Opération Bodenplatte : bonne année de la Luftwaffe

En ce début d’année 2022, il se peut que plusieurs de mes lecteurs et lectrices, suite à une veillée fort tardive, et/ou trop riche en éthanol, aient quelques maux de tête le premier jour du nouvel an. Peut être certains ont ils même l’impression d’avoir un moteur d’avion dans le crâne, voire que ledit avion ait décidé de tapisser l’intérieur de leur boîte crânienne avec moult cartouches.
Et bien au début de l’année 1945, les pilotes alliés ont eu le droit à ces sensations, non seulement dans leurs têtes, mais également au dessus de celles ci. Car la Luftwaffe leur a souhaité une nouvelle année à sa façon : c’est l’opération Bodenplatte. Voici son histoire.

Tout commence à l’automne 1944. La situation militaire du IIIe Reich n’est pas glorieuse. A l’Est, l’Axe a perdu presque tous les territoires conquis sur l’URSS, plus la Roumanie (qui a astucieusement changé de camp), les soviétiques sont aux portes de Varsovie et de la Poméranie orientale. Et du côté Ouest, ce n’est guère mieux : depuis le débarquement en Normandie, les Alliés ont libéré la quasi totalité de la France, la Belgique et une partie des Pays Bas, et tiennent une grosse moitié sud de l’Italie.

Hitler a un plan « génial » (selon lui et ses fanboys) pour redresser la situation : ses ennemis se sont épuisés avec leurs dernières offensives automnales, et vont passer en position défensive, sans doute jusqu’au printemps prochain. L’idée est donc de lancer une grande offensive à l’Ouest, de façon à couper les armées alliées, les démoraliser et les pousser à négocier une paix séparée, et après aller taper sur du communiste. Mais où attaquer ? Par les Ardennes bien sûr ! Cela a fonctionné en 1940, alors pourquoi ne pas recommencer ? Cela donnera lieu à la fameuse bataille des Ardennes, dont je parlerai une autre fois.

Si l’opération fait l’objet de nombreuses critiques par certains généraux réalistes, une seule sera entendue par le Führer. Les dernières grandes contre attaques allemandes ont toutes été stoppées par l’aviation alliée : ceux ci ont la supériorité aérienne quasi totale à l’Ouest, Typhoon et autres Thunderbolt mènent la vie dure aux Panzer quand ceux ci osent sortir à découvert. Ainsi, si l’offensive des Ardennes veut avoir une chance de réussir, il va falloir calmer les ardeurs de la RAF et de l’USAF.
Parallèlement à l’attaque au sol, une grande opération aérienne doit avoir lieu, pour neutraliser les avions alliés aux Pays Bas, en Belgique et dans le Nord de la France : ce sera l’opération Bodenplatte. On confie à la Luftwaffe le soin de préparer cette offensive : il s’agit d’aller bombarder les aérodromes de ces régions, pour que les vilains anglo saxons volants ne puissent pas venir faire péter nos chars. Élément crucial : l’effet de surprise. Si les forces aériennes alliées sont placées en état d’alerte, l’opération risque d’échouer. On garde donc le plus grand secret autour de cette opération : quelques officiers sont mis au courant, mais les pilotes eux, ne seront prévenus qu’au dernier moment. L’attaque doit débuter le 16 Décembre, en même temps que les opérations au sol.

Un imprévu va cependant annuler l’opération : la météo. En cette fin 1944, le réchauffement climatique n’est en effet pas à l’ordre du jour, l’hiver est précoce est vigoureux. Température polaire et tempêtes de neige vont geler les opérations aériennes, et empêcher purement et simplement Bodenplatte. Mais ce n’est pas forcément un problème, au contraire : le temps étant le même des deux côtés, les avions anglais et américains ne pourront pas plus intervenir, et Hans dans son char Tigre ne risque pas de recevoir roquettes ou bombes depuis le ciel. On obtient donc le résultat espéré, sans avoir à risquer le moindre appareil : parfait !
Et effectivement : au début de la bataille des Ardennes, l’aviation alliée ne pourra que peu intervenir en raison d’une météo capricieuse. Mais à partir du 26 Décembre, le temps se dégage ; et aussitôt, les pilotes alliés sont lâchés tels des chiens fous, et vont effectuer sortie sur sortie. C’est un véritable déluge de feu qui va s’abattre du ciel sur les troupes allemandes (qui étaient déjà en difficulté).

Malgré quelques bons résultats initiaux, l’offensive est un échec, aucun objectif n’est atteint. A cela de nombreuses raisons (que je n’évoquerai pas ici, un autre article, soyez patients petits kastors !). Mais pour Hitler, il est évident que son plan pourtant infaillible n’a pas pu échouer à cause de lui. Il désigne les responsables : ses généraux (qui n’ont pas su suivre ses ordres pourtant parfaits), et … l’aviation alliée. Sur ce 2e point, il n’a pas complètement tort, même si l’offensive était vouée à foirer de toute façon.
Il pique donc une de ses fameuses crises, et déclare : l’aviation alliée doit être détruite au sol. En effet, si c’est trop tard pour l’offensive dans les Ardennes, il en prévoit une autre du côté de l’Alsace, tout aussi merveilleuse et inratable bien entendu (à ce niveau, on dirait presque du Trump).

L’opération Bodenplatte est donc reprogrammée, pour punir ses méchants Bobbies et Sam volants, qui nous empêchent d’attaquer là où on veut. La nouvelle date sera le 1er Janvier 1945. L’idée étant que les pilotes alliés seraient trop fatigués/beurrés suite au réveillon pour prendre les airs (ou du moins représenter une menace tangible). Presque mille avions participeront à l’opération : essentiellement des chasseurs Bf 109 et Fw 190, guidés par des chasseurs de nuit, et escortés par quelques avions à réaction. Cela représente des moyens considérables pour une Luftwaffe passablement affaiblie par 5 années de guerre.
Encore une fois, l’effet de surprise doit être total : le plan est préparé par une poignée d’officiers d’état major, qui préviennent les commandants d’escadrille, mais l’immense majorité des pilotes ne sont prévus que quelques heures avant : hop hop hop, rangez vos bières et à bord de vos avions ! Une déception pour une partie des équipages qui pensaient fêter peinard le nouvel an, mais on est allemand, donc on obéit.

Les avions n’ont pas encore décollé que les premiers problèmes surgissent : les plans de vol sont transmis très tard aux pilotes (toujours pour que le secret ne soit pas éventé). Sauf que beaucoup d’entre eux sont novices, et n’ayant pas le temps d’étudier les trajets convenables, ils vont faire des erreurs de navigation. De surcroît, on ne leur a pas expliqué le pourquoi de l’opération, ils n’ont pas de vision d’ensemble, et chaque escadrille pense donc effectuer une attaque limitée.
Deuxième problème, encore lié au secret de l’opération. Les avions allemands doivent passer au dessus de leurs lignes pour attaquer les aérodromes alliés, et notamment dans certains secteurs très défendus. Or, la Flak n’a pas été prévenu de l’opération : quand ils voient défiler au dessus d’eux des centaines d’appareils, ils pensent à des attaques alliés. Et logiquement : ils ouvrent le feu. Avant même que les appareils n’atteignent leurs objectifs, les allemands subissent des pertes dues à des tirs amis. Cela va rajouter à la confusion initiale.

Les chasseurs teutons se présentent enfin – et non sans mal – au dessus des bases aériennes alliées. Et pour le coup : la surprise est totale. En effet, les services de renseignement ont bien eu quelques indices sur la possibilité d’une attaque aérienne de grand envergure … Mais ils n’y ont pas cru. Impossible : les Allemands ne peuvent PAS préparer un truc aussi énorme. Ce n’est pas comme s’ils avaient échoué à prédire l’offensive des Ardennes, malgré quelques signes évidents, et ce il y a à peine 2 semaines.
Les pilotes alliés sont donc surpris d’être réveillés par des explosions, qui ne sont pas du à quelques pétards, mais à des avions en feu sur les pistes ; accessoirement, LEURS avions. La surprise passée, la DCA va rentrer en action, et commencer un magnifique feu d’artifices diurne.

Selon les secteurs, les résultats seront très variables. Sur quelques aérodromes, les Allemands vont faire un carton, détruisant de nombreux appareils au sol, sans que ceux ci n’aient le temps de décoller. Ailleurs, les pilotes peu expérimentés vont se tromper de cibles, et attaquer des bases secondaires moins importantes. Partout cependant, quelques avions alliés vont réussir à décoller, bien décider à taquiner la queue de Hans (la queue de son avion je veux dire). Cela provoquera des escarmouches aériennes éparpillées. Enfin, en quelques endroits, des escadrilles entières, qui étaient en patrouille, vont avoir le temps de revenir pour participer à la fête, donnant lieu à de grands affrontements aériens.

Quelques exemples du résultat des attaques allemandes ; ici, des P-47 détruits au sol sur la base Y-34

Ici, un B-25 Mitchell (ou un C-3 selon les sources), en flammes après l’attaque de Melsbroek

Toujours à Melsbroek, on tente de sauver un bombardier Lancaster

Et alors, le résultat de tout ça ? De leur côté, les Alliés vont perdre entre 400 (chiffres américains) et 700 (selon les allemands) appareils, sans doute dans les 500. De leur côté, les Allemands enregistrent environ 300 avions perdus. Le tableau des scores est à leur avantage …
Et pourtant, ce résultat est un trompe l’œil. Rappelons que l’objectif de l’opération Bodenplatte, c’était de neutraliser durablement la force aérienne alliée. Or, les dégâts seront vite réparés : les pistes dégagés des carcasses brûlées des avions détruits, et les appareils détruits remplacés par les stocks conséquents des arsenaux américains. En tout, la Luftwaffe n’aura gagné que 2 semaines de répit. De plus, s’ils ont perdus beaucoup d’avions, les alliés n’ont que peu de morts : les engins ont été attaqués au sol sur les pistes, donc globalement avec personne à bord (sauf si un pilote, un peu trop alcoolisé, à décider de passer la nuit dans son cockpit …). Ils n’auront ainsi qu’une cinquantaine de blessés, et trois fois plus de blessés.
Coté allemand, c’est en revanche l’hécatombe : plus de 200 morts, disparus ou prisonniers, les avions abattus l’ayant été essentiellement au dessus de territoires contrôlés par les alliés. Parmi ces pertes, beaucoup de vétérans et d’officiers expérimentés : la Luftwaffe ne pouvait se permettre de telles pertes. Celles ci seront comblées par des pilotes très peu entrainés. L’arme aérienne allemande, qui avait fait le succès du 3e Reich au début du conflit, est donc désormais incapable de reprendre le dessus : elle se limitera désormais à des actions ponctuelles et limitées.

