Art opératif et opérations en profondeur, 1ere partie

Bon, j’avais prévu une série d’articles sur les armes automatiques. Mais l’actualité de Septembre m’a donné envie de changer, et de parler plutôt d’art opératif et d’opérations en profondeur. Et on va d’abord parler d’échelon opérationnel et d’art opératif, tant je pense que ces concepts ne sont pas claires pour tout le monde.
Je précise également que n’étant pas théoricien militaire, il se peut que je fasse des approximations un peu grossières … l’espace commentaires est ouvert pour ça :).

L’échelon opérationnel

Dans le déroulement d’un conflit, on distingue 3 échelons.

Tout d’abord, l’échelon tactique : c’est la manière (on parle même d’art) de conduire un engagement armé, qu’il s’agisse d’une escarmouche de dizaines de pinpins tout au plus, à des batailles impliquant des dizaines de milliers d’Hommes de chaque côté. Ça concerne la manœuvre de ceux ci, quand les faire attaquer, quand les faire reculer ou passer en défense, le tout afin d’infliger le plus de victimes à l’ennemi tout en économisant ses propres troupes (ou pas), et obtenir au final une victoire dite « tactique » : généralement, le repli du camp en face. C’est l’échelon le plus ancien, aussi ancien que les premiers affrontements organisés entre Hominidés.

Ensuite, l’échelon stratégique : là, il s’agit de l’art de mener une guerre au niveau d’un pays. Cela inclut la levée de troupes, l’équipement et le ravitaillement de celles ci, voire des volets diplomatique (convaincre d’autres pays de prendre son parti, ou convaincre les copains de l’autre en face de changer de camp) ou culturel, afin de mobiliser la société (pensez grosso modo « propagande »). Cet échelon a vu le jour avec l’émergence des premiers groupements humains importants, villes, pays, … A partir de là, l’issue d’un conflit ne se résume pas seulement à un affrontement, mais à une succession de batailles, aboutissant tôt ou tard à ce que l’un des camps demande la paix (ou soit anéanti, mais ceci est fort peu urbain).

Bien entendu, il y a des interactions entre ces deux échelons : les victoires tactiques ne sont pas possibles si le niveau stratégique n’envoie pas des combattants et de quoi les équiper, et inversement, si le niveau stratégique est excellent mais que la tactique ne fait que merder, tôt ou tard ça peut poser problème. Quoi qu’il en soit, c’est toujours au niveau stratégique que se résout un conflit ; mais il existe plusieurs façons de l’emporter. Par exemple, si votre pays est plus petit/moins peuplé/moins riche que celui en face, vous avez tout intérêt à collectionner des victoires tactiques, de façon à le démoraliser et lui faire comprendre que même s’il finira par l’emporter, la victoire lui coutera (trop) chère. Par exemple, la guerre d’hiver entre l’URSS et la Finlande, ou les guerres d’indépendances écossaises. Au contraire, si vous avez un pays mieux fourni que celui que vous affrontez, vous pouvez parier sur le fait que ses ressources s’épuiseront avant vous, et ce même si vous ne gérez pas trop bien le plan tactique : on parle de guerre d’attrition. La 1ere guerre mondiale en est un exemple.

Petite note : les mots « tactique » et « stratégique » ont en français plusieurs sens. On peut par exemple utiliser le mot « stratégie » dans le sens d’un plan d’organisation générale de quelque chose, et oui, ça a du sens même si c’est pas forcément pour taper sur ses petits voisins. Mais on a tendance également à utiliser ses mots à mauvais escient, voire à les inverser. Comme lorsqu’on parle de la « tactique de la terre brûlée », qui consiste à ravager son propre pays pour ralentir l’ennemi qui avance : c’est plutôt un acte stratégique. Idem, quand on qualifie un général de « grand stratège » parce qu’il fait des prouesses sur le champ de bataille, c’est un peu une erreur, puisqu’on devrait plutôt parler de « grand tacticien ». Mais bon, ce ne sont que chipoteries et je ne vous en tiendrai pas (trop) rigueur.

Revenons à nos moutons : je vous ai évoqué 3 échelons, or je n’en ai présenté que 2. Mais vu que vous êtes malins, vous avez lu le sous titre, et vous savez donc que je vais parler de l’échelon opérationnel. Mais keskecé ?
L’échelon opérationnel, c’est un peu lui qui fait le lien entre l’échelon stratégique et le tactique … mais pas que. Votre niveau stratégique a levé plein de soldats ; c’est bien, mais il faut pouvoir les envoyer sur le champ de bataille ; puis leur envoyer à manger quand la bataille sera finie ; puis leur donner de nouveaux ordres quand une nouvelle bataille risque de survenir un peu plus loin, … Bref, cela concerne en grande partie ce qu’on appelle les « lignes de communication » : les routes et autres pour déplacer les armées et faire passer le ravitaillement, ainsi que la circulation de l’information. Mais également le renseignement (savoir frapper là où ça fait mal, et au contraire contrer une tentative audacieuse de l’ennemi), et le commandement (donner des ordres à vos différentes troupes un peu partout, de façon à ce que l’ensemble ait un minimum d’allure).
Avoir un échelon opérationnel qui ne fonctionne pas bien réduit fortement vos chances d’obtenir des victoires tactiques. Si vos guerriers ne sont pas ravitaillés, ils vont moins bien se battre ; s’ils n’arrivent pas au bon endroit au bon moment, ils ne servent à rien ; et si vous ne parvenez pas à détecter un sale coup du gus en face à temps, vous allez devoir l’encaisser. Cet échelon est donc aussi important que les 2 autres. Mais pourquoi j’en parle en dernier ?
Simplement car on l’a théorisé plus tard que les autres. Vers la fin du 19e siècle, par un certain Helmuth Karl Bernhard von Moltke (un Prussien, si vous aviez un doute), puis plus tard par les militaires soviétiques dans les années 1920-1930 (on y reviendra dans la 2e partie). Maintenant toutes les armées s’y sont mises. Cela ne signifie pas qu’auparavant, cette échelon n’existait pas : il était bien présent, c’est jusqu’on ne l’avait pas conceptualisé. Bref, on faisait un peu « à l’instinct », parfois très bien, parfois très mal, en le collant à moitié au niveau stratégique et l’autre moitié au niveau tactique.
Mais, à partir du moment où l’on a conceptualisé cet échelon et compris son importance, on donne naissance à une nouvelle façon de faire la guerre : l’art opératif.

L’art opératif

Bien entendu, cela n’a rien à voir avec le talent de votre chirurgien. L’art opératif est l’art et la manière de faire manœuvrer de grandes formations (armées ou corps d’armées), afin d’obtenir un choc opérationnel sans avoir un affrontement majeur (au résultat aléatoire, et souvent coûteux en vies et ressources). Par « choc opérationnel », on entend de perturber suffisamment le niveau opérationnel de l’adversaire pour qu’il perde largement son efficacité en combat. Par exemple, en coupant ses lignes d’approvisionnement, ses troupes vont devenir moins combatives (un soldat qui a faim est souvent moins efficace).
Un élément crucial : l’information. Si vous savez la position des forces de l’ennemi, vous pouvez manœuvrer pour éviter l’affrontement si vous ne pensez pas pouvoir gagner ; et à l’inverse, frapper quand vous êtes certain d’avoir un avantage suffisant. Le pendant est également valable : la désinformation. En trompant votre ennemi, vous pouvez le pousser à défendre un secteur que vous ne menacez pas, pour attaquer ailleurs plus sereinement ; ou bien l’inciter à ne pas attaquer car il croit que vous avez des forces considérables, alors qu’en fait non pas du tout.
Bref, l’art opératif, ça vous permet de vaincre votre adversaire sans avoir à faire de trop grosses batailles, et donc économiser vos troupes. Ce qui devrait être le fantasme de tout commandant, du moins ceux qui ne sont pas des bouchers ou des crétins qui ne savent faire qu’un gros tas et l’envoyer sans réfléchir.

Mais … si c’est si génial que ça, pourquoi personne n’y a pensé avant ? Déjà, sachez que l’art opératif a été utilisé bien avant qu’il ne soit théorisé. Cf. les exemples que je donne dans le paragraphe suivant, souvent le fait de commandants militaires très talentueux par ailleurs. Mais c’est surtout l’émergence au 19e siècle de deux éléments qui va changer la donne : la révolution industrielle, et le nationalisme.
Pour qu’un pays puisse mener une guerre, il a besoin de trois choses : la volonté de combattre (le moral), la capacité à lever des troupes, et la capacité de les équiper/ravitailler. Si l’un de ces 3 éléments vient à manquer, bingo : il va perdre. Il doit alors négocier (de préférence avant que le point en question ne soit complètement foutu), ou risquer une défaite totale. Il a toujours été possible de jouer sur le moral, même si cela demande une forte expertise pour y arriver. Mais avant, on pouvait également compter sur un épuisement des ressources de l’ennemi : au Moyen Age, un pays pouvait mobiliser, et surtout équiper, que des milliers, ou quelques dizaines de milliers au mieux, de combattants ; il était ainsi envisageable de les vaincre à un coût qui soit raisonnable. A la Renaissance, on franchit l’étape supérieur : si on prend la guerre de Trente Ans par exemple, on arrive à des centaines de milliers de soldats de part et d’autre. Là, ça commence à être compliqué, et les conséquences sont réelles : des régions entières sont dévastées, et perdent beaucoup de populations (jusqu’à 65% pour la Poméranie par exemple !). Les guerres de la Révolution française et les guerres napoléoniennes continuent à donner une idée de ce à quoi va ressembler la suite : les belligérants ont beau engager des troupes en quantité, en perdent beaucoup, y engouffrent des fortunes, ils finissent toujours par remettre une pièce et c’est reparti !
Avec la révolution industrielle, les populations des pays grimpent à des dizaines de millions. C’était déjà le cas pour les plus grands pays ; avec la conscription, une bonne partie est désormais mobilisable, et l’augmentation considérable des moyens de production permise par l’industrie permet de les équiper. Ainsi, en cas de guerre à grande échelle, ce sont désormais des millions de bonshommes qu’il faudra vaincre ; et même si on dispose de troupes équivalentes, cela peut être long, coûteux et difficile. Une victoire par attrition devient ruineuse : c’est le constat amer de la triple entente après la 1ere guerre mondiale. Quant au moral, avec le nationalisme, il devient également difficile de le briser : à partir du moment où la nation identifie la victoire comme la seule issue possible à un conflit majeur, elle trouve la force de continuer le combat malgré les difficultés (jusqu’à un certain point … qui peut aller très loin, quand on voit ce qu’il restait du 3e Reich au printemps 1945).
On peut donc se dire que l’échelon stratégique promettant surtout du sang, on va se tourner vers le tactique, mais ce n’est guère mieux. Déjà, le volume des armées est tel qu’une seule bataille ne peut être décisive, et ne va impliquer qu’une portion seulement des forces des deux camps. De plus, la puissance de feu a tellement progressé qu’une offensive, même bien planifiée, essuiera des pertes non négligeables.
Et c’est là que l’art opératif intervient : si on veut réduire les affrontements tactiques de grande envergure, sans non plus entrer dans une logique d’attrition, il faut trouver un moyen de gagner sans combattre. Et si, à l’échelle opérative, vous parvenez à déstabiliser le dispositif adverse, vous pouvez capturer ou faire reculer de grandes formations ennemies sans à avoir à les combattre ! Plutôt pratique non ? Ça vous parait trop beau pour être vrai ? Voyons quelques exemples dans l’Histoire.

Quelques exemples d’art opératif

La chevauchée de 1359-1360

J’en avais un peu parlé lors de mes articles sur Charles V. Durant la première partie de la guerre de Cent Ans, les Anglais pratiquent en France la technique de la chevauchée : des raids profonds de pillage, menés par des troupes montées (d’où le nom) donc très mobiles, et qui se nourrissent sur les terres pillés.
Charles, seulement régent, est à la tête d’un pays ruiné, divisé, et affaibli militairement. De plus, toutes les batailles rangées depuis des années ont tourné en faveur des Anglais. Une défaite de plus et son autorité s’effondrera. Or, Edouard III, roi d’Angleterre, revient une nouvelle fois en France, pour une chevauchée qui doit le mener jusqu’à Reims, la ville du sacre. Charles doit l’arrêter, mais sans un combat direct. Que faire ?
Et bien il utilise la tactique de la terre déserte. « Tactique » utilisée ici non pas au sens « échelon tactique », mais au sens « stratagème ». En gros : il invite la population à évacuer les campagnes et à se réfugier dans les châteaux forts, avec toutes leurs provisions. Edouard III se retrouve ainsi bien attrapé : il ne peut pas se ravitailler, vu qu’il avait prévu de se servir sur le dos de la bête … Il provoque les chevaliers français pour obtenir une bonne bataille en bon et due forme, mais rien à faire. Il finit par rentrer chez lui, à pied et avec la moitié de ses hommes seulement. Il cramera bien tout sur son passage, comme un gros enfant capricieux, barbu et à la tête de milliers de soudards.
Charles a donc bien obtenu une victoire sans engagement armé (donc tactique). C’est quasi de l’art opératif (je sais que les théoriciens militaires vont sans doute râler, en disant que ça n’en est pas vraiment … c’est vrai, mais bon, ça y ressemble un peu non ?)

La guerre d’Imjin

Souvenez, c’était cet été ; non, pas la guerre, mais l’article que j’ai écrit à son sujet. La Corée se fait attaquer par le Japon, à la fin du 16e siècle. Au sol, les Coréens se font bousculer par des samouraïs motivés et aguerris. Le pays est certes riche, mais pas assez peuplé pour envoyer des armées au massacre en continu. La solution viendra donc de la mer : en coupant le ravitaillement et les renforts japonais, l’amiral Yi Sun-sin pense pouvoir forcer les Nippons à retourner sur leurs îles. Et dans les faits, ça marche. Avec une série de victoires maritimes, certes magistrales mais pas si « populeuses » que ça pour les premières, il renverse le cours de la guerre sur la terre.
Les esprits chagrins pourraient là encore objectif, ce n’est pas purement de l’opératif, vu que l’effet sur le front terrestre a été obtenu sur un autre théâtre d’opérations (le maritime). Je répondrai oui, même si les victoires navales ont eu lieu proches des côtes, c’est presque le même théâtre d’op, non mais !
Et puisqu’il est ainsi, on va parler d’un pur exemple d’art opératif cette fois ci (en espérant que vous arrêtiez d’être relous).

La reddition d’Ulm

Prenons quelque chose dont je n’ai pas trop parlé jusqu’à maintenant : les guerres napoléoniennes. Nous sommes en Aout 1805. Napoléon 1er, tout fraichement couronné (par lui même) empereur, est avec sa Grande Armée dans le Nord de la France. Il attend la marine franco-espagnole pour aller régler des comptes avec ses vieux ennemis, les Anglais.
Mais la flotte tarde, et entretemps, il apprend que l’Autriche et la Russie lui déclarent la guerre, et que la Prusse ne devrait pas tarder non plus. Son idée, c’est de vaincre les 2 premiers de façon séparée – ce sera + facile -, et de leur coller une bonne dérouillé afin de persuader le 3e larron que non, attaquer la France n’est pas une bonne idée. Napoléon envoie donc son armée à toutes allures vers l’Autriche, en passant par l’Allemagne. C’est là le premier atout de l’empereur : l’extraordinaire vitesse de ses armées pour l’époque. Non pas que les Français sont meilleurs marcheurs ; mais d’une part, ils ont une bonne logistique, et surtout ils sont très motivés, et du coup ne se plaignent pas de leurs ampoules aux pieds (comme quoi, quand ils ne se plaignent pas, les Français peuvent faire des trucs biens). De leurs côtés, les troupes autrichiennes sont entrées également en Allemagne, avec à leur tête Karl Mack, baron von Leiberich. Qui ne s’attendait pas à ce que les Français soient déjà là.
Deuxième atout de Napoléon : le renseignement. Il dispose d’un bon réseau d’espions en Allemagne, et il envoie des missions de reconnaissance de cavalerie pour savoir où se trouve les forces ennemies. Troisième atout : la désinformation ; il possède un double agent dans les rangs autrichiens, Charles Louis Schulmeister, qui raconte des cracks à Mack. Il veut persuader son adversaire qu’il vise la prise de la ville d’Ulm, en attaquant par le long du Danube depuis le Sud. Et pour renforcer cette idée, il envoie une partie de ses troupes par cette route, en attaquant et faisant du bruit pour bien donner l’illusion … ce qui marche à merveille. Pendant ce temps, le reste des troupes passe par d’autres voies, à vive allure, de façon à encercler les Autrichiens.
Karl Mack ne sait plus où donner de la tête : on l’attaque d’un peu partout, il ne sait plus avec certitude où sont les armées françaises, qui ont l’air méga nombreuses, et ses lignes de ravitaillement sont menacées. Il prend ainsi un gros coup de pression, et dans le doute, il décide de se replier sur Ulm et de s’y retrancher. Napoléon n’a ainsi plus qu’à assiéger la ville, avec en face un général qui n’a toujours pas compris ce qu’il s’est passé.
Les généraux de Napoléon le pressent d’attaquer la ville, mais ce dernier refuse : ce serait certes une victoire, mais également une boucherie dans ses propres rangs. Il se contente d’attendre … Du côté des Autrichiens, on attend le secours des Russes ; mais en fait, ceux ci sont encore loin : ils pensaient que l’armée napoléonienne était encore en France, et ne se sont pas pressés ! Dépité, Mack se rend quelques jours plus, voyant ses provisions diminuer. Les Français viennent de vaincre une armée autrichienne en entier, ont pris ses canons, font des dizaines de milliers de prisonniers, pour un coût assez faible (quelques centaines de morts et des ampoules aux pieds). Ainsi débarrassé de la moitié de la menace, avec une armée presque intacte, l’Empereur n’a plus qu’à attaquer l’Autriche, attendre les Russes sur le terrain de son choix, et leur flanquer une bonne branloute : ce sera la célébrissime bataille d’Austerlitz. Qui découragera la Prusse d’entrer dans la danse (provisoirement).
On a là un excellent exemple de victoire par art opératif : sans provoquer de grand affrontement armé (échelon tactique), Napoléon parvient à défaire son adversaire, par un subtil mélange de ruse et de manœuvres de ses troupes.

Le plan de la manoeuvre des armées françaises en direction de Ulm, en 7 colonnes

Voilà quelques exemples d’art opératif, et ce sera tout pour aujourd’hui. Bien entendu, il y a d’autres exemples plus récents d’art opératif. Mais avant de les voir, il faudra que l’on parle de la notion d’opérations en profondeur, telles qu’imaginées par les Soviétiques dans les années 1920.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Art_op%C3%A9ratif
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tactique_militaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Strat%C3%A9gie_militaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chevauch%C3%A9e_d%27%C3%89douard_III_(1359-1360)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Ulm

Sources des images : Wikipédia

Abattre un avion avec un pistolet : c’est possible

Avez déjà joué à un jeu vidéo de tir type « Battlefield » ? Si oui, vous avez probablement essayé de tirer sur un avion avec votre fusil de base ou un pistolet, que cela soit par dépit, fureur meurtrière, ou pour tenter « l’exploit ». Et très certainement avez vous constaté la difficulté de la chose … Impossible ? Peut être pas : puisqu’un pilote de l’US Air Force est bien parvenu à abattre un chasseur japonais, armé d’un simple colt M1911 calibre 45.

Notre histoire se déroule le 31 mars 1943, en Birmanie. A ce moment, l’ancienne colonie britannique est en grande partie occupée par les Japonais. L’US Air Force possède sur le secteur de la 10th Air Force, dont le but est d’opérer depuis l’Inde, et de lâcher des bombinettes sur toute cible d’intérêt stratégique dans la zone. Ce jour ci, c’est le 7th Bombardment Group qui s’y colle, composé de 22 bombardiers lourds B-24 Liberator (un « cousin » des + célèbres « Flying Fortress »). L’objectif est un pont de chemin de fer.

Un B24 Liberator

Sauf que : cette cible se trouve à proximité de bases de chasseurs nippons. Le raid ne sera pas escorté par la chasse alliée (portée insuffisante). Et contrairement aux immenses raids qui opèrent au dessus de l’Allemagne, la formation n’est « que » d’une vingtaine d’appareils, soit un ou deux « box » de bombardiers (souvenez vous : j’ai parlé de cette formation dans l’article suivant : https://perekastor.fr/?p=134). Autrement dit : ça pue.

Et en effet : alors que nos braves bombardiers US n’ont même pas encore atteint l’objectif, voici qu’ils sont attaqués par 13 samouraïs volants, des chasseurs japonais Nakajima Ki-43. Ceux ci s’en prennent couragement à l’arrière de la formation, soit son point faible. Et oui : être un valeureux bushi n’empêche pas d’utiliser sa cervelle pour éviter de prendre des bastos.
L’un des avions américains se prend rapidement deux rafales, dont l’une touche la soute à bombes et le circuit d’oxygène (pour rappel, hautement inflammable).
A bord du malheureux élu, c’est rapidement le chaos : un incendie se déclare à l’arrière de l’appareil. Un des mitrailleurs, le sergent Crostic s’empare d’un exincteur, non pas pour sauver le bombardier, mais gagner assez de temps pour que ses camarades puissent sauter.

L’officier Owen J. Baggett racontera plus tard qu’il s’est réveillé sous son parachute déployé : il a vraisembablement perdu connaissance, avant de sauter. Quoi qu’il en soit, il se réveille juste à temps pour voir son avion exploser au dessus de lui. En + du sien, il n’y a que 3 autres parachutes à proximité, ce qui signifie que les autres membres d’équipage ne s’en sont pas sortis.
Mais alors qu’il vient à peine d’échapper à la mort, voici qu’un autre danger se profile : plusieurs chasseurs japonais commencent à tourner autour d’eux et les harcèlent. Si, sur le front de l’Ouest, certains pilotes de chasse considèrent comme désobligeant d’abattre un pilote en parachute (comme Franz Stigler), les aviateurs du Soleil Levant n’ont visiblement pas de telles scrupules. A noter que, de la même façon, les pilotes japonais n’attendaient pas de « clémence » de la part de leurs ennemis : plusieurs pilotes abattus sur le point d’être « récupérés » par les forces US, ont choisi de se faire sauter à la grenade plutôt que d’être fait prisonniers.


Owen voit un chasseur qui l’aligne et lui envoie une rafale de mitrailleuses. En tirant sur les sangles de son parachute, il parvient à esquiver l’essentiel, si ce n’est une balle qui érafle son bras gauche. Il décide alors de faire le mort, et se laisse pendre afin de donner le change. Mais, prudent, il dégaine également son pistolet, un M1911 (arme de poing très répandue dans les armées de l’oncle Sam). A la base, cette arme est distribuée aux équipages surtout pour s’assurer un minimum d’autodéfense dans le cas où ils seraient abattus, par exemple contre des bêtes sauvages qui infestent les jungles de la région. Mais Owen Baggett, là tout de suite, est un peu à court d’options : c’est la seule arme qu’il a sous la main.
Le chasseur japonais revient, ralentissant au maximum : son objectif est probablement de « vérifier » son coup. Alors qu’il s’approche du parachute, il ouvre la verrière de son cockpit. Owen Baggett, d’un coup se redresse, et pointe son arme : dans un mélange de fureur et de terreur, il tire sur l’appareil adverse 4 coups. Et contre toute attente, l’avion décroche et part en vrille.

Que s’est il passé ? Owen ne le saura pas de suite. Une fois arrivé au sol, il doit encore échapper aux autres chasseurs qui le mitraillent. Il finit par être fait prisonnier avec 2 autres membres d’équipage, et envoyés en camp de prisonniers. Celui ci est traité de façon exceptionnelle, puisqu’on lui offre l’opportunité de pratiquer le seppuku (ce qu’il refuse poliment). Il finit la guerre en camp de prisonniers … et c’est alors qu’il rencontre un pilote de chasse, également prisonnier : le colonel Harry Melton. Celui ci lui raconte qu’un colonel japonais aurait parlé d’un chasseur japonais crashé, dont le pilote aurait été retrouvé avec … une balle dans la tête. Il pourrait bien s’agir de la victime de Baggett. Le colonel meurt hélas dans le naufrage du navire qui devait le conduire au Japon. Bien que fortement affaibli par sa captivité, Owen Baggett survit à la guerre. Il continue sa carrière dans l’US Air Force.

Alors, exploit réel rendu possible par un mélange de volonté de survivre et de chance, ou fiction ? En l’état il reste le seul exemple « authentifié » d’avion abattu en vol par un pistolet. Donc très difficile, oui ; impossible, peut être pas …

Article où j’ai découvert l’anecdote (le site est une vraie mine d’or si vous aimez l’aviation) : https://www.avionslegendaires.net/dossier/recits/le-chasseur-au-colt-45-quand-la-realite-depasse-la-fiction/

Sources des images : Wikipédia

Yin Sun-Sin

Imaginez que Jeanne d’Arc et l’amiral Nelson ont eu un enfant caché. Je vous laisse quelques minutes pour digérer l’information, éventuellement faire un tour aux toilettes pour expulser votre déjeuner. C’est bon ? Maintenant, j’ajouterai que ledit enfant est un produit de la méritocratie, que c’était non seulement un amiral de génie mais également un avant gardiste de la construction navale. Et qu’en plus, il était profondément désintéressé, pas rancunier pour un sou, mais un peu bête quand il s’agit de sa propre santé.
Et pour finir, je précise : il était coréen. A ce stade, vous avez compris : ce n’est pas vraiment le bâtard de Jeanne la Pucelle et du cauchemar flottant de De Villeneuve. Racontons donc l’histoire de Yi Sun Sin, l’invincible amiral coréen.

La statue de l’amiral Yi Sun Sin, à Séoul

La jeunesse de Yi Sun-Sin

Yi Sun-sin nait le 28 Avril 1545, à Séoul. Le royaume de Corée est alors un pays prospère, possédant une administration efficace. Ceci constitue déjà un exploit, tant les deux termes forment un puissant oxymore. Prospère ne signifie pas paisible, car des attaques de pirates japonais, ou des incursions de tribus nomades du Nord troublent régulièrement la sérénité de la population. Des fortifications sont établies à la frontière Nord et sur les côtes, et une petite flotte de guerre est formée. Technologiquement, les armées sont à jour, notamment avec une bonne utilisation de la poudre à canon ; la Corée a même inventé l’ancêtre du lance roquettes multiples, avec le hwacha. Bref, tout va bien, ou du moins pas trop mal.
Le petit Yi est le fils d’un fonctionnaire de l’état, et va suivre dans un premier temps les traces paternelles. Il suit des études, passe les concours d’entrée dans la fonction publique, et va gravir un à un les échelons hiérarchiques grâce à son sérieux : le pays a donc non seulement l’ENA, mais également l’ascenseur social … A l’age de 31 ans, il s’engage dans l’armée en tant qu’officier. Il commence sa carrière militaire dans les garnisons qui protègent les fortifications du Nord-Est. Il continue sa progression méritocratique, jusqu’à un poste qui va changer le cours de sa vie – et celle de son pays -, amiral de la flotte du sud, en 1591.

Petite comparaison de stratégie navale : Japon vs Corée

Dès sa prise de fonction, il va s’atteler à préparer ses troupes à une guerre contre l’adversaire le plus probable : le Japon. Comparons les forces navales des deux pays.
De son côté, le pays du soleil levant dispose d’une armada très nombreuse (plusieurs centaines), de navires prévus pour la haute mer, à quille. La principale technique de combat naval japonaise est l’abordage, où les samouraïs aguerris peuvent réaliser des carnages ; les bateaux sont par conséquent taillés pour la vitesse, de façon à s’approcher aussi vite que possible des ennemis, mais pas très maniables. A noter qu’ils disposent cependant de quelques navires fortement équipés en mousquets, une arme à feu recueillie auprès de marchands portugais, puis peu à peu copiée et améliorée par les artisans locaux (comme quoi, le copier/améliorer n’est pas nouveau). Mais de façon générale, la technique reste la même : s’approcher le plus rapidement possible et finir le travail à courte portée.
La Corée quant à elle dispose d’une marine beaucoup plus petite : 24 gros navires, les pan’ok-sòn. Ils sont à fond plat, propulsés par voile et par rames (ces dernières étant plus réservées aux manœuvres et au combat), sont moins rapides mais nettement plus maniables, et surtout parfaitement adaptés aux courants et marées de la côte coréenne. Leur pont supérieur est assez haut, ce qui permet de gêner d’éventuels assaillants. De plus, ces navires sont équipés avec des pièces d’artillerie, canons et lance fusées, de très bonne facture. A cela s’ajoute 80 navires plus petits.


On note donc deux approches opposées : une flotte nombreuse, rapide et axée sur l’abordage et le combat à courte portée, contre une flotte plus petite, mais disposant d’une puissance de feu à longue distance et conçue pour le combat côtier.

Préparatifs pour la guerre

Héritant de cette petite marine bien pensée, le nouvel amiral va encore accroître son potentiel. Il multiplie les entrainements pour aguerrir les équipages, fait entretenir les navires, les fortifications et les arsenaux, procède à des essais sur l’artillerie, bref, pousse à une montée en niveau de façon à compenser l’infériorité numérique par la qualité de ses forces.
Il prépare même un nouveau type de navire : le bateau-tortue (Kòbuk-Sòn). Ce navire – bien connu des joueurs d’Age of Empire II – ne constitue rien de moins que le premier navire cuirassé de haute mer de l’histoire navale. Soit environ 250 ans avant le premier navire occidental du même type. Comme pour le pan’ok-sòn, la propulsion se fait à la voile et à rames ; mais en combat, les mâts sont démontés et rangés dans des compartiments protégés, il est donc impossible de l’immobiliser par démâtage. Le navire s’avère plutôt rapide et très manœuvrable. Mais ce qui fait sa particularité – et lui donnera son nom -, c’est que ses flancs sont blindés, et son pont est entièrement couvert, disposant de nombreuses petites pointes pour empêcher les abordages. Dans ses flancs, plusieurs ouvertures sont percées pour permettre la mise en œuvre de son artillerie (une douzaine de pièces de chaque côté, plus deux pièces en chasse), ainsi que des meurtrières pour les mousquets, fusées et flèches incendiaires. Ce navire est donc un magnifique doigt adressé préventivement aux Japonais.

Le bateau tortue, Kobuk-son dans la langue de Psy

La Guerre d’Imjin

Tous ces préparatifs s’avèrent bien judicieux quand, en Mai 1592, les Japonais attaque le royaume de Corée. Toyotomi Hideyoshi vient de finir d’unifier l’archipel, qui sort tout juste de décennies voire siècles de combats fratricides. Ses adversaires étant encore agités, il se dit que la meilleure façon de les calmer est d’envoyer les guerroyer ailleurs. Et pourquoi pas le riche empire chinois en déliquescence ? Il prépare une expédition colossale : on parle de dizaines de milliers d’hommes (peut être 200 000), soutenus par une flotte de 500 navires de guerre et 700 navires de transport ! Mais il reste un détail : la meilleure route pour envahir la Chine passe par la Corée. Il envoie donc un message courtois au roi coréen pour lui demander l’autorisation de passer chez lui avec des milliers d’hommes en armes, pour aller faire la guerre plus loin, svp vous seriez bien aimable. Sauf que ledit roi étant techniquement le vassal de l’empereur chinois, et sentant bien que toute cette affaire est louche quand même, refuse, toujours aussi poliment.
Le Japonais se dit que bon, finalement on va se passer de son autorisation, et va en profiter pour envahir la Corée : cette épisode sera connue plus tard sous le nom de Guerre d’Imjin. Si les Coréens ont inventé plein de choses très modernes, les Japonais vont montrer qu’ils ne sont pas en reste, pratiquant une véritable « Blitzkrieg » sur la pauvre péninsule : ils débarquent fin Mai sur la côte, capturant les fortifications, et 3 semaines plus tard ils sont déjà à la capitale Hanyang, proche de l’actuelle Séoul ! (Si vous ne connaissez pas la géographie coréenne, dites vous que Pusan, la ville du débarquement, et Séoul sont distantes d’environ 300 kilomètres). L’armée coréenne, moins nombreuse et prise au dépourvu, se fait rouler dessus. Dès lors, l’occupant fait ce que fait tout bon occupant, à savoir piller les vivres, les biens, les habitants emmenés en esclavage. Tout ce qu’il reste comme force combattante à la pauvre Corée, c’est sa marine.

La flotte japonaise à l’assaut de Pusan

Contre attaque navale et bataille de Sacheon

Et que fait donc notre amiral Yi ? Il réagit promptement, attaquant de suite le talon d’Achille du dispositif japonais : ses lignes de ravitaillement, passant par la mer. Il pratique le harcèlement sur les navires de transport qui s’occupent de ravitailler les forces d’invasion. Il attaque de petits groupes, réduisant peu à peu la supériorité numérique, et refusant le combat lorsqu’il ne lui est pas favorable.
L’une de ses premières grandes victoires est la bataille de Sacheon, le 29 Mai 1592. Il craint une attaque sur sa base de Yeosu, et emmène donc son escadre (dont un bateau tortue) au contact des Japonais, à Sacheon. Là, il constate qu’une douzaine de grands navires de guerre japonais, ainsi que de nombreux autres plus petits, sont ancrés dans le port. Il ne veut pas risquer de s’approcher de la ville, car celle ci est dominée par une haute falaise d’où les Japonais pourraient ouvrir le feu avec des mousquets. Il préfèrerait un affrontement au large, et il décide donc de provoquer les occupants : il fait un demi tour avec sa flotte, feignant une retraite (et montrant peut être son postérieur par la même occasion). Et cela marche admirablement, puisque les douze bateaux japonais se mettent à leur poursuite.
Une fois bien éloigné de la côte, Yi profite de la manœuvrabilité excellente de ses navires pour leur faire effectuer un brusque virage, et commence alors aussitôt un tir de barrage sur les poursuivants : ceux ci sont un peu surpris et décontenancés, mais ils décident de quand même tenter la partie. Et la partie aurait pu mal tourner pour les Coréens, l’amiral se prenant un tir d’arquebuse ; heureusement la blessure est superficielle, Yi continue de commander son escadre. Rapidement, les Japonais sont en difficulté, à force de se manger des projectiles divers dans la tête. La situation s’aggrave lorsque le fameux bateau tortue pénètre la ligne japonais, tirant dans tous les sens. Rappelons que le navire ne peut être abordé, et qu’il est virtuellement invulnérable à toutes les armes japonaises. Autant dire que l’affaire est pliée en quelques heures, résultats du match : tous les navires japonais sont coulés pour 4 blessés graves côté coréen, plus l’amiral Yi blessé au bras.
Ce premier affrontement « classique » sera emblématique de la stratégie de Yi : il choisit le lieu de l’affrontement et pousse son ennemi à y aller ; il utilise la meilleure manœuvrabilité de sa flotte ainsi que sa puissance de feu à longue portée pour harasser l’adversaire, sans lui laisser le temps de lancer des abordages ; et si on ne peut engager le combat dans une situation favorable, alors on renonce.

Défaites japonaises en série

La suite va être du même acabit. A la bataille de Dangpo, le 2 Juin, il attaque une flotte au mouillage, détruisant notamment un navire amiral japonais, et tuant son commandant. Puis à la bataille de Danghangpo, c’est une autre flotte japonaise, qui venait secourir celle de Dangpo qui va subir la fureur de Yi, perdant un autre navire amiral. A chaque fois, le résultat est le même : tous les navires japonais sont détruits (une vingtaine à chaque fois), pour des pertes minimes (pas de navire coulé) côté coréen. Et ce en l’espace d’à peine une semaine, pour un amiral nommé depuis un an.
Côté japonais, on commence à transpirer : si la route maritime est coupée, le projet d’invasion risque de tourner court. Toyotomi Hideyoshi fronce les sourcils : il ordonne à ses amiraux de s’occuper de cette embêtante flotte coréenne qui l’empêche d’envahir comme il veut. Le projet est simple : réunir les trois principales flottes japonaises, partir à la recherche des escadres coréennes et les couler grâce à leur supériorité numérique.
Du côté coréen, on prend conscience également que les escarmouches sont finies, et qu’une grosse bataille navale va devenir inévitable : les différentes flottes se regroupent également, mais bien plus vite que les japonais. Avec ses homologues, Yi met au point une nouvelle formation. Si jusqu’à présent, les navires coréens se battaient en ligne, voire en manœuvres circulaires (ce qui permet d’ouvrir le feu aisément tout en gardant ses distances), il envisage une nouvelle formation, nommée « aile de grue ». La ligne de navire prendrait la forme d’un « U », avec au centre les navires les plus lourds, et sur les flancs des navires légers et rapides ; chaque extrémité étant renforcée par un bateau tortue pour constituer un appui lourd. L’ensemble a effectivement une allure de l’oiseau étendant ses ailes vers l’avant. Les navires ennemis viendraient s’enfermer à l’intérieur du U en tentant l’abordage, seraient encerclés et subiraient un feu nourri venant de plusieurs directions, avec des possibilités de fuite très faibles. Si sur le papier, c’est simple et audacieux, cela risque de s’avérer plus compliqué en pratique, car les équipages ne maîtrisent pas cette formation ; la flotte combinée s’exerce alors autant que faire ce peu.
Début Juillet, Yi apprend que l’une des trois grandes flottes japonaises a pris la mer, commandée par un certain Wakisaka Yasuharu, et attend le renfort des deux autres. Il est conscient qu’il vaut mieux l’attaquer avant qu’elle ne soit rejoint par les 2 autres, et il utilise alors sa bonne vieille technique de l’appât : au matin du 8 Juillet, il envoie 6 pan’ok-sòn montrer leur poupe luisante aux navires japonais. Ceux ci ne réfléchissent pas longtemps, et foncent à leurs poursuites avec leurs 73 navires. Ils traversent le détroit de Gyeonnaeryang (ne me demandez pas comment ça se prononce, la dernière fois que j’ai essayé il y a eu 2 personnes évanouies). C’était le plan de l’amiral Yi : pendant que les Japonais poursuivaient les navires pièges, la flotte combinée se déployait à la sortie du détroit en formation aile de grue. Voyant cela, l’amiral japonais décide de … charger le centre de la formation. C’était exactement ce qu’escomptait Yi : rapidement, les navires japonais se font harceler de toutes parts, subissant un tir continu. Si les marins japonais parviennent bien à réaliser quelques abordages, il s’agit de navires déjà bien endommagés, et ne peuvent changer le cours de la bataille. Plusieurs capitaines se font tuer, un autre se donne la mort, et l’amiral Yasuharu quant à lui prend la fuite, abandonnant son navire trop endommagé et montant à bord d’un petit navire. Le bilan est sans appel : les Japonais perdent 59 navires (dont 12 capturés), et environ 8 000 morts ; plusieurs navires survivants sont en si mauvais état qu’ils finiront par s’échouer peu après. Quant aux Coréens, on ne connait pas leurs pertes exactes mais elles sont faibles.

Paix et complots

En 1 mois, l’amiral Yi vient de mettre en péril tout le plan d’invasion japonais : si ceux ci sont largement victorieux sur terre, leur ravitaillement maritime menace d’être coupé. Par ailleurs, la résistance côté coréen commence à s’organiser, et la Chine vient d’envoyer une armée pour assister son vassal. Les Japonais sont donc en difficulté … mais finalement, les Chinois n’ont pas vraiment envie de se battre non plus. Ils tentent de négocier, voir si y’a moyen de s’entendre avec les Japonais pour se partager la Corée. Après un refus, la guerre reprend, les troupes nippones sont repoussées de la capitale, et ne gardent que quelques forteresses sur la côte Sud.
Une trêve est ensuite décidée, et on essaie de voir si y’a moyen de moyenner. Sans demander l’avis des Coréens bien entendu. Pour faire simple : les négociations échouent, chacun jouant double jeu et ne voulant pas vraiment faire de concession. Finalement, en Juin 1597, les Japonais re-débarquent, avec une force imposante de plus de cent milles hommes, et une flotte conséquente.
L’amiral Yi, de son côté, s’est vu attribuer la défense de l’ile de Han-san, au Sud de la péninsule, en + de ses fonctions d’amiral. Les amiraux japonais ayant appris à le craindre (à juste titre), ils tentent une fourbe manœuvre pour le destituer (comme quoi, les peuples insulaires seraient ils des fieffés coquins par nature ?). Le plan s’articule en deux temps :
– d’un côté, ils lui tendent un piège
– de l’autre, un agent double signale au commandement coréen la présence de cette flotte, et la nécessité de l’intercepter, de préférence par le redoutable amiral ; le roi coréen finit par recevoir le message, et ordonne à Yi d’intervenir
Mais ce dernier n’est pas né de la dernière pluie : il sent le piège, et à raison. Il refuse donc d’envoyer sa flotte au massacre. Ce qui est une décision raisonnable, puisque piège il y a.
Sauf que : l’amiral Yi a connu beaucoup de succès. Et donc, forcément : il est jalousé par de nombreux courtisans, un peu gonflés de voir un petit fonctionnaire avec tant de réussites recevoir tous les honneurs. Là, il vient de refuser un ordre d’engager le combat : on le fait donc passer pour un lâche et un incompétent. Le roi, suivant ses conseillers, demande un jugement en cour martial. Yi aurait pu rester sur son île d’Han-San, mais loyal à son pays, il accepte de se constituer prisonnier. Il est incarcéré, torturé et condamné. Il échappe à la peine de mort pour ses états de service (encore heureux !), mais il est rétrogradé au rang de simple soldat. Bref, grâce à la jalousie de quelques courtisans incompétents et une fourberie japonaise, le meilleur amiral coréen est neutralisé.

Quand Yi n’est pas là, rien ne va

A sa place, on nomme l’amiral Won Gyun, qui a combattu avec Yi lors de la première invasion. Si celui ci sent également le piège, il obéit et s’y précipite. Et ce qui devait arriver arriva : les Coréens se prennent une branlée ; c’est la bataille de Chilchonryang. Ils chargent les Japonais, qui finissent par les attaquer à courte portée. Rapidement les Coréens perdent des navires, tentent de s’enfuir, débarquent sur des îles contrôlées par les troupes japonaises, se reprennent une branlée, retournent en mer, se font de nouveau aborder …
Le résultat est sans appel : les Coréens ont engagé presque toute leur flotte, soit 170 navires ; seuls 12 navires en réchappent, quand au début de la bataille, un capitaine Bae Seol se dit que bon, c’est foutu, et fait judicieusement demi tour (notez bien, c’est important pour la suite). Et du côté des Japonais ? Il faut noter qu’ils ont engagé dans les 500 navires, et n’ont subi que des pertes légères. La supériorité numérique était tout de même réelle.

Le retour du Jedi Yi : le miracle de Myong-Yang

Du côté de la cour coréenne, on se dit que finalement, peut être que Yi avait raison … On le rétablit donc amiral. Sauf que de marine, il n’y en a quasiment plus : tout ce qu’il reste, ce sont les 12 navires qui ont fait demi tour avant la bataille + 1 qui trainait ailleurs. Que va t il faire dans cette galère ? Parce que là, y’a quand même une invasion japonaise à arrêter !
Pour compenser un rapport de force très défavorable, Yi décide d’exploiter au mieux le terrain … et comme lieu de la prochaine bataille, il choisit le détroit de Myong-Yang. Ce détroit présente plusieurs particularités : il est très étroit, ce qui obligera les Japonais à s’avancer en petits groupes (réduisant leur avantage numérique) ; les navires coréens pourront se cacher de l’autre côté, leurs ennemis ne les verront que tard ; et la passe subit des courants très forts – jusqu’à 10 noeuds – qui s’inversent selon les marées.
Le 26 Octobre au matin, la flotte nippone s’avance vers le détroit pour le franchir. + de 300 navires, dont plus d’une centaine de navires de guerre. L’avant garde pénètre la passe, avec une marée favorable, et à la sortie, se fait fraîchement accueillir par l’artillerie des bateaux coréens. Le barrage est si dense que les Japonais ne peuvent avancer, et commence à perdre de nombreux navires. Autre coup du destin : les Coréens repêchent le corps du commandant de la flottille japonaise, et utilisent immédiatement sa tête en guise de figure de proue, ce qui crée un petit émoi parmi ses anciens subordonnées, soudain moins motivés.
Mais les mauvaises nouvelles ne sont pas finies pour nos pauvres bateaux du shogun : avec le changement de marée, les courants s’inversent. Les navires commencent à refluer en désordre, certains se percutent, ajoutant au chaos ambiant. Voyant la formation ennemie se disloquer, les Coréens chargent, ouvrant un feu toujours nourri sur une formation compacte (et donc facile à cibler). Comprenant qu’ils n’arriveront à rien, les amiraux japonais survivants décident de faire demi tour.
Le score est sans appel : 31 navires coulés, 92 perdus, entre 8 000 et 12 000 morts ou blessés (beaucoup de noyés, les forts courants empêchant les naufragés de rejoindre la terre ferme). Et du côté coréen : 2 morts, 3 blessés. Soit un rapport de pertes de 1 pour 1 600 ! Rares sont les généraux à avoir fait mieux, surtout avec un rapport initial aussi défavorable (1 contre 10).

Les Japonais rentrent chez eux … ou pas

Après la lourde défaite infligée à la marine coréenne à Chilchonryang, le commandement du pays du soleil levant pensait pouvoir ravager le continent tranquille, avec un renfort constant venant de l’archipel. Cette nouvelle défaite imprévue vient complètement changer les plans : cette fois ci, il parait évident que se maintenir sur cette péninsule si hostile est impossible, ne parlons même pas d’envahir la Chine ! Cette fois, c’est décidé : les samouraïs et leurs troupes rentreront à la maison.
Sauf que Yi, lui, n’est pas d’accord. Qu’est ce que c’est que ses envahisseurs qui pensent pouvoir tout piller et rentrer chez eux comme ça ? Alors que la flotte japonaise se regroupe pour évacuer autant d’hommes que possible, il leur réserve une dernière « petite » blague comme il sait si bien les faire. L’ennemi s’apprête à forcer le blocus de Sucheon, une forteresse côtière tenue par les Japonais, avec une flotte de 500 navires, comptabilisant environ 20 000 hommes.
Au courant de la manœuvre japonaise, arrivant à l’Est du détroit de No Ryang, Yi fait voile avec une flotte coréenne reconstituée, plus une flotte chinoise venue en renforts. Environ 150 navires du côté des deux alliés, contre 500 de l’autre. Encore une fois, Yi se battra en infériorité numérique. Il attend les Japonais à l’Ouest du détroit.
Et l’histoire se répète : le manque de place oblige les navires nippons à avancer par petits groupes, faisant des cibles faciles pour l’artillerie sino-coréenne, et sont incapables de répliquer à longue portée. Rapidement, les Japonais sont en difficulté. Mais le commandant chinois, l’amiral Chen Lin, pense qu’ils sont en déroute et poussent ses navires au contact : rapidement il se retrouve en difficulté, alors que les arquebusiers japonais peuvent ouvrir le feu, et les troupes monter à l’abordage. Yi est obligé de faire intervenir sa propre flotte pour les sortir de ce mauvais pas. Finalement, les Japonais perdent plus de la moitié de leurs bateaux.

Représentation d’un combat naval de la guerre d’Imjin


Alors que les survivants sont en fuit, Yi Sun-Sin ordonne la poursuite, histoire de leur faire comprendre que revenir ne sera pas une bonne idée. Et c’est à ce moment qu’il reçoit un tir d’arquebuse. Celui ci lui sera fatal ; alors qu’il sait sa dernière heure proche, il demande à ses proches : « La bataille est à son paroxysme, n’annoncez pas ma mort ». Son corps est emmené dans sa cabine, afin que la nouvelle ne se répande pas. Une fois la débâcle japonaise achevée, l’information se répand parmi les équipages, qui pleurent la mort de leur admiré amiral. Malgré la mort de leur Némésis, les Japonais ont compris la leçon, et rentrent chez eux (enfin, ceux qui sont encore vivants), et ne retenteront pas l’invasion de cette irritante péninsule de sitôt. La Corée est sauvée, mais le prix à payer est lourd : des milliers d’artisans sont emmenés en esclavage, les campagnes sont ravagées, les infrastructures détruites.

Un héros national

Quant à Yi Sun Sin, il est célébré en héros par tout le pays. Son corps est brûlé dans son village natal, alors que des sanctuaires sont édifiés à travers sa patrie qu’il a protégé avec tant de génie. L’amiral chinois Chen Li, qui a combattu avec lui, lui rend également hommage. Même les Japonais reconnaissent la vaillance de cet adversaire qui a su les tenir en échec dans les pires conditions, et il devient la divinité officielle de la flotte impériale japonaise, rien que ça ! (et ce jusqu’à la fin du 19e siècle, où ils font un retour, triomphant cette fois ci, dans la péninsule)
Méconnu en Occident, l’amiral Yi est une figure extrêmement populaire en Corée, où il est encore célébré comme un héros, fondateur du roman national. De nombreuses œuvres lui sont dédiés, séries, films, ainsi que dans les jeux vidéos (dont Age of Empire II, où une campagne portant son nom est présente dans l’extension « The Conquerors »). La comparaison du début, portée en boutade, est bien réel : ce serait l’équivalent d’une Jeanne d’Arc française ou d’un Nelson anglais. Sauvant son pays d’un ennemi vu comme très supérieur, il finit par entrer dans l’imaginaire national. A l’instar d’un Nelson, il meurt lors d’une bataille ; et comme une Jeanne d’Arc, il finit sur un bûcher (mais les Coréens ont la décence d’attendre qu’il soit mort avant).

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yi_Sun-sin
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Imjin
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Sacheon_(1592)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Dangpo
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_l%27%C3%AEle_Hansan
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Chilchonryang
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Myong-Yang
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_No_Ryang
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panokseon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bateau_tortue

Sources des images : Wikipédia

Quelques mensonges du Kremlin sur l’Ukraine

Nous sommes ici sur un blog qui parle d’histoires, et d’Histoire. Je ne vais donc pas commenter l’actualité, fort riche en ce moment et qui va probablement marquer date dans le grand livre de l’Histoire. Il y aurait pourtant fort à dire, mais ce n’est pas le but de ce blog. Quand j’ai commencé à écrire les pages où vous vous trouvez, je désirais faire réfléchir, amuser, pousser la curiosité et partager ; mais également parfois rappeler, contre les préjugés et les manipulations, que les faits sont têtus et à la portée de celles et ceux qui veulent bien se donner la peine d’y regarder de plus près. Bien entendu, je ne suis pas historien, aussi je vous ai toujours invité à ne pas me croire sur parole, à creuser ce que je vous dis, à vérifier, et à vous forger votre propre réflexion, tant que celle ci se base sur la base large de concret, de vérifiable. Et en tant qu’amateur d’Histoire, je m’élèverai toujours contre les personnes peu scrupuleuses, puissantes ou faibles, qui n’hésitent pas à mentir, à tordre le fait historique pour des intérêts passés, présents ou futurs. Car quelques soient leurs intentions, mentir sur l’Histoire finit toujours par aboutir à une catastrophe.
Or, cette terrible guerre qui fait rage à l’Est de l’Europe, a fait une victime, bien avant que les premières bombes ne tombent, et que les premières rafales ne soient tirées. Cette victime, tombée sur le champ de bataille médiatique, c’est ma bien aimée Histoire, criblée de mensonges par un régime qui cherche à justifier l’injustifiable. Si d’autres, bien plus talentueux que moi, sauront la soigner, permettez moi au moins de lui appliquer quelques pansements.

L’Ukraine est une invention des bolchéviques ?

Durant l’Antiquité, les territoires correspondants à l’Ukraine actuelle ont connu différentes vagues de peuplement (comme à peu près toute l’Europe en fait) : peuples nomades d’Asie mineur ou centrale, Grecs, puis peuplades germaniques ou d’Europe centrale. Puis, au 8e siècle, les Varègues (vikings de Suède), prennent la ville de Kiev, et fondent un Rodslagen (« état des rameurs »), ou en protoslave : Rous’. Et oui, c’est bien de là que vient l’appellation « russe ». Cet état s’étend sur le Nord de l’Ukraine, la Biélorussie et l’Ouest de la Russie, et divisé en principautés. On parle également de la Ruthénie.
Le pays est prospère, mais s’affaiblit peu à peu à force de divisions … et se fait envahir par les Mongols et les Tatars. Ces deux peuples dominèrent la région, et n’étaient pas forcément connus pour être bienveillants : de nombreux autochtones prirent la fuite pour la Pologne, la Hongrie, la Moldavie, et une partie de la Crimée (sous contrôle byzantin).


Puis, un siècle plus tard, les Polonais et les Lituaniens parvinrent à repousser l’empire mongol, surtout dans le Nord Ouest. Les deux pays se partagent les terres conquises, et rebâtissent villes et villages. La noblesse se « polonise », et introduit le catholicisme parmi les populations de l’Ouest, tout en faisant preuve de tolérance vis à vis des orthodoxes. Elle accepte également l’émergence de cosaques, des populations de l’Est qui refusent la domination polonaise et catholique, mais qui sont « tolérés » comme arme contre les Tatars.
Mais les mêmes cosaques finissent par se rebeller contre le pouvoir polonais, et libèrent peu à peu le territoire. De là, ils fondèrent un état cosaque autonome, lié à la Russie, appelé « Ukraine », ce qui signifie « marches » : le nom du pays suggère donc une position tampon. Le pays était appelé Hetmanat (dirigé par un Hetman), dut lutter contre la Pologne et la Russie pour garder son indépendance ; mais il était également l’un des plus alphabétisés d’Europe, avec une culture riche. Hélas, le pays finit par devenir un vassal de la Russie, qui l’utilise pour combattre les Ottomans et les Polonais. Le Sud est quant à lui sous contrôle tatar et turc. L’Ouest (région appelée Galicie) est intégré à l’Autriche suite au partage de la Pologne entre ce pays et la Russie. Catherine de Russie réduit l’autonomie des Cosaques, et la partie russe de l’Ukraine est directement assimilé à son empire. L’Ukraine est partagée entre plusieurs puissances, et cesse d’exister.


Mais le 19e siècle arrive, avec ses poussées de fièvre nationaliste, partout à travers les empires multinationaux. Et l’Ukraine n’y échappe pas. Et comment réagit la Russie ? Officiellement, pour elle : l’Ukraine n’existe pas. La culture ukrainienne, notamment sa langue, connait une renaissance. Tout naturellement, les autorités russes réagissent bien naturellement … en interdisant l’apprentissage de l’ukrainien, et en pratiquant une russification forcée.


Et puis la 1ere guerre mondiale arrive, ce qui provoque un affaiblissement des grands empires russes et austro-hongrois, et un retour des volontés d’indépendances nationales. En Mars 1917, alors que la Russie est en proie à la révolution, l’Ukraine déclare son indépendance ; et en novembre de la même année, la Rada centrale, assemblée ukrainienne, proclame la République populaire ukrainienne, assez rapidement reconnue par la France et la Grande Bretagne. La suite est assez confuse : les Bolcheviques, qui ont pris le pouvoir en Russie, occupent le nouveau pays … puis suite à la paix négociée avec les Allemands, l’évacuent, ce qui permet le retour des autorités nationalistes. Différentes factions, internes ou externes, se disputent le pouvoir ; comme d’habitude, c’est la population qui en paie les frais, entre « réquisitions » et combats.


Finalement, à l’instar du voisin russe, ce sont les Bolchéviques qui finissent par l’emporter, et une grande partie du pays rejoint l’URSS, comme la république socialiste soviétique d’Ukraine (quelques territoires de l’Ukraine actuelle, à l’Ouest et au Sud, rejoignant d’autres pays, Pologne, Roumanie et Tchécoslovaquie). L’Ukraine est tout d’abord bien traité par le nouveau régime (ou du moins, pas plus mal que le reste du pays) : la langue et la culture ukrainienne sont autorisées, contrairement à l’époque impériale ; un certain fédéralisme est même instauré. Puis, Staline accède au pouvoir, et siffle la fin de la récré. Si je n’ai pas d’éléments indiquant une répression culturelle, il surveille cependant de très près toute velléité nationaliste (comprendre : il met au goulag ceux qui parleraient un peu trop fort d’autonomie).


La région est d’importance pour l’URSS, et va servir à l’industrialisation forcenée des plans quinquennaux. Tout d’abord, grâce à l’exploitation minière, de la région du Donbass notamment, et à l’exploitation hydroélectrique (construction sur le Dniepr du plus grand barrage d’Europe, qui fonctionne toujours) ; mais c’est surtout en tant que grenier à blé que l’Ukraine va être exploitée : pas tant pour nourrir la population grandissante des villes, que pour exporter les « surplus » afin de financer l’industrie naissante. Et quand je dis « surplus », les guillemets ont leur importance : les autorités soviétiques avaient tendance à surestimer les récoltes, pour exporter davantage … quitte à laisser les paysans mourir de faim (de toutes façons, ils ne votent pas communistes, même s’il n’y a personne d’autre pour qui voter). C’est en partie dans ce contexte qu’aura lieu l’Holodomor, la grande famine qui touchera l’Ukraine et l’URSS dans une moindre mesure. Mauvaise gestion des autorités centrales, punition envers les paysans qui refusaient la collectivisation, génocide ? Les historiens débattent encore, le débat ne sera pas tranché ici. Mais cet épisode dramatique va constituer l’un des fondements du récit national moderne.
La seconde guerre mondiale passe, avec son lot de morts et destructions supplémentaires. Je n’en parlerai pas plus ici (je le ferai un peu plus bas). Le pays continue sa vie au sein de l’URSS de la Guerre Froide. Puis en 1986, nouvelle catastrophe, nucléaire cette fois ci : Tchernobyl. Après avoir été un grenier surexploité sous Staline, les Ukrainiens se demandent s’ils ne sont pas maintenant devenus une poubelle pour déchets nucléaires.
Avec l’effondrement de l’URSS, le nationalisme ukrainien reprend de la voix, et aboutit en 1991 à une nouvelle indépendance, votée à + de 90% par référendum. Durant les années suivantes, le pays va osciller entre Ouest et Est, entre volonté d’européisation et liens historiques avec la Russie. Nous n’irons pas plus loin.

Ainsi, l’Ukraine est elle une invention de Lénine, comme le clamait un chef d’état récemment ? Dans ce cas, pourquoi aurait on eu besoin de la russifier durant le 19e siècle ? Comment une république ukrainienne aurait pu exister avant même la naissance de l’URSS ? Il faut reconnaître que russes et ukrainiens ont un passé qui pourraient les rapprocher. Cela dit, l’identité nationale ukrainienne existe bien, et ce depuis longtemps ; comme d’autres nations à travers le monde, ce sont différentes guerres et tragédies qui ont forgé ce sentiment national, en réaction à d’autres qui auraient voulu l’étouffer.
Et de surcroit, historiquement, c’est bien la Rous de Kiev qui précède la naissance de Moscou ou de la Russie : à défaut donc, si les deux pays doivent s’unir, c’est en toute logique à Poutine de se soumettre à Zelensky, et à lui remettre les clés de son pays …

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Ukraine
https://www.lemonde.fr/international/video/2022/03/24/l-ukraine-a-t-elle-ete-creee-par-la-russie_6118906_3210.html (vidéo réalisée par Le Monde, après que j’ai commencé à rédiger mon article, mais il m’a fallu un certain temps pour le finaliser … il dit peu ou prou la même chose)

Armes nucléaires et Ukraine : le mémorandum de Budapest ?

Vous avez pu entendre parler du « mémorandum de Budapest » ces dernières semaines, voire mois ou années, selon votre degré de suivi de l’actualité. Mais de quoi s’agit il ? Pourquoi le président russe parle t il d’une remise en cause de celui ci en prétendant que l’Ukraine veut se doter de l’arme nucléaire ? Et pourquoi cette accusation est un énorme foutage de tronche (que l’accusation soit vraie ou fausse) ? Voyons de quoi il en retourne.

L’URSS se disloque en 1991 : les républiques soviétiques qui la composent deviennent indépendantes, dont l’Ukraine (comme dit ci dessus). Or, l’ancienne superpuissance avait disposé de nombreuses forces à travers toutes les régions, y compris en Ukraine bien positionnée géographiquement. Et parmi ses forces, des armements nucléaires.
Lorsque l’URSS s’effondre, chaque pays hérite à peu près naturellement des armements « sur place » pour constituer leurs nouvelles armées. L’Ukraine ne fait pas exception, et se retrouve en possession d’un imposant arsenal nucléaire. Mais ceci ne plait guère aux USA, à la Russie, et aux autres pays du petit cercle des puissances nucléaires, qui aimerait bien que leur cercle reste toujours petit. Ainsi, l’Ukraine, mais aussi la Biélorussie et le Kazakhstan, sont approchés par les Etats Unis et la Russie, afin de négocier : tu rends les bombinettes, tu n’en fabriqueras pas d’autres, et en échange, on te promet qu’on te défendra au cas où … C’est le protocole de Lisbonne de 1992.
Sauf que l’Ukraine (et un peu les autres) traînent des pieds : elle veut bien … mais en échange, elle aimerait qu’on lui fasse des promesses. Promesse de la défendre en cas d’invasion, aide économique, non ingérence dans ses affaires. Du coup, les négociations prennent un peu plus de temps, mais on finit par se mettre d’accord : en 1994, est signé le fameux mémorandum de Budapest, entre l’Ukraine, la Russie, les USA et la Grande Bretagne. Le premier s’engage à détruire ou remettre à la Russie tout ce qui lui reste en armes nucléaires, et à ne pas en fabriquer d’autres. En échange, les autres s’engagent à respecter l’intégrité territoriale ukrainienne « en l’état », à ne pas l’attaquer ou utiliser d’autres moyens de pression (y compris économiques) pour influer sa politique. Voilà …

Ceci étant dit, faisons donc la comparaison :

  • d’un côté, la Russie accuse l’Ukraine de développer un programme nucléaire militaire (sans preuves jusqu’à maintenant), et ce depuis fin 2021/début 2022 uniquement
  • de l’autre côté : l’Ukraine a subi de nombreuses pressions de la Russie, y compris économiques (pourtant interdits dans le mémorandum), notamment avec un gros chantage au prix du gaz, et ce dès le début des années 2000 ; en 2014 elle se voit annexée une partie de son territoire reconnue internationalement, y compris les signataires de Budapest, et justement par l’un des dit signataires (lequel d’après vous ? toujours le même) ; et une nouvelle fois … la Russie envoie ses armes dans un conflit séparatiste, et finit par reconnaître lesdits séparatistes, violant encore et toujours la parole donnée (est on à ça près). Alors, finalement, envahir le pays et le saccager avec presque toutes les armes possibles et imaginables, finalement, n’est que la suite logique d’un non respect total de ses engagements

Je crois que le match est clair.

https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9morandum_de_Budapest

Les nationalistes ukrainiens ont collaboré avec les nazis ?

Certains affirment que l’Ukraine est une nation de « traîtres » et de « nazis ». La preuve : durant la 2e guerre mondiale, la population du pays a massivement collaboré avec l’occupant allemand, fournissant même des troupes pour combattre l’Union Soviétique, et certaines sont même entrer dans les SS. Regardons y de plus près.

L’Ukraine, nous l’avons vu ci dessus, a particulièrement souffert de la période stalinienne ; au même titre que le reste de l’URSS, mais un peu plus quand même, avec l’Holodomor. Si bien que la Wehrmacht, préparant l’invasion du pays, se demande si y’aurait pas moyen de s’entendre avec ces gens là, des fois que … En fait, dès les années 1930, l’Allemagne nazie accueille des nationalistes ukrainiens qui ont fui leur pays, et prépare avec eux un éventuel soulèvement contre « l’occupant » communiste.


Lorsque les troupes allemandes déclenchent l’assaut, elles progressent rapidement sur les territoires ukrainiens (la zone devenant même objectif prioritaire en Septembre 1941, pour s’assurer le contrôle de la production agricole et minière). L’accueil de la population est très variable : plutôt chaleureux dans l’Ouest, qui les perçoivent comme des libérateurs, mais bien plus glacial dans l’Est. Au départ, l’occupant nazi fait des efforts afin d’être bien accepté : la répression se concentre sur les communistes et les juifs. Des forces de police « locales » sont créées pour administrer les territoires, une armée insurrectionnelle ukrainienne commence à voir le jour, pour libérer définitivement le pays de la présence soviétique, et aider l’allié allemand à vaincre cet adversaire honni.


Mais assez rapidement, les nazis vont revenir à leurs habitudes de gros bourrins. On explique aux nationalistes que hahaha, non, votre indépendance vous pouvez vous asseoir dessus. Par contre, n’hésitez pas à vous battre pour nous. L’armée insurrectionnelle est dissoute, transformée en force de répression anti partisans. Ceux qui ont vraiment envie de bouffer du bolcho sont invités à rejoindre des divisions SS incluant des combattants étrangers ; une division entière va même voir le jour, la 14e division SS « Galicie » (la Galicie étant une région de l’Ouest). Quant à la population, elle sera tout simplement exploitée et martyrisée, au gré des réquisitions et représailles anti résistance. Autant dire que rapidement, les Allemands passent du statut de « potentiel libérateur » à celui de « gros enfoiré ». Malgré tout, cela n’empêchera pas les volontaires des forces auxiliaires de continuer leur collaboration, prenant une part importante dans la lutte anti partisans aux côtés des Einsatzgruppen ; ils feront même preuve d’une très grande brutalité dans ces opérations, commettant moult crimes contre leur propre population. Ces jusqu’au-boutistes seront même des opposants acharnés au retour de l’Armée Rouge lors des offensives soviétiques de 1943-1944, menant à leur tour des opérations de guérilla (dans un certain sens, ils savaient qu’ils n’auraient pas le droit au « pardon, bisous, c’est fini, on va faire comme si rien ne s’était passé »).

Alors oui : il s’est bien trouvé des Ukrainiens pour collaborer activement avec le 3e Reich, aidant même ce dernier à martyriser ses propres concitoyens. Entre la police locale, les auxiliaires anti partisans et les volontaires SS, ils ont peut être été quelques centaines de milliers. Cela dit, cela suffit il à catégoriser tout un peuple comme traître et ayant une tendance naturelle à brandir en l’air son bras droit ? Nous avons un des deux côtés de la balance ; permettez moi d’ajouter, de l’autre côté, deux poids conséquents.

Le premier : si des dizaines voire centaines de milliers d’Ukrainiens se sont battus au côté des nazis, ils ont été des millions à combattre pour l’Armée Rouge. Sur les 11 millions de soldats soviétiques morts au combat, on estime qu’environ 1,7 million étaient des Ukrainiens pur souche (environ 16%), ce qui montre bien le sacrifice fait pour la victoire. De plus, dès les premiers jours de l’invasion, une partie de la population a monté un mouvement de partisans, au même titre que les autres territoires occupés. S’il a peut être été moins actif que celui de Biélorussie, c’est en partie à cause de la géographie : là où cette dernière présente de nombreux marécages et forêts (propices à la dissimulation et à la guérilla), les vastes plaines d’Ukraine offrent moins d’opportunités. Ce qui est sûr, c’est que si des Ukrainiens ont participé à l’éradication de la résistance, c’est bien qu’il y en avait une ! D’ailleurs, les autorités soviétiques seront elles même reconnaissantes envers les efforts de l’Ukraine : plusieurs villes seront proclamées « héros de l’Union Soviétique », notamment Kiev, le pays lui même va obtenir un siège au conseil des nations unies (alors qu’appartenant à une entité possédant déjà un siège ! il me semble que c’est le seul cas où cela est arrivé), et se verra récompenser quelques années après la guerre, par le transfert de la Crimée.


Le deuxième : certes des Ukrainiens ont collaboré … mais il ne faudrait pas occulter le fait que des Russes l’ont également fait ! (ah, la mémoire sélective d’un homme âgé …) Le plus célèbre était sans doute Andreï Vlassov, général de l’Armée Rouge. Lorsqu’à la tête de la 2e armée de choc, il fut fait prisonnier par les Allemands, il leur proposa ni plus ni moins de combattre pour eux, afin d’aller couper la moustache au petit père des peuples. Rien que ça ! Dans la catégorie trahison, pour quelqu’un qui était considéré comme un héros dans l’armée soviétique, c’est un bon champion. Il proposa même à ses nouveaux Freunden de lever une « armée de libération russe », comprendre une armée de volontaires qui iraient se taper du rouge, en recrutant chez tout ce que l’union soviétique comptait de mécontents (notamment des anciens « blancs »), mais également dans les prisonniers de guerre (à qui on offrait un super marché : soit mourir dans des camps, en travaillant jusqu’à épuisement, soit mourir en tuant ses anciens camarades). Si les nazis étaient très réticents à filer des armes à ceux qu’ils étaient en train de massacrer, ils finirent par accepter, afin de combler leurs pertes toujours plus grandes. Cela représenta jusqu’à 50 000 combattants. Sauf que comme on avait peur qu’en combattant dans leur pays, ces hommes ne finissent par trahir, on les envoya loin … en Normandie par exemple. Sauf que privés de l’idée de participer à la « libération » de leur pays (libération très relative, vu ce qu’avait prévu Hitler pour les peuples de l’URSS), ils ne se montrèrent pas très combatifs non plus. Bref, une idée de Scheisse ; mais quoi qu’il en soit, des russes se sont bien battus pour les nazis. A cela on peut ajouter des volontaires SS (encore une fois, à peu près tous les pays européens en ont eu).

Par conséquent, si les Ukrainiens sont des nazis pour cette raison, alors les Russes et 99% de l’Europe le sont également. Du boulot en perspective pour notre dénazificateur.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Collaboration_en_Ukraine_durant_la_Seconde_Guerre_mondiale
https://fr.wikipedia.org/wiki/14e_division_SS_(galicienne_no_1)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27Ukraine_pendant_la_Seconde_Guerre_mondiale

La Russie n’a jamais attaqué la première, elle n’a fait que se défendre à chaque fois ?

La Pologne vous dit merci. Détruite et occupée au moins 4 fois par son voisin, en 1772, 1793, 1815 (après que Napoléon l’ait fait revivre via le grand duché de Varsovie), et 1941, sans oublier la guerre soviéto-polonaise de 1919 à 1921. De même que les pays baltes, la Finlande, la Roumanie en 1940. Quant à Napoléon, s’il l’a bien envahi en 1812, c’est après sa participation à 3 coalitions, sans attaque de la France … et à chaque fois, après une cuisante défaite, avec la promesse de « non non non, promis on recommencera plus, nous on vous aime bien c’est la faute des Anglais ! ».
Et là, on ne parle même pas des mouvements colonisateurs vers la Sibérie (qui n’a pas toujours été russe figurez vous) et le Caucase (où l’on trouvait des chrétiens et des musulmans, pas très russes eux non plus).


Donc le mythe d’une Russie éternelle victime des autres, qui sont tous méchants, est bien un mythe, au même titre que les licornes ou la probité en politique.
D’ailleurs, parmi l’un des plus « virulents » opposants à la Russie au sein de l’OTAN : la Pologne. Peut être qu’ils ont quelques raisons historiques de se méfier ?

(je ne vais pas tous les mettre, mais qq exemples)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Partages_de_la_Pologne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Hiver
https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_des_pays_baltes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Caucase

Voilà les réponses à quelques mensonges que l’on entend depuis plusieurs semaines. Et si certains se demandent pourquoi je tape sur la Russie ? Je ne tape pas sur la Russie ; j’ai un profond respect pour l’histoire de ce peuple, et notamment des colossaux efforts qu’il a fait pour la victoire contre l’Axe. Je continuerai à défendre les faits ; et si démonter les conneries historiques d’Hollywood est un passe temps qui me régale, le faire contre les mensonges d’un régime, qui utilise les mêmes grosses ficelles qu’on a déjà pu voir dans le passé, est un devoir.

Faut pas taquiner les Belges – 2e partie

Deuxième article sur notre peuple bourrin du moment : les Belges. Et nous allons faire un voyage express à travers le temps, pour passer du Moyen Age directement au début du 19e siècle.

Mais … cela signifie t il qu’en 4 siècles, il ne s’est rien passé dans le plat pays ? Nenni brave lecteur : on peut dire que la région a connu une histoire mouvementée. Longtemps divisé entre différents royaumes, le pays finit par être réuni, avec les Pays Bas. D’ailleurs, l’un des souverains les plus puissants du début du 16e siècle était belge : j’ai nommé Charles Quint. Oui, il n’était ni espagnol, ni autrichien, mais originaire de Gand. Les Belges, pour lui rendre hommage, ont d’ailleurs brassé une bière à son nom. Les actuels Pays Bas firent ensuite sécession, pour devenir les Provinces Unies. Chaque pays évolua dans son coin : le Nord devint une république protestante, le Sud resta catholique, rattachée à une monarchie catholique (Autriche) …
Puis, alors que la France devenait révolutionnaire, les Belges firent de même, pas forcément pour les mêmes raisons (sans doute par esprit de contradiction). C’est la révolution brabançonne, qui finit par aboutir à la création des Etats belgiques unis. Prototype de ce que pourrait devenir la Belgique, le nouvel état ne dura qu’une année, le temps que des Autrichiens bougons viennent rappeler qui étaient les patrons. Puis les armées révolutionnaires françaises viennent à la rescousse de leurs compères : ça devient confus, les Autrichiens repartent, puis reviennent … Ça dure comme ça quelques années, quand le pays est définitivement libéré. La république française y fonde alors une « république sœur », comprendre une république démocratique sur le papier, mais quand même vachement aux ordres de Paris. Finalement, c’est trop compliqué, et l’essentiel de la Belgique contemporaine est intégrée purement et simplement à la France. Tout le monde sur place ne partage pas la même opinion à ce sujet (certains sont heureux, notamment du côté de Liège, d’autres moins), mais Napoléon va mettre tout le monde d’accord ou presque, lorsqu’à force d’imposition (une spécialité française) et de conscription, les Belges vont en avoir un peu marre.
Mais où tout cela nous mène t il ? A la révolution belge de 1830, acte fondateur du pays tel qu’on le connait.

La révolution belge

Comme nombre de mouvements nationalistes du 19e siècle, tout commence avec le Congrès de Vienne en 1815, où les vainqueurs de Napoléon se demandent bien comment on va faire après ce vaste foutoir qu’ont été les guerres révolutionnaires.


Les Belges sont très partagés sur le devenir de leur territoire : la plupart s’estiment être des sujets des Hasbourg, et verraient donc bien un retour à l’état ante révolutionnaire ; d’autres aimeraient bien intégrer la France (toujours du côté de Liège) ; et quelques rares audacieux pensent bien à une Belgique indépendante, mais ils ne sont ni nombreux, ni bruyants.
Cela dit je vous rassure : les monarchies coalisées ne vont tenir aucun compte des avis de la population locale (quelle idée saugrenue ce serait !). Et une fois encore, c’est la perfide Albion qui, à force de manœuvres, va réussir à mettre en avant son projet. La grosse crainte des Anglais, c’est de voir s’installer à l’embouchure de l’Escault (et surtout, le port d’Anvers stratégique pour son commerce), une puissance francophile, voire la France elle même. Les Britanniques parviennent à convaincre les autres pays de faire ce que personne ne demandait : réunir les Provinces Unies (Pays Bas) et les Pays Bas méridionaux (la Belgique en gros), en un seul et unique royaume des Pays Bas, relativement neutre et qui serait ainsi assez gros pour résister – un peu – à une éventuelle agression française. La nouvelle couronne est alors confiée à la maison des Orange Nassau (pour l’anecdote : cette maison est toujours celle qui règne sur les Pays Bas …).

Et que pensent donc les Belges du projet ? Globalement : pas grand chose. Les francophiles ont compris qu’un rattachement à la France ne sera jamais permis par les autres royaumes européens. Les indépendantistes : à défaut d’une véritable indépendance, ils espèrent obtenir une relative autonomie dans le nouveau royaume. Quant aux autres, l’immense majorité silencieux : ils en ont rien à faire, ou plutôt ils sont résignés. Ainsi, sur le papier, le projet semble donc viable …
Sauf que non en fait : rapidement, des problèmes vont survenir. Tout d’abord, linguistique : dans le Sud, on parle français, un peu néerlandais, mais pas le même que dans le Nord. Or, le néerlandais était imposé comme langue officiel dans de nombreuses régions. Ensuite, religieux : le Nord est protestant, le Sud catholique, et même s’il y a une forte tolérance religieuse, la discrimination à l’embauche au gouvernement ou dans l’administration est réelle. Problème économique également : le Nord était très endetté avant l’unification, le Sud moins, et voici que celui ci va devoir payer pour l’autre, ce qui lui plait moyennement. Enfin, problème de discrimination générale : la population du Sud est plus nombreuse, mais moins représentée dans l’administration, dans le corps des officiers, … Bref, les Belges sont grognons.

Guillaume Ier, le roi, entend ses protestations, fait preuve de plutôt bonne volonté en concédant quelques contreparties, mais en refusant la séparation franche entre le Sud et le Nord. Or, un élément très indépendants de sa volonté va complètement réduire à néant ses efforts : la révolution française de 1830, les « Trois Glorieuses », qui chasse Charles X pour installer Louis Philippe dans une monarchie constitutionnelle. Comme pour la première révolution, l’exemple français va s’étendre à travers l’Europe et provoquer des révoltes un peu partout.
Aux Pays Bas du Sud, ça commence également à chauffer ; en plus de tous les sujets de mécontentement évoqué ci dessus, la situation économique n’est guère enviable, avec chômage et inflation. Le pays est un baril de poudre, manque plus que l’étincelle. Et celle ci sera : un opéra, La Muette de Portici.
Oui, le facteur déclencheur de la révolution belge sera un opéra. Comme je vous sens sceptique, je vous dois bien quelques explications. Cet opéra est dans la mouvance romantique de l’époque : rien à voir avec le romantisme mièvre contemporain, le romantisme façon 18-19e siècle consiste plutôt en des amours contrariés et des jeunes gens qui s’entretuent, voire parfois se tuent eux même face à tous les malheurs dont le monde les accable. Pour la Muette de Portici, en gros, on parle mariage forcée, complots et trahisons, sur fond de révolte d’une ville face à un pouvoir étranger. C’est ce dernier point qui va provoquer de vives agitations.


Le 25 Aout 1830, une représentation est donnée à Bruxelles (sur autorisation royale). Sauf qu’à la fin de la représentation, une partie de la foule s’échauffe, crie « vive la liberté », et commence à virer à l’émeute : on commence à piller des magasins, et à incendier des maisons appartenant à des représentants du royaume. Bref, un peu comme ci après une séance au cinéma, à voir « Avengers : infinity war », une partie des spectateurs était allée incendier le siège de Total Energies.
Quoi qu’il en soit, les autorités réagissent peu, et les émeutes gagnent du terrain. La bonne bourgeoisie bruxelloise, inquiète de ne pas voir les forces de l’ordre rétablir la paix civile, décide de former une garde bourgeoise. Dès le lendemain, celle ci était à l’œuvre, et les troubles furent presque stoppées en à peine 3 jours. Les chefs de la garde bourgeoise, conscients de la situation toujours tendue ainsi que du poids qu’ils venaient d’acquérir grâce au rétablissement de l’ordre, envoyèrent une délégation au roi, dans l’espoir d’être ENFIN entendu. A ce stade, il ne s’agit toujours pas d’indépendance : juste d’autonomie.
Dans les autres villes de Belgique, l’agitation se répand à toute allure : des gardes bourgeoises sont levées un peu partout, commencent à supplanter les autorités légitimes, il y a même des volontaires qui affluent vers Bruxelles afin de la défendre contre une éventuelle contre attaque des troupes royales ! Le pays est quasiment en état d’insurrection armée.

Des volontaires de Liège s’en vont participer à la fiesta

Et en réaction, que fait le roi Guillaume ? Il souffle le chaud et le froid. Comme tous les souverains de l’époque face à une telle situation, il envoie la troupe, avec à sa tête ses fils. Mais d’un autre côté, il reçoit également une délégation de Bruxelles. Il accepte de convoquer les états généraux, mais refuse toute concession tant que ceux ci ne seront pas réunis, d’ici 2 semaines environ. C’est une demi concession : il sait probablement que les états généraux seront globalement acquis à sa cause (parce que le Nord y est représenté abusivement), et donc que ceux ci n’accorderont que des concessions mineures au Sud.
De son côté, le prince Guillaume (donc le fils du roi Guillaume … oui c’est pas simple) prévient Bruxelles : il va rentrer dans la ville avec ses soldats, et si la populace ne se calme pas, ça va barder nom de Dieu ! La population, inquiète, commence à dresser des barricades. Le prince se dit que bon, allez, on calme le jeu : il entre en ville, mais sans son armée. Il constate l’hostilité de la population, et les responsables de la bourgeoisie le parviennent à convaincre de parler à son royal papounet. La situation reste tendue, mais semble s’améliorer.

Et que fait donc le roi et les princes dans les semaines à venir ? A peu près rien pour calmer le jeu. Les états généraux doivent avoir lieu fin Septembre, en attendant il ne fait aucune promesse. Et il envoie des troupes pour rétablir l’ordre, ce qui est fort mal perçu. Des volontaires s’organisent en milices pour résister à l’invasion, souvent dirigés par des chefs élus par les volontaires eux même.
Le 23 Septembre, les soldats royaux, dirigés par l’autre prince du royaume, Frédéric, entrent dans Bruxelles. Les chefs de la garde bourgeoise réagissent comme tout chef avisé le fait en pareille circonstance : courageusement, ils prennent la fuite. Sauf que la population, elle, en a gros, et décide de résister. Ainsi, quand les troupes royales commencent à se faire tirer dessus, depuis les fenêtres et les toits des maisons, par les insurgés, pendant que les femmes bruxelloises leur lancent meubles et pots de chambre. Or, personne n’a envie de recevoir sur la tête le pot de chambre d’un Belge. Voyant que la ville résiste, les leaders de l’insurrection reviennent, et commencent à s’organiser. Pour diriger les troupes, on fait appel à un aventurier belgo-espagnol, Juan Van Halen (un tel nom ne laisse aucun doute quant à sa double origine). Pour encadrer les insurgés, il fait appel à d’anciens officiers de la Grande Armée, qu’ils soient autochtones ou émigrés (beaucoup d’anciens officiers français, jugés « trop bonapartistes », ont été exilés suite à la Restauration de la monarchie).
Les troupes néerlandaises n’étaient pas préparées à ça, et sont mises en déroute : elles évacuent durant la nuit du 26 au 27 Septembre, soit même pas 4 jours après leur arrivée. C’est une déroute : dans le reste du pays, des soulèvements en faveur de l’indépendance éclataient. La commission qui dirigeait les volontaires à Bruxelles se transforme en gouvernement provisoire. Et proclame l’indépendance.

La rue de Flandre, le Jeudi 23 Septembre 1830

Ironie du sort : le 29 Septembre, les états généraux du pays, réunis à La Haye, accepte enfin la séparation administrative entre le Nord et le Sud. Mais il est trop tard : pour la population du Sud, la royauté n’est plus légitime après avoir fait couler le sang du peuple. La troupe stationnée dans le pays est constituée essentiellement d’hommes venant de ces régions. Ainsi, ils prennent rapidement sympathie pour le mouvement indépendantiste : les soldats désertent, voire pire, se retournent contre l’autorité royale, n’hésitant pas à enfermer leurs officiers venus du Nord. D’une indépendance proclamée, celle ci devient une indépendance de facto : le roi ne contrôle plus tout le Sud de son royaume.
Le prince Guillaume tente de négocier de son côté : il propose de reconnaître l’indépendance de la Belgique, et d’en devenir le roi. Ainsi, les deux pays seraient bien indépendants, mais liés par une même dynastie. Celle solution est d’abord bien reçue par les responsables indépendantistes, qui sont conscients que les autres rois d’Europe n’autoriseraient pas n’importe quoi en Belgique. Mais un incident vient tout compromettre. A Anvers, les troupes royales reculent, sans livrer combats (sur ordre du prince Guillaume, qui veut éviter des incidents), et s’enferment dans la citadelle. La ville est elle occupée par des volontaires belges ; mais ceux ci sont peu disciplinés, et pas très au courant de la trêve en cours, ouvrent le feu sur les troupes royales … qui ripostent, en bombardant la ville. Résultats, une centaine de morts et de nombreux dégâts.

Suite à ce malheureux incident, on explique au prince Guillaume, que la couronne, il peut se la carrer bien profond : pas question qu’un membre de la maison Orange ne monte sur le trône belge. A défaut de ce prince ci, les autorités du tout jeune pays cherchent donc un autre prétendant : ils savent parfaitement qu’une république belge est inconcevable aux yeux des dirigeants européens, encore traumatisés par les remous de la révolution française.
Après diverses négociations, la couronne est finalement remise à un prince anglo-allemand, Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha (tout en simplicité), qui devient peu de temps après Léopold 1er, roi des belges par la volonté de ceux ci : c’est ainsi le fondateur de la dynastie qui occupe toujours ce rôle de nos jours. Le choix est plus ou moins entériné par les puissances européennes, constatant la forte volonté des Belges (on a pas envie de se les mettre à dos, vu que l’Europe est à deux doigts d’exploser dans une révolution quasi généralisée), et satisfaites du compromis.
Le seul qui n’est pas content, c’est le roi Guillaume 1er, qui perd la moitié de son royaume. Il tente bien de faire appel aux puissances conservatrices : la Prusse et l’Autriche n’interviennent pas ; la Russie, elle aurait bien répondue présente, mais elle est occupée à mater une révolte polonaise. C’est ainsi que s’il doit reconquérir la Belgique, il devra le faire seul.

Le 2 août 1831, il se décide finalement à marcher sur Bruxelles. Il franchit la frontière avec près de 26 000 hommes, commandés par des officiers vétérans des guerres napoléoniennes, et soutenus par l’artillerie. De son côté, la jeune armée belge en cours de formation n’avait que l’expérience des combats de rue et des escarmouches, et n’était pas prête à livrer des batailles rangées. Ce fut la débandade, et les « Hollandais » occupèrent la moitié Nord du pays, durant ce qui fut appelé plus tard la Campagne des Dix Jours.
Mais tout n’était pas perdu pour le tout jeune pays. Des troupes résistèrent, et commencèrent à menacer les arrières de l’armée néerlandaise, qui ne se sentait pas à l’aise dans ce pays qui lui était résolument hostile. Et à peine intronisé, le roi Léopold 1er fit appel à l’Angleterre et à la France, qui s’étaient portés garantes de son indépendance. Si la première ne réagit pas, la deuxième fit preuve d’une célérité remarquable pour l’époque : l’appel à l’aide fut lancé le 8 Aout, le lendemain, l’armée du Nord avait déjà franchi la frontière. Les soldats français avaient reçus l’ordre de ne pas provoquer le combat. Cependant, c’en était trop pour les Néerlandais : ceux ci demandaient en vain l’aide de la Prusse et la Russie, les troupes s’imaginaient déjà encerclés entre les Belges et les Français … et firent donc demi tour.
Une trêve fut signée, qui ne déboucha pas directement sur la paix. En effet, les Néerlandais occupaient toujours Anvers et sa citadelle, et refusaient de l’évacuer. Une nouvelle intervention française, en 1832, permit finalement de la faire tomber aux mains des Belges, grâce notamment au génie du général Haxo … mais ceci est une autre histoire.

Finalement, Guillaume 1er finit par constater la farouche résistance des Belges, et finit par reconnaître l’indépendance. Celle ci a donc été permise par : un opéra, l’hésitation du roi des Pays Bas, la farouche volonté des belges et une intervention française (ne le dites pas trop fort, sinon les Belges risquent de s’en offusquer ; alors qu’il faut reconnaître qu’ils ont fait le gros du boulot tout seuls). L’Histoire est capricieuse, mais le pays pouvait désormais y inscrire ses propres et glorieuses pages …

La mitrailleuse Montigny : première « mitrailleuse » européenne

Depuis des décennies, voire des siècles, on essayait de concevoir en Europe une arme capable de tirer très vite, très beaucoup de balles, afin de tuer très beaucoup de gens. S’il y a eu de nombreuses tentatives, aucune n’a visiblement fait mouche, car n’étant pas entrée dans l’Histoire : soit parce qu’elles étaient toutes pourries (très probable), soit parce que les personnes à qui on faisait la démonstration étaient elles mêmes toutes pourries et n’ont pas vu le potentiel de l’engin (tout autant probable).


Il faudra attendre le milieu du 19e siècle pour que le concept se fraie un chemin. Période propice, car on commence à développer de nouveaux moyens pour tuer autrui à une cadence industrielle : fusils à répétition, canons à obus plutôt qu’à boulets, … Du côté du Nouveau Monde, c’est un certain inventeur du nom de Gatling qui va mettre au point la mitrailleuse éponyme, en 1862, et qui sera adopté en 1865 par l’US Army. De l’autre côté de l’Atlantique, la première armée à adopter un mécanisme équivalent sera donc : l’armée belge, avec la mitrailleuse Montigny (là encore, du nom de son inventeur, l’armurier Joseph Montigny).

Alors attention : quand on parle de mitrailleuse, il ne s’agit pas vraiment de la conception moderne telle qu’elle existe aujourd’hui. Dans le cas de la Montigny, il s’agit en fait de 37 canons, réunis en une seule âme, qui donne l’impression d’avoir affaire à un gros canon percé de plein de petits canons de fusils. Une plaque amovible, à l’arrière, permet d’insérer 37 balles, en face de chacun des canons. Et une manivelle, lorsqu’elle est tournée, permet de déclencher la mise à feu progressive des 37 balles, qui sont alors tirées dans la même direction générale. Si le concept est différent, le principe reste le même : tirer de nombreuses balles, à haute cadence. La cadence de la Montigny justement : parlons en. Elle dépend essentiellement de la vitesse à laquelle on tourne la manivelle, ce qui permet de régler la cadence : coup par coup, rafales courtes ou longues ; au maximum, elle aurait été d’environ 100 coups par minute. Ce qui pour l’époque, est excellent. Bon par contre, le tir est limité à 37 balles : après, il faut recharger, donc enlever la plaque amovible, la remplacer par une autre avec les 37 balles, etc. … Ce qui prend du temps et nécessite de la main d’œuvre. L’engin avait un autre défaut : il était lourd et volumineux, presque autant qu’une pièce d’artillerie de petit calibre, mais c’était également le cas pour la mitrailleuse Gatling donc bon (d’ailleurs, à l’époque les mitrailleuses étaient considérées comme des pièces d’artillerie, et ce jusqu’au début de la Grande Guerre).

La mitrailleuse Montigny et ses deux servants, dont l’un insère la plaque avec les balles

Alors d’accord : les Belges ont inventé la mitrailleuse en Europe. Mais était elle efficace ? La mitrailleuse Montigny n’a pas vraiment connu le feu. Cependant, les Français ont repris le concept dans les années 1860, avec la mitrailleuse De Reffye, ou « canon à balles ». Cette copie est composée de seulement 25 canons, mais avec des balles de plus gros calibre. Elle sera utilisée durant la guerre franco prussienne. Comme souvent avec une nouvelle arme, elle sera mal utilisée : considérée comme une pièce d’artillerie, on a voulu l’utiliser pour effectuer des tirs de contre batterie, c’est à dire pour vaincre l’artillerie adverse. Sauf que la portée de l’arme était limitée (peut être quelques centaines de mètres), par rapport aux canons prussiens qui pouvaient tirer jusqu’à 6 kilomètres : forcément, ça s’est très mal passé. Quelques officiers un peu plus inventifs eurent cependant une idée : et si on utilisait ces armes contre les charges d’infanterie ? Là, le résultat se révéla concluant : outre de provoquer des carnages, l’arme avait un fort impact psychologique. Les canons à balles ne purent cependant empêcher la défaite, à chaque fois vaincue par l’artillerie prusse nettement supérieure en nombre et qualité. Mais les Allemands craignaient tant l’arme qu’ils s’en firent remettre de nombreuses après la guerre pour les étudier.

Le canon à balles Reffye

Dans les décennies qui suivirent, plus personne ne remit en cause l’intérêt de disposer d’une arme à très grande cadence de tir. Gatling améliora son propre modèle, et Sir Hiram Maxim, britannique d’origine américaine, inventa la mitrailleuse Maxim, qui devint le prototype des mitrailleuses modernes monotubes.
Quant au concept de la mitrailleuse Montigny, il s’avéra une impasse technologique : l’arme était lourde, car chaque balle nécessitait son propre canon. Ainsi, si on voulait accroître l’autonomie de tir, il fallait augmenter d’autant le nombre de canons, et donc le poids de l’arme. Le concept n’eut donc aucun descendant après la mitrailleuse De Reffye.

Il n’empêche : les Belges sont bien les premiers en Europe à s’être équipés en mitrailleuses. Et si l’idée d’un Belge armé d’une Montigny ne vous effraie pas, c’est sans doute car vous l’imaginez ayant consommé de nombreuses bières avant.

Ainsi, les Belges du 19e siècle font honneur à leurs lointains ancêtres : il ne valait mieux pas s’opposer à leur envie d’indépendance. Et nous verrons que ceux du 20e siècle s’avéreront aussi redoutables dans un prochain article.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_belge

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Muette_de_Portici

https://fr.wikipedia.org/wiki/Campagne_des_Dix-Jours

https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_la_citadelle_d%27Anvers_(1832)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mitrailleuse_Montigny

Sources des images : Wikipédia