 Décembre, en même temps que les opérations au sol.

Un imprévu va cependant annuler l’opération : la météo. En cette fin 1944, le réchauffement climatique n’est en effet pas à l’ordre du jour, l’hiver est précoce est vigoureux. Température polaire et tempêtes de neige vont geler les opérations aériennes, et empêcher purement et simplement Bodenplatte. Mais ce n’est pas forcément un problème, au contraire : le temps étant le même des deux côtés, les avions anglais et américains ne pourront pas plus intervenir, et Hans dans son char Tigre ne risque pas de recevoir roquettes ou bombes depuis le ciel. On obtient donc le résultat espéré, sans avoir à risquer le moindre appareil : parfait !
Et effectivement : au début de la bataille des Ardennes, l’aviation alliée ne pourra que peu intervenir en raison d’une météo capricieuse. Mais à partir du 26 Décembre, le temps se dégage ; et aussitôt, les pilotes alliés sont lâchés tels des chiens fous, et vont effectuer sortie sur sortie. C’est un véritable déluge de feu qui va s’abattre du ciel sur les troupes allemandes (qui étaient déjà en difficulté).

Malgré quelques bons résultats initiaux, l’offensive est un échec, aucun objectif n’est atteint. A cela de nombreuses raisons (que je n’évoquerai pas ici, un autre article, soyez patients petits kastors !). Mais pour Hitler, il est évident que son plan pourtant infaillible n’a pas pu échouer à cause de lui. Il désigne les responsables : ses généraux (qui n’ont pas su suivre ses ordres pourtant parfaits), et … l’aviation alliée. Sur ce 2e point, il n’a pas complètement tort, même si l’offensive était vouée à foirer de toute façon.
Il pique donc une de ses fameuses crises, et déclare : l’aviation alliée doit être détruite au sol. En effet, si c’est trop tard pour l’offensive dans les Ardennes, il en prévoit une autre du côté de l’Alsace, tout aussi merveilleuse et inratable bien entendu (à ce niveau, on dirait presque du Trump).

L’opération Bodenplatte est donc reprogrammée, pour punir ses méchants Bobbies et Sam volants, qui nous empêchent d’attaquer là où on veut. La nouvelle date sera le 1er Janvier 1945. L’idée étant que les pilotes alliés seraient trop fatigués/beurrés suite au réveillon pour prendre les airs (ou du moins représenter une menace tangible). Presque mille avions participeront à l’opération : essentiellement des chasseurs Bf 109 et Fw 190, guidés par des chasseurs de nuit, et escortés par quelques avions à réaction. Cela représente des moyens considérables pour une Luftwaffe passablement affaiblie par 5 années de guerre.
Encore une fois, l’effet de surprise doit être total : le plan est préparé par une poignée d’officiers d’état major, qui préviennent les commandants d’escadrille, mais l’immense majorité des pilotes ne sont prévus que quelques heures avant : hop hop hop, rangez vos bières et à bord de vos avions ! Une déception pour une partie des équipages qui pensaient fêter peinard le nouvel an, mais on est allemand, donc on obéit.

Les avions n’ont pas encore décollé que les premiers problèmes surgissent : les plans de vol sont transmis très tard aux pilotes (toujours pour que le secret ne soit pas éventé). Sauf que beaucoup d’entre eux sont novices, et n’ayant pas le temps d’étudier les trajets convenables, ils vont faire des erreurs de navigation. De surcroît, on ne leur a pas expliqué le pourquoi de l’opération, ils n’ont pas de vision d’ensemble, et chaque escadrille pense donc effectuer une attaque limitée.
Deuxième problème, encore lié au secret de l’opération. Les avions allemands doivent passer au dessus de leurs lignes pour attaquer les aérodromes alliés, et notamment dans certains secteurs très défendus. Or, la Flak n’a pas été prévenu de l’opération : quand ils voient défiler au dessus d’eux des centaines d’appareils, ils pensent à des attaques alliés. Et logiquement : ils ouvrent le feu. Avant même que les appareils n’atteignent leurs objectifs, les allemands subissent des pertes dues à des tirs amis. Cela va rajouter à la confusion initiale.

