Faut pas taquiner les Belges – 1ere partie

Il en est ainsi : en France, on aime bien se moquer de nos voisins belges. En atteste une impressionnante série d’histoires comiques, prétendant mettre en scène les habitants du plat pays, sans compter les imitations de leur langage si particulier, ou bien plus récemment les moqueries à propos du fait qu’ils auraient prétendument gagner une compétition mondiale, en 2018, d’un sport peu connu, et qu’en tout cas ils le mériteraient plus que nous.
Cependant, nous devrions être prudents : car en dehors de brasser quelques unes des meilleures bières, et de compter nombre de dessinateurs de bandes dessinées talentueux, les Belges peuvent également se montrer taquins, voire grognons, pour ne pas dire carrément brutaux. Ainsi, ne vous étonnez point si, après une plaisanterie douteuse de trop, votre camarade wallon (ou flamand, si vous êtes hardcore) n’en prenne ombrage, et qu’on retrouve votre cadavre flottant sur la Meuse, la panse remplie de frites et une fricadelle enfoncée dans chaque narine.
Je vous sens septique : allons, si les Belges étaient violents, cela se saurait ! Et bien il semblerait que vous ignoriez maintes choses sur ce pays qui, s’il n’a pas de faits d’armes aussi connus que ses voisins plus grands, n’en a pas moins quelques histoires démontrant la détermination belliqueuse de ces habitants. Je vais de ce pas vous les raconter, en commençant par le Moyen Age. Car si la Belgique n’existait pas à cette époque, elle était déjà peuplée par des gens qu’il ne fallait mieux pas taquiner de trop …

La guerre de la vache

Vous avez cette épisode de Kaamelott, où le paysan Guethenoc explique que sa vache a été volée, et que si on ne le dédommage pas, il va faire cramer le pays ? Et bien cela s’est vraiment produit, à la fin du 13e siècle, mais sur des terres correspondant à la Belgique actuelle.

Tout commence à Andenne, en 1275, lors d’une foire. Un certain Rigaud de Corbion, venant de la ville de Ciney, y aperçoit une vache, qu’on lui a volé récemment. Il alla voir le bailli – sorte de capitaine de gendarmerie de l’époque – de sa région (le Condroz), Jean de Halloy, présent à la foire pour assister à un tournoi, afin de se plaindre. Ce dernier alla voir le prétendu voleur, un paysan du nom de Engoran, qui dépendait lui du seigneur de Goesnes. Comme il n’était pas dans sa juridiction, le bailli Jean de Halloy ne pouvait pas punir Engoran sans provoquer un incident diplomatique. Il proposa l’arrangement suivant : Engoran rend la vache, et il ne sera pas inquiété pour le vol s’il pénètre en territoire du Condroz. Le paysan devant passer sur ces terres pour rentrer chez lui, il accepte.
Engoran rend la vache, puis rentre chez lui, escorté par les hommes du Bailli. Tout se passe bien … jusqu’à ce qu’ils arrivent sur les terres du Condroz, où les hommes du bailli se saisissent de lui (ils ont maintenant le droit), et le pendent à un arbre. Autant pour la parole donnée : de Guethenoc, nous sommes passés à Léodagan.

Tout aurait pu s’arrêter là. Mais Jean de Goesnes, seigneur de Goesnes, dont dépendant ledit Engoran, n’est pas content. Il avait effectivement ambitionné de devenir bailli du Condroz à la place du bailli, et l’avait mauvaise. Probablement qu’il n’en avait rien à faire du paysan en soi, mais il tenait un casus belli : en effet, en tant que seigneur, on ne pouvait punir un serf de mort sans son consentement.
Il envoie donc ses neveux et certains de ses alliés en expédition punitive, détruire le château de Halloy. Jean de Halloy, fort marri par cette impolitesse, passe à son tour à l’offensive, et ravage les terres de Goesnes, incendiant les villages.
C’est là que tout dégénère, comme pour la 1ere guerre mondiale : Jean de Goesnes appelle en renfort le comté de Namur, qui lui même fait entrer dans le conflit le Comté du Luxembourg (Gui de Dampierre, marquis de Namur, étant le gendre du comte du Luxembourg). Ensemble, ils font le siège de Ciney, capitale du Condroz, et après leur victoire, brûlent tous les défenseurs dans l’église, façon Oradour sur Glane. Puis ce fut au tour du prince de Liège d’entrer en guerre, au côté du Condroz, en ravageant les terres de ses adversaires.

La guerre ne prit fin qu’avec l’intervention du roi de France en 1278, Philippe le Hardi, qui siffla la fin de la récré, bon ça suffit maintenant les conneries. Résultats : quand même 15 000 morts. Sans doute ce chiffre est exagéré (les chroniqueurs de l’époque avaient tendance à surévaluer le nombre de morts dans les conflits, c’était plus vendeur). Mais quand même, c’est considérable pour l’époque, et rappelons que tout ça a commencé par le vol d’une vache.

De nos jours, si vous allez en Wallonie, vous pouvez suivre la route de la « Guerre de la vache », balisée par des panneaux. Les Belges se vantent donc d’un énorme bain de sang, pour un unique ruminant.

Ces andouilles en sont si fiers qu’ils en font une attraction touristique

La guerre des Awans et des Waroux

Après Kaamelott, passons à Roméo et Juliette, sous stéroïdes.

Le seigneur d’Awans, Humbert Corbeau, avait donné en mariage, à l’un de ses cousins, une jeune serve du nom d’Adoule, bien dotée (dans le sens qu’elle a une belle dot). Ledit cousin aurait pu ainsi récupérer la donzelle et sa fortune, il aurait pu dire : Adoule, le fric. Après ce lamentable calembour, signalons qu’il est du droit du seigneur d’Awans de marier une de ses serfs comme bon lui semble (et quelque part dans le monde, une féministe vient de mourir ; mais l’époque était ainsi …).
Sauf qu’un jeune écuyer, amoureux de la belle, décida qu’il n’en serait point ainsi, et l’enleva pour l’épousailler, probablement avec son consentement cette fois ci. Sauf que l’écuyer était au service du seigneur de Warroux, Guillaume le Jeune, et donc Humbert Corbeau n’avait pas d’autorité sur lui. Il protesta tout de même par voie légale : il devait prouver qu’Adoule était une serve, ce qu’il ne put faire dans les délais impartis (48 heures). Le seigneur de Warroux refusa de renvoyer la jeune femme et confirma le mariage.

Le seigneur d’Awans apprécia moyennement. Il convoqua tous ceux de son lignage, et présenta ce qu’il considérait comme un affront. Or, les règles de noblesse implique que l’insulte faite à un représentant de la lignée, c’est toute la lignée qui est insultée. Vengeance donc : chaque membre du parti Awans fit le serment de punir l’affront. Promesse faite sur le sang : chacun versa quelques gouttes de son sang dans une coupe, puis y trempa ses lèvres. Heureusement que le VIH ne sévissait pas dans ce coin à l’époque.

Le parti des Awans commence donc à ravager joyeusement les terres des Warroux. Ceux ci, mécontents, entamèrent donc des représailles, qui provoquèrent à leur tour des contre représailles, etc. Le tout entrecoupé de trêves, provoqué par différents motifs, notamment des tentatives extérieures pour faire cesser le conflit.

L’une d’entre elles eut lieu lorsque des troupes au service des Awans, avait mis le feu à une tour où s’était réfugiés des chevaliers du clan des Warroux. Sauf que ladite tour appartenait à l’évêque de Liège, qui n’avait pas donné l’autorisation qu’on crame sa bâtisse. Il força donc les chevaliers des Awans à subir une humiliation publique, qui consistait à effectuer un pelerinage, sans armure et la selle sur la tête. Comme c’était un représentant de l’Eglise, on pouvait difficilement lui dire non, et les chevaliers subirent la punition.

Mais la guerre reprit tout de même, les Awans n’ayant pas bien digéré la punition, et les Warroux étant toujours mécontents qu’on ait tout cassé chez eux.
En Avril 1298, on tenta de résoudre de nouveau le conflit à l’aide d’un duel judiciaire : chaque parti enverrait un champion, et le vainqueur aurait raison et puis c’est tout. Le champion des Awans fit preuve de ruse : il arriva juste à l’heure limite pour le duel, ce qui fit que son adversaire poireauta une demi journée dans son armure à l’attendre. Vu le poids des armures de l’époque, le malheureux partit avec un sérieux handicap, et perdit.
De façon étrange, ce duel ne régla absolument pas le problème, et la guerre reprit de plus belle, chaque mort entrainant des représailles, provoquant à leur tour des morts. Cela aurait pu durer un moment, du moins jusqu’à la mort de tous les belligérants … ceux ci se débrouillant pour impliquer toujours plus de monde dans leur petite guéguerre familiale.

C’est ainsi que le seigneur d’Awans, le seigneur de Waremme (le précédent, Humbert Corbeau, est mort depuis quelques années déjà, tué dans une bataille), décide que tout cela n’est pas assez compliqué. En Aout 1310, il tend une embuscade à Henri de Hermalle, qui n’avait rien à voir avec la choucroute (il était neutre jusque là), mais qu’il n’aimait pas. Celui ci fut laissé pour mort sur le champ de bataille ; mais il avait survécu, et un peu énervé qu’on ait tenté de le tuer, décide de rejoindre les Warroux, dont il deviendra même le chef militaire.

On continua les échanges de politesse, en détruisant tour à tour les châteaux des uns et des autres. Jusqu’en 1325 où l’on décida que ça suffit : on va s’expliquer sur le champ de bataille, vas y ramène tes gros on va te défoncer le harnois. Bien que le prince-évêque de Lièges envoya des émissaires pour empêcher la boucherie, cela ne suffit pas, et le 25 Août, les deux camps s’étripèrent joyeusement. Bien que le parti Awans ait globalement gagné, les pertes étaient telles qu’on décida d’une nouvelle trêve, chacun rentrant chez lui pour panser ses blessures. Cette fois ci, le conflit ne reprit pas vraiment, chaque camp ayant trop perdu pour ré engager les hostilités.

La guerre prit fin avec l’implication du prince évêque de Liège, qui avait déjà tenté de mettre fin au conflit plusieurs fois. Il organisa une assemblée, qui finit par amnistier tout le monde de tous les crimes commis, invitant également à oublier tout ce foutoir, et que si quelqu’un venait à vouloir se venger de nouveau, il serait puni le vilain. Et pour sceller la paix, on utilisa le moyen classique du Moyen Age européen, c’est à dire le mariage : on maria le fils de l’un avec la fille de l’autre.

De fait, le conflit ne repartit pas : les pertes humaines parmi la noblesse de la région étaient elles qu’ils ne pouvaient de toute façon plus se le permettre. La guerre dura tout de même de 1297 à 1335, soit 38 années (même si les 10 dernières furent + calmes). On parle, selon les sources, entre 500 et 30 000 morts (on dirait les chiffres d’une manifestation, version police et version manifestants). Ce qui est sûr, c’est que cela entraine une perte d’influence de la noblesse, au profit de la bourgeoisie en plein essor, grâce à la prospérité des villes commerçantes.

La bataille des éperons d’or

Jusqu’à maintenant, nous avons parlé de guerres entre Belges, certains pourraient me dire que ça ne compte pas. Ne vous en faites pas, nous allons y venir.

Nous sommes en 1302. Jusqu’à récemment, le comte de Flandre était un vassal du roi de France, Philippe le Bel. C’est à dire que le comté était largement autonome, mais sa loyauté allait envers la couronne française ; bref, le classique serment de vassalité médiéval.
Sauf que les Flandres étaient extrêmement prospères, grâce à l’industrie textile, ce qui avait permis un essor conséquent des villes et de la bourgeoisie, qui avait donc un poids économique, mais également politique. L’activité textile dépendait de l’importation de laine anglaise, et donc la région était étroitement liée au royaume d’Angleterre.
Ainsi, quand Philippe le Bel déclara la guerre à l’Angleterre, pour récupérer l’Aquitaine, le comte de Flandre, Gui de Dampierre, se retrouva dans une position délicate : lié à son suzerain par un serment d’allégeance, pressé par la bourgeoisie de sa région de le rompre. Pour s’en sortir, il dégaine – encore – l’arme diplomatique ultime de l’époque : le mariage. Avec les Anglais. Comme ça, hop : il quitte le service du roi de France pour rejoindre son ennemi.
Cela dit, là où le comte de Flandres fut un peu neuneu, c’est qu’il en parla au dit roi, lors d’une visite à Paris. Ce dernier, peu enclin à accepter ce changement d’alliances, l’emprisonna purement et simplement, avec ses deux fils.
Philippe le Bel finit par le libérer, en le faisant promettre que hein, ce mariage c’est pas une bonne idée, allez laisse tomber gros ! Gui de Dampierre fait mine que oui oui, d’accord, on oublie tout … puis il rentre chez lui, rallie les opposants à la France, et en 1297, se déclare « détaché de toute obligation féodale », en gros, il proclame l’indépendance. Et de fait, la guerre.

Le roi de France réagit, et envoie ses troupes occuper le comté, qui prennent initialement le dessus. Sauf que les Flamands, mécontents que l’on parle français dans leurs rues, se révoltent en masse, et suite à un coup de force (les matines de Bruges), massacrent soldats et partisans français, environ un bon millier. Le pays change de nouveau de main, et le roi de France ne tient plus que deux forteresses, dont l’une d’entre elles est Courtrai.

Cette dernière est rapidement assiégée, et Philippe le Bel prépare alors une expédition de secours, afin d’aller calmer tout ce petit monde qui parle une drôle de langue. L’avant garde française se porte au secours du château assiégé, où les attendent les Flamands.

D’un côté, les Français alignent environ 10 000 hommes, donc un quart de chevaliers et d’écuyers, des arbalétriers et des hommes d’armes, bien entrainés et équipés. Les chroniqueurs de l’époque parlent de beaucoup plus d’hommes, jusqu’à 50 000, mais ceux ci avaient souvent tendance à exagérer, car plus vendeurs (l’ancêtre du putaclic). De l’autre, un nombre à peu près équivalent, mais essentiellement des fantassins issus des milices, donc des conscrits venant de villes, avec un entrainement variable, allant de plutôt bien à carrément nul.

Les chevaliers français sont sûrs de gagner : ils chargent sans trop réfléchir, de front. Deux éléments vont se retourner contre eux :

  • le champ de bataille ; il est étroit, avec d’un côté un fleuve (la Lys), de l’autre des marécages et un grand fossé (probablement un ancien lit du fleuve désormais asséché). Le terrain est globalement boueux. Autrement dit, le pire pour une charge de cavalerie lourde, avec peu d’espace pour manœuvrer et se replier en cas de pépin
  • les armes des milices : celles ci sont largement équipées avec des sortes de lances, le godendac, et des piques. Ces armes, même entre des mains peu expérimentées, s’avèrent redoutables pour les chevaliers en armure lourde.

Les charges s’embourbent dans le terrain boueux, perdent tout impact arrivées sur la ligne de bataille, et se font stopper par les godendacs. L’une après l’autre, les vagues de chevaliers échouent, ajoutant de la confusion au chaos ambiant. Les cavaliers ne peuvent plus manœuvrer. Seule l’arrière garde française, voyant le dawa, décide de faire demi tour (on verra qu’ils n’ont pas eu tort).

A l’époque, quand des chevaliers s’affrontaient, il était de bon ton d’épargner si possible son adversaire, pour le faire prisonnier et le rançonner. Officiellement, car entre bons Chrétiens, on évite de faire couler le sang (en tout cas quand on est noble ; les pauvres bien entendu, ça ne compte pas). Officieusement, ça arrange tout le monde : le prisonnier, car il évite de mourir (et c’est bien) ; le vainqueur, car il peut ainsi obtenir une rançon (cela devient vite une source de revenus pour la noblesse, du moins tant qu’on gagne).
Du coup, nos chevaliers français, constatant que la bataille est perdue, commencent à se rendre, selon la coutume. Sauf qu’en face, nous avons des miliciens, pas du tout des nobles, et pas au courant de ce genre de pratiques. Ainsi, lorsque les chevaliers s’approchent pour se rendre, nos braves flamands croient à une attaque désespérée ; et ils massacrent allègrement tout ce beau monde.

C’est une véritable hécatombe coté français : environ un millier de morts. Pour l’époque où, comme je l’expliquais, on essaie généralement d’épargner l’ennemi (pour en soutirer le maximum de flouzes), c’est beaucoup. Mais surtout, de nombreux chevaliers, y compris des nobles de haut rang, y laissent leurs vies : presque tous les commandants sont ainsi tués, à part celui de l’arrière garde (qui a eu le bon sens de faire demi tour).
Après la bataille, les miliciens récupèrent les éperons des chevaliers morts au champ d’honneur, et ceux ci sont envoyés décorer l’église Notre-Dame de Courtrai. D’où le nom donné à la bataille.
Grâce à cette bataille, le parti flamand peut prendre le contrôle du pays : c’est le début du sentiment national, et une indépendance de fait. La victoire, aussi brillante soit elle, n’est cependant pas décisive et de courte durée : le roi de France peut en effet lever une nouvelle armée, même si cela lui demande du temps et de l’argent, deux choses dont il ne manque pas. La guerre tourne de nouveau à son avantage, surtout qu’il a compris la leçon, et avance prudemment. Il finit par obtenir la victoire 2 années plus tard, mais préfère négocier une paix intelligente, à son avantage, et la Flandre retourna sous le giron royal.

Un tableau représentant la bataille de Courtrai, peint au 19e siècle

Cependant, l’idée d’indépendance était là, et reviendra plusieurs fois dans l’Histoire. Quant aux éperons, ils seront finalement récupérés en 1382, par le roi Charles VI.

Alors, on le voit bien : il ne faisait pas bon déranger les ancêtres des Belges. Mais les modèles plus récents sont ils moins farouches ? Nous verrons cela dans un prochain article.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_la_Vache
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_Awans_et_des_Waroux
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Courtrai_(1302)

Sources des images : Wikipédia