Si Bodenplatte est un succès tactique relatif, c’est un cuisant échec stratégique, signe d’une armée moribonde en ce tout début d’année 1945. Moribonde, mais déterminée à combattre jusqu’au bout. Exemple typique d’une victoire à la Pyrrhus, cette offensive sera le chant du cygne de la Luftwaffe, aussi glorieuse qu’inutile.
En ce tout début d’année 2022, alors que vous avalez aspirine ou autre pour lutter contre vos céphalés, ayez une pensée pour tous ces jeunes pilotes, d’un côté ou de l’autre, coincés dans leur cockpit, transis de froid, les mains serrés sur le manche à balai, blessés ou morts, en vain.

Joyeuse année 2022 !

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Bodenplatte

La série de documentaires « Les grandes batailles », épisode « Allemagne », partie 1

Sources des images : Wikipédia

Faut pas taquiner les Belges – 1ere partie

Il en est ainsi : en France, on aime bien se moquer de nos voisins belges. En atteste une impressionnante série d’histoires comiques, prétendant mettre en scène les habitants du plat pays, sans compter les imitations de leur langage si particulier, ou bien plus récemment les moqueries à propos du fait qu’ils auraient prétendument gagner une compétition mondiale, en 2018, d’un sport peu connu, et qu’en tout cas ils le mériteraient plus que nous.
Cependant, nous devrions être prudents : car en dehors de brasser quelques unes des meilleures bières, et de compter nombre de dessinateurs de bandes dessinées talentueux, les Belges peuvent également se montrer taquins, voire grognons, pour ne pas dire carrément brutaux. Ainsi, ne vous étonnez point si, après une plaisanterie douteuse de trop, votre camarade wallon (ou flamand, si vous êtes hardcore) n’en prenne ombrage, et qu’on retrouve votre cadavre flottant sur la Meuse, la panse remplie de frites et une fricadelle enfoncée dans chaque narine.
Je vous sens septique : allons, si les Belges étaient violents, cela se saurait ! Et bien il semblerait que vous ignoriez maintes choses sur ce pays qui, s’il n’a pas de faits d’armes aussi connus que ses voisins plus grands, n’en a pas moins quelques histoires démontrant la détermination belliqueuse de ces habitants. Je vais de ce pas vous les raconter, en commençant par le Moyen Age. Car si la Belgique n’existait pas à cette époque, elle était déjà peuplée par des gens qu’il ne fallait mieux pas taquiner de trop …

La guerre de la vache

Vous avez cette épisode de Kaamelott, où le paysan Guethenoc explique que sa vache a été volée, et que si on ne le dédommage pas, il va faire cramer le pays ? Et bien cela s’est vraiment produit, à la fin du 13e siècle, mais sur des terres correspondant à la Belgique actuelle.

Tout commence à Andenne, en 1275, lors d’une foire. Un certain Rigaud de Corbion, venant de la ville de Ciney, y aperçoit une vache, qu’on lui a volé récemment. Il alla voir le bailli – sorte de capitaine de gendarmerie de l’époque – de sa région (le Condroz), Jean de Halloy, présent à la foire pour assister à un tournoi, afin de se plaindre. Ce dernier alla voir le prétendu voleur, un paysan du nom de Engoran, qui dépendait lui du seigneur de Goesnes. Comme il n’était pas dans sa juridiction, le bailli Jean de Halloy ne pouvait pas punir Engoran sans provoquer un incident diplomatique. Il proposa l’arrangement suivant : Engoran rend la vache, et il ne sera pas inquiété pour le vol s’il pénètre en territoire du Condroz. Le paysan devant passer sur ces terres pour rentrer chez lui, il accepte.
Engoran rend la vache, puis rentre chez lui, escorté par les hommes du Bailli. Tout se passe bien … jusqu’à ce qu’ils arrivent sur les terres du Condroz, où les hommes du bailli se saisissent de lui (ils ont maintenant le droit), et le pendent à un arbre. Autant pour la parole donnée : de Guethenoc, nous sommes passés à Léodagan.

Tout aurait pu s’arrêter là. Mais Jean de Goesnes, seigneur de Goesnes, dont dépendant ledit Engoran, n’est pas content. Il avait effectivement ambitionné de devenir bailli du Condroz à la place du bailli, et l’avait mauvaise. Probablement qu’il n’en avait rien à faire du paysan en soi, mais il tenait un casus belli : en effet, en tant que seigneur, on ne pouvait punir un serf de mort sans son consentement.
Il envoie donc ses neveux et certains de ses alliés en expédition punitive, détruire le château de Halloy. Jean de Halloy, fort marri par cette impolitesse, passe à son tour à l’offensive, et ravage les terres de Goesnes, incendiant les villages.
C’est là que tout dégénère, comme pour la 1ere guerre mondiale : Jean de Goesnes appelle en renfort le comté de Namur, qui lui même fait entrer dans le conflit le Comté du Luxembourg (Gui de Dampierre, marquis de Namur, étant le gendre du comte du Luxembourg). Ensemble, ils font le siège de Ciney, capitale du Condroz, et après leur victoire, brûlent tous les défenseurs dans l’église, façon Oradour sur Glane. Puis ce fut au tour du prince de Liège d’entrer en guerre, au côté du Condroz, en ravageant les terres de ses adversaires.

La guerre ne prit fin qu’avec l’intervention du roi de France en 1278, Philippe le Hardi, qui siffla la fin de la récré, bon ça suffit maintenant les conneries. Résultats : quand même 15 000 morts. Sans doute ce chiffre est exagéré (les chroniqueurs de l’époque avaient tendance à surévaluer le nombre de morts dans les conflits, c’était plus vendeur). Mais quand même, c’est considérable pour l’époque, et rappelons que tout ça a commencé par le vol d’une vache.

De nos jours, si vous allez en Wallonie, vous pouvez suivre la route de la « Guerre de la vache », balisée par des panneaux. Les Belges se vantent donc d’un énorme bain de sang, pour un unique ruminant.

Ces andouilles en sont si fiers qu’ils en font une attraction touristique

La guerre des Awans et des Waroux

Après Kaamelott, passons à Roméo et Juliette, sous stéroïdes.

Le seigneur d’Awans, Humbert Corbeau, avait donné en mariage, à l’un de ses cousins, une jeune serve du nom d’Adoule, bien dotée (dans le sens qu’elle a une belle dot). Ledit cousin aurait pu ainsi récupérer la donzelle et sa fortune, il aurait pu dire : Adoule, le fric. Après ce lamentable calembour, signalons qu’il est du droit du seigneur d’Awans de marier une de ses serfs comme bon lui semble (et quelque part dans le monde, une féministe vient de mourir ; mais l’époque était ainsi …).
Sauf qu’un jeune écuyer, amoureux de la belle, décida qu’il n’en serait point ainsi, et l’enleva pour l’épousailler, probablement avec son consentement cette fois ci. Sauf que l’écuyer était au service du seigneur de Warroux, Guillaume le Jeune, et donc Humbert Corbeau n’avait pas d’autorité sur lui. Il protesta tout de même par voie légale : il devait prouver qu’Adoule était une serve, ce qu’il ne put faire dans les délais impartis (48 heures). Le seigneur de Warroux refusa de renvoyer la jeune femme et confirma le mariage.

Le seigneur d’Awans apprécia moyennement. Il convoqua tous ceux de son lignage, et présenta ce qu’il considérait comme un affront. Or, les règles de noblesse implique que l’insulte faite à un représentant de la lignée, c’est toute la lignée qui est insultée. Vengeance donc : chaque membre du parti Awans fit le serment de punir l’affront. Promesse faite sur le sang : chacun versa quelques gouttes de son sang dans une coupe, puis y trempa ses lèvres. Heureusement que le VIH ne sévissait pas dans ce coin à l’époque.

Le parti des Awans commence donc à ravager joyeusement les terres des Warroux. Ceux ci, mécontents, entamèrent donc des représailles, qui provoquèrent à leur tour des contre représailles, etc. Le tout entrecoupé de trêves, provoqué par différents motifs, notamment des tentatives extérieures pour faire cesser le conflit.

L’une d’entre elles eut lieu lorsque des troupes au service des Awans, avait mis le feu à une tour où s’était réfugiés des chevaliers du clan des Warroux. Sauf que ladite tour appartenait à l’évêque de Liège, qui n’avait pas donné l’autorisation qu’on crame sa bâtisse. Il força donc les chevaliers des Awans à subir une humiliation publique, qui consistait à effectuer un pelerinage, sans armure et la selle sur la tête. Comme c’était un représentant de l’Eglise, on pouvait difficilement lui dire non, et les chevaliers subirent la punition.

Mais la guerre reprit tout de même, les Awans n’ayant pas bien digéré la punition, et les Warroux étant toujours mécontents qu’on ait tout cassé chez eux.
En Avril 1298, on tenta de résoudre de nouveau le conflit à l’aide d’un duel judiciaire : chaque parti enverrait un champion, et le vainqueur aurait raison et puis c’est tout. Le champion des Awans fit preuve de ruse : il arriva juste à l’heure limite pour le duel, ce qui fit que son adversaire poireauta une demi journée dans son armure à l’attendre. Vu le poids des armures de l’époque, le malheureux partit avec un sérieux handicap, et perdit.
De façon étrange, ce duel ne régla absolument pas le problème, et la guerre reprit de plus belle, chaque mort entrainant des représailles, provoquant à leur tour des morts. Cela aurait pu durer un moment, du moins jusqu’à la mort de tous les belligérants … ceux ci se débrouillant pour impliquer toujours plus de monde dans leur petite guéguerre familiale.

C’est ainsi que le seigneur d’Awans, le seigneur de Waremme (le précédent, Humbert Corbeau, est mort depuis quelques années déjà, tué dans une bataille), décide que tout cela n’est pas assez compliqué. En Aout 1310, il tend une embuscade à Henri de Hermalle, qui n’avait rien à voir avec la choucroute (il était neutre jusque là), mais qu’il n’aimait pas. Celui ci fut laissé pour mort sur le champ de bataille ; mais il avait survécu, et un peu énervé qu’on ait tenté de le tuer, décide de rejoindre les Warroux, dont il deviendra même le chef militaire.

On continua les échanges de politesse, en détruisant tour à tour les châteaux des uns et des autres. Jusqu’en 1325 où l’on décida que ça suffit : on va s’expliquer sur le champ de bataille, vas y ramène tes gros on va te défoncer le harnois. Bien que le prince-évêque de Lièges envoya des émissaires pour empêcher la boucherie, cela ne suffit pas, et le 25 Août, les deux camps s’étripèrent joyeusement. Bien que le parti Awans ait globalement gagné, les pertes étaient telles qu’on décida d’une nouvelle trêve, chacun rentrant chez lui pour panser ses blessures. Cette fois ci, le conflit ne reprit pas vraiment, chaque camp ayant trop perdu pour ré engager les hostilités.

La guerre prit fin avec l’implication du prince évêque de Liège, qui avait déjà tenté de mettre fin au conflit plusieurs fois. Il organisa une assemblée, qui finit par amnistier tout le monde de tous les crimes commis, invitant également à oublier tout ce foutoir, et que si quelqu’un venait à vouloir se venger de nouveau, il serait puni le vilain. Et pour sceller la paix, on utilisa le moyen classique du Moyen Age européen, c’est à dire le mariage : on maria le fils de l’un avec la fille de l’autre.

De fait, le conflit ne repartit pas : les pertes humaines parmi la noblesse de la région étaient elles qu’ils ne pouvaient de toute façon plus se le permettre. La guerre dura tout de même de 1297 à 1335, soit 38 années (même si les 10 dernières furent + calmes). On parle, selon les sources, entre 500 et 30 000 morts (on dirait les chiffres d’une manifestation, version police et version manifestants). Ce qui est sûr, c’est que cela entraine une perte d’influence de la noblesse, au profit de la bourgeoisie en plein essor, grâce à la prospérité des villes commerçantes.

La bataille des éperons d’or

Jusqu’à maintenant, nous avons parlé de guerres entre Belges, certains pourraient me dire que ça ne compte pas. Ne vous en faites pas, nous allons y venir.

Nous sommes en 1302. Jusqu’à récemment, le comte de Flandre était un vassal du roi de France, Philippe le Bel. C’est à dire que le comté était largement autonome, mais sa loyauté allait envers la couronne française ; bref, le classique serment de vassalité médiéval.
Sauf que les Flandres étaient extrêmement prospères, grâce à l’industrie textile, ce qui avait permis un essor conséquent des villes et de la bourgeoisie, qui avait donc un poids économique, mais également politique. L’activité textile dépendait de l’importation de laine anglaise, et donc la région était étroitement liée au royaume d’Angleterre.
Ainsi, quand Philippe le Bel déclara la guerre à l’Angleterre, pour récupérer l’Aquitaine, le comte de Flandre, Gui de Dampierre, se retrouva dans une position délicate : lié à son suzerain par un serment d’allégeance, pressé par la bourgeoisie de sa région de le rompre. Pour s’en sortir, il dégaine – encore – l’arme diplomatique ultime de l’époque : le mariage. Avec les Anglais. Comme ça, hop : il quitte le service du roi de France pour rejoindre son ennemi.
Cela dit, là où le comte de Flandres fut un peu neuneu, c’est qu’il en parla au dit roi, lors d’une visite à Paris. Ce dernier, peu enclin à accepter ce changement d’alliances, l’emprisonna purement et simplement, avec ses deux fils.
Philippe le Bel finit par le libérer, en le faisant promettre que hein, ce mariage c’est pas une bonne idée, allez laisse tomber gros ! Gui de Dampierre fait mine que oui oui, d’accord, on oublie tout … puis il rentre chez lui, rallie les opposants à la France, et en 1297, se déclare « détaché de toute obligation féodale », en gros, il proclame l’indépendance. Et de fait, la guerre.

Le roi de France réagit, et envoie ses troupes occuper le comté, qui prennent initialement le dessus. Sauf que les Flamands, mécontents que l’on parle français dans leurs rues, se révoltent en masse, et suite à un coup de force (les matines de Bruges), massacrent soldats et partisans français, environ un bon millier. Le pays change de nouveau de main, et le roi de France ne tient plus que deux forteresses, dont l’une d’entre elles est Courtrai.

Cette dernière est rapidement assiégée, et Philippe le Bel prépare alors une expédition de secours, afin d’aller calmer tout ce petit monde qui parle une drôle de langue. L’avant garde française se porte au secours du château assiégé, où les attendent les Flamands.

D’un côté, les Français alignent environ 10 000 hommes, donc un quart de chevaliers et d’écuyers, des arbalétriers et des hommes d’armes, bien entrainés et équipés. Les chroniqueurs de l’époque parlent de beaucoup plus d’hommes, jusqu’à 50 000, mais ceux ci avaient souvent tendance à exagérer, car plus vendeurs (l’ancêtre du putaclic). De l’autre, un nombre à peu près équivalent, mais essentiellement des fantassins issus des milices, donc des conscrits venant de villes, avec un entrainement variable, allant de plutôt bien à carrément nul.

Les chevaliers français sont sûrs de gagner : ils chargent sans trop réfléchir, de front. Deux éléments vont se retourner contre eux :

  • le champ de bataille ; il est étroit, avec d’un côté un fleuve (la Lys), de l’autre des marécages et un grand fossé (probablement un ancien lit du fleuve désormais asséché). Le terrain est globalement boueux. Autrement dit, le pire pour une charge de cavalerie lourde, avec peu d’espace pour manœuvrer et se replier en cas de pépin
  • les armes des milices : celles ci sont largement équipées avec des sortes de lances, le godendac, et des piques. Ces armes, même entre des mains peu expérimentées, s’avèrent redoutables pour les chevaliers en armure lourde.

Les charges s’embourbent dans le terrain boueux, perdent tout impact arrivées sur la ligne de bataille, et se font stopper par les godendacs. L’une après l’autre, les vagues de chevaliers échouent, ajoutant de la confusion au chaos ambiant. Les cavaliers ne peuvent plus manœuvrer. Seule l’arrière garde française, voyant le dawa, décide de faire demi tour (on verra qu’ils n’ont pas eu tort).

A l’époque, quand des chevaliers s’affrontaient, il était de bon ton d’épargner si possible son adversaire, pour le faire prisonnier et le rançonner. Officiellement, car entre bons Chrétiens, on évite de faire couler le sang (en tout cas quand on est noble ; les pauvres bien entendu, ça ne compte pas). Officieusement, ça arrange tout le monde : le prisonnier, car il évite de mourir (et c’est bien) ; le vainqueur, car il peut ainsi obtenir une rançon (cela devient vite une source de revenus pour la noblesse, du moins tant qu’on gagne).
Du coup, nos chevaliers français, constatant que la bataille est perdue, commencent à se rendre, selon la coutume. Sauf qu’en face, nous avons des miliciens, pas du tout des nobles, et pas au courant de ce genre de pratiques. Ainsi, lorsque les chevaliers s’approchent pour se rendre, nos braves flamands croient à une attaque désespérée ; et ils massacrent allègrement tout ce beau monde.

C’est une véritable hécatombe coté français : environ un millier de morts. Pour l’époque où, comme je l’expliquais, on essaie généralement d’épargner l’ennemi (pour en soutirer le maximum de flouzes), c’est beaucoup. Mais surtout, de nombreux chevaliers, y compris des nobles de haut rang, y laissent leurs vies : presque tous les commandants sont ainsi tués, à part celui de l’arrière garde (qui a eu le bon sens de faire demi tour).
Après la bataille, les miliciens récupèrent les éperons des chevaliers morts au champ d’honneur, et ceux ci sont envoyés décorer l’église Notre-Dame de Courtrai. D’où le nom donné à la bataille.
Grâce à cette bataille, le parti flamand peut prendre le contrôle du pays : c’est le début du sentiment national, et une indépendance de fait. La victoire, aussi brillante soit elle, n’est cependant pas décisive et de courte durée : le roi de France peut en effet lever une nouvelle armée, même si cela lui demande du temps et de l’argent, deux choses dont il ne manque pas. La guerre tourne de nouveau à son avantage, surtout qu’il a compris la leçon, et avance prudemment. Il finit par obtenir la victoire 2 années plus tard, mais préfère négocier une paix intelligente, à son avantage, et la Flandre retourna sous le giron royal.

Un tableau représentant la bataille de Courtrai, peint au 19e siècle

Cependant, l’idée d’indépendance était là, et reviendra plusieurs fois dans l’Histoire. Quant aux éperons, ils seront finalement récupérés en 1382, par le roi Charles VI.

Alors, on le voit bien : il ne faisait pas bon déranger les ancêtres des Belges. Mais les modèles plus récents sont ils moins farouches ? Nous verrons cela dans un prochain article.

Pour aller + loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_la_Vache
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_Awans_et_des_Waroux
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Courtrai_(1302)

Sources des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 5e partie

Même les meilleures choses ont une fin : aujourd’hui, dernière partie sur notre thématique « les chars allemands de la 2e guerre mondiale étaient ils les meilleurs ? » Et nous allons opposer les deux principaux belligérants du front de l’Est – Allemands et Soviétiques -, où l’usage du char fut le plus intense et déterminant que n’importe quel autre front.

Comme pour les autres pays, voyons un peu l’histoire du char en URSS. Si la France a livré à l’armée russe des chars, notamment des Renault FT, ceux ci arrivent trop tard pour jouer un rôle significatif. Et le traité de Brest Litovsk de Mars 1918 retire définitivement la Mère Patrie du conflit. Cela dit, le pays ne connut pas la paix pour autant, avec le démarrage quasi simultané de la guerre civile. Comme toutes les guerres civiles, elle se caractérise par une absence de front continu, mais plutôt une multitude de positions éparpillées, tenues par un camp ou l’autre, et des espaces intermédiaires que personne ne domine totalement. Avant la Grande Guerre, le pays était en cours de modernisation, en retard sur l’Europe occidentale, et le chaos du conflit puis de la révolution n’a pas arrangé la chose. La guerre civile aura lieu avec des moyens souvent archaïques, dans un territoire incroyablement vaste, avec des moyens de transport faibles. Dans cette situation un peu particulière, un type d’unité va montrer son potentiel : la cavalerie. En effet, elle possède une bonne mobilité tactique et stratégique, ce qui lui permet d’être là où ça chauffe ; et comme dans un pays très paysan comme la Russie de l’époque, il est plus facile de trouver du fourrage que de l’essence, le ravitaillement peut se faire localement. Même si l’importance de la « cavalerie rouge » a été exagérée après coup, à des fins de propagande (c’était la revanche du paysan sur le noble, avec l’emblème de ce dernier – le cheval), son rôle ne peut être nié dans la victoire bolchévique, et notamment la 1ere armée de cavalerie de Boudienny.

Après la fin de ce bazar (et même avant, vu que les troubles vont continuer pendant quelques années), dans les années 1920, on commence à se poser des questions du côté des soviétiques. Car on a peur que les impérialistes viennent mettre fin à ce havre pour les travailleurs qu’est l’URSS (arrêtez de rire : à l’époque des dirigeants comme Lénine y croyaient dur comme fer). Et comment va t on faire pour se défendre, avec un pays encore largement en retard sur l’Occident capitaliste ? On repense au rôle de la cavalerie durant le conflit civil, et un homme se dit que tiens, si on remplaçait les canassons par des camions et des chars, ça pourrait être pas mal non ? Cet homme est un militaire, du nom Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski. Né dans une bonne famille de l’ancienne Russie, il s’engage dans l’armée, est fait prisonnier durant la 1ere guerre mondiale (il va partager la cellule d’un jeune capitaine français, Charles de Gaulle – oui, c’est bien le même auquel vous pensez ; le monde est petit !). Ensuite il a rallié les forces bolchéviques, où il gagne rapidement du galon, jusqu’à commander de grandes armées durant la guerre civile et la guerre soviéto polonaise. Son génie militaire est reconnu par tous. Or, il ne reste pas sur ses acquis, et constate qu’à l’Ouest, du nouveau : certains théoriciens travaillent sur les futurs formes des combats à venir, notamment son ancien co détenu De Gaulle.
Il va de son côté, développer une variante locale : le concept « d’opérations en profondeur ». Cela consiste à faire rompre le front ennemi en un endroit, à grand coups d’artillerie et d’infanterie, puis d’envoyer dans la brèche des unités très mobiles, constituées de fantassins sur camions et de chars rapides, qui pourront alors s’en prendre aux arrières de l’ennemi – dépôts logistiques, moyens de communication/transports, centres de commandement – afin de désorganiser tout le front, provoquer l’effondrement puis le recul de celui ci. Bref, c’est quasiment une « Blitzkrieg » qui sent le Bortsch, avec la différence que le but n’est pas l’encerclement mais la désorganisation. Pour l’époque, c’est quasi novateur, seuls les Anglais, et un peu les Français, sont aussi avancés en termes de doctrine. Devenu maréchal, il va créer dès le début des années 1930 des « corps mécanisés », de grandes formations de chars soutenus par de l’infanterie motorisée, préfigurant ce qui allait se faire partout ailleurs durant la guerre à venir.

Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski, théoricien de l’opération en profondeur

La doctrine, c’est bon. Avec le matériel ce serait mieux. Sauf que la Russie et les autres territoires qui vont former l’URSS sont encore largement ruraux, pour ne pas dire arriérés, et en tout cas sous industrialisés. Les plans quinquennaux du père Staline vont permettre au pays de se doter d’une industrie lourde conséquente, en temps record, et au prix de seulement quelques millions de morts (une paille). Les usines seront bientôt prêtes à cracher du tank à haute cadence.
Mais pour concevoir le matériel, cela prend un peu plus de temps, car il faut former tout une génération d’ingénieurs et techniciens. Donc en attendant, on utilise la bonne vieille technique de l’informatique : le copier coller. L’URSS achète des licences et brevets un peu partout dans le monde : suspensions Christie aux US, moteurs allemands ou français, ou même « variantes » du Renault FT ou du Vickers 6-Ton. Nous avions parlé de l’école des chars, ouvert par les Allemands au cœur même du territoire soviétique : une autre occasion d’étudier ce qui se fait ailleurs.
Cela donne tout d’abord la série des BT, pour « Bystrokhodny Tank » – soit littéralement « tank véloce ». Rappelons toujours, « tank » signifiant réservoir, voir des conteneurs de liquides se déplacer à vive allure aurait pu être cocasse. Il s’agit de chars légers qui, comme leur nom l’indique, sont conçus pour être rapides. En même temps est développé le T-26, autre char léger, aux performances plus qu’honorables. Ils vont être construits en milliers d’exemplaires sur la décennie 1930, ce qui permettra à l’armée soviétique de disposer de stocks considérables, en partant de rien ou presque (alors qu’au même moment, les démocraties de l’Ouest ont fortement réduit leurs dépenses militaires).

Char BT5
Le T26

Mais si la quantité est là, qu’en est il de la qualité ? Plusieurs occasions de les tester vont se présenter, notamment la guerre d’Espagne. L’URSS soutient massivement (du moins au début) les Républicains, envoyant notamment chars et équipages. Le Reich faisant de même pour les nationalistes, c’est donc un affrontement par procuration que se livrent les deux futurs belligérants. Pour rappel, à ce moment le principal char allemand est le Pz I, armé de deux mitrailleuses ; face au canon de 40 mm du T-26, autant dire que le match est vite plié. Tant et si bien que rapidement, les troupes de Franco vont utiliser prioritairement les T-26 volés à l’ennemi : je crois que là, tout est dit. Cependant, les tanks russes ont quand même un défaut : un blindage très léger. Les armes antichar (et même certaines mitrailleuses lourdes) arrivent à les vaincre sans trop de problème.

On le voit, malgré une situation initiale pas très favorable, les soviétiques ont réussi à constituer une arme blindée efficace. Un gros handicap va venir cependant les freiner, voire les faire régresser : Staline. Celui ci lance en effet les Grandes Purges, qui consiste peu ou prou à tuer ou emprisonner tout ce qui pourrait s’opposer à lui, que cela soit vrai ou non. Et dans la liste des cibles : le maréchal Toukhatchevski, qui en 1920 a eu le tort de dire du mal de Staline (voire de sa maman). Celui ci, un poil rancunier mais patient, a attendu le bon moment pour le faire fusiller. En quelques mois, toute l’expérience accumulée par les corps mécanisés est perdu, alors que des milliers d’officiers sont assassinés.
Du coup, quand l’armée rouge se lance dans la guerre d’hiver contre la Finlande, c’est un peu la branloute (mélange entre « branlée » et « déroute »). Les chars, essentiellement des modèles légers, mal utilisés, se font exploser. Comme de surcroit, Toukhatchevski n’est toujours pas en bonne grâce (en plus d’être mort), on décide de dissoudre purement et simplement les corps mécanisés. Si les chars sont toujours là, ils sont désormais affectés à l’infanterie. On vient de perdre 20 années de travail.
Bon, par contre, quand on voit ce que les Allemands font avec leurs chars en France, on se dit que finalement … c’était peut être pas une si mauvaise idée. Les corps mécanisés seront progressivement reformés, jusqu’à atteindre une trentaine en Juin 1941. L’organisation de ces dernier a souffert de ce petit jeu de oui, on les crée, puis non on les dissout, ah finalement on a encore changé d’avis. Si bien qu’au début de l’invasion, ils ne seront globalement pas prêts.

Par contre, les ingénieurs eux ont fait leurs devoirs à la maison, et ont planché sur de nouveaux modèles. Pour les 2 plus connus (et que nous allons étudier) : le T-34 et le KV-1. Pour le T-34, nous avons affaire à un char moyen. Cela dit, ses concepteurs ont réussi à créer un monstre par rapport à ce qui pouvait se faire dans la catégorie. Il a un armement puissant, avec un canon de 76mm très puissant (autant en antichar que anti infanterie). Son blindage n’est pas très épais, mais comme pour le S-35 français, il est incliné : ce qui le rend plus résistant. Enfin il est assez rapide pour sa catégorie. Les soviétiques ont il trouvé le meilleur compromis entre les 3 facteurs d’un char ? Quant au KV-1, il s’agit d’un char lourd, tout aussi bien armé mais bien mieux protégé, quoique plus lent.
La production de ces nouveaux modèles commence en 1940, si bien qu’au début de l’opération Barbarossa, la Wehrmacht affronte surtout les modèles légers + anciens, comme les BT et T-26. Ceux ci sont disponibles en grand nombre, et sont employés lors de gigantesques contre attaques. Elles vont permettre de ralentir l’offensive allemande, au prix de pertes colossales. Tout est bon pour gagner du temps. Et puis, un beau jour, les tankistes allemands tombent sur un os de 30 tonnes d’acier : le T-34. Non seulement celui ci se révèle très dur à détruire, mais par contre, lui n’a pas de mal à faire péter tous les chars disponibles ; si bien que c’est un peu la panique. Encore pire : le KV-1 est pratiquement indestructible.

Une colonne de T-34, LE char le plus produit de la guerre
Le KV-1, longtemps cauchemar des tankistes allemands

Et pourtant, les militaires allemands ont réussi à surmonter ces obstacles. Comment ? Déjà, car, comme je l’ai dit, les unités blindées en face étaient encore désorganisées, et peu expérimentées. Au contraire, les troupes germaniques sortaient de presque 2 ans de conflits, étaient aguerries, et surtout très adaptables : elles ont improvisé des solutions pour s’en sortir. Mais de plus, les chars russes n’étaient pas exempts de défauts, même si sur le papier ils apparaissaient imbattables. C’était des chars récents, qui n’avaient pas été bien testés, et du coup ils étaient peu fiables. Lors des contre offensives, un nombre important de chars sont tout simplement tombés en panne (durant une bataille, c’est rarement une bonne idée). Et comme pour les chars français : ils n’étaient que peu équipés en radio (généralement, que le char du chef de peloton). Cela limitait beaucoup leur emploi tactique : souvent, on faisait un gros tas, et quand le char du chef avançait, on fonçait sans réfléchir. On a bien essayé un truc avec des drapeaux, que le chef devait agiter pour donner des ordres complexes. Si vous avez vu Kaamelot, vous savez que c’est une idée pourrie ; si on considère qu’on le fait sur un champ de bataille, avec des tirs dans tous les sens, et qu’en sortant le haut du corps vous devenez une cible de choix pour les tireurs d’élite, on comprend que l’idée ait été abandonnée.

Il n’empêche : le fait que des soit disant « sous hommes », communistes de surcroit, arrivent à faire de meilleurs chars que nos grands blonds aux yeux bleus, ne passe pas très bien. Hitler pique une crise, se roule par terre, et exige que le Reich produise les meilleurs chars du monde. Cela commence par l’amélioration des modèles existants, Pz III et IV, qui parviennent presque à rivaliser avec le T-34. De même, arrive en 1942 le premier char lourd allemand, le Panzerkampfwagen VI, plus connu sous le nom de Tigre ; et il montre rapidement de grandes qualités, en étant capable de dominer tous les adversaires qui s’opposent à lui. Il est cependant cher, compliqué à produire et à entretenir, donc rare.
Malgré tout, cela ne suffit pas à satisfaire le petit moustachu. Même si, en 1942, l’Axe a encore l’avantage dans le conflit, l’URSS ne s’est pas effondrée comme prévu, et l’entrée des Etats Unis dans les belligérants promet une longue guerre d’usure. Or, l’Allemagne sait qu’à ce petit jeu, elle risque de perdre, car elle finira immanquablement en sous effectifs. A défaut de quantité, on décide de miser sur la qualité : il faut produire des chars encore plus meilleurs de la mort qui tue.

Un Pz III, celui là au musée de Saumur
Un Pz IV modèle H, donc modèle assez avancé et bien amélioré, notamment avec canon long de 75 mm, et protections supplémentaires sur les roulements de chenilles
Le Pz VI, plus connu sous le nom « Tigre », sans doute le char lourd emblématique de l’Allemagne (mais pas le plus puissant)

Cela va donner l’arrivée en 1943 du Panzer V, dénommé « Panther ». Classé comme char moyen, il est cependant proche en terme de poids d’un modèle lourd. Très bien armé, protégé (il possède notamment un blindage incliné, idée volée aux soviétiques), et plutôt rapide même s’il souffre d’une autonomie plus faible que ses prédécesseurs. Il est considéré par beaucoup comme le meilleur char de sa catégorie de la 2e guerre mondiale. Et pourtant, lors de sa première sortie en masse, lors de la célèbre bataille de Koursk, son action sera décevante, pour les mêmes raisons que les T-34 en 1941 : défauts de jeunesse qui provoquent des pannes, et mauvaise formation des équipages.
Autre modèle développé à cette période, le Tigre Royal -Königstiger dans la langue de Rammstein- (ou Tigre II), conçu pour défoncer tout ce qui pourrait se mettre en travers de son chemin. Blindage incliné allant jusqu’à 150 mm d’épaisseur (pour comparaison, le T-34 c’est entre 40 et 75 mm), canon de 88mm qui a prouvé qu’il pouvait détruire tous les chars possibles, seule la motorisation est à la traîne, le char ne pouvant aller qu’à 17 km/h en tout terrain. Les deux chars évoqués, Panther et Königstiger, vont prouver qu’ils sont supérieurs à tous ceux des ennemis du Reich, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est.

Le Pz V, dit Panther, qui inversera le rapport de terreur des tankistes
Le Tigre Royal, parce qu’Hilter trouvait que le précédent n’était pas assez bourrin

Et comment réagit le commandement soviétique face à cette débauche de puissance ? Il va certes tirer les leçons des combats, mais sans entrer dans la surenchère. Lors de la bataille de Koursk, le T-34 est le char principal de l’armée rouge, présent en milliers d’exemplaires. S’il était redoutable en 1941, il est en revanche dépassé à ce moment là : son canon ne permet plus de détruire les chars allemands qu’à courte portée, alors qu’à l’inverse, eux peuvent le détruire jusqu’à 1 à 2 km de distance. Plutôt que de développer un nouveau char (c’est long), on décide de prendre le T-34 et de l’améliorer. L’autre avantage est qu’au niveau de la production, cela désorganisera moins les usines, qui pourront le produire + vite de façon optimale. La principale amélioration est le changement du canon, par un de 85 mm, apte à percer le blindage des chars ennemis à distance convenable. La tourelle est agrandie pour cela, et cela permet d’y caser enfin une radio et un membre d’équipage supplémentaire. Il est également un peu mieux blindé, mais à peine, ce qui fait qu’il reste presque aussi rapide.
Malgré tout, le T34-85 reste inférieur, en cas de duel, au Panther. Pourtant, le choix soviétique s’avéra bon : là où le Panther fut compliqué à produire, le T34 (toutes versions confondues) fut produit à une cadence infernale, devenant le char le + produit du conflit, avec 60 000 exemplaires ! (contre environ 6 000 pour le Panther) Et même si en combat, les pertes étaient supérieures, les stratèges soviétiques pouvaient saturer le théâtre d’opérations avec de nombreuses unités blindées, ce qui leur donnait les capacités de manœuvre nécessaires pour enfin mettre en pratique la stratégie des opérations en profondeur. Si je vous parle de l’opération Bagration, cela ne va sans doute pas parler à grand monde, alors je ne vais pas creuser beaucoup plus (pour l’instant …) ; sachez juste que, grâce à la supériorité numérique en chars, l’armée rouge va, entre fin Juin et fin Aout 1944, progresser de 600 km, libérer toute la Biélorussie, une partie de la Pologne, tout en pulvérisant au passage tout un groupe d’armées allemand. A peu près aussi bien que ce que la Wehrmacht avait fait à l’aller, en 1941.

A noter qu’en Allemagne, au moins une voix s’était élevée contre ce choix : le grand théoricien des blindés Guderian, qui avait préconisé de garder le Pz IV (quitte à l’améliorer), disposant ainsi d’un char fiable et polyvalent en grande quantité, plutôt que de miser sur un char certes plus puissant, mais moins autonome et plus couteux. De par son insistance il parvint à maintenir une production de Panzer IV, même si réduite au profit du nouveau char.

Parlons rapidement de la réponse soviétique au Tigre II allemand : le IS-2 (pour Iosef Staline – tant qu’à créer un gros char, autant donner le nom du patron). Char lourd soviétique, très bien protégé (90 à 160 mm d’épaisseur, incliné bien sûr). Dans le domaine de qui qu’a le plus gros, là on a un beau concurrent, avec un canon de 122 mm. Pour tout dire, c’est plus que les chars de combat modernes. Cela dit, la taille ne fait pas tout, surtout en antichar : il faut comprendre que la force d’un projectile ne dépend pas que de son poids, mais aussi de sa vitesse. Le 88 mm allemand a certes un calibre + petit, mais le tube particulièrement long permet des vitesses d’obus très élevées, environ 1 000m/s. Les obus de 122 mm sont sensiblement moins rapides (environ 800m/s). Cependant, les obus étaient tellement lourds que même si le char n’était pas détruit, l’onde de choc assommait le pauvre équipage (et dormir en combat n’est pas une idée heureuse …). La vraie différence entre les deux chars tenait surtout d’un petit élément tout bête : les optiques de visée. Car avec un char, on ne tire pas au jugé, « t’inquiète Raoul je gère, je vais bien finir par l’avoir ». Là dessus, les optiques allemandes étaient bien meilleures, si bien qu’un Tigre Royal pouvait espérer coller un gros pruneau à 1 km au premier coup, tandis qu’un gros Staline devait souvent faire 2 ou 3 essais (et entretemps, rencontrait des problèmes).

Côte à côte, un IS-2 (premier plan), et un IS-3, juste derrière

Il est temps de conclure cette décidément trop longue réponse, à la question qu’on rappelle : les chars allemands de la 2e GM, étaient ils les meilleurs ?
On voit donc que :

  • au début, face à la France, leur matériel est sur le papier à la ramasse ; pourtant, grâce à la radio, et surtout à une utilisation intelligente, ils ont obtenu une victoire éclair
  • puis, face à l’URSS, ils sont de nouveau surclassés ; ce qui ne les empêche pas de gagner de nombreuses batailles, haut la main
  • traumatisés par la qualité du matériel d’en face, ils se lancent dans une course au meilleur char possible ; le résultat est qu’ils aboutissent à produire quelques uns des meilleurs chars du monde, notamment le Panther et le Königstiger
  • les USA et l’URSS font le choix inverse : des chars polyvalents et faciles à produire, peut être moins performants mais au moins disponibles en quantités colossales ; on sait qui a fini par gagner (même si les chars ne sont pas le seul élément à prendre en compte)
    La 2e option va s’avérer plus pertinente. Car si la qualité d’un char repose bien sur ses 3 composantes -vitesse, puissance de feu, blindage- il faut bien voir que ce n’est qu’une arme parmi d’autres. La bonne utilisation de cette arme, en coordination avec les autres, sera le meilleur garant de son efficacité. Et pour cela, il faut adapter le char à l’usage que l’on souhaite en faire. Si au début, les « médiocres » chars allemands étaient bien adaptés à la Blitzkrieg (d’où les succès de ces derniers), la conception de chars ultimes en antichar les poussa dans une impasse, où il s’avérèrent excellents, mais limités à ça. Alors que les alliés avaient appris de leurs erreurs, disposaient de doctrines d’emploi intelligentes, avec un matériel adapté à cela.
    Comme quoi, rien n’est jamais simple quand il s’agit de s’entretuer.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mikha%C3%AFl_Toukhatchevski
https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9rations_en_profondeur
https://fr.wikipedia.org/wiki/BT_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/T-26_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/T-34
https://fr.wikipedia.org/wiki/KV-1
https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Staline_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_III
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_IV
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_V_Panther
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_VI_Tiger
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_VI_Tiger_II

Source des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 4e partie

4e et avant dernier article sur notre thème : les chars allemands, est ce qu’ils étaient vraiment les meilleurs ? Et nous allons voir ce que valent les chars américains en face d’eux.

Les troupes américaines découvrent le char en 1917, alors qu’ils débarquent en Europe pour prendre part au conflit, au côté de la Triple Entente. Comme je l’avais rapidement expliqué dans la 2e partie, ils s’équipent en chars français, surtout le Renault FT, car il serait trop long de développer le leur. Sauf qu’il faut entrainer les soldats au maniement de cette arme nouvelle : Pershing, le commandant de la force US, choisit un jeune officier nommé Georges Patton, pour diriger l’école des blindés légers. Entre Patton (au caractère explosif et au tempérament fonceur) et le tank, c’est le coup de foudre. Il les teste lui même, visite les usines de fabrication, discute avec des théoriciens comme Fuller ou Estienne, autant sur le matériel que sur les stratégies, et défend l’intérêt de cette arme face à ses collègues réticents. Il dirigea même une unité lors des premiers engagements, avec de bons succès.

Georges Patton durant la 1ere guerre mondiale, devant un char français FT

Et du coup, après guerre ? Alors que la plupart des grandes puissances, notamment européennes, développent de nouveaux chars et les stratégies d’emploi ? Bah … rien. Pour l’armée des Etats Unis, le futur, c’est la CAVALERIE. Patton et d’autres officiers – comme un certain Chaffee- ont beau protesté, se rouler par terre ou retenir leur respiration jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose, rien ne se passe. Et on leur fait même comprendre qu’il faudrait qu’ils se calment, parce que ça suffit les bêtises. Du coup, dans leur coin, ils continuent de réfléchir à ce qu’on pourrait bien faire des chars, même si pour l’instant on en est privé.
Du coup, durant l’entre deux guerres, les Etats Unis développent et produisent seulement deux modèles : le M1 armé de mitrailleuses à l’instar du Panzer I, et le M2 un peu mieux armé avec un canon de 37 mm. Même si les deux véhicules sont assez rapides pour l’époque, ils sont clairement sous armés, sous protégés, bref, médiocres. En plus ils sont produits en quantité dérisoire et de façon quasi artisanal (par un arsenal d’état – Rock Island Arsenal), et mal entretenus (si bien que Patton va acheter avec son argent personnel des pièces de rechange). Quant à la doctrine d’emploi, on se contente, au niveau de l’état major, de le concevoir comme une arme d’accompagnement de l’infanterie.
Pour défendre un peu nos pauvres militaires, il faut remettre quand même le contexte de l’époque : un pays globalement isolationniste, une crise économique qui a provoqué des coupes budgétaires monstrueuses, limitant l’achat d’équipements (et un char, ça coute cher) et les manœuvres et exercices. Mais le constat est là : les USA prennent un retard considérable.

Le ridicule char M1, officiellement « combat car » soit voiture de combat

Le M2, qui n’est guère mieux

Et puis arrive Mai 1940. Et là, on voit l’armée française, considérée à l’époque comme la meilleure au monde (non, ce n’est pas une blague), se prendre la trempe des beaux jours par les Panzerdivisions. C’est un peu le choc : et si on s’était trompé ? Stop ! Demi tour complet : on décide un changement de doctrine pour prendre en compte les enseignements de la bataille de France. Et on fait appel pour cela à ceux qui militaient en faveur des blindés depuis des années : notamment Patton, et surtout Chaffee, qui vont poser les bases de la guerre mécanisée à l’américaine.
En dehors des questions stratégiques et tactiques, se pose une question tout aussi importante : celle de concevoir et produire des chars. D’autant plus que Churchill, un peu en difficulté, demande au président Roosevelt s’il ne peut pas lui venir en aide, là tout de suite, même s’il ne peut pas entrer en guerre pour l’instant. Sauf qu’un gros problème se pose : les capacités de production sont trop faibles, et on risque de manquer de temps pour créer des usines dédiées à l’armement. (De nos jours, cela parait impensable, mais à l’époque, le complexe militaro-industriel américain est très faible.) Pas de problème : on va faire comme les Européens confrontés à la crise des obus, en 1915, et faire appel aux industries civiles, notamment du secteur automobile. Plusieurs avantages à cela : ils ont l’habitude de produire en masse pour pas trop cher, ils ont des ingénieurs et ouvriers qualifiés, et surtout ils savent concevoir des moteurs puissants et des mécanismes fiables. Par contre, comme les chars ce n’est pas vraiment leur spécialité, on ne s’attend pas à ce qu’ils produisent d’emblée des chars de qualité. Prenons par exemple les tanks moyens, qui doivent devenir l’ossature des divisions blindées.
Pour le char moyen à concevoir, les militaires américains ont choisi comme arme principale un canon de 75 mm, ce qui est plutôt pas mal en 1940. Mais être capable de coller un tel canon dans la tourelle d’un char n’est pas encore à la portée des ingénieurs US, on décide de trouver une solution intermédiaire : et si, comme pour le B1 français, on plaçait le canon en casemate, et on met une tourelle plus petite ? Cette solution va donner le M3, qui sera renommé par la suite Lee (US) ou Grant (pour ceux exportés au R.U.). Conçu un peu en urgence, il possède un certain nombre de défauts : blindage insuffisant face aux dernières armes antichar, silhouette très haute (et donc, char + repérable et vulnérable), disposition de l’armement pas toujours pratique (d’autant plus que le canon le + puissant, celui de 75mm, possède un mauvais débattement qui l’empêche de tirer vers le bas). Cependant, il s’avère fiable, puissamment armé, et équipé d’une radio.

Le M3, renommé « Lee/Grant » par la suite, aka « Je saurai pas faire mieux pour l’instant »

Les premiers engagements du monstre se font dans les mains des Anglais, durant la guerre du désert. Et ce char, conçu à la va-vite, va se révéler bien meilleur que tous les chars à la disposition du Commonwealth, et largement capables de rivaliser avec ceux alignés par les Allemands et Italiens ! Avec le temps (et l’amélioration constante des chars germains), les défauts commencent à se faire sentir, et il est donc dès que possible remplacé par son successeur.
En effet, maintenant qu’on s’est fait la main sur le M3 Lee/Grant, on peut passer aux choses sérieuses. Pendant que l’on produit vite fait ce dernier, on travaille plus longuement sur le deuxième, afin notamment de pouvoir caser le canon de 75mm dans une tourelle. Un premier prototype est prêt en Septembre 1941 : ce sera le M4, rebaptisé Sherman d’abord par les Britanniques, puis par l’US Army. Ce char, vous le connaissez probablement, tellement il est devenu emblématique du front de l’Ouest ; si vous avez vu un film de guerre sur ce front, ou joué à un jeu vidéo sur la 2e guerre mondiale, vous l’avez sans aucun doute aperçu.
Sur ses qualités premières, c’est un char correct. Son armement principal ne manque pas de punch, surtout face à l’infanterie (contre les chars … nous y reviendrons). Il est correctement blindé, possède une vitesse digne d’un char moyen, tout en étant fiable. Il est équipé d’une radio, et est qualifié « d’assez confortable » par les équipages ; ce point peut paraître anecdotique, mais quand on passe plusieurs heures de combat dans un gros machin en métal, le confort permet de rester en bon état (et donc plus apte à taquiner ses copains de jeu). Il garde cependant une silhouette haute, ce qui n’est pas top car plus susceptible de se prendre un pruneau. Mais surtout : il est très facile à produire. Ce sera le 2e char le plus produit de la 2e guerre mondiale (après le T-34 russe, dont nous parlerons la prochaine fois) ; il va notamment être décliné en de nombreuses variantes – char amphibie, lance flammes, démineur, lance roquettes, pont mobile … Un vrai couteau suisse (mais américain).
Pour l’anecdote : il sera produit dans plusieurs usines à travers le pays, qui n’appartiennent pas aux mêmes entreprises. Il va en résulter un certain nombre de variations, liées à toutes sortes de contraintes. La caisse est généralement moulée, mais parfois soudée. Pour le moteur, celui prévu à la base n’étant pas toujours disponible en nombre suffisant, on va le remplacer par des moteurs d’avions ou de bus. Sans compter les améliorations progressives … Bref, ne vous étonnez pas si, en consultant des photos de la bête, vous voyez régulièrement des différences. C’est vrai pour tous les chars d’ailleurs, mais surtout pour ce dernier.
On le voit donc : notre bon M4 Sherman est un char moyen … moyen. Ni bon, ni mauvais, mais surtout fait pour être produit vite et en nombre. Mais qu’est ce que cela va donner en combat ?

Le M4 « Sherman », LE char US de la 2e guerre mondiale

Les premiers à l’utiliser sont les Britanniques, durant la guerre du désert. Les Yankees ne sont pas encore engagés au sol face aux Teutons, ce sont donc les Rosbeefs qui ouvrent le bal. Vu que le M3 Grant était déjà un des meilleurs chars à leur disposition, le M4 va encore apporter un avantage supplémentaire. Utilisé dans de nombreux combats de char, notamment à El Alamein, il va contribuer à la victoire alliée. Et pour cause : il affronte à armes égales les derniers modèles allemands. Et oui : ce char conçu à l’arrache, et pas forcément optimisé pour être une bête de guerre, va faire suer Rommel et ses vétérans de l’Afrika Korps. Bon, si on le compare au Pz-VI (plus connu sous le nom de Tigre), oui, là clairement, il ne fait plus le poids ; d’un autre coté on parle d’un char « lourd », donc pas tout à fait la même catégorie.
Après, pendant de longs mois, ce sera le calme plat. En effet, à l’Ouest le principal théâtre d’opérations sera le sud et le centre de l’Italie, qui se prête mal aux combats de char, avec notamment de nombreux reliefs. Et du coup, l’armée US n’améliore que peu son principal char : on se concentre surtout sur l’amélioration des cadences de production. Alors que du côté allemand, c’est l’inverse : confrontée aux hordes blindées soviétiques, la Wehrmacht a considérablement améliorée son matériel ; avec le dernier modèle de Panzer-IV, surblindé et armé d’un nouveau canon de 75mm à canon long, et surtout le Panzer V dit « Panther », conçu pour être un char de supériorité. Et ne parlons même pas du Tigre et son successeur, le Tigre royal, un monstre de 70 tonnes.

Ainsi, en Normandie, c’est la douche froide. Le Sherman qui, jusque là, n’avait pas trop de difficultés, retrouve à se faire régulièrement défoncer par des ennemis en nette infériorité numérique. Il faut dire que, dans la doctrine américaine, le Sherman n’avait pas été pensé comme un char « antichar » (ce rôle revenant à des engins spécialisés, les « tank destroyers »), plutôt, à l’instar des chars cruisers britanniques, à exploiter les percées dans le front ennemi. Et s’il était toujours bon dans ce 2e point, de fait il devait faire face régulièrement à ses comparses de l’Axe, où il était dépassé. Face aux branlées qu’il se prend, on tente différentes améliorations. Pour qu’il puisse survivre plus longtemps, on ajoute toutes sortes de protection, notamment des sacs de sable, mais ça le ralentit pas mal. On l’équipe avec un nouveau canon de 76mm, meilleur en antichar, mais se révèlera toujours limité. Finalement, la meilleur idée viendra du Royaume Uni : ils vont adapter le Sherman avec leur excellent canon antichar de 17 livres, pour donner le Sherman Firefly. Il se trouvera être effectivement capable de vaincre tous les chars allemands à distance correcte ; mais le canon n’étant pas disponible en grandes quantités, seul un faible nombre sera converti. Malgré toutes les améliorations apportées, il n’arrivera jamais à rattraper l’écart avec ses opposants.
Les USA vont bien tenter de revenir dans la course, avec le M26 « Pershing » (nommé d’après le commandant des troupes US en France de la 1ere guerre mondiale, dont on a parlé tout au début), mieux armé et protégé. Mais il arrivera assez tard, et ne participera que peu aux combats.

Le M26 « Pershing », qui a très peu connu la guerre

Donc, nos amis américains n’ont pas vraiment produit de chars performants. Le principal, le Sherman, étant un char plutôt bon au début, et plutôt médiocre à la fin.
Et pourtant … c’est un contributeur important à la victoire alliée. Car comme on l’a dit, il va être produit en quantités colossales. Tant et si bien que, non seulement il va équiper des divisions blindées US quasi inexistantes en 1940, mais également de nombreux pays alliés, dont le Royaume Uni (où il va devenir le char majoritaire), la France (la 2e DB du général Leclerc en est largement équipée), la Pologne, et bien d’autres … Même l’URSS, par le biais de livraisons d’armes, va en recevoir. S’il n’est pas excellent pour combattre ses comparses, il est versatile, et s’adapte à toutes sortes de situations de combat. Et du coup, pour combattre les Panzer Divisionen ? Les Alliés vont trouver des expédients : artillerie antichar, et surtout aviation d’assaut.
Dans ce cas ci, on voit donc que le choix de la quantité l’a emporté sur la qualité, à partir du moment où on a su s’adapter à différentes situations tactiques. Et sur le front de l’Est, l’équation sera t elle la même ? Nous le verrons et nous conclurons cette thématique dans le prochain article, ou nous referons le match mécanique du 20e siècle : chars allemands vs chars soviétiques.

Pour en apprendre plus :

https://fr.wikipedia.org/wiki/M1_Combat_Car
https://fr.wikipedia.org/wiki/M2_Medium_Tank
https://fr.wikipedia.org/wiki/M3_Lee/Grant
https://fr.wikipedia.org/wiki/M4_Sherman
https://fr.wikipedia.org/wiki/Char_M26_Pershing

Source des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 3e partie

3e partie sur notre question : alors, les chars allemands, ils étaient meilleurs que les nôtres ? Nous allons en discuter …

La première guerre mondiale s’est terminée, et la paix revient. Cependant, un peu partout dans le monde, on s’interroge sur l’avenir de cette arme nouvelle qu’est le char, qui après des débuts chaotiques, a prouvé son efficacité. Le leadership de la réflexion est prise par le Royaume Uni, en la personne de J.F.C. Fuller : son idée, c’est d’utiliser des chars lourds et très bien protégés pour percer le front en un endroit, puis envoyer plein de chars légers et très rapides dans la brèche, pénétrer les lignes ennemies et attaquer la logistique, les centres de commandement, … bref, foutre le dawa.
La France n’est pas loin derrière, avec toujours le général Estienne : lui, il préconise de grandes formations de chars, rapides, soutenus par une infanterie embarquée dans des camions. Le concept de Blitzkrieg n’est vraiment pas loin …

Ces deux théoriciens vont en inspirer bien d’autres un peu partout. Hobart au UK, Toukhatchevski en URSS (on reparlera de lui plus tard), Chaffee et Patton aux US ; en France, après Estienne c’est un certain colonel de Gaulle qui va promouvoir le char. Sauf que globalement, on ne les écoute pas. Cependant, il y en a un qui écoute beaucoup, et qui sera de même beaucoup écouté : Heinz Guderian.

Heinz Guderian, l’un des papas de la Blitzkrieg allemande


Rien à voir avec du ketchup (à part peut être ce qu’il laisse de ses ennemis). Guderian est un officier allemand qui, durant la 1ere guerre mondiale a servi dans les transmissions et l’état major. Il a eu l’occasion de voir un peu les forces et faiblesses de la stratégie allemande, et il a constaté que plusieurs offensives auraient pu réussir, mais les soldats à pied n’allant pas assez vite, les percées n’ont jamais pu aboutir au delà de quelques dizaines de kilomètres. Du coup, pour voir ce qui pourrait être fait, il suit ce qu’il se fait à l’étranger, notamment les théories de Fuller, les livres de De Gaulle. Et il établit une doctrine d’attaque : on commence par attaquer massivement un point faible du dispositif ennemi ; puis, on envoie des chars rapides, suivis par des soldats sur camions, et soutenus par des avions, afin d’encercler les points forts et les isoler ; il ne reste qu’à les encercler avec de l’infanterie classique, jusqu’à reddition ou destruction. La Blitzkrieg est née.
L’Allemagne a un gros avantage dans l’entre deux guerres : elle a perdu. Elle est donc plus réceptive à de nouvelles idées, puisque visiblement, les précédentes n’ont pas marché. Les stratèges allemands ont bien compris : lors de la 1ere bataille de la Marne, il aurait suffi à leurs forces d’assaut d’aller un peu plus vite pour prendre les Français de surprise. Du coup, la théorie de ce jeune officier séduit. La Blitzkrieg commence donc à faire son chemin dans l’état major, et ce bien avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler (qui ne l’a nullement inventé : il n’a fait qu’approuver ce qui existait).

Ne reste plus d’un détail : il va falloir développer et construire des chars. Sauf que l’Allemagne, normalement, n’a pas le droit : le traité de Versailles lui interdit la conception et fabrication de tels engins. Pas grave ! Les Anglais ont réussi à nous faire croire qu’ils fabriquaient des réservoirs roulants (« tank », cf. article précédent) ? On va leur faire croire qu’on fabrique … des tracteurs ! C’est ainsi que dans les années 1920, l’industrie allemande développe deux prototypes, le « Leichttraktor » et le « Grosstraktor » ; littéralement, tracteur léger et grand tracteur. Et comme des tracteurs armés de canons, c’est suspect, on va les tester en URSS, avec qui on a passé un accord (en gros, dans un camp d’entrainement en Russie, négocié contre un partage de technologies). Comme quoi, le « C’est Hitler qui a violé le traité de Versailles sur le réarmement », c’est faux : les Allemands ont triché bien avant, du temps de Weimar. Passons.

Des soldats allemands à l’entrainement antichar ; en arrière plan, un « Grosstraktor »


Après les prototypes, il fallait passer aux modèles de série. D’abord le Panzerkampfwagen I (1 en chiffre romain, logique), armé de deux mitrailleuses. Il était surtout destiné à l’entrainement. Le Panzer II, un peu mieux armé avec un canon de 20 mm, mais c’était pas encore ça. Puis les III et IV, qui devaient être les chars standards de la Wehrmacht : respectivement pour détruire les chars ennemis (avec un canon de 37mm antichar), et soutenir l’infanterie (canon à fut court de 75 mm, tout à fait respectable). Ajoutons à cela des chars piqués à la Tchécoslovaquie lors de l’annexion du pays, rebaptisés Panzerkampfwagen 38(t), et qui s’avérera être l’un des meilleurs chars à disposition des soldats allemands au début de la guerre.

Le Panzerkampfwagen I, premier char allemand de série

La guerre commence. Passons rapidement sur l’invasion de la pauvre Pologne, complètement prise au dépourvue et des deux côtés à la fois (et oui, c’est sale). Les Polonais, bien que surpris, parviennent tout de même à détruire des centaines de chars avant l’effondrement du pays, mais surtout grâce à l’artillerie. Donc pas vraiment moyen de faire une comparaison chars vs chars. La drôle de guerre n’est guère plus intéressante, puisqu’il n’y passe pas grand chose (les Alliés attendant que les Allemands se lassent d’envahir tout le monde). Et on oublie également l’invasion de la Norvège (peu armée) ou l’expédition de Narvik, parce que toujours pas de chars des deux côtés.
Il faut donc attendre l’invasion du Benelux et la campagne de France pour opposer les chars franco-britanniques aux Panzer. Comparons déjà la quantité : la Wehrmacht possède environ 2 500 chars, contre 4 000 pour les alliés. Donc oui : les alliés ont plus de chars, sensiblement. Mais l’avantage qualitatif est peut être coté allemand ? Regardons en détail.

Déjà, dans les deux camps, la grosse majorité du matériel correspond à la catégorie char léger : Panzer I et II d’un côté ; R35, H35 et FCM36 de l’autre. Si les modèles français ont tendance à être lents (c’est dommage pour une catégorie où la vitesse est le principal atout), ils sont cependant bien protégés, leurs homologues germains sont à la peine pour les détruire (le Pz-I étant équipé de mitrailleuses, c’est très compliqué pour lui). Ainsi, dans un duel, le français sort généralement vainqueur.
Alors, les chars plus gros sauvent ils la mise ? Les nombres sont sensiblement les mêmes des deux côtés : 500 Pz-III et Pz-IV, contre 600 chars moyens/lourds. Mais peut être que les exemplaires français sont tous pourris ? Étudions deux modèles : le B1 et le S35.
Le B1 est un char lourd, qui a été conçu dès la fin des années 1920, avec un but : pouvoir défoncer des fortifications. Il est donc très bien protégé, avec un blindage épais et de qualité. Pour l’armement, comme à l’époque on ne savait pas faire un canon à la fois antichar et anti infanterie, on va trouver une astuce simple : on va lui coller deux pétoires. Une en tourelle, antichar, de 47mm ; et un gros canon de 75mm, en casemate, pour faire sauter des fantassins, des fortifications, voire des fantassins dans des fortifications (et non, pas l’inverse). Il est par contre assez lent (20 km/h), mais je rappelle que son rôle est de détruire des fortifications, qui ne se déplacent généralement pas très vite. Quand les tankistes allemands tombent dessus, c’est un peu la panique : rien ne semble l’arrêter, alors que lui peut faire péter à peu près tout ce qui est assez bête pour se caler dans son champ de tir. Par ex., le « Jeanne d’Arc » va se prendre 90 impacts, avant d’enfin prendre feu. Pour d’autres exploits, je vous renvoie sur une petit vidéo sur la bataille de Stonne, faite par un blogueur un peu connu.

Le B1 Bis « Héros », avec ses 2 canons

Et du coté des chars moyens ? Intéressons nous au S35, sans aucun doute le meilleur char français de 1940. Il est rapide : 40 km/h environ, soit autant voire plus que les chars légers (ça la fout mal pour ces derniers). Il est résistant : il a un blindage de bonne facture, et surtout – quasi innovation à l’époque – il est incliné. Qu’est ce que ça change ? Déjà, les lois de la géométrie : pour la même épaisseur, la protection relative augmente (puisque si vous prenez une section de travers, elle sera forcément plus épaisse qu’une section droite). Et de surcroit, la probabilité de faire ricocher les obus antichar s’en trouve accrue. Quant à son armement, il consiste essentiellement en un canon de 47 mm, à haute vitesse initiale, donc très bon pour détruire les chars ennemis (un peu faiblard contre l’infanterie cependant). Lors des affrontements chars contre chars, il va largement prouver sa valeur lors de combats comme la bataille de Hannut.

Le S35 français, peut être le meilleur char moyen du moment … sur le papier

Illustration qui explique pourquoi un blindage incliné, c’est bien

On résumé : les Français ont donc plus de chars que les Allemands, et ils sont de qualité comparable voire meilleure.
Mais mais mais ? Pourtant, vous le savez : l’armée française n’a pas gagné, elle s’est même faite un peu ratiboisée. C’est un peu l’inconvénient de parler d’Histoire : difficile de garder un effet de surprise, alors que tout le monde connait le spoiler. Mais puisque vous êtes des lecteurs malins, vous allez demander : pourquoi ? Pourquoi malgré des chars en plus grand nombre et de facture équivalente ou supérieure, les Français ont perdu ? Et en plus, on dit que les Allemands ont gagné grâce aux chars ?!?!? 3 éléments de réponse à cela.

La première : la fiabilité mécanique. Les chars français avaient tendance à tomber en panne, souvent au mauvais moment. Les chars allemands de même, mais moins, et surtout, la maintenance était plus facile. Il faut reconnaître là dessus l’expertise des équipes logistiques des Panzer Divisions, qui parvenaient à remettre en état rapidement les chars en panne ou endommagés (alors que les Alliés ont perdu beaucoup de matériel, abandonné faute de pouvoir être réparé à temps).
La deuxième est l’arme secrète des chars allemands, dont leurs homologues mangeurs de grenouilles sont – presque – dépourvus : la radio. Je vous avais dit que Guderian, le papa des Panzer, avait travaillé dans les transmissions ? Et bien il a vite compris l’intérêt d’avoir un moyen de communiquer sans fil. Du coup : tous les chars allemands ou presque sont équipés en radio. Ce qui leur permet de communiquer entre eux, mais aussi avec l’infanterie, l’artillerie et l’aviation. Tandis que côté français, on se méfie de la radio (on trouve ça peu fiable).
Et cela nous amène tout droit au troisième point : l’utilisation intelligente de cette arme qu’est le char, au sein d’un ensemble plus vaste, dans le cadre de la stratégie dite de « Blitzkrieg ». Sans entrer dans les détails, l’usage de la radio, et la coordination entre les différents éléments de l’armée allemande, ainsi qu’une grande souplesse tactique, ont permis de lever les obstacles qui pouvaient s’opposer à l’armée allemande. On tombe face à des chars qu’on arrive pas à battre ? Vite, on appelle les stukas pour les pulvériser ! Un village fortifié qui résiste ? On prévient les copains qu’il faut le contourner, et les soldats à pied peuvent venir en faire le siège. Ainsi, les chars peuvent avancer sans s’arrêter ou presque, et réussir à piéger les meilleurs troupes alliées en Belgique (un sort cruel s’il en est, de se retrouver ainsi forcer à vivre avec des gens qui parlent néerlandais).

C’est ainsi que les généraux du petit moustachu sont parvenus à nous coller une taule, et pas grâce à une soit disant qualité de matériel. Un excellent exemple est la bataille de Montcornet. Le colonel De Gaulle (pas encore général à ce moment là), tout fraîchement nommé à la tête d’une division cuirassée (donc pleine de chars), décide de se lancer contre les troupes de Guderian. Et le grand Charles, lui, il sait comment utiliser ses chars. Et ça marche … presque. Il parvient à percer les lignes allemandes, il arrive à 10 km du poste de commandement de son adversaire (qui flippe un peu). Et puis l’aviation d’assaut allemande vient briser son assaut ; en partie car sans radio, impossible d’appeler les chasseurs à temps (chasseurs qui étaient de toute façon, très occupés). Dommage.
On le voit bien : les chars allemands n’étaient pas les meilleurs en 1940. Mais c’est leur utilisation intelligente, et le fait qu’ils étaient adaptés à cet usage, qui a permis une victoire foudroyante dans la bataille de France. En face, malgré un matériel très performant sur le papier, des tactiques dépassées ont abouti à une défaite humiliante. Et même lorsque des unités furent commandés par des chefs clairvoyants, l’absence de radio fut un lourd handicap. Comme quoi, tout n’est pas affaire de qualité de l’armement.

Et les Britanniques ? En ce qui concerne la bataille de France, j’avoue manquer d’informations : je sais qu’il y a eu quelques engagements, mais je n’en sais guère plus. De toute façon, après le retrait du British Expeditionary Force, les tankistes britanniques vont devoir attendre la guerre du désert pour affronter de nouveau leurs comparses allemands.
Transportons nous vers ce théâtre d’opérations. Le désert se révèle plutôt bien adapté aux manœuvres des chars, en ouvrant de grands espaces dégagés. Le sable pose quelques problèmes de logistique, car il a tendance à s’infiltrer partout, pourrir les moteurs et la mécanique. Mais d’un point de vue stratégique, c’est une arme idéale. Je ne vais pas entrer dans les détails (un article futur), mais au départ, les troupes du Commonwealth vont surtout affronter des Italiens, et ça ne va pas bien se passer pour ces derniers. Ils vont donc faire appel aux Allemands, qui enverront le célèbre « Afrika Korps », et surtout son commandant, Erwin Rommel. Dans les renforts envoyés, il y a notamment une division blindée. Elle n’est cependant plus équipée des mêmes chars que durant la campagne de France. Les Allemands ont constaté les lacunes de leurs blindés, et vont s’efforcer de les améliorer. Les modèles les plus légers (Panzer I et II) vont rapidement être retirés des unités. Et les chars moyens, Panzer III et IV, vont être améliorés. Pour le Panzer 3, cela va consister à changer son canon de 37mm par un 50mm à long fût, bien plus efficace en antichar, ainsi qu’une amélioration du blindage. Et pour le Panzer IV, l’amélioration sera plus tardive, mais consistera également en un canon plus long, pour devenir une arme multifonctions (anti infanterie et antichar).

Face à eux, que possèdent nos amis anglais ? Je l’avais rapidement évoqué, mais eux ont opté pour une stratégie reposant sur 2 types de matériels. Des chars légers dit « chars cruiser », très rapides, nombreux, avec un armement surtout antichar. Et des chars d’infanterie, lents, mais très solides (à noter que contrairement aux Français, ils sont équipés largement en postes radio, et les commandants britanniques sont assez familiers avec les concepts de manœuvres mécanisées rapides). Ces deux concepts, char cruiser et char d’infanterie, vont s’avérer assez foireux. Les chars cruisers en effet, sont certes très rapides, mais pas assez résistants pour affronter les derniers modèles de chars allemands. Leur seule force sera finalement leur nombre, qui permettra aux Britanniques d’être quasiment tout le temps en supériorité numérique face aux blindés de l’Axe ; et même là, ça ne suffira pas. Quant aux chars d’infanterie, comme le célèbre « Matilda », ils vont réserver certaines surprises aux Allemands, avec un blindage presque indestructible. Mais comme pour les B1 français, les officiers allemands vont trouver d’autres parades (la principale étant le canon de 88mm).

Le Matilda britannique, char au blindage le plus épais lors de sa sortie

Les troupes de Sa Majesté sont peut être les premiers de l’Histoire à avoir utiliser le char d’assaut, et même en ayant été les précurseurs dans l’expérimentation dans les années 1920, ils ont clairement pris du retard. Les ingénieurs britanniques sauront cependant tirer les leçons de leurs erreurs. Ils vont fusionner les deux concepts pour aboutir à des chars qui, peu à peu, cumulent les qualités des deux types. Le résultat final sera le Centurion, un char qui sera parmi les meilleurs du monde, mais arrivé trop tard pour participer au conflit. Pour la 2e partie du conflit, les Anglais vont de + en + utiliser des chars produits outre Atlantique.

Ce qui va nous amener à conclure ce 3e article. On l’a vu : les Allemands n’avaient pas de meilleurs chars que les Français, pourtant ils sont parvenus à nous coller une rouste. En les utilisant intelligemment, en les adaptant à leurs tactiques et en les améliorant peu à peu, ils sont parvenus à garder l’avantage. Vont ils réussir à le pousser davantage ?
Nous verrons cela dans la prochaine partie de cette thématique, où nous les comparerons cette fois ci aux chars US.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_blind%C3%A9s_de_la_Kama

https://fr.wikipedia.org/wiki/Leichttraktor

https://fr.wikipedia.org/wiki/Grosstraktor

https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_I

https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_II

https://fr.wikipedia.org/wiki/SOMUA_S35

https://fr.wikipedia.org/wiki/B1_(char)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Stonne

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Montcornet

https://fr.wikipedia.org/wiki/Matilda

Source des images : Wikipédia