Les chasseurs teutons se présentent enfin – et non sans mal – au dessus des bases aériennes alliées. Et pour le coup : la surprise est totale. En effet, les services de renseignement ont bien eu quelques indices sur la possibilité d’une attaque aérienne de grand envergure … Mais ils n’y ont pas cru. Impossible : les Allemands ne peuvent PAS préparer un truc aussi énorme. Ce n’est pas comme s’ils avaient échoué à prédire l’offensive des Ardennes, malgré quelques signes évidents, et ce il y a à peine 2 semaines.
Les pilotes alliés sont donc surpris d’être réveillés par des explosions, qui ne sont pas du à quelques pétards, mais à des avions en feu sur les pistes ; accessoirement, LEURS avions. La surprise passée, la DCA va rentrer en action, et commencer un magnifique feu d’artifices diurne.

Selon les secteurs, les résultats seront très variables. Sur quelques aérodromes, les Allemands vont faire un carton, détruisant de nombreux appareils au sol, sans que ceux ci n’aient le temps de décoller. Ailleurs, les pilotes peu expérimentés vont se tromper de cibles, et attaquer des bases secondaires moins importantes. Partout cependant, quelques avions alliés vont réussir à décoller, bien décider à taquiner la queue de Hans (la queue de son avion je veux dire). Cela provoquera des escarmouches aériennes éparpillées. Enfin, en quelques endroits, des escadrilles entières, qui étaient en patrouille, vont avoir le temps de revenir pour participer à la fête, donnant lieu à de grands affrontements aériens.

Quelques exemples du résultat des attaques allemandes ; ici, des P-47 détruits au sol sur la base Y-34

Ici, un B-25 Mitchell (ou un C-3 selon les sources), en flammes après l’attaque de Melsbroek

Toujours à Melsbroek, on tente de sauver un bombardier Lancaster

Et alors, le résultat de tout ça ? De leur côté, les Alliés vont perdre entre 400 (chiffres américains) et 700 (selon les allemands) appareils, sans doute dans les 500. De leur côté, les Allemands enregistrent environ 300 avions perdus. Le tableau des scores est à leur avantage …
Et pourtant, ce résultat est un trompe l’œil. Rappelons que l’objectif de l’opération Bodenplatte, c’était de neutraliser durablement la force aérienne alliée. Or, les dégâts seront vite réparés : les pistes dégagés des carcasses brûlées des avions détruits, et les appareils détruits remplacés par les stocks conséquents des arsenaux américains. En tout, la Luftwaffe n’aura gagné que 2 semaines de répit. De plus, s’ils ont perdus beaucoup d’avions, les alliés n’ont que peu de morts : les engins ont été attaqués au sol sur les pistes, donc globalement avec personne à bord (sauf si un pilote, un peu trop alcoolisé, à décider de passer la nuit dans son cockpit …). Ils n’auront ainsi qu’une cinquantaine de blessés, et trois fois plus de blessés.
Coté allemand, c’est en revanche l’hécatombe : plus de 200 morts, disparus ou prisonniers, les avions abattus l’ayant été essentiellement au dessus de territoires contrôlés par les alliés. Parmi ces pertes, beaucoup de vétérans et d’officiers expérimentés : la Luftwaffe ne pouvait se permettre de telles pertes. Celles ci seront comblées par des pilotes très peu entrainés. L’arme aérienne allemande, qui avait fait le succès du 3e Reich au début du conflit, est donc désormais incapable de reprendre le dessus : elle se limitera désormais à des actions ponctuelles et limitées.

Si Bodenplatte est un succès tactique relatif, c’est un cuisant échec stratégique, signe d’une armée moribonde en ce tout début d’année 1945. Moribonde, mais déterminée à combattre jusqu’au bout. Exemple typique d’une victoire à la Pyrrhus, cette offensive sera le chant du cygne de la Luftwaffe, aussi glorieuse qu’inutile.
En ce tout début d’année 2022, alors que vous avalez aspirine ou autre pour lutter contre vos céphalés, ayez une pensée pour tous ces jeunes pilotes, d’un côté ou de l’autre, coincés dans leur cockpit, transis de froid, les mains serrés sur le manche à balai, blessés ou morts, en vain.

Joyeuse année 2022 !

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Bodenplatte

La série de documentaires « Les grandes batailles », épisode « Allemagne », partie 1

Sources des images : Wikipédia

Le kamikaze russe qui a survécu (4 fois)

Quand on évoque « avion suicide » et « 2e guerre mondiale », on pense généralement aux Japonais et à leurs kamikazes (« vent divin » dans la langue de Naruto). En effet, nos braves amis du pays du Soleil Levant, sentant l’aigre odeur de la défaite approcher, se dirent que la meilleure chose à faire, c’était d’envoyer la fine fleur de leur jeunesse s’écraser sur les navires américains, en se disant qu’à un moment les Yankees en auraient marre et rentreraient chez eux. Bon dis comme ça, ça a l’air très con. Et ça l’a été : les attaques suicides ont davantage eu un impact moral que stratégique. Mais cela répondait à deux logiques : culturelle (bushi do, le combat jusqu’à la mort etc.) et logistique : coupé de ses approvisionnements en pétrole, le Japon ne pouvait plus entraîner convenablement ses pilotes. Du coup, comme ça n’a pas marché, ils ont changé de technique et tentent désormais de corrompre notre jeunesse à coups d’orgies de tentacules (en bousillant au passage leur jeunesse, comme quoi y’a une certaine constance).

Ce qui est mois connu, c’est que certains pilotes ont parfois écrasé – volontairement – leurs avions … sur d’autres avions. La plupart du temps, l’idée était de crasher un chasseur sur un appareil plus gros (genre transporteur ou bombardier), ce qui est plus facile (le premier étant plus agile, le deuxième constituant une cible assez grosse), et a plus de valeur stratégique. Ce n’était pas spécialement nouveau, puisque les premiers abordages aériens (ou éperonnages aériens – ce sont les noms officiels de cette technique) ont eu lieu durant la première guerre mondiale (donc finalement, c’est aussi vieux que le combat aérien lui même). Les soviétiques, qui sont pas les derniers dans l’art de la déconne, ont même donné un nom particulier à cette attaque : le « taran » (littéralement, bélier en russe, assez explicite).

Une illustration d’un taran en 1914, pratiqué par un voltigeur russe

La comparaison avec nos amis nippons s’arrête là, puisque dans le cas de l’abordage aérien, le sacrifice du pilote n’est pas automatique. En effet, celui ci a une petite chance d’en réchapper, puisqu’il peut sauter de l’appareil. Autant dire que les probabilités de survie sont tout de même très réduites. Déjà, pour sauter en parachute d’un chasseur de l’époque, il fallait en vouloir : pas de siège éjectable, il faut donc se détacher de son siège, ouvrir la verrière, monter par dessus le rebord et sauter, le tout d’un avion volant à 400-500 km/h, parfois en feu, puis à ouvrir son parachute. A cela, il faut ajouter qu’on ne peut sauter qu’au dernier moment (il faut maintenir l’aéronef dans la bonne direction pour augmenter les chances de collision), mais que si l’impact est trop fort, votre appareil peut exploser.

Autre illustration, cette fois d’un chasseur allemand percutant un bombardier américain

Pourquoi en venir à une telle tactique ? En combat aérien, il n’est pas rare de tomber à court de munitions (l’emport est limité, et difficile de recharger dans les airs), ou de se retrouver trop endommagé pour rentrer à la base. Dans ce cas, plutôt que de sauter en parachute, pourquoi ne pas entraîner un ennemi avec soi ? Si on a des exemples d’utilisation de cette technique chez de nombreux belligérants, les soviétiques sont ceux qui l’ont le plus mis en avant (et sans doute, le plus utilisée). A cela une raison idéologique (glorification du sacrifice individuel pour la cause commune), mais également technique. Au début du conflit, les forces aériennes soviétiques disposent d’une grosse quantité de chasseurs, certes peu performants mais disponibles en nombre. Face aux chasseurs allemands ils se retrouvent inférieurs, mais ils disposent d’une hélice en métal. Or, si de nombreux avions possèdent des ailes et carlingues en métal, certains organes de direction (gouvernes) sont encore en toile et bois. L’idée est donc d’utiliser le taran pour hacher ces parties faibles. Ou, en dernier ressort, se prendre plusieurs tonnes dans la tête est souvent fatal pour un avion.

Pourtant, nous en venons à notre héros du jour : Boris Ivanovitch Kobzan. Avec un tel nom, forcément : il est russe. Mais sa particularité, c’est d’être le champion toute catégorie du « taran ». En effet, non seulement il a obtenu le plus grand nombre de victoires (4) avec cette attaque spéciale, mais il a également réussi à survivre … à chaque fois. Autant dire que le gars peut jouer à Xcom sans trop craindre la RNG.

Le gars a même eu droit à ses timbres

Pour la petite anecdote, la technique a tellement impressionné l’US Air Force que, durant les tests sur les premiers avions à réaction, ils avaient imaginé un appareil dédié à cette forme de combat. Il ressemblait à un gros boomerang de métal, et devait réussir à « trancher » les appareils ennemis. Avec la généralisation des appareils à réaction et les premiers missiles AA guidés, l’idée s’avéra merdique et ne dépasse pas le stade du prototype. Malheureusement, j’ai oublié le nom de ce merveilleux appareil, donc je ne pourrai pas vous le donner.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Taran
http://les-avions-de-legende.e-monsite.com/pages/anecdotes-aeriennes/l-attaque-taran.html

Source des images : Wikipédia

7, 8 et 9 Mai 1945 : késako ?

8 Mai 1945. Dans la nuit, un peu avant minuit, se réunissent à Karlshorst, banlieue berlinoise, des représentants militaires des Alliés, de l’URSS et de l’Allemagne. Pour cette dernière, c’est le Generalfeldmarschall Keitel, commandant en chef de la Wehrmacht, qui a fait le déplacement. On l’invite, un peu sous la contrainte, à signer l’acte de capitulation du 3e Reich. Moment historique, dont la date est désormais synonyme de commémoration ou de jour férié en Occident.
Et pourtant … la guerre en Europe a officiellement pris fin le 7 Mai. Quant à la Russie, et de nombreux autres pays de l’ancien bloc de l’Est, le « Jour de la Victoire » est célébré le … 9 Mai.
7, 8 et 9 Mai 1945 : qu’est ce que sont finalement ces trois dates ? Voyons cela ensemble.

Tout commence le 30 Avril. Hitler est réfugié dans son bunker à Berlin, en cours d’invasion par les Soviétiques. Cette fois, il en a marre : la guerre est perdue, tout ça à cause des généraux qui n’ont pas réussi à appliquer ses plans pourtant géniaux (selon lui), une bonne partie de ses proches se disputent déjà le pouvoir. Il décide donc de mettre un point final à cette histoire, et une balle dans sa tête. Il se suicide avec sa femme, Eva Braun (rappelons qu’ils sont jeunes mariés : ils se sont épousés la veille – le film « La chute » aurait pu s’appeler « 1 mariage puis 1 enterrement »).
Mais comme il ne veut pas que ce gros naze de Göring, ou ce petit fourbe d’Himmler en profitent pour prendre la place vacante, il rédige auparavant son testament politique, où il nomme notamment celui qui doit être son successeur à la tête de ce qu’il reste de l’état allemand. Ce sera le grand amiral Karl Dönitz, chef de la Kriegsmarine depuis 1943, qui n’en demandait pas tant. C’est en réalité l’un des rares responsables que Hitler considérait comme étant toujours à peu près compétent et fidèle. Il forme alors le gouvernement de Flensbourg, qui doit gérer ce qu’il reste du Reich.

Et justement, qu’en reste t il, de l’Allemagne Nazie ? Pas grand chose : seul entre un tiers et un quart du pays est toujours sous contrôle. La capitale elle même est encerclée, et largement occupée par l’armée rouge. Dans les territoires occupés : tient encore la Norvège (relativement épargnée), le Danemark (plus pour longtemps), la moitié de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie (Prague est sur le point de se révolter). Quant à ses alliés, c’est également fini : la Hongrie est battue, et ce sera bientôt le tour de la République sociale italienne (dans le Nord de l’Italie actuelle) – Mussolini est mort le 28 Avril, fusillé par des partisans. L’armée est en déroute, les forces aériennes n’ont presque plus de pilotes (ils n’ont plus de carburant non plus de toute façon), les villes en ruines, il n’y a que la marine qui tient, et encore … En guise de Reich millénaire, Dönitz reçoit un beau paquet d’emmerdes. Il n’y a désormais plus aucun espoir, et il le sait.

Le grand amiral Karl Dönitz


Revient alors une vieille idée : celle de la paix séparée. L’idée est que Anglais et Américains n’aiment pas beaucoup les rouges, alors après tout : pourquoi ne pas s’allier contre eux, afin d’aller taper du bolchévique ? Vieille idée, car celle ci date tout de même de 1941 : un certain Rudolf Hess, compagnon de longue date de Hitler, décide tout seul d’aller au Royaume Uni, après avoir volé un chasseur, pour négocier la paix. Autant le préciser : ça ne marchera pas, et cet « incident » a été mis sur le compte de la santé mentale de Hess. Le principal obstacle à cette paix séparée, c’était Hitler lui même : il était persuadé de pouvoir vaincre sur les deux fronts, ou du moins pouvoir pousser les Occidentaux à négocier dans une position qui lui serait favorable. La suite, on la connait.
Il n’empêche : cette idée de pouvoir s’entendre avec les Alliés, pour ensuite aller gaiement tous ensemble taper du communiste persistera tout le conflit, et parmi les plus hautes instances du pays. C’était notamment l’un des objectifs des responsables de la tentative de coup d’état de Juillet 1944 : écarter Hitler et les SS, pouvoir négocier à l’Ouest et mieux taper à l’Est. Dönitz, lui, s’y est toujours refusé, mais principalement car Hitler y était opposé. Maintenant que le Führer est mort, il ne peut plus vraiment s’opposer à quoi que ce soit.

Le nouveau patron de l’Allemagne contacte les Alliés, pour voir si y’a moyen de moyenner. Ce qu’il ne sait pas, c’est que le sort du pays a déjà été décidé, et depuis longtemps : Britanniques, Américains et Soviétiques se sont en effet mis d’accord pour une capitulation totale, sans conditions (rappelez vous, j’en ai parlé dans un article précédent). Il comprend rapidement que c’est peine perdue. Il change alors d’objectif : tout doit être fait pour que le maximum de troupes puissent se rendre à l’Ouest, plutôt qu’aux soviétiques. En effet, si les Alliés respectent plutôt bien les conventions relatives aux prisonniers, l’on redoute que les peuples de l’Est (qui ont souffert bien plus de l’occupation allemande, rappelons le), ne se montrent moins cléments : exécution des prisonniers ou déportation en Sibérie (ce qui sera effectivement le sort de beaucoup d’entre eux).


Pendant une bonne semaine, il transfère autant de soldats et de civils que possible sur le front de l’Ouest, n’assurant qu’une défense minimale face aux offensives de l’armée rouge. Ce qu’il reste de la marine évacue tout ce qu’elle peut, et Dönitz envoie même un pilote de la Luftwaffe tenter de négocier un accord partiel avec les Américains : en gros, laissez la chasse allemande tranquille, afin qu’on se défende des Russkofs, et on ne vous attaquera pas. Eisenhower répondra laconiquement « no », et ce car il avait un certain savoir vivre (et insulter des mamans, c’est pas bien). Malgré quelques déconvenues, cela fonctionne tant et si bien que les Soviétiques ne feront qu’un tiers des prisonniers de ce qui reste de l’armée allemande (alors que pourtant, durant le conflit, ils ont affronté la plus grosse partie de celle ci).

Malgré tout, la situation devient intenable, et Dönitz doit se rendre à l’évidence (et tout court également). Il envoie Alfred Jödl, chef des opérations à l’OKW (Oberkommando des Wehrmacht, le haut commandement de l’armée allemande), soit le n°2 des instances militaires. Celui ci se rend … à Reims, où se trouve à ce moment le quartier général interallié sur le front de l’Ouest. Tant qu’à se rendre, autant faire un dernier pied de nez aux Soviétiques. Il signe l’acte de capitulation le 7 Mai, à 2h41. Pour les Alliés, c’est le general Bedell-Smith, chef d’état major de Eisenhower, qui signe. Pour les soviétiques, c’est plus compliqué : le seul gradé présent à Reims à ce moment est le général Ivan Sousloparov. C’est le commandant de la liaison militaire entre l’URSS et les Alliés (en gros, une mission mi-diplomatique, mi-militaire, mais sans troupes). Celui ci est bien embêté : il n’a pas les moyens de contacter Moscou dans le temps imparti, il n’est pas bien sûr d’avoir l’autorité nécessaire pour signer un document d’une telle importance. Il décide finalement de son propre chef de signer l’acte de capitulation. On contacte au dernier moment le général français François Sevez, en qualité de simple témoin.
Si les signataires, pour les Alliés, sont essentiellement des représentants, ils ont l’autorité nécessaire pour le faire, et la capitulation est tout à fait valide. Elle prévoir notamment l’arrêt de tous les combats pour le 8 Mai, à 23h01. L’affaire est donc entendue, la capitulation valide.

Alfred Jödl, signant l’acte de capitulation du 7 Mai 1945

Mais Staline ne va pas l’entendre de cette oreille. Il devient tout rouge (ce qui est normal pour un communiste). On est en train de lui voler « sa » victoire. Il va contacter le commandement allié pour demander que l’acte de Reims ne soit considéré que comme un préliminaire. Il insiste pour qu’un membre du haut commandement soviétique soit présent, et non un simple second couteau. Et tant qu’à refaire les choses, autant les faire bien : la signature aura lieu à Berlin, avec des commandants éminents des différents belligérants. Après tout, ce n’est pas impossible : la fin des combats n’est prévu que pour le 8 Mai durant la nuit, on a donc le temps d’organiser ça tout bien.
Autre problème : si l’acte de capitulation du 7 Mai a été rédigé dans 4 langues (anglais, russe, allemand et français), il est précisé que seule la version anglaise fait foi. Intolérable également, l’acte sera remanié pour y inclure l’acte en russe comme acte de référence. A vrai dire, cela est possible car dans l’acte original, il était stipulé que ce dernier pouvait être modifié ultérieurement. C’est pas comme si les Allemands avaient le choix de toute façon.

Tant qu’à refaire, autant faire en mieux : les soviétiques vont prévoir une signature aux petits oignons, avec un cérémonial comme ils savent le faire. On prévoit également comme signataires du beau monde : pour les Soviétiques, ce sera le maréchal Joukov, qui signera au nom du haut commandement. En représentant du commandement suprême interallié, le air chief marshal Tedder (équivalent à un général d’armée aérienne). Et en qualité de témoin, le général de Lattre de Tasigny pour la France (commandant de la 1ere armée française), et le général Spaatz pour les Etats Unis (commandant des forces aériennes stratégiques). Du côté allemand, on fait venir le maréchal Keitel, le chef du commandement suprême de l’armée allemande.

La signature du 8 Mai, par le maréchal Keitel

Ainsi, la véritable capitulation a bien eu lieu le 7 Mai 1945. Cependant, la signature du 8 Mai, obtenue suite à un caprice du petit père des peuples, est restée, nettement plus prestigieuse.
Mais du coup : pourquoi le 9 Mai chez nos amis slaves ? Tout simplement à cause … du décalage horaire ! La signature a eu lieu peu avant minuit, heure d’Europe centrale. Mais avec le décalage horaire, la capitulation a été enregistrée le 9 Mai, vers 1h du matin. C’est donc à cette date que Moscou a célébré la fin de la guerre en Europe, et pour cela que le « Jour de la Victoire », et son défilé militaire, ont lieu désormais à cette date.

Donc si vous souhaitez vous plaindre que le 8 Mai cette année, est tombé un Samedi, comme le premier Mai, il vous faut accuser Staline. Sans quoi, vous auriez eu un jour chômé Vendredi.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Actes_de_capitulation_du_Troisi%C3%A8me_Reich

Source des images : Wikipédia