Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 5e partie

Même les meilleures choses ont une fin : aujourd’hui, dernière partie sur notre thématique « les chars allemands de la 2e guerre mondiale étaient ils les meilleurs ? » Et nous allons opposer les deux principaux belligérants du front de l’Est – Allemands et Soviétiques -, où l’usage du char fut le plus intense et déterminant que n’importe quel autre front.

Comme pour les autres pays, voyons un peu l’histoire du char en URSS. Si la France a livré à l’armée russe des chars, notamment des Renault FT, ceux ci arrivent trop tard pour jouer un rôle significatif. Et le traité de Brest Litovsk de Mars 1918 retire définitivement la Mère Patrie du conflit. Cela dit, le pays ne connut pas la paix pour autant, avec le démarrage quasi simultané de la guerre civile. Comme toutes les guerres civiles, elle se caractérise par une absence de front continu, mais plutôt une multitude de positions éparpillées, tenues par un camp ou l’autre, et des espaces intermédiaires que personne ne domine totalement. Avant la Grande Guerre, le pays était en cours de modernisation, en retard sur l’Europe occidentale, et le chaos du conflit puis de la révolution n’a pas arrangé la chose. La guerre civile aura lieu avec des moyens souvent archaïques, dans un territoire incroyablement vaste, avec des moyens de transport faibles. Dans cette situation un peu particulière, un type d’unité va montrer son potentiel : la cavalerie. En effet, elle possède une bonne mobilité tactique et stratégique, ce qui lui permet d’être là où ça chauffe ; et comme dans un pays très paysan comme la Russie de l’époque, il est plus facile de trouver du fourrage que de l’essence, le ravitaillement peut se faire localement. Même si l’importance de la « cavalerie rouge » a été exagérée après coup, à des fins de propagande (c’était la revanche du paysan sur le noble, avec l’emblème de ce dernier – le cheval), son rôle ne peut être nié dans la victoire bolchévique, et notamment la 1ere armée de cavalerie de Boudienny.

Après la fin de ce bazar (et même avant, vu que les troubles vont continuer pendant quelques années), dans les années 1920, on commence à se poser des questions du côté des soviétiques. Car on a peur que les impérialistes viennent mettre fin à ce havre pour les travailleurs qu’est l’URSS (arrêtez de rire : à l’époque des dirigeants comme Lénine y croyaient dur comme fer). Et comment va t on faire pour se défendre, avec un pays encore largement en retard sur l’Occident capitaliste ? On repense au rôle de la cavalerie durant le conflit civil, et un homme se dit que tiens, si on remplaçait les canassons par des camions et des chars, ça pourrait être pas mal non ? Cet homme est un militaire, du nom Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski. Né dans une bonne famille de l’ancienne Russie, il s’engage dans l’armée, est fait prisonnier durant la 1ere guerre mondiale (il va partager la cellule d’un jeune capitaine français, Charles de Gaulle – oui, c’est bien le même auquel vous pensez ; le monde est petit !). Ensuite il a rallié les forces bolchéviques, où il gagne rapidement du galon, jusqu’à commander de grandes armées durant la guerre civile et la guerre soviéto polonaise. Son génie militaire est reconnu par tous. Or, il ne reste pas sur ses acquis, et constate qu’à l’Ouest, du nouveau : certains théoriciens travaillent sur les futurs formes des combats à venir, notamment son ancien co détenu De Gaulle.
Il va de son côté, développer une variante locale : le concept « d’opérations en profondeur ». Cela consiste à faire rompre le front ennemi en un endroit, à grand coups d’artillerie et d’infanterie, puis d’envoyer dans la brèche des unités très mobiles, constituées de fantassins sur camions et de chars rapides, qui pourront alors s’en prendre aux arrières de l’ennemi – dépôts logistiques, moyens de communication/transports, centres de commandement – afin de désorganiser tout le front, provoquer l’effondrement puis le recul de celui ci. Bref, c’est quasiment une « Blitzkrieg » qui sent le Bortsch, avec la différence que le but n’est pas l’encerclement mais la désorganisation. Pour l’époque, c’est quasi novateur, seuls les Anglais, et un peu les Français, sont aussi avancés en termes de doctrine. Devenu maréchal, il va créer dès le début des années 1930 des « corps mécanisés », de grandes formations de chars soutenus par de l’infanterie motorisée, préfigurant ce qui allait se faire partout ailleurs durant la guerre à venir.

Mikhaïl Nikolaïevitch Toukhatchevski, théoricien de l’opération en profondeur

La doctrine, c’est bon. Avec le matériel ce serait mieux. Sauf que la Russie et les autres territoires qui vont former l’URSS sont encore largement ruraux, pour ne pas dire arriérés, et en tout cas sous industrialisés. Les plans quinquennaux du père Staline vont permettre au pays de se doter d’une industrie lourde conséquente, en temps record, et au prix de seulement quelques millions de morts (une paille). Les usines seront bientôt prêtes à cracher du tank à haute cadence.
Mais pour concevoir le matériel, cela prend un peu plus de temps, car il faut former tout une génération d’ingénieurs et techniciens. Donc en attendant, on utilise la bonne vieille technique de l’informatique : le copier coller. L’URSS achète des licences et brevets un peu partout dans le monde : suspensions Christie aux US, moteurs allemands ou français, ou même « variantes » du Renault FT ou du Vickers 6-Ton. Nous avions parlé de l’école des chars, ouvert par les Allemands au cœur même du territoire soviétique : une autre occasion d’étudier ce qui se fait ailleurs.
Cela donne tout d’abord la série des BT, pour « Bystrokhodny Tank » – soit littéralement « tank véloce ». Rappelons toujours, « tank » signifiant réservoir, voir des conteneurs de liquides se déplacer à vive allure aurait pu être cocasse. Il s’agit de chars légers qui, comme leur nom l’indique, sont conçus pour être rapides. En même temps est développé le T-26, autre char léger, aux performances plus qu’honorables. Ils vont être construits en milliers d’exemplaires sur la décennie 1930, ce qui permettra à l’armée soviétique de disposer de stocks considérables, en partant de rien ou presque (alors qu’au même moment, les démocraties de l’Ouest ont fortement réduit leurs dépenses militaires).

Char BT5
Le T26

Mais si la quantité est là, qu’en est il de la qualité ? Plusieurs occasions de les tester vont se présenter, notamment la guerre d’Espagne. L’URSS soutient massivement (du moins au début) les Républicains, envoyant notamment chars et équipages. Le Reich faisant de même pour les nationalistes, c’est donc un affrontement par procuration que se livrent les deux futurs belligérants. Pour rappel, à ce moment le principal char allemand est le Pz I, armé de deux mitrailleuses ; face au canon de 40 mm du T-26, autant dire que le match est vite plié. Tant et si bien que rapidement, les troupes de Franco vont utiliser prioritairement les T-26 volés à l’ennemi : je crois que là, tout est dit. Cependant, les tanks russes ont quand même un défaut : un blindage très léger. Les armes antichar (et même certaines mitrailleuses lourdes) arrivent à les vaincre sans trop de problème.

On le voit, malgré une situation initiale pas très favorable, les soviétiques ont réussi à constituer une arme blindée efficace. Un gros handicap va venir cependant les freiner, voire les faire régresser : Staline. Celui ci lance en effet les Grandes Purges, qui consiste peu ou prou à tuer ou emprisonner tout ce qui pourrait s’opposer à lui, que cela soit vrai ou non. Et dans la liste des cibles : le maréchal Toukhatchevski, qui en 1920 a eu le tort de dire du mal de Staline (voire de sa maman). Celui ci, un poil rancunier mais patient, a attendu le bon moment pour le faire fusiller. En quelques mois, toute l’expérience accumulée par les corps mécanisés est perdu, alors que des milliers d’officiers sont assassinés.
Du coup, quand l’armée rouge se lance dans la guerre d’hiver contre la Finlande, c’est un peu la branloute (mélange entre « branlée » et « déroute »). Les chars, essentiellement des modèles légers, mal utilisés, se font exploser. Comme de surcroit, Toukhatchevski n’est toujours pas en bonne grâce (en plus d’être mort), on décide de dissoudre purement et simplement les corps mécanisés. Si les chars sont toujours là, ils sont désormais affectés à l’infanterie. On vient de perdre 20 années de travail.
Bon, par contre, quand on voit ce que les Allemands font avec leurs chars en France, on se dit que finalement … c’était peut être pas une si mauvaise idée. Les corps mécanisés seront progressivement reformés, jusqu’à atteindre une trentaine en Juin 1941. L’organisation de ces dernier a souffert de ce petit jeu de oui, on les crée, puis non on les dissout, ah finalement on a encore changé d’avis. Si bien qu’au début de l’invasion, ils ne seront globalement pas prêts.

Par contre, les ingénieurs eux ont fait leurs devoirs à la maison, et ont planché sur de nouveaux modèles. Pour les 2 plus connus (et que nous allons étudier) : le T-34 et le KV-1. Pour le T-34, nous avons affaire à un char moyen. Cela dit, ses concepteurs ont réussi à créer un monstre par rapport à ce qui pouvait se faire dans la catégorie. Il a un armement puissant, avec un canon de 76mm très puissant (autant en antichar que anti infanterie). Son blindage n’est pas très épais, mais comme pour le S-35 français, il est incliné : ce qui le rend plus résistant. Enfin il est assez rapide pour sa catégorie. Les soviétiques ont il trouvé le meilleur compromis entre les 3 facteurs d’un char ? Quant au KV-1, il s’agit d’un char lourd, tout aussi bien armé mais bien mieux protégé, quoique plus lent.
La production de ces nouveaux modèles commence en 1940, si bien qu’au début de l’opération Barbarossa, la Wehrmacht affronte surtout les modèles légers + anciens, comme les BT et T-26. Ceux ci sont disponibles en grand nombre, et sont employés lors de gigantesques contre attaques. Elles vont permettre de ralentir l’offensive allemande, au prix de pertes colossales. Tout est bon pour gagner du temps. Et puis, un beau jour, les tankistes allemands tombent sur un os de 30 tonnes d’acier : le T-34. Non seulement celui ci se révèle très dur à détruire, mais par contre, lui n’a pas de mal à faire péter tous les chars disponibles ; si bien que c’est un peu la panique. Encore pire : le KV-1 est pratiquement indestructible.

Une colonne de T-34, LE char le plus produit de la guerre
Le KV-1, longtemps cauchemar des tankistes allemands

Et pourtant, les militaires allemands ont réussi à surmonter ces obstacles. Comment ? Déjà, car, comme je l’ai dit, les unités blindées en face étaient encore désorganisées, et peu expérimentées. Au contraire, les troupes germaniques sortaient de presque 2 ans de conflits, étaient aguerries, et surtout très adaptables : elles ont improvisé des solutions pour s’en sortir. Mais de plus, les chars russes n’étaient pas exempts de défauts, même si sur le papier ils apparaissaient imbattables. C’était des chars récents, qui n’avaient pas été bien testés, et du coup ils étaient peu fiables. Lors des contre offensives, un nombre important de chars sont tout simplement tombés en panne (durant une bataille, c’est rarement une bonne idée). Et comme pour les chars français : ils n’étaient que peu équipés en radio (généralement, que le char du chef de peloton). Cela limitait beaucoup leur emploi tactique : souvent, on faisait un gros tas, et quand le char du chef avançait, on fonçait sans réfléchir. On a bien essayé un truc avec des drapeaux, que le chef devait agiter pour donner des ordres complexes. Si vous avez vu Kaamelot, vous savez que c’est une idée pourrie ; si on considère qu’on le fait sur un champ de bataille, avec des tirs dans tous les sens, et qu’en sortant le haut du corps vous devenez une cible de choix pour les tireurs d’élite, on comprend que l’idée ait été abandonnée.

Il n’empêche : le fait que des soit disant « sous hommes », communistes de surcroit, arrivent à faire de meilleurs chars que nos grands blonds aux yeux bleus, ne passe pas très bien. Hitler pique une crise, se roule par terre, et exige que le Reich produise les meilleurs chars du monde. Cela commence par l’amélioration des modèles existants, Pz III et IV, qui parviennent presque à rivaliser avec le T-34. De même, arrive en 1942 le premier char lourd allemand, le Panzerkampfwagen VI, plus connu sous le nom de Tigre ; et il montre rapidement de grandes qualités, en étant capable de dominer tous les adversaires qui s’opposent à lui. Il est cependant cher, compliqué à produire et à entretenir, donc rare.
Malgré tout, cela ne suffit pas à satisfaire le petit moustachu. Même si, en 1942, l’Axe a encore l’avantage dans le conflit, l’URSS ne s’est pas effondrée comme prévu, et l’entrée des Etats Unis dans les belligérants promet une longue guerre d’usure. Or, l’Allemagne sait qu’à ce petit jeu, elle risque de perdre, car elle finira immanquablement en sous effectifs. A défaut de quantité, on décide de miser sur la qualité : il faut produire des chars encore plus meilleurs de la mort qui tue.

Un Pz III, celui là au musée de Saumur
Un Pz IV modèle H, donc modèle assez avancé et bien amélioré, notamment avec canon long de 75 mm, et protections supplémentaires sur les roulements de chenilles
Le Pz VI, plus connu sous le nom « Tigre », sans doute le char lourd emblématique de l’Allemagne (mais pas le plus puissant)

Cela va donner l’arrivée en 1943 du Panzer V, dénommé « Panther ». Classé comme char moyen, il est cependant proche en terme de poids d’un modèle lourd. Très bien armé, protégé (il possède notamment un blindage incliné, idée volée aux soviétiques), et plutôt rapide même s’il souffre d’une autonomie plus faible que ses prédécesseurs. Il est considéré par beaucoup comme le meilleur char de sa catégorie de la 2e guerre mondiale. Et pourtant, lors de sa première sortie en masse, lors de la célèbre bataille de Koursk, son action sera décevante, pour les mêmes raisons que les T-34 en 1941 : défauts de jeunesse qui provoquent des pannes, et mauvaise formation des équipages.
Autre modèle développé à cette période, le Tigre Royal -Königstiger dans la langue de Rammstein- (ou Tigre II), conçu pour défoncer tout ce qui pourrait se mettre en travers de son chemin. Blindage incliné allant jusqu’à 150 mm d’épaisseur (pour comparaison, le T-34 c’est entre 40 et 75 mm), canon de 88mm qui a prouvé qu’il pouvait détruire tous les chars possibles, seule la motorisation est à la traîne, le char ne pouvant aller qu’à 17 km/h en tout terrain. Les deux chars évoqués, Panther et Königstiger, vont prouver qu’ils sont supérieurs à tous ceux des ennemis du Reich, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est.

Le Pz V, dit Panther, qui inversera le rapport de terreur des tankistes
Le Tigre Royal, parce qu’Hilter trouvait que le précédent n’était pas assez bourrin

Et comment réagit le commandement soviétique face à cette débauche de puissance ? Il va certes tirer les leçons des combats, mais sans entrer dans la surenchère. Lors de la bataille de Koursk, le T-34 est le char principal de l’armée rouge, présent en milliers d’exemplaires. S’il était redoutable en 1941, il est en revanche dépassé à ce moment là : son canon ne permet plus de détruire les chars allemands qu’à courte portée, alors qu’à l’inverse, eux peuvent le détruire jusqu’à 1 à 2 km de distance. Plutôt que de développer un nouveau char (c’est long), on décide de prendre le T-34 et de l’améliorer. L’autre avantage est qu’au niveau de la production, cela désorganisera moins les usines, qui pourront le produire + vite de façon optimale. La principale amélioration est le changement du canon, par un de 85 mm, apte à percer le blindage des chars ennemis à distance convenable. La tourelle est agrandie pour cela, et cela permet d’y caser enfin une radio et un membre d’équipage supplémentaire. Il est également un peu mieux blindé, mais à peine, ce qui fait qu’il reste presque aussi rapide.
Malgré tout, le T34-85 reste inférieur, en cas de duel, au Panther. Pourtant, le choix soviétique s’avéra bon : là où le Panther fut compliqué à produire, le T34 (toutes versions confondues) fut produit à une cadence infernale, devenant le char le + produit du conflit, avec 60 000 exemplaires ! (contre environ 6 000 pour le Panther) Et même si en combat, les pertes étaient supérieures, les stratèges soviétiques pouvaient saturer le théâtre d’opérations avec de nombreuses unités blindées, ce qui leur donnait les capacités de manœuvre nécessaires pour enfin mettre en pratique la stratégie des opérations en profondeur. Si je vous parle de l’opération Bagration, cela ne va sans doute pas parler à grand monde, alors je ne vais pas creuser beaucoup plus (pour l’instant …) ; sachez juste que, grâce à la supériorité numérique en chars, l’armée rouge va, entre fin Juin et fin Aout 1944, progresser de 600 km, libérer toute la Biélorussie, une partie de la Pologne, tout en pulvérisant au passage tout un groupe d’armées allemand. A peu près aussi bien que ce que la Wehrmacht avait fait à l’aller, en 1941.

A noter qu’en Allemagne, au moins une voix s’était élevée contre ce choix : le grand théoricien des blindés Guderian, qui avait préconisé de garder le Pz IV (quitte à l’améliorer), disposant ainsi d’un char fiable et polyvalent en grande quantité, plutôt que de miser sur un char certes plus puissant, mais moins autonome et plus couteux. De par son insistance il parvint à maintenir une production de Panzer IV, même si réduite au profit du nouveau char.

Parlons rapidement de la réponse soviétique au Tigre II allemand : le IS-2 (pour Iosef Staline – tant qu’à créer un gros char, autant donner le nom du patron). Char lourd soviétique, très bien protégé (90 à 160 mm d’épaisseur, incliné bien sûr). Dans le domaine de qui qu’a le plus gros, là on a un beau concurrent, avec un canon de 122 mm. Pour tout dire, c’est plus que les chars de combat modernes. Cela dit, la taille ne fait pas tout, surtout en antichar : il faut comprendre que la force d’un projectile ne dépend pas que de son poids, mais aussi de sa vitesse. Le 88 mm allemand a certes un calibre + petit, mais le tube particulièrement long permet des vitesses d’obus très élevées, environ 1 000m/s. Les obus de 122 mm sont sensiblement moins rapides (environ 800m/s). Cependant, les obus étaient tellement lourds que même si le char n’était pas détruit, l’onde de choc assommait le pauvre équipage (et dormir en combat n’est pas une idée heureuse …). La vraie différence entre les deux chars tenait surtout d’un petit élément tout bête : les optiques de visée. Car avec un char, on ne tire pas au jugé, « t’inquiète Raoul je gère, je vais bien finir par l’avoir ». Là dessus, les optiques allemandes étaient bien meilleures, si bien qu’un Tigre Royal pouvait espérer coller un gros pruneau à 1 km au premier coup, tandis qu’un gros Staline devait souvent faire 2 ou 3 essais (et entretemps, rencontrait des problèmes).

Côte à côte, un IS-2 (premier plan), et un IS-3, juste derrière

Il est temps de conclure cette décidément trop longue réponse, à la question qu’on rappelle : les chars allemands de la 2e GM, étaient ils les meilleurs ?
On voit donc que :

  • au début, face à la France, leur matériel est sur le papier à la ramasse ; pourtant, grâce à la radio, et surtout à une utilisation intelligente, ils ont obtenu une victoire éclair
  • puis, face à l’URSS, ils sont de nouveau surclassés ; ce qui ne les empêche pas de gagner de nombreuses batailles, haut la main
  • traumatisés par la qualité du matériel d’en face, ils se lancent dans une course au meilleur char possible ; le résultat est qu’ils aboutissent à produire quelques uns des meilleurs chars du monde, notamment le Panther et le Königstiger
  • les USA et l’URSS font le choix inverse : des chars polyvalents et faciles à produire, peut être moins performants mais au moins disponibles en quantités colossales ; on sait qui a fini par gagner (même si les chars ne sont pas le seul élément à prendre en compte)
    La 2e option va s’avérer plus pertinente. Car si la qualité d’un char repose bien sur ses 3 composantes -vitesse, puissance de feu, blindage- il faut bien voir que ce n’est qu’une arme parmi d’autres. La bonne utilisation de cette arme, en coordination avec les autres, sera le meilleur garant de son efficacité. Et pour cela, il faut adapter le char à l’usage que l’on souhaite en faire. Si au début, les « médiocres » chars allemands étaient bien adaptés à la Blitzkrieg (d’où les succès de ces derniers), la conception de chars ultimes en antichar les poussa dans une impasse, où il s’avérèrent excellents, mais limités à ça. Alors que les alliés avaient appris de leurs erreurs, disposaient de doctrines d’emploi intelligentes, avec un matériel adapté à cela.
    Comme quoi, rien n’est jamais simple quand il s’agit de s’entretuer.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mikha%C3%AFl_Toukhatchevski
https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9rations_en_profondeur
https://fr.wikipedia.org/wiki/BT_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/T-26_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/T-34
https://fr.wikipedia.org/wiki/KV-1
https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Staline_(char)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_III
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_IV
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_V_Panther
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_VI_Tiger
https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_VI_Tiger_II

Source des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 4e partie

4e et avant dernier article sur notre thème : les chars allemands, est ce qu’ils étaient vraiment les meilleurs ? Et nous allons voir ce que valent les chars américains en face d’eux.

Les troupes américaines découvrent le char en 1917, alors qu’ils débarquent en Europe pour prendre part au conflit, au côté de la Triple Entente. Comme je l’avais rapidement expliqué dans la 2e partie, ils s’équipent en chars français, surtout le Renault FT, car il serait trop long de développer le leur. Sauf qu’il faut entrainer les soldats au maniement de cette arme nouvelle : Pershing, le commandant de la force US, choisit un jeune officier nommé Georges Patton, pour diriger l’école des blindés légers. Entre Patton (au caractère explosif et au tempérament fonceur) et le tank, c’est le coup de foudre. Il les teste lui même, visite les usines de fabrication, discute avec des théoriciens comme Fuller ou Estienne, autant sur le matériel que sur les stratégies, et défend l’intérêt de cette arme face à ses collègues réticents. Il dirigea même une unité lors des premiers engagements, avec de bons succès.

Georges Patton durant la 1ere guerre mondiale, devant un char français FT

Et du coup, après guerre ? Alors que la plupart des grandes puissances, notamment européennes, développent de nouveaux chars et les stratégies d’emploi ? Bah … rien. Pour l’armée des Etats Unis, le futur, c’est la CAVALERIE. Patton et d’autres officiers – comme un certain Chaffee- ont beau protesté, se rouler par terre ou retenir leur respiration jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose, rien ne se passe. Et on leur fait même comprendre qu’il faudrait qu’ils se calment, parce que ça suffit les bêtises. Du coup, dans leur coin, ils continuent de réfléchir à ce qu’on pourrait bien faire des chars, même si pour l’instant on en est privé.
Du coup, durant l’entre deux guerres, les Etats Unis développent et produisent seulement deux modèles : le M1 armé de mitrailleuses à l’instar du Panzer I, et le M2 un peu mieux armé avec un canon de 37 mm. Même si les deux véhicules sont assez rapides pour l’époque, ils sont clairement sous armés, sous protégés, bref, médiocres. En plus ils sont produits en quantité dérisoire et de façon quasi artisanal (par un arsenal d’état – Rock Island Arsenal), et mal entretenus (si bien que Patton va acheter avec son argent personnel des pièces de rechange). Quant à la doctrine d’emploi, on se contente, au niveau de l’état major, de le concevoir comme une arme d’accompagnement de l’infanterie.
Pour défendre un peu nos pauvres militaires, il faut remettre quand même le contexte de l’époque : un pays globalement isolationniste, une crise économique qui a provoqué des coupes budgétaires monstrueuses, limitant l’achat d’équipements (et un char, ça coute cher) et les manœuvres et exercices. Mais le constat est là : les USA prennent un retard considérable.

Le ridicule char M1, officiellement « combat car » soit voiture de combat

Le M2, qui n’est guère mieux

Et puis arrive Mai 1940. Et là, on voit l’armée française, considérée à l’époque comme la meilleure au monde (non, ce n’est pas une blague), se prendre la trempe des beaux jours par les Panzerdivisions. C’est un peu le choc : et si on s’était trompé ? Stop ! Demi tour complet : on décide un changement de doctrine pour prendre en compte les enseignements de la bataille de France. Et on fait appel pour cela à ceux qui militaient en faveur des blindés depuis des années : notamment Patton, et surtout Chaffee, qui vont poser les bases de la guerre mécanisée à l’américaine.
En dehors des questions stratégiques et tactiques, se pose une question tout aussi importante : celle de concevoir et produire des chars. D’autant plus que Churchill, un peu en difficulté, demande au président Roosevelt s’il ne peut pas lui venir en aide, là tout de suite, même s’il ne peut pas entrer en guerre pour l’instant. Sauf qu’un gros problème se pose : les capacités de production sont trop faibles, et on risque de manquer de temps pour créer des usines dédiées à l’armement. (De nos jours, cela parait impensable, mais à l’époque, le complexe militaro-industriel américain est très faible.) Pas de problème : on va faire comme les Européens confrontés à la crise des obus, en 1915, et faire appel aux industries civiles, notamment du secteur automobile. Plusieurs avantages à cela : ils ont l’habitude de produire en masse pour pas trop cher, ils ont des ingénieurs et ouvriers qualifiés, et surtout ils savent concevoir des moteurs puissants et des mécanismes fiables. Par contre, comme les chars ce n’est pas vraiment leur spécialité, on ne s’attend pas à ce qu’ils produisent d’emblée des chars de qualité. Prenons par exemple les tanks moyens, qui doivent devenir l’ossature des divisions blindées.
Pour le char moyen à concevoir, les militaires américains ont choisi comme arme principale un canon de 75 mm, ce qui est plutôt pas mal en 1940. Mais être capable de coller un tel canon dans la tourelle d’un char n’est pas encore à la portée des ingénieurs US, on décide de trouver une solution intermédiaire : et si, comme pour le B1 français, on plaçait le canon en casemate, et on met une tourelle plus petite ? Cette solution va donner le M3, qui sera renommé par la suite Lee (US) ou Grant (pour ceux exportés au R.U.). Conçu un peu en urgence, il possède un certain nombre de défauts : blindage insuffisant face aux dernières armes antichar, silhouette très haute (et donc, char + repérable et vulnérable), disposition de l’armement pas toujours pratique (d’autant plus que le canon le + puissant, celui de 75mm, possède un mauvais débattement qui l’empêche de tirer vers le bas). Cependant, il s’avère fiable, puissamment armé, et équipé d’une radio.

Le M3, renommé « Lee/Grant » par la suite, aka « Je saurai pas faire mieux pour l’instant »

Les premiers engagements du monstre se font dans les mains des Anglais, durant la guerre du désert. Et ce char, conçu à la va-vite, va se révéler bien meilleur que tous les chars à la disposition du Commonwealth, et largement capables de rivaliser avec ceux alignés par les Allemands et Italiens ! Avec le temps (et l’amélioration constante des chars germains), les défauts commencent à se faire sentir, et il est donc dès que possible remplacé par son successeur.
En effet, maintenant qu’on s’est fait la main sur le M3 Lee/Grant, on peut passer aux choses sérieuses. Pendant que l’on produit vite fait ce dernier, on travaille plus longuement sur le deuxième, afin notamment de pouvoir caser le canon de 75mm dans une tourelle. Un premier prototype est prêt en Septembre 1941 : ce sera le M4, rebaptisé Sherman d’abord par les Britanniques, puis par l’US Army. Ce char, vous le connaissez probablement, tellement il est devenu emblématique du front de l’Ouest ; si vous avez vu un film de guerre sur ce front, ou joué à un jeu vidéo sur la 2e guerre mondiale, vous l’avez sans aucun doute aperçu.
Sur ses qualités premières, c’est un char correct. Son armement principal ne manque pas de punch, surtout face à l’infanterie (contre les chars … nous y reviendrons). Il est correctement blindé, possède une vitesse digne d’un char moyen, tout en étant fiable. Il est équipé d’une radio, et est qualifié « d’assez confortable » par les équipages ; ce point peut paraître anecdotique, mais quand on passe plusieurs heures de combat dans un gros machin en métal, le confort permet de rester en bon état (et donc plus apte à taquiner ses copains de jeu). Il garde cependant une silhouette haute, ce qui n’est pas top car plus susceptible de se prendre un pruneau. Mais surtout : il est très facile à produire. Ce sera le 2e char le plus produit de la 2e guerre mondiale (après le T-34 russe, dont nous parlerons la prochaine fois) ; il va notamment être décliné en de nombreuses variantes – char amphibie, lance flammes, démineur, lance roquettes, pont mobile … Un vrai couteau suisse (mais américain).
Pour l’anecdote : il sera produit dans plusieurs usines à travers le pays, qui n’appartiennent pas aux mêmes entreprises. Il va en résulter un certain nombre de variations, liées à toutes sortes de contraintes. La caisse est généralement moulée, mais parfois soudée. Pour le moteur, celui prévu à la base n’étant pas toujours disponible en nombre suffisant, on va le remplacer par des moteurs d’avions ou de bus. Sans compter les améliorations progressives … Bref, ne vous étonnez pas si, en consultant des photos de la bête, vous voyez régulièrement des différences. C’est vrai pour tous les chars d’ailleurs, mais surtout pour ce dernier.
On le voit donc : notre bon M4 Sherman est un char moyen … moyen. Ni bon, ni mauvais, mais surtout fait pour être produit vite et en nombre. Mais qu’est ce que cela va donner en combat ?

Le M4 « Sherman », LE char US de la 2e guerre mondiale

Les premiers à l’utiliser sont les Britanniques, durant la guerre du désert. Les Yankees ne sont pas encore engagés au sol face aux Teutons, ce sont donc les Rosbeefs qui ouvrent le bal. Vu que le M3 Grant était déjà un des meilleurs chars à leur disposition, le M4 va encore apporter un avantage supplémentaire. Utilisé dans de nombreux combats de char, notamment à El Alamein, il va contribuer à la victoire alliée. Et pour cause : il affronte à armes égales les derniers modèles allemands. Et oui : ce char conçu à l’arrache, et pas forcément optimisé pour être une bête de guerre, va faire suer Rommel et ses vétérans de l’Afrika Korps. Bon, si on le compare au Pz-VI (plus connu sous le nom de Tigre), oui, là clairement, il ne fait plus le poids ; d’un autre coté on parle d’un char « lourd », donc pas tout à fait la même catégorie.
Après, pendant de longs mois, ce sera le calme plat. En effet, à l’Ouest le principal théâtre d’opérations sera le sud et le centre de l’Italie, qui se prête mal aux combats de char, avec notamment de nombreux reliefs. Et du coup, l’armée US n’améliore que peu son principal char : on se concentre surtout sur l’amélioration des cadences de production. Alors que du côté allemand, c’est l’inverse : confrontée aux hordes blindées soviétiques, la Wehrmacht a considérablement améliorée son matériel ; avec le dernier modèle de Panzer-IV, surblindé et armé d’un nouveau canon de 75mm à canon long, et surtout le Panzer V dit « Panther », conçu pour être un char de supériorité. Et ne parlons même pas du Tigre et son successeur, le Tigre royal, un monstre de 70 tonnes.

Ainsi, en Normandie, c’est la douche froide. Le Sherman qui, jusque là, n’avait pas trop de difficultés, retrouve à se faire régulièrement défoncer par des ennemis en nette infériorité numérique. Il faut dire que, dans la doctrine américaine, le Sherman n’avait pas été pensé comme un char « antichar » (ce rôle revenant à des engins spécialisés, les « tank destroyers »), plutôt, à l’instar des chars cruisers britanniques, à exploiter les percées dans le front ennemi. Et s’il était toujours bon dans ce 2e point, de fait il devait faire face régulièrement à ses comparses de l’Axe, où il était dépassé. Face aux branlées qu’il se prend, on tente différentes améliorations. Pour qu’il puisse survivre plus longtemps, on ajoute toutes sortes de protection, notamment des sacs de sable, mais ça le ralentit pas mal. On l’équipe avec un nouveau canon de 76mm, meilleur en antichar, mais se révèlera toujours limité. Finalement, la meilleur idée viendra du Royaume Uni : ils vont adapter le Sherman avec leur excellent canon antichar de 17 livres, pour donner le Sherman Firefly. Il se trouvera être effectivement capable de vaincre tous les chars allemands à distance correcte ; mais le canon n’étant pas disponible en grandes quantités, seul un faible nombre sera converti. Malgré toutes les améliorations apportées, il n’arrivera jamais à rattraper l’écart avec ses opposants.
Les USA vont bien tenter de revenir dans la course, avec le M26 « Pershing » (nommé d’après le commandant des troupes US en France de la 1ere guerre mondiale, dont on a parlé tout au début), mieux armé et protégé. Mais il arrivera assez tard, et ne participera que peu aux combats.

Le M26 « Pershing », qui a très peu connu la guerre

Donc, nos amis américains n’ont pas vraiment produit de chars performants. Le principal, le Sherman, étant un char plutôt bon au début, et plutôt médiocre à la fin.
Et pourtant … c’est un contributeur important à la victoire alliée. Car comme on l’a dit, il va être produit en quantités colossales. Tant et si bien que, non seulement il va équiper des divisions blindées US quasi inexistantes en 1940, mais également de nombreux pays alliés, dont le Royaume Uni (où il va devenir le char majoritaire), la France (la 2e DB du général Leclerc en est largement équipée), la Pologne, et bien d’autres … Même l’URSS, par le biais de livraisons d’armes, va en recevoir. S’il n’est pas excellent pour combattre ses comparses, il est versatile, et s’adapte à toutes sortes de situations de combat. Et du coup, pour combattre les Panzer Divisionen ? Les Alliés vont trouver des expédients : artillerie antichar, et surtout aviation d’assaut.
Dans ce cas ci, on voit donc que le choix de la quantité l’a emporté sur la qualité, à partir du moment où on a su s’adapter à différentes situations tactiques. Et sur le front de l’Est, l’équation sera t elle la même ? Nous le verrons et nous conclurons cette thématique dans le prochain article, ou nous referons le match mécanique du 20e siècle : chars allemands vs chars soviétiques.

Pour en apprendre plus :

https://fr.wikipedia.org/wiki/M1_Combat_Car
https://fr.wikipedia.org/wiki/M2_Medium_Tank
https://fr.wikipedia.org/wiki/M3_Lee/Grant
https://fr.wikipedia.org/wiki/M4_Sherman
https://fr.wikipedia.org/wiki/Char_M26_Pershing

Source des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 3e partie

3e partie sur notre question : alors, les chars allemands, ils étaient meilleurs que les nôtres ? Nous allons en discuter …

La première guerre mondiale s’est terminée, et la paix revient. Cependant, un peu partout dans le monde, on s’interroge sur l’avenir de cette arme nouvelle qu’est le char, qui après des débuts chaotiques, a prouvé son efficacité. Le leadership de la réflexion est prise par le Royaume Uni, en la personne de J.F.C. Fuller : son idée, c’est d’utiliser des chars lourds et très bien protégés pour percer le front en un endroit, puis envoyer plein de chars légers et très rapides dans la brèche, pénétrer les lignes ennemies et attaquer la logistique, les centres de commandement, … bref, foutre le dawa.
La France n’est pas loin derrière, avec toujours le général Estienne : lui, il préconise de grandes formations de chars, rapides, soutenus par une infanterie embarquée dans des camions. Le concept de Blitzkrieg n’est vraiment pas loin …

Ces deux théoriciens vont en inspirer bien d’autres un peu partout. Hobart au UK, Toukhatchevski en URSS (on reparlera de lui plus tard), Chaffee et Patton aux US ; en France, après Estienne c’est un certain colonel de Gaulle qui va promouvoir le char. Sauf que globalement, on ne les écoute pas. Cependant, il y en a un qui écoute beaucoup, et qui sera de même beaucoup écouté : Heinz Guderian.

Heinz Guderian, l’un des papas de la Blitzkrieg allemande


Rien à voir avec du ketchup (à part peut être ce qu’il laisse de ses ennemis). Guderian est un officier allemand qui, durant la 1ere guerre mondiale a servi dans les transmissions et l’état major. Il a eu l’occasion de voir un peu les forces et faiblesses de la stratégie allemande, et il a constaté que plusieurs offensives auraient pu réussir, mais les soldats à pied n’allant pas assez vite, les percées n’ont jamais pu aboutir au delà de quelques dizaines de kilomètres. Du coup, pour voir ce qui pourrait être fait, il suit ce qu’il se fait à l’étranger, notamment les théories de Fuller, les livres de De Gaulle. Et il établit une doctrine d’attaque : on commence par attaquer massivement un point faible du dispositif ennemi ; puis, on envoie des chars rapides, suivis par des soldats sur camions, et soutenus par des avions, afin d’encercler les points forts et les isoler ; il ne reste qu’à les encercler avec de l’infanterie classique, jusqu’à reddition ou destruction. La Blitzkrieg est née.
L’Allemagne a un gros avantage dans l’entre deux guerres : elle a perdu. Elle est donc plus réceptive à de nouvelles idées, puisque visiblement, les précédentes n’ont pas marché. Les stratèges allemands ont bien compris : lors de la 1ere bataille de la Marne, il aurait suffi à leurs forces d’assaut d’aller un peu plus vite pour prendre les Français de surprise. Du coup, la théorie de ce jeune officier séduit. La Blitzkrieg commence donc à faire son chemin dans l’état major, et ce bien avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler (qui ne l’a nullement inventé : il n’a fait qu’approuver ce qui existait).

Ne reste plus d’un détail : il va falloir développer et construire des chars. Sauf que l’Allemagne, normalement, n’a pas le droit : le traité de Versailles lui interdit la conception et fabrication de tels engins. Pas grave ! Les Anglais ont réussi à nous faire croire qu’ils fabriquaient des réservoirs roulants (« tank », cf. article précédent) ? On va leur faire croire qu’on fabrique … des tracteurs ! C’est ainsi que dans les années 1920, l’industrie allemande développe deux prototypes, le « Leichttraktor » et le « Grosstraktor » ; littéralement, tracteur léger et grand tracteur. Et comme des tracteurs armés de canons, c’est suspect, on va les tester en URSS, avec qui on a passé un accord (en gros, dans un camp d’entrainement en Russie, négocié contre un partage de technologies). Comme quoi, le « C’est Hitler qui a violé le traité de Versailles sur le réarmement », c’est faux : les Allemands ont triché bien avant, du temps de Weimar. Passons.

Des soldats allemands à l’entrainement antichar ; en arrière plan, un « Grosstraktor »


Après les prototypes, il fallait passer aux modèles de série. D’abord le Panzerkampfwagen I (1 en chiffre romain, logique), armé de deux mitrailleuses. Il était surtout destiné à l’entrainement. Le Panzer II, un peu mieux armé avec un canon de 20 mm, mais c’était pas encore ça. Puis les III et IV, qui devaient être les chars standards de la Wehrmacht : respectivement pour détruire les chars ennemis (avec un canon de 37mm antichar), et soutenir l’infanterie (canon à fut court de 75 mm, tout à fait respectable). Ajoutons à cela des chars piqués à la Tchécoslovaquie lors de l’annexion du pays, rebaptisés Panzerkampfwagen 38(t), et qui s’avérera être l’un des meilleurs chars à disposition des soldats allemands au début de la guerre.

Le Panzerkampfwagen I, premier char allemand de série

La guerre commence. Passons rapidement sur l’invasion de la pauvre Pologne, complètement prise au dépourvue et des deux côtés à la fois (et oui, c’est sale). Les Polonais, bien que surpris, parviennent tout de même à détruire des centaines de chars avant l’effondrement du pays, mais surtout grâce à l’artillerie. Donc pas vraiment moyen de faire une comparaison chars vs chars. La drôle de guerre n’est guère plus intéressante, puisqu’il n’y passe pas grand chose (les Alliés attendant que les Allemands se lassent d’envahir tout le monde). Et on oublie également l’invasion de la Norvège (peu armée) ou l’expédition de Narvik, parce que toujours pas de chars des deux côtés.
Il faut donc attendre l’invasion du Benelux et la campagne de France pour opposer les chars franco-britanniques aux Panzer. Comparons déjà la quantité : la Wehrmacht possède environ 2 500 chars, contre 4 000 pour les alliés. Donc oui : les alliés ont plus de chars, sensiblement. Mais l’avantage qualitatif est peut être coté allemand ? Regardons en détail.

Déjà, dans les deux camps, la grosse majorité du matériel correspond à la catégorie char léger : Panzer I et II d’un côté ; R35, H35 et FCM36 de l’autre. Si les modèles français ont tendance à être lents (c’est dommage pour une catégorie où la vitesse est le principal atout), ils sont cependant bien protégés, leurs homologues germains sont à la peine pour les détruire (le Pz-I étant équipé de mitrailleuses, c’est très compliqué pour lui). Ainsi, dans un duel, le français sort généralement vainqueur.
Alors, les chars plus gros sauvent ils la mise ? Les nombres sont sensiblement les mêmes des deux côtés : 500 Pz-III et Pz-IV, contre 600 chars moyens/lourds. Mais peut être que les exemplaires français sont tous pourris ? Étudions deux modèles : le B1 et le S35.
Le B1 est un char lourd, qui a été conçu dès la fin des années 1920, avec un but : pouvoir défoncer des fortifications. Il est donc très bien protégé, avec un blindage épais et de qualité. Pour l’armement, comme à l’époque on ne savait pas faire un canon à la fois antichar et anti infanterie, on va trouver une astuce simple : on va lui coller deux pétoires. Une en tourelle, antichar, de 47mm ; et un gros canon de 75mm, en casemate, pour faire sauter des fantassins, des fortifications, voire des fantassins dans des fortifications (et non, pas l’inverse). Il est par contre assez lent (20 km/h), mais je rappelle que son rôle est de détruire des fortifications, qui ne se déplacent généralement pas très vite. Quand les tankistes allemands tombent dessus, c’est un peu la panique : rien ne semble l’arrêter, alors que lui peut faire péter à peu près tout ce qui est assez bête pour se caler dans son champ de tir. Par ex., le « Jeanne d’Arc » va se prendre 90 impacts, avant d’enfin prendre feu. Pour d’autres exploits, je vous renvoie sur une petit vidéo sur la bataille de Stonne, faite par un blogueur un peu connu.

Le B1 Bis « Héros », avec ses 2 canons

Et du coté des chars moyens ? Intéressons nous au S35, sans aucun doute le meilleur char français de 1940. Il est rapide : 40 km/h environ, soit autant voire plus que les chars légers (ça la fout mal pour ces derniers). Il est résistant : il a un blindage de bonne facture, et surtout – quasi innovation à l’époque – il est incliné. Qu’est ce que ça change ? Déjà, les lois de la géométrie : pour la même épaisseur, la protection relative augmente (puisque si vous prenez une section de travers, elle sera forcément plus épaisse qu’une section droite). Et de surcroit, la probabilité de faire ricocher les obus antichar s’en trouve accrue. Quant à son armement, il consiste essentiellement en un canon de 47 mm, à haute vitesse initiale, donc très bon pour détruire les chars ennemis (un peu faiblard contre l’infanterie cependant). Lors des affrontements chars contre chars, il va largement prouver sa valeur lors de combats comme la bataille de Hannut.

Le S35 français, peut être le meilleur char moyen du moment … sur le papier

Illustration qui explique pourquoi un blindage incliné, c’est bien

On résumé : les Français ont donc plus de chars que les Allemands, et ils sont de qualité comparable voire meilleure.
Mais mais mais ? Pourtant, vous le savez : l’armée française n’a pas gagné, elle s’est même faite un peu ratiboisée. C’est un peu l’inconvénient de parler d’Histoire : difficile de garder un effet de surprise, alors que tout le monde connait le spoiler. Mais puisque vous êtes des lecteurs malins, vous allez demander : pourquoi ? Pourquoi malgré des chars en plus grand nombre et de facture équivalente ou supérieure, les Français ont perdu ? Et en plus, on dit que les Allemands ont gagné grâce aux chars ?!?!? 3 éléments de réponse à cela.

La première : la fiabilité mécanique. Les chars français avaient tendance à tomber en panne, souvent au mauvais moment. Les chars allemands de même, mais moins, et surtout, la maintenance était plus facile. Il faut reconnaître là dessus l’expertise des équipes logistiques des Panzer Divisions, qui parvenaient à remettre en état rapidement les chars en panne ou endommagés (alors que les Alliés ont perdu beaucoup de matériel, abandonné faute de pouvoir être réparé à temps).
La deuxième est l’arme secrète des chars allemands, dont leurs homologues mangeurs de grenouilles sont – presque – dépourvus : la radio. Je vous avais dit que Guderian, le papa des Panzer, avait travaillé dans les transmissions ? Et bien il a vite compris l’intérêt d’avoir un moyen de communiquer sans fil. Du coup : tous les chars allemands ou presque sont équipés en radio. Ce qui leur permet de communiquer entre eux, mais aussi avec l’infanterie, l’artillerie et l’aviation. Tandis que côté français, on se méfie de la radio (on trouve ça peu fiable).
Et cela nous amène tout droit au troisième point : l’utilisation intelligente de cette arme qu’est le char, au sein d’un ensemble plus vaste, dans le cadre de la stratégie dite de « Blitzkrieg ». Sans entrer dans les détails, l’usage de la radio, et la coordination entre les différents éléments de l’armée allemande, ainsi qu’une grande souplesse tactique, ont permis de lever les obstacles qui pouvaient s’opposer à l’armée allemande. On tombe face à des chars qu’on arrive pas à battre ? Vite, on appelle les stukas pour les pulvériser ! Un village fortifié qui résiste ? On prévient les copains qu’il faut le contourner, et les soldats à pied peuvent venir en faire le siège. Ainsi, les chars peuvent avancer sans s’arrêter ou presque, et réussir à piéger les meilleurs troupes alliées en Belgique (un sort cruel s’il en est, de se retrouver ainsi forcer à vivre avec des gens qui parlent néerlandais).

C’est ainsi que les généraux du petit moustachu sont parvenus à nous coller une taule, et pas grâce à une soit disant qualité de matériel. Un excellent exemple est la bataille de Montcornet. Le colonel De Gaulle (pas encore général à ce moment là), tout fraîchement nommé à la tête d’une division cuirassée (donc pleine de chars), décide de se lancer contre les troupes de Guderian. Et le grand Charles, lui, il sait comment utiliser ses chars. Et ça marche … presque. Il parvient à percer les lignes allemandes, il arrive à 10 km du poste de commandement de son adversaire (qui flippe un peu). Et puis l’aviation d’assaut allemande vient briser son assaut ; en partie car sans radio, impossible d’appeler les chasseurs à temps (chasseurs qui étaient de toute façon, très occupés). Dommage.
On le voit bien : les chars allemands n’étaient pas les meilleurs en 1940. Mais c’est leur utilisation intelligente, et le fait qu’ils étaient adaptés à cet usage, qui a permis une victoire foudroyante dans la bataille de France. En face, malgré un matériel très performant sur le papier, des tactiques dépassées ont abouti à une défaite humiliante. Et même lorsque des unités furent commandés par des chefs clairvoyants, l’absence de radio fut un lourd handicap. Comme quoi, tout n’est pas affaire de qualité de l’armement.

Et les Britanniques ? En ce qui concerne la bataille de France, j’avoue manquer d’informations : je sais qu’il y a eu quelques engagements, mais je n’en sais guère plus. De toute façon, après le retrait du British Expeditionary Force, les tankistes britanniques vont devoir attendre la guerre du désert pour affronter de nouveau leurs comparses allemands.
Transportons nous vers ce théâtre d’opérations. Le désert se révèle plutôt bien adapté aux manœuvres des chars, en ouvrant de grands espaces dégagés. Le sable pose quelques problèmes de logistique, car il a tendance à s’infiltrer partout, pourrir les moteurs et la mécanique. Mais d’un point de vue stratégique, c’est une arme idéale. Je ne vais pas entrer dans les détails (un article futur), mais au départ, les troupes du Commonwealth vont surtout affronter des Italiens, et ça ne va pas bien se passer pour ces derniers. Ils vont donc faire appel aux Allemands, qui enverront le célèbre « Afrika Korps », et surtout son commandant, Erwin Rommel. Dans les renforts envoyés, il y a notamment une division blindée. Elle n’est cependant plus équipée des mêmes chars que durant la campagne de France. Les Allemands ont constaté les lacunes de leurs blindés, et vont s’efforcer de les améliorer. Les modèles les plus légers (Panzer I et II) vont rapidement être retirés des unités. Et les chars moyens, Panzer III et IV, vont être améliorés. Pour le Panzer 3, cela va consister à changer son canon de 37mm par un 50mm à long fût, bien plus efficace en antichar, ainsi qu’une amélioration du blindage. Et pour le Panzer IV, l’amélioration sera plus tardive, mais consistera également en un canon plus long, pour devenir une arme multifonctions (anti infanterie et antichar).

Face à eux, que possèdent nos amis anglais ? Je l’avais rapidement évoqué, mais eux ont opté pour une stratégie reposant sur 2 types de matériels. Des chars légers dit « chars cruiser », très rapides, nombreux, avec un armement surtout antichar. Et des chars d’infanterie, lents, mais très solides (à noter que contrairement aux Français, ils sont équipés largement en postes radio, et les commandants britanniques sont assez familiers avec les concepts de manœuvres mécanisées rapides). Ces deux concepts, char cruiser et char d’infanterie, vont s’avérer assez foireux. Les chars cruisers en effet, sont certes très rapides, mais pas assez résistants pour affronter les derniers modèles de chars allemands. Leur seule force sera finalement leur nombre, qui permettra aux Britanniques d’être quasiment tout le temps en supériorité numérique face aux blindés de l’Axe ; et même là, ça ne suffira pas. Quant aux chars d’infanterie, comme le célèbre « Matilda », ils vont réserver certaines surprises aux Allemands, avec un blindage presque indestructible. Mais comme pour les B1 français, les officiers allemands vont trouver d’autres parades (la principale étant le canon de 88mm).

Le Matilda britannique, char au blindage le plus épais lors de sa sortie

Les troupes de Sa Majesté sont peut être les premiers de l’Histoire à avoir utiliser le char d’assaut, et même en ayant été les précurseurs dans l’expérimentation dans les années 1920, ils ont clairement pris du retard. Les ingénieurs britanniques sauront cependant tirer les leçons de leurs erreurs. Ils vont fusionner les deux concepts pour aboutir à des chars qui, peu à peu, cumulent les qualités des deux types. Le résultat final sera le Centurion, un char qui sera parmi les meilleurs du monde, mais arrivé trop tard pour participer au conflit. Pour la 2e partie du conflit, les Anglais vont de + en + utiliser des chars produits outre Atlantique.

Ce qui va nous amener à conclure ce 3e article. On l’a vu : les Allemands n’avaient pas de meilleurs chars que les Français, pourtant ils sont parvenus à nous coller une rouste. En les utilisant intelligemment, en les adaptant à leurs tactiques et en les améliorant peu à peu, ils sont parvenus à garder l’avantage. Vont ils réussir à le pousser davantage ?
Nous verrons cela dans la prochaine partie de cette thématique, où nous les comparerons cette fois ci aux chars US.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_blind%C3%A9s_de_la_Kama

https://fr.wikipedia.org/wiki/Leichttraktor

https://fr.wikipedia.org/wiki/Grosstraktor

https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_I

https://fr.wikipedia.org/wiki/Panzerkampfwagen_II

https://fr.wikipedia.org/wiki/SOMUA_S35

https://fr.wikipedia.org/wiki/B1_(char)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Stonne

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Montcornet

https://fr.wikipedia.org/wiki/Matilda

Source des images : Wikipédia

Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 2e partie

Deuxième article sur la question : les chars allemands en 1939-45 étaient ils vraiment les meilleurs ? Et pour répondre à cette question, nous allons revenir en arrière, comprendre d’où sont partis nos braves militaires de la Wehrmacht.

Premier arrêt : 1903 ; un capitaine français polytechnicien, Léon René Levavasseur, arrive à l’état major pour présenter son idée : un canon monté sur une plateforme roulante tout terrain. Et puis on va ajouter un blindage, pour protéger les servants des tirs de fusils ou des éclats d’obus. Et à la places des roues, on va mettre une grande bande de chaque coté (ça ressemble furieusement à des chenilles, et rien à voir avec la chanson). Vous l’aurez compris : il vient d’inventer le char (plutôt un canon automoteur, mais ne chipotez pas). Bien entendu, tout cela est trop moderne pour les militaires de l’époque, qui rejettent le projet sous le prétexte que on fera jamais mieux que le cheval pour déplacer un canon. Comme notre ami Levavasseur est têtu, il revient à la charge en 1908, mais il essuie toujours un refus.

Un schéma du projet Levavasseur


Dans le même temps, un Autrichien, le lieutenant Gunther Burstyn (avec un nom pareil, sûr qu’il n’est pas japonais), propose en 1911 une idée un peu similaire, mais avec cette fois ci un canon sous tourelle. Et en Australie en 1912, c’est un ingénieur civil, Lancelot de Mole (ça s’invente pas … le gars devait avoir des envies de chevalerie motorisée), cette fois, qui propose un engin blindé pour transporter des soldats. Les chefs militaires étant uniformément stupides, toutes ces idées beaucoup trop en avance sur leur temps sont rejetées. H.G. Wells parle pourtant, dans une de ses nouvelles, de « land ironclads » (cuirassés terrestres) qui écrasent des fantassins un peu trop sûrs d’eux. Nous en restons donc là pour l’instant.

Le char façon Burstyn, bien trop en avance sur son temps …


Puis la guerre éclate. Après quelques mois de guerre de mouvement, la guerre s’enterre. Et il devient extrêmement difficile de percer les lignes ennemies, protégées par des tranchées, des mitrailleuses qui fauchent les fantassins, des barbelés qui ralentissent les charges, … Bref, l’attaque ne peut se faire que si on la précède d’un puissant barrage d’artillerie ; sauf qu’après, le sol est retourné, rendu instable, et progresser sur un tel terrain devient vite un enfer. Ah, si seulement on avait un engin protégé des tirs ennemis, capable de se déplacer sur tout type de terrain, et d’emmener avec lui une puissance de feu suffisante !
Heureusement, du coté franco britannique, on se souvient de ces idées un peu farfelues, et on se dit que finalement, c’était peut être pas si bête. Au Royaume Uni, c’est le premier lord de l’Amirauté, un certain Winston Churchill, qui pousse le projet. Et comme on ne veut pas que les Allemands comprennent la petite farce qu’on leur prépare, on appelle le projet « tank », ou réservoir, en faisant croire qu’il s’agit de réserves d’eau mobiles, destinés à la guerre dans le désert. Donc oui, quand vous jouez à « World of tanks », vous jouez en fait au « Monde des réservoirs ». Ça claque moins quand même.


En 1916, le premier modèle est au point : le Mark 1. On est encore loin du char contemporain : il s’agit plutôt d’une grosse caisse blindée, avec des chenilles qui montent jusqu’au dessus du char ; pas de tourelle, mais les armes sont installées sur des supports latéraux. On décline l’engin en deux version : une armée de deux canons, appelée subtilement « male », et une « female », avec tout plein de mitrailleuses, et dont le rôle est de protéger les premiers en combat rapproché.

Le Mark I britannique, modèle « male »


Ils seront utilisés pour la première fois durant la bataille de la Somme. Les Britanniques veulent l’utiliser pour percer les défenses allemandes (notamment, détruire les mitrailleuses), et permettre ensuite à la cavalerie d’avancer. Les Français leur demandent d’attendre (que leurs propres chars soient opérationnels, afin de créer un effet de surprise complet), mais non : le commandant anglais VEUT ses chars. On les envoie donc au combat. Cette première fois est pour le moins confuse. Pas mal de chars tombent en panne en plein no man’s land, d’autres se font péter par l’artillerie teutonne ; certains parviennent à atteindre leurs objectifs, mais la cavalerie ne parvenant pas à suivre, ils se retrouvent isolés au milieu de l’ennemi, et plusieurs finissent par se faire capturer. Point positif : l’apparition des bestiaux a tout de même provoqué une certaine panique chez les Allemands, même s’ils ont fini par se reprendre.
Malgré ce revers, les militaires anglais vont insister, améliorer non seulement les véhicules mais aussi leur doctrine d’utilisation.


De leur côté, les Français ont également travaillé sur le char. Et pour cela, on fait appel à un homme. Non, pas Levavasseur : tout le monde semble l’avoir oublié (à moins qu’il boudait dans son coin, à fabriquer son propre char, avec des tables de black jack et des danseuses orientales). Mais un certain Jean Estienne. C’est un militaire qui aime bien les idées nouvelles (un truc rare) ; on lui a déjà confié le développement de l’aviation militaire avant guerre (pour le réglage de l’artillerie), avec succès. Et dès le début de la guerre, il déclare que le vainqueur sera celui des deux belligérants qui saura mettre un canon sur un véhicule tout terrain.
On lui confie donc le développement de « l’artillerie spéciale ». Pour l’instant, les chars français (Schneider et St Chamond) ressemblent à ceux des anglais, c’est à dire une grosse caisse roulante avec canon en casemate ou sur les côtés. Estienne n’est pas convaincu : il appelle Renault pour lui demander de produire un char léger, en très grosses quantités. L’industriel est déjà occupé à produire des obus, et décline.


Entretemps, les chars français sont engagés pour la première fois à Berry Au Bac, dans le cadre de l’offensive du chemin des Dames – malgré l’avis de Jean Estienne, qui pense que c’est trop tôt. Bien entendu, on ne l’écoute pas, et comme pour les Britanniques, c’est un échec : les chars qui ne tombent pas en panne, ou détruits par l’artillerie ennemie, finissent tout seuls dans les lignes ennemies, et font demi tour. L’artillerie spéciale est sur le point d’être dissoute … mais finalement, le changement de têtes à l’état major la sauve.


Et puis, en 1917, Renault a changé d’avis, et on écoute enfin Estienne. Avec son pote fabricant de voiture, ils conçoivent donc un nouveau char, le char FT : petit, mobile grâce à ses larges chenilles, avec une tourelle à 360° et moteur à l’arrière. Bref, presque le schéma du char moderne. Bon, il avait quelques défauts, comme l’absence de systèmes de communication interne (le chef de char donnait des ordres au pilote en lui donnant des coups de genou pour la direction – un coup à droite, on tourne à droite, un coup à gauche, on tourne à gauche – ou sur le casque pour démarrer/arrêter), une quasi absence de suspensions qui mettait la colonne vertébrale à rude épreuve. Mais il était assez fiable, et surtout, facile à produire : environ 3 700 chars furent fabriqués sur les 18 mois, dans différentes usines. Et il était si bien que de nombreuses armées alliés vont l’adopter, y compris les Etats Unis qui viennent tout juste d’entrée dans le conflit.

Le char Renault FT, sans doute le meilleur de la 1ere guerre mondiale
Le même char, vu de l’intérieur


Pour l’anecdote : il était prévu au départ que les USA produisent le char Renault sous licence dans leurs usines. Sauf que les frenchies ayant envoyé les plans avec des mesures en système métrique, et les ricains utilisant pouces et pieds … bah ça n’a pas bien marché. Le temps que les problèmes de conversion furent résolus, la guerre était finie. Résultat : le corps expéditionnaire américain combattra avec des chars produits en France.


Reprenons. Le matériel est là, en quantité. Reste à l’utiliser correctement. Il faudra attendre mai 1918 pour que les chars français soient utilisés massivement. Et le succès sera enfin au rendez vous. Regroupés dans de grandes formations, avec l’infanterie qui suit juste derrière, et soutenus par les chars « lourds » restants, les Renault FT vont faire merveille. Si bien que ce sera un des éléments (parmi d’autres) du succès de l’offensive des 100 jours.


Et du côté allemand ? Bah le char : on y croit pas trop. Alors oui, à la première rencontre face aux Britanniques, ça a été un peu la panique de voir plusieurs dizaines de tonnes d’acier avancer sans broncher. Et puis finalement, ils sont tombés en panne, et ont fini défoncés par l’artillerie. Du coup, on se dit que c’est une idée pourrie : le char, ça marchera JAMAIS. Les Allemands ne font pas vraiment d’efforts pour améliorer l’idée ; si bien que même s’ils développent un unique modèle (Sturmpanzerwagen A7V), ils en produiront à peine 20, et utiliseront davantage des chars piqués aux Anglais.

Un des rares chars allemands de l’époque, le A7V, en Juillet 1918


On le voit donc : les Allemands, à la fin de la guerre, partent de loin, et même très loin, sur la question du blindé. Vont ils mettre à profit l’entre-deux guerres pour travailler ce point ? Nous le verrons dans l’article suivant.

Pour en apprendre plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_Levavasseur

https://en.wikipedia.org/wiki/Gunther_Burstyn

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mark_I_(char)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Char_Schneider_CA1

https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Chamond_(char)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Estienne (je conseille vivement, le gars a eu une sacré vie)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Char_Renault_FT

https://fr.wikipedia.org/wiki/A7V

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Les chars allemands étaient ils les meilleurs de la 2e guerre mondiale ? – 1ere partie

Nous allons partir sur un sujet, qui va sans doute nous tenir plusieurs articles, tellement il est long et complexe … Et pourtant, la question de base est simple : les Allemands avaient ils les meilleurs chars de la 2e guerre mondiale ? D’emblée, l’inconscient collectif fera dire que « oui, du début à la fin de la guerre, les Panzers étaient les meilleurs chars de leur époque ». Préjugé en grande partie colporté par les douloureuses défaites qu’ont fait subir les divisions blindées de la Wehrmacht à certaines des plus puissantes armées du moment. Mais la réalité est nettement plus complexe : qu’est ce qu’un « meilleur char » ? Sur quels critères se base t on ? La « deutsche Qualität » fut elle constante ? Explique t elle leurs réussites durant la 1ere moitié du conflit ? Penchons nous sur ces questions, ce qui va sans doute nécessiter plusieurs articles.

Et on va commencer notre enquête par une question : qu’est ce qu’un bon char ?
Oui, cela parait bête … et en fait non.

On juge généralement un char sur trois critères principaux :

  • sa puissance de feu : un char, ça porte un canon pour faire bobo ; plus il peut faire bobo, mieux c’est (enfin, pas pour l’ennemi, mais on s’en fout de son avis). On divise sa puissance de feu en deux catégories : antichar (pour casser les jouets d’en face), et anti infanterie (pour tuer les piétons). Au début du conflit, les deux sont plutôt antinomiques : les canons antichar ont besoin de projectiles rapides (donc plutôt légers), tandis que les obus anti infanterie sont d’autant plus efficaces qu’ils contiennent beaucoup d’explosifs (donc lourds) ; ce qui fait qu’un canon peut s’avérer très bon contre les chars, mais mauvais contre l’infanterie, et vice versa. Avec le temps, les belligérants vont s’efforcer de faire des canons « multifonctions », qui sont bons dans les 2 cas.
  • son blindage : le concept de char étant de pouvoir encaisser des coups sans mourir, le blindage est important.
  • sa mobilité : principal intérêt d’un char par rapport à un canon tout seul, c’est qu’il peut bouger plus facilement. La mobilité se juge non seulement par la vitesse et l’autonomie, mais également par la capacité à rouler sur tout type de sol (terre, sable, boue, supporteurs de foot, …), et à franchir des obstacles comme des fossés ou des pentes.

Dans la conception du char, ces trois qualités entrent en concurrence. En effet, si je veux mettre plus de blindage, je vais alourdir le char et donc il sera moins rapide. Si je mets un plus gros canon, je vais également l’alourdir, et en plus je vais devoir augmenter la taille de la tourelle (ou perdre du blindage). Bref, tout sera question de compromis. Selon ce que l’on privilégie, on va classer les chars en 3 catégories :

  • les chars légers : on privilégie la vitesse pour qu’ils puissent aller vite et loin ; le blindage est surtout destiné à protéger contre l’armement léger (tirs de fusils ou mitrailleuses), et la puissance de feu réduite
  • les chars lourds : là on veut un char bien protégé, bien armé, mais on s’en fout s’il est rapide (souvent, il est destiné à accompagner les fantassins pour les soutenir ; donc pas besoin d’aller + vite qu’eux)
  • les chars moyens : une sorte d’intermédiaire entre les deux ; on veut un char assez rapide, mais quand même résistant et bien armé, quoique moins qu’un char lourd ; historiquement, c’est le type de char à avoir émergé en dernier, alors qu’à la fin de la guerre, il était largement majoritaire

Un char léger français, le Hotchkiss H39

Un char moyen allemand, le Panzerkampfwagen IV Ausf F

Un char lourd soviétique, le Ioseph Staline 3

Bien entendu, c’est un classement grossier, et plusieurs pays avaient leurs propres classements (parfois pas pertinents du tout) : les Anglais parlaient par ex. de « cruisers tanks » (petits chars rapides) et de « infantry tanks » (chars lours de soutien de l’infanterie) ; les Russes de chars de rupture (gros chars solides dont le but était de percer le front) et chars d’exploitation (après les précédents, ils profitaient des trous dans la défense adverse pour foncer et aller le plus loin/vite possible).
De plus, il est évident que ces chars n’avaient pas le même emploi. Un char léger n’avait pas la moindre chance face à un char lourd ; mais ce dernier n’était pas adapté quand on voulait exploiter une percée (où le but est alors de prendre l’ennemi de vitesse).

Bon, là on a évoqué les qualités « tactiques » de notre engin, c’est à dire celles qui vont lui servir lorsqu’il combattra. Ainsi, si on prend deux chars, sur un grand terrain plat, avec des équipages aussi compétents, c’est celui qui aura le meilleur compromis puissance de feu/blindage/mobilité qui devrait l’emporter. Est ce tout pour juger de la valeur d’un char ? La réponse est … non (sinon je n’aurais pas posé la question).
Quand on conçoit un char, il va y avoir tout un tas d’autres critères, pas du tout tactiques, qui vont entrer en ligne de compte. Certains sont assez évidents :

  • le cout de fabrication : si j’ai le meilleur char du monde, capable de battre 5 chars de mon ennemi juré, mais que pour le même prix il peut en produire 10, j’ai pas fait le bon choix
  • la fiabilité : ou la probabilité de ne pas tomber en panne ; dis comme ça c’est con, mais si mon super char de la mort qui tue tombe en rade au bout de 10 km, il va pas me servir à grand chose
  • la facilité d’entretien : ça rejoint partiellement le point du dessus ; il faut comprendre qu’un char c’est très lourd, et ça va donc soumettre la mécanique à rude épreuve ; souvent, au bout de quelques centaines de kilomètres seulement, il faut faire de l’entretien ; or, y passer 2 heures ou 2 jours peut avoir une influence sur une bataille (si la moitié de vos chars sont en réparation, ils ne peuvent pas se battre, ce qui est con quand même pour une arme)

Et ce ne sont pas les seuls : consommation de carburant, mobilité stratégique, confort des équipages (on y reviendra dans un autre article), … sont autant de petits éléments qui peuvent faire la différence.
Alors, on sait mieux comment juger un char maintenant, et finalement, ce n’est pas si simple (et pas seulement une question de longueur de canon). Mais on n’a pas répondu à notre question : les chars allemands, ils étaient les meilleurs ?
Et bien nous verrons cela dans un prochain article : chars allemands vs chars français & britanniques.

Un char Tigre 1 allemand, après que Hans ait parié qu’il pouvait rouler sur une seule chenille

Pour en apprendre plus : attendez les articles suivants, petits kastors impatients !